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Lancelot et saint Fraimbault

MessagePosté: Mar 06 Juin, 2006 11:11
de Taliesin
Salut les gens ! :D

que faut-il penser de la théorie Bansard-Bertin qui identifie Lancelot à saint Fraimbault, ermite du Passais au 6ème siècle ?
J'avoue que je suis plus que sceptique, mais j'aimerais avoir votre avis sur le sujet.

MessagePosté: Mar 06 Juin, 2006 13:51
de Gwalchafed
Sur quoi s'appuie cette théorie ?

MessagePosté: Mer 07 Juin, 2006 0:18
de Taliesin
sur plusieurs choses :

- Fraimbault est un nom d'origine germanique, Frambaldus, qui signifierait "lancier courageux". Le nom complet du saint est Frambaldus de Laceio qui pourrait se traduire par "le lancier courageux du lac"
- sur le tombeau présumé de saint Fraimbault, d'époque mérovingienne, est gravé un calice et un trèfle. Le calice rappellerait le Graal, et le trèfle, symbole alchimique des ondins, renvoie à Lancelot, valet de trèfle des jeux de cartes (perso, j'ai une autre explication qui se passe de Lancelot et de l'alchimie)
- il y aurait des points communs entre la vie de saint Fraimbault et celle de Lancelot : Fraimbault est fils de roi, mais il refuse de succéder à son père et souhaite se faire ermite. Il doit fuir et se réfugie derrière une cascade qui déborde au point de devenir un lac et le cache à ses poursuivant. A la fin de sa vie, Lancelot se fait ermite, comme saint Fraimbault.
- Lancelot est originaire des marches de la Gaule et de la Petite-Bretagne, c'est en pays de marche (maine, Avranchin) que Fraimbault se fait ermite (à noter qu'il est né en Auvergne)
- le corps de saint Fraimbault est vénéré à Senlis (chapelle saint Frambourg) et Hugues Capet s'y fit sacrer devant le tombeau du saint.
- Banvou, village du Passais, serait à l'origine du nom Ban de Benoïc.
- les ermites du Passais du 6ème siècle seraient les archétypes des ermites que l'on rencontre fréquemment dans les romans arthuriens (mais il y eu un autre mouvement érémitique au 11ème-12ème siècles dans ces régions de marche, avec Robert d'Arbrissel et consorts)
- certains lieux du Passais renverrait à des lieux décrits dans les romans de Lancelot, comme le pont sous l'eau.

j'espère que je n'ai rien oublié.

MessagePosté: Mar 04 Juil, 2006 23:54
de jakes
Pour ta science, mais je n'y crois pas une seconde:

Société de Mythologie Française.

Val d’Aoste. 27 29 Août 1996.

Lancelot du Lac, héros des passages.

Georges Bertin.

" Poisson soluble dans les eaux de la mythologie, le mythe est une forme introuvable ". Marcel Détienne. L’Invention de la mythologie. Gallimard, 1987, p.238.

§

Lancelot du Lac, archétype de la Chevalerie française au Moyen-Age, héros de la cour du roi Arthur, meilleur chevalier du Monde n'a pas fini de nous fasciner commme nous séduit encore aujourd'hui la Quête entreprise par ses pairs à l'instigation de Merlin l'inspiré.

Le mythe de Lancelot, tel que nous l’avons étudié, s’inscrit d’abord dans un espace et dans un temps mythiques qui participent de sa fondation en tant que héros des passages. Aprés avoir évoqué la situation gégraphique et historique particulière où, pour nous, le mythe du prêtre-roi s’incarne dans une figure héroïque et sacrée, celle de Lancelot du Lac, nous rappelerons briévement les situations au cours desquelles la figure de Lancelot est associée aux rites de passage, nous essaierons d’entirer quelques enseigneemnts dans l’ordrre du mythe en nous demandant si les images qui nous sont proposées par le roman médiéval n’accomplissent pas précisément cette fonction de passage. Nous proposerons alors l’hypothése suivante: Lancelot, fils de roi au service du roi des rois, héros terrible et combattant, tantôt héros lumineux, tantôt guerrier sombre et inspiré, garant de la souveraineté du roi Arthur dont il est le champion, puis devenu moine chantant messe, acccomplit-il la synthèse des trois fonctions indo-européennes? Ou le " meilleur chevalier du monde " se situe-t-il hors fonctions? Ses rapports à l’éternel féminin comme à un au-delà aquatique dont témoignent ses enfances font-ils glisser peu à peu sa figure ves la fonction nourricière , comme le suggérait, dés 1988, notre président d’honneur, Henri Fromage, où le renvoient-ils à la marge dans une position ambiguë? Les passages successifs auxquels le soumet son histoire, sa légende, n’en font-ils pas un héros hors classes et hors fonctions?

I. Le pays du passage: mythologies et Histoire.

" La marche est un espace contradictoire, c’est à la fois un passage, un carrefour où des communautés communiquent et un conservatoire, un asile loin des pouvoirs centraux ". Claude Letellier. Correspondance. 6 10 1994.

Pays de marches aux confins de Bretagne, de Normandie et du Maine, le Passais a formé de tous temps une contrée intermédiaire entre ces provinces que reliaient de très anciennes voies antiques dont l'une d'elles, le "chemin potier", joignait entre eux les bassins des rivières de la Mayenne, de la Sonce de la Varenne et de la Vire, c’est une entité profondément marquée par ses caractères historique et géographiques. En effet, son étymologie même, (Passus = le passage), inscrit dans la mémoire des hommes les atouts d'une région de collines et de landes sauvages, de solitudes boisées, ainsi le Passais occupe une position privilégiée sur le plan stratégique qui fit de son histoire une des plus mouvementées des pays de l'Ouest de la France. Y fleurirent depuis la plus haute antiquité les mythologies et les hagiographies. Elle a fourni à la littérature médiévale quelques uns de ses plus beaux thèmes d'inspiration.

Lorsque au 6éme siècle, St Innocent, évêque du Mans, envoie vers cette nouvelle Thébaïde des moines qui ont noms Fraimbault, Ernier, Bômer, Constantien Auvieu, pour y créer, avec leurs ermitages, les premiers îlots de la civilisation, il est loin d'imaginer l'extraordinaire florès de hauts faits, de récits légendaires et de cérémonies pieuses, de fêtes, enfin, que ce petit va pouvoir sécréter.

Les légendes hagiographiques décrivant l'arrivée des moines civilisateurs du Passais au VIème siècle les représentent en effet souvent occupés à détruire les bois consacrés aux "faux dieux.

Une des caractéristiques du Passais demeure aujourd'hui, l'existence de traditions très ancrées dont nous devons l'origine à ces.moines défricheurs du VIème siècle. En ce sens son histoire est exemplaire de celle de la Marche Armoricaine dont l’antique forêt de Brocéliande escaladait les reliefs, de Bellème à Vannes et d’Avranches à Sillé le Guillaumeet Sainte Suzanne. A l'époque médiévale, l'histoire du Passais est constamment marquée par sa résistance aux luttes des grands féodaux. C'est Guillaume le Conquèrant qui s'en rendit maître le premier en le faisant entrer dans sa mouvance en 1050. Il lui fallut encore bien des efforts pour s'en concilier les habitants dotés d'un fier esprit d'indépendance.

Après la conquête de l'Angleterre par les Normands et la mort du Conquèrant, les luttes reprirent et c'est, son 3ème fils, Henri 1er Beauclerc qui fut choisi comme prince par les habitants de Domfront. Ceux-ci avaient secoué le joug de leur seigneur, Robert de Bellème, pour accueillir ce fils de Guillaume qui n'avait reçu aucune terre en héritage mais qui passait pour instruit et compétent. Etonnante démonstration de ce particularisme des habitants du Bocage élisant, en pleine féodalité, leur chef et souverain! Le prestige de la sagesse l’avait emporté sur la force et la séduction. Les monarques anglo-normands ne l'oublieront pas et l'on sait qu'au XIIème siècle, Henri II Plantagenêt et Aliènor d'Aquitaine, puis Richard Coeur de Lion firent de fréquents séjours à Domfront, sa capitale.


II. Lancelot, héros des passages.

Les passages de l’eau,

les passages courtois,

Les passages héroïques,

les passages chrétiens, les ermites et le Graal.


Né en Marche de Gaule et de Petite Bretagne, à Banvou, au Passais, fils de Ban de Banoïc et de la reine Héléne, Lancelot a reçu en baptême le nom de Galaad, il est issu d'une lignée prestigieuse, celle de Joseph d'Arimathie, " le gentil chevalier qui descendit Jésus de la Croix avec ses deux mains et le coucha dans le Sépulchre " lequel conserve cette relique, précieuse entre toutes: le Graal, qu’il convoie en Occident dans un lieu connu de rares initiés et où règnent la lignée des rois pêcheurs qu’il a fondée. " C’est grâce à ce fameux chevalier dont descendit le grand lignage par qui la Grande Bretagne devait être illuminée car ils y portèrent le Graal et conquirent cette terre païenne à Notre Seigneur ". Lancelot descend donc d’une lignée de personnages sacrés parmi les plus prestigieuses, celle des gardiens du Graal.

Sa figure rencontre ici celle d’un personnage hermétique des Marches Armoricaines, saint Fraimbault, dont le nom signifie le lancier du lac, né vers 500, de parents " les plus riches et les plus considérés de l'Auvergne " et qui fut introduit très jeune à la cour de Childebert. On voit alors, dans la légende du saint, celui-ci être tiraillé entre le service divin et le service du roi et s'adresser à l'abbaye de Mici où il reçoit la prêtrise avant de s'enfoncer dans les solitudes boisées du Passais. Dans les enfances de Fraimbault se rencontrent deux filiations: royale et monacale avec celle de deux territoires, l'Auvergne, province d'Aquitaine bien notée par les chroniques lequel comme espace mythique vient entrer en résonance avec ceux que le héros habitera dans les romans: l’espace des Marches de Gaule et de Petite Bretagne puis la Domnonée, à la cour d’Arthur. De la naissance de Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Banoïc et de la reine Hélène, jusqu'à la découverte de son nom par le héros, le thème du passage est récurrent dans les Enfances, il permet de mettre en perspective nombre de correspondances littéraires et hagiographiques avec la géographie et la mythologie locales.


Premier âge mouvementé que celui du jeune Lancelot, qui entre dans le vie au sein d'une histoire pleine de bruits et de fureurs, et qui le voit fuir, au coeur de son âge, le pays natal, celui qui porte le nom de son père. Plusieurs scenarii viennent souligner et rendre patente (limpide) la structure du récit, renforçant son statut de héros charnière, de celui qui se tient au gué, voué à la rencontre. Cette rencontre entre héros chevaleresque et personnages sacré intéresse le mythologue. Comme Drona, dans le Mahabharata, Lancelot est un personnage ambigu. Né d’une lignée sacrée, il se comporte certes en guerrier et en roi et obtiendra de ce fait un statut très particulier à la Cour d’Arthur, presque son égal.




A. les passages de l’eau..


A ) le Banoïc: le lieu de la naissance de Lancelot se trouve décrit et identifié, il s'agit de "la marche de la Gaule et de la Petite Bretaigne". Topographiqueemnt, cela correspond à la position de Banvou dans la réalité socio-historique. La forteresse principale en est Trébe d'accès difficile() "une petite rivière courait au pied du château,(...) sur la rivière, on ne pouvait mettre le siège, car il y avait un marais large et profond et, pour tout chemin, une chaussée étroite qui s'étendait sur plus de deux bonnes lieues". Autre précision, le "roi Ban avait un sien voisin qui marchissait à lui par devers Berri, qui était alors appelée Terre déserte" et "la prairie de Banoïc (s'étend) entre la Loire et l'Arsie", c'est là que Banin coupera la tête du sénéchal traître d'avoir livré à Claudas le secret de la chaussée des marais, ce qui déterminera l'assaut de Claudas de la Déserte contraignant Lancelot à son premier passage des eaux.


B ) La fuite de Ban, le père de Lancelot et le lac de Diane. Un Vendredi soir à la mi-août, le roi s'en va par un pont de branchages posé sur la petite rivière qui courait au pied du château. Il a tant chevauché, qu'il est sorti des marais et pénètre dans un forêt où il chevauche une demi-lieue avant d'entrer dans une Belle Lande où il était allé maintes fois. Au pied d'un très haut tertre d'où l'on pouvait observer tout le pays, et d'où le roi voit son château brûler, ce qui lui cause une douleur mortelle, un lac, le lac de Diane (chapitre 1). C'est là que Viviane se tient, qui confisque l'enfant Lancelot à l'affection des siens et se jette à pieds joints dans le lac, au moment même où meurt le roi Ban (chapitre 3). Ce lac est décrit dans le roman (chapitre 6), il est au pied d'une colline et n'est "que d'enchantement". A l'endroit où il semblait qu'il y eut un grand lac profond, la dame avait des maisons fort belles et fort riches et au dessous d'elles coulait une rivière, petite, très plantureuse en poissons. Lancelot y passera ses enfances. C’est son second passage, doublet significatif:

-de la terre vers le royaume de l’au-delà,

- de l’enfance à la jeunesse chevaleresque.

Hélène, la reine aux grandes douleurs prendra le voile dans une Blanche Abbaye de nonains, comparable à celle que fonda à Mortain le demi-frère du Conquérant.

Viviane, comme les Néréides, est nourricière et éducatrice, dans son palais au fond des mers, du jeune mâle princier, le Couros qui n'est pas élevé par sa mère, mais par la fille des eaux hantant les grottes et les rivages. L'investiture du prince viendra de la mer.

Concernant Lancelot, cette similitude est encore renforcée par l'hagiographie locale de son doublet religieux, saint Fraimbault, lequel, refusant une existence de patricien contre l'avis de ses parents, se retire à Ivry sur Seine où une grotte et une cascade s'enflant soudainement le dérobent à la recherche de ses proches.

De nombreux autres épisodes parallèles à l'histoire littéraire de Lancelot plaident en faveur d'une contamination du roman par ce personnage dont le corps est vénéré à Saint Frambourg de Senlis, première capitale des rois de France. C'est devant son tombeau qu'Hugues Capet sera élu par ses pairs. Détail curieux, les clés de voûte de la collégiale sont ornées de fleurs de lys surmontées de crapauds ou "raines", premier emblème de la royauté franque. Ils symbolisent le caractère ondin du saint patron du lieu. Au Marches du Maine et de Normandie, deux paroisses portent ce nom: Rennes en Grenouille, ce qui est parfaitement redondant, prés de Lassay, et Rânes, aux portes de la forêt d'Andaines, connue pour sa légende de la fée à la Fontaine et qui met en scène une fée serpente de la tradition mélusinienne. A Saint Fraimbault de Lassay, lieu de processions circulaires le Lundi de Pentecôte, on montre à l'angle NW de l'église du lieu, une pierre tombale enchâssée dans le mur de l'édifice. De l'époque mérovingienne, elle est marquée du double signe du calice ou Graal et du trèfle (symbole alchimique des ondins). Lancelot en héritera sa place dans les jeux de cartes: le valet de Trèfle.

De plus comme le fait remarquer Réjane Molina, tous les lieux de culte de saint Fraimbault dans le Maine présentent un rapport onomastique avec l'eau: Saint Georges de la Couée, (de lacq), Lavaré (de lavare = laver), Roézé (de ros rosée). le site de Saint Fraimbault de Priéres, lui est sis dans une boucle de la Mayenne, une grotte abrite, au ras du flot, la statue de l'ermite, aujourd’hui encore très vénérée.


C ) les passages de l'eau de Lancelot à la cour d'Arthur. Lancelot, ayant reçu son éducation de la Dame du Lac ambitionne d'être fait chevalier par Arthur. Il a dix huit ans. Son troisième passage, celui de l’accès au monde adulte, va être parfaitement ritualisé. La présentation aura lieu pour la fête de la Saint Jean "l'homme le plus éminent de gloire et de mérite qui eut jadis été conçu par assemblement charnel".

"Ils ont tant chevauché qu'ils sont arrivés sur le rivage de la mer. Ils embarquent et abordent en Grande Bretagne, le dimanche soir, dans le port de Floudehueg." De là, ils chevauchent à la recherche du Roi Arthur qui est à Camaalot, pour la Saint Jean d'été, rappel de celui qui garantissait le passage en baptisant dans les eaux du Jourdain.

Avant de le quitter, entretenant le mystère de ses origines, la Dame du Lac ne lui révèle pas son nom mais qu'il est fils de roi. De la Marche de Petite Bretaigne à la Cour d'Arthur, l'itinéraire de Lancelot accédant à la chevalerie s'effectue ici sur la base d'un double passage de l'eau:

- d'abord, pour sortir du palais de la Dame du Lac, où il a été élevé, ce dont le conte curieusement ne dit rien à ce moment du récit, situation symbolique de la rupture avec l'univers féminin, celui des eaux primordiales, de la mère,

- ensuite pour accéder à Logres où se tient Arthur. Notons que Viviane l'y accompagne, véritable "courotrophe", fidèle à sa mission jusqu'au bout.

L'initiation chevaleresque: les exploits. Là, il devra confirmer son aptitude à la chevalerie en accomplissant trois exploits (chapitre XII):

- la délivrance, au nom de la Sainte Croix, d'une jeune fille prisonnière au milieu d'un lac, son modèle inversé féminin.

- la délivrance de la dame de Nohant, prisonnière du roi de Northumberland,

- le combat d'un chevalier, Alybon, qui se dit gardien du gué de la Reine, sur l'Humbrie, gué éminemment symbolique puisque c'est là qu'au temps de sa conquête, Arthur a rallié ses meilleurs chevaliers: Gauvain, Keu, Loth, et Yvain et défait les Sept Rois rebelles.

L'attribution du gué à la reine " le gué portait son nom parce que la reine avait été la première à le découvrir " montre à quel point la participation de Lancelot à la souveraineté d'Arthur dépend de la femme. La souveraine prend ici le relais de la fée dans la conduite du jeune chevalier au travers des passages clés de son existence et l’on se souvient que Viviane reviendra manifester sa solidarité à Guenièvre dans un moment crucial.

Ce thème du gué est également présent dans le cycle de Cuchulainn qui défend seul la frontière de sa province et impose à la reine Medb un contrat au terme duquel chaque matin un guerrier sera envoyé " au gué qui sert de frontière " (cf Guyonwarc’h)..


L'initiation chevaleresque: la connaissance. Enfin, Lancelot va conquérir le château de la Douloureuse Garde, (chapitre XXII) qui "occupe une position haute et belle entre l'Humbre et un torrent fait de plus de quarante sources".

Ayant défait les chevaliers qui gardent le château, il découvre son nom sous une dalle.

Les Enfances sont terminées, ce passage de l'eau a été le dernier de la période juvénile, celui de l'accès à la maturité. D’autres passages viendront alors conforter sa figure héroïque dans l’Imaginaire de l’Occident qui revêtent plusieurs formes: courtoises et héroïques.

B. Les passages courtois.


Amoureuses et hédonistes, le plus souvent à son corps défendant, lorsque une attirance incoercible (ou un philtre, comme Tristan), voire une tromperie, le pousse dans les bras d’une pucelle énamourée, ou de celle de la fille de son hôte, dont il aura un fils Galaad qui terminera ses aventures. Son passage prend alors la figure de la transgression.

C’est avec la reine Guenièvre, la propre épouse de son souverain qu’il connaît l’amour absolu, l’amour passion, celui qui vous emporte aux limites de vous-même, et dont la révélation précipitera le basculement de l’histoire arthurienne, initiant la fin des chevaleries terrestres. Cet amour s’inscrit en contrepoint de celui, tout filial, qu’il éprouve au début du roman pour la fée Viviane, sa mère adoptive, celle qui l’a ravi au fond du lac, le faisant participer de sa nature différente. et qui l’élèvera jusqu’à son admission à la cour d’Arthur où la reine prend en quelque sorte le relais après un épisode où Lancelot vit la question du double et l’expérience de l’individuation en se confrontant au personnage de Galehaut, leur amitié comportant incontestablement une composante homosexuelle.

On connaît les injonctions courtoises qui s’adressaient à Chrétien et aux poètes de la cour d’Aliénor d'Aquitaine, petite fille de Guillaume IX d'Aquitaine, le prince des troubadours. C’est Marie de Champagne, la fille d'Aliènor, qui lui commanda, dit-on, la matière du Chevalier à la Charrette écrit "à la gloire de la dame", telle que la rêvaient les cours occitanes. Comme Aliénor, sa mère, dont la cour passait pour un modèle du genre, Marie de Champagne est connue pour avoir dirigé une cour d'Amour occitane. Celles-ci instituaient un code de conduite appelé " Chevalerie d‘Amour ", comme le fit la Table Ronde d'Arthur en matière de vertus chevaleresques, code qui fonctionne à rebours des impératifs moraux du temps. La dame du Lac le résume ainsi en s’adressant à Guenièvre à propos de ses amours illégitimes avec Lancelot. " Je vous prie de retenir , de garder et d’aimer par dessus tout celui qui vous aime par dessus tout... les pêchés du monde ne peuvent être faits sans folie, mais il a bien raison d’être fou celui qui trouve dans sa folie sa justification et son honneur. Et, si vous pouvez trouver folle votre passion, cette folie est honorable entre toutes, car vous aimez le Seigneur et la fleur de tous les mortels ". Pour Jean-Charles Payen, jamais la " dévotion à la dame " n’a été poussée aussi loin que dans les romans de Chrétien de Troyes. Elle culmine dans le Chevalier à la Charrette et apparaît déjà, dans le Conte du Graal de Chrétien, en rivalité avec la quête spirituelle. C’est bien entendu encore plus manifeste dans les romans en prose du XIIIème siècle.

- Le chevalier à la charrette de Chrétien. Cet épisode marque l’apogée du genre courtois dans le roman chevaleresque médiéval. C’est au nom de l’Amour que Lancelot dérogera au code d’honneur chevaleresque en acceptant de se laisser porter en charrette: " Amour le veut et il y monte ". Encore: " Les charrettes, nous dit le texte, servaient alors à quoi servent les piloris, ...pour ceux qui étaient tombés en duel de jugement, pour les larrons et les banditsde grand chemin...Elles étaient si cruelles qu’il en fut dit: quand tu verras charrette et tu l’encontreras, signe toi et souviens toi de Dieu afin que nul mal ne t’advienne ".


Passage obligé pour Lancelot, cette mort sociale qu’il y rencontre l’incite à changer de registre ou de fonction au nom et pour l’amour de sa dame. Cette injonction à la déchéance lui sera réitérée plusieurs fois par la reine quand Lancelot combattra " au pire ", acceptant le servage absolu auprès de sa dame, second signe d’une abdication des pouvoirs attribués jusque là à la première fonction.

Les injonctions courtoises sont aussi le signe d’un autre passage celui du roman d’exploits au roman psychologique. le groupe social et ses équilibres s’effacent ici devant le libre arbitre, déjà individuel. Ces passages sont autant d’épreuves que Lancelot et Gauvain, dans leur Quête de la reine enlevée par Méléagant au Pays de Gorrre, auront à coeur de surmonter. Ce faisant, ils feront encore preuve d’héroïsme comme en témoignent les épisodes suivants.


C. Les passages héroïques.


les pierres et les deux ponts,

le château de la Merveille.


La quête de la dame, (il s’agit de libérer Guenièvre captive de Méléagant dans le Chevalier à la Charrette de Chrétien et dans le Lancelot en Prose), loin de mettre en échec la propension du héros à la vaillance, le voit se confronter à de nouveaux types d’épreuves qui ont toutes trois trait au franchissement d’une eau félonesse:

- le passage des pierres, défendu par des chevaliers qui portent des haches et au milieu desquels Lancelot passe sans encombre comme s’il annulait magiquement leur pouvoir,

- le passage du Pont de l’Epée, " plus tranchante qu’une faux " au dessus d’un gouffre sans fond est défendu par des lions. Lancelot " aprés avoir regardé son anneau ", annule là encore l’enchantement et parvient sur l’autre rive au prix de nombreuses souffrances,

- le passage du Pont sous l’Eau, où Gauvain manque de se noyer et dont Lancelot le sauve en lui tendant un bras secourable.

Si ces passages sont désormais accomplis, et c’est un des noeuds du récit, il faut l’attribuer, sans doute, moins au caractère héroïque des chevaliers (même si leur capacité de transcender les éléments est encore présente) qu’à la révélation ainsi permise d’une des dimensions de leur Quête.

La dame, est ici souveraine et l’emporte sur les prouesses par l’attirance qu’elle provoque, comme amante, mais encore comme initiatrice, comme cellle qui confère aux chevaliers leur souveraineté. Elle initie pour Lancelot un chemin désormais inéluctable, celui des chevaleries célestes.

- le Château de la Merveille. Cette figure voit concrétiser en la parachevant la quête héroïque de Lancelot en même temps qu’elle apporte de précieuses informations sur la fonction qu’il occupe dans le roman. Arrivés à l’heure de basse-vèpre, devant un château très puissant, Lancelot (toujours en charrette) et ses compagnons (Gauvain et un nain) rencontrent la plus belle demoisellle de la contrée, une pucellle (troisième figure de la femme) qui les invite. Elle leur fait préparer deux lits et jette un interdit sur le troisième " où ne saurait prendre de repos que celui qui l’a mérité, sauf à le payer trés cher ".Lancelot ne tient pas compte de l’interdit. A minuit, une lance au pennon enflammé jaillit comme foudre " qui faillit le clouer au lit où il gisait ". Lancelot l’esquive, éteint le feu et prend la lance puis se recouche. Au matin, les chevaliers voient passer un cortège de deuil mené par la reine. Ils se lancent à sa poursuite. Parvenus à un carrefour, ils rencontrent une demoiselle qui leur apprend que ce cortège est celui de Méléagant, fils de Baudemagu, roi de Gorrre, qui emmènent la reine prisonnière. Lancelot " oublie qui il est " et entre dans une profonde songerie dont il ne sortira que pour combattre un chevalier gardien d’un gué qu’il défait.

Cette nouvelle aventure s’achèvera en un moutier où le chevalier Lancelot trouve un moine qui le conduit dans un cimetière renfermant des tombes, sur celles-ci, les noms de nombreux chevaliers d’Arthur. Une grande tombe est au centre, dont la dalle ne fut jamais soulevée par force humaine. Lancelot s’en saisit et la lève facilement, délivrant ainsi les prisonniers de ce royaume " d’où nul n’échappe ". Il a vaincu le signe même de la mort, effort symbolique qui montre les capacités du héros à passer d’un monde à l’autre, et encore des chevaleries terrestres aux chevaleries célestes marquées par le moine. Ses nouveaux passages seront dés lors spirituels.

Pour ce qui est de ses chevaleries terrestres, elles sont bien terminées puisque Lancelot finira dans une tour, prisonnier sur parole. Sa prison, qu’il regagne parés d’ultimes combats où il triomphe anonyme, ne préfigure-t-elle pas son abandon du monde terrestre?

Dans le roman en prose, postérieur au texte de Chrétien, il embrassera la vie religieuse en se retirant dans un moutier parés l’écroulement des chevaleries arthuriennes.

La Tour, chez Chrétien, n’est-elle pas située au royaume de Gorre (ou de Voire, Ile de Verre d’où nul n’échappe?). Cet épisode, préparé par celui du château-fée, est introduit par celui où Lancelot triomphe des enchantements.

On voit deux images du chevalier s’imposer dans ces passages:

- celle du champion, du guerrier combattant, vainqueur des éléments, des chevaliers félons et des animaux monstrueux, mais on remarquera que ces actions héroïques ne sont ni gratuites ni aveugles, qu’elles participent sans doute encore de la première fonction, car justicières lorsqu’il s’agit de défendre l’honneur Arthur et de punir des outrances,

- celles du magicien, capable de se jouer des enchantements du lit de la Merveille, qui reçoit des signes du ciel (le nom sur la pierre tombale, le bouclier ressoudé) lesquels marquent bien son statut d’intermédiaire, de passeur, d’exécutant du plan divin.

Première et deuxième fonction sont ici indissolublement liées et l’on voit que les romanciers n’entendent pas priver les représentants de la première fonction des valeurs de la deuxième.


D. Les passage chrétiens: les ermites et le graal.


Après ses aventures, Lancelot affrontera désormais le plus périlleux des passages, celui de l’Autre-Monde, passage spirituel préfiguré tout au long du roman par ses rencontres spirituelles de saints personnages et qui culminera dans la contemplation (pour lui incomplète) du cortège du Graal.

L’ermite occupe une position charnière dans le roman arthurien. Il se trouve toujours là au moment où le héros, après combat ou épreuves, doit passer par une période de marge, de solitude et solliciter son conseil. La figure de l’ermite est elle-même une figure du passage puisque ceux qui nous sont décrits comme prud’hommes le sont de par leur origine (ils furent autrefois de braves chevaliers qui ont choisi de fuir le monde, parfois même proches parents des chevaliers de la Table Ronde). Ils donnent des conseils éclairés au chevalier avant de lui faire partager leur retraite, sise au creux d’une nature protectrice et joignent d’ailleurs à l’accueil spirituel celui des soins physiques et médicaux.

Lancelot lui-même connaîtra cette mutation puisqu’il finit ses jours comme moine chantant messe. En témoigne, nous l’avons vu, sa géméllisation avec les traits de l’ermite Fraimbault où se rencontrent les deux piliers de toute société indo-européenne , le guerrier et le clerc.

L’autre rencontre spirituelle, déjà plus élaborée, a lieu dans une île, c’est celle de Pellés le riche roi pêcheur. Avec lui, il peut aborder, même si sa contemplation lui est interdite, le mystère du Graal qui ne lui apparaîtra que voilé au milieu d’un cortège d’anges et d’une étrange procession dont on célébrait encore la mémoire au diocèse du Mans au XIIème siècle. A sa vue Lancelot " sent ses yeux le brûler comme un brasier ardent et tombe comme mort ".


III - D’une fonction à l’autre, Lancelot Trinitaire.


A) Structures de l’Imaginaire.

Trois structures de l’Imaginaire semblent pouvoir analyser ici les rapports de Lancelot avec la notion de passage::

- une dominante posturale ordonnée au régime héroïque et largement diurne des images, entre idéalisation et antithèse, lorsque la rencontre qui le laisse parfois pantois et cruellement blessé, lui apporte gloire et réputation, soulignée par son armure étincelante, le choc des armes, l’usage immodéré de la lance et de l’épée qui tranche. Sa figure de héros solaire y apparaît ici nettement soulignée par l’iconographie (le blanc chevalier) et la chronologie du récit (il combat de l’aube au coucher du soleil), est fait chevalier à la saint Jean d’été.. L’héraldique vient encore le souligner puisque Lancelot porte " d’argent à bandes de gueules ".

- une dominante copulative et dramatique, marquée par la dialectique des antagonismes mis en oeuvre au cours du roman et qui aboutit à la mise en scène, par le jeu des amours de Lancelot du Lac, du temps régressif, d’un temps hors du temps mais qui est parfaitement récurrent. " La porte ouverte, il se trouve soudain en présence de la reine et le voila qui tombe en extase: les yeux fixés sur elle, il fait reculer son cheval jusque sous la voûte sans même s’en apercevoir ".

- une dominante mystique, un ensemble de rencontres avec des personnages sacrés au coeur de Nature, au château aventureux au milieu des eaux, domaine du riche roi pêcheur nous semblent analyser un régime d'images nocturnes marqué par le réalisme sensoriel, prolongeant le temps de la grotte aquatique. Il est repris par celui de la coupe, dans lequel les principes d'analogie et de confusion jouent à plein. Les origines aquatiques de Lancelot sont ici redoublées par divers épisodes des passages de l’eau.

Le château du riche roi pêcheur lui-même est sis au milieu d’une île et l’on n’y accède que par mer. On y retourne et on en revient comme le flux y porte les héros et comme il finit par les emporter en l’Ile d’Avalon. La figure du temps s’ordonne ici au cycle, elle est soulignée par les généalogies qui conduisent Lancelot et, après lui, Galaad, à réaliser la Quête. Trois exigences accompagnent dés lors ces rencontres:


- au combattant, au guerrier héroïque, est donné de vivre un temps historique qui sera aussi celui des grands exploits. Lancelot est là un héros solaire qui se met en marche avec le jour et voyage en été, il combat jusqu’au coucher du soleil.

- Au parfait amant, totalement asservi à sa dame, la reine Guenièvre, vivant l'Amour-Passion sur le mode de la régression au coeur de Nature, dans des lieux aquatiques ou champêtres. A cette matrice universelle correspond un visage du temps suspensif, marqué par la prise des philtres, annulant magiquement son cours dans la consommation et la consumation du désir charnel.

- Au Lancelot réaliste, qui conjugue les forces de la raison pour échapper à la fatalité, correspond un rapport au temps qui fait alterner les cycles de l'espoir et du désespoir, de la satisfaction et de la frustration.

Période indispensable à la résolution de la crise, préfigurée par l’évanouissement devant le Graal, elle débouche sur la mort dans l'ermitage qui réintroduit le héros dans le cycle spirituel en le faisant accéder à l'immortalité. En effet, si Lancelot meurt " moine chantant messe ", c’est que son initiation est achevée, il est véritablement devenu un roi-prêtre et sans Guenièvre, le serait-il devenu?


B) Lancelot trinitaire.


Avec Henri Fromage, nous conclurons sur cette interrogation qui semble assigner à Lancelot des attributs et des fonctions qui échappent normalement à son statut.

Le thème mythologique du Roi des Poissons, est présent incontestablement dans l’épisode du riche roi pêcheur, il rappelle la capacité du héros à garantir la fécondité, la fertilité et la prospérité du groupe social. Tirant argument du caractère chtonien et aquatique de Lancelot, d’être de l’au-delà de chevalier vert, que nous soulignons, Henri Fromage pense que ce thème a été christianisé depuis la figure héroïque et chevaleresque du personnage par le génie courtois, voyant se profiler, derrière le chevalier un personnage mythique, de la troisième fonction.

Notre réflexion sur le passage éclaire ce débat. A la lumière des épisodes précédemment décrits, il nous paraît en effet que nous assistons à un triple passage:

- des enfance aquatiques aux exploits chevaleresques,

- de l’héroïsme à l’amour courtois,

- de l’amour courtois au monde spirituel.

Tout semble donc bien indiquer un glissement progressif d’une fonction à l’autre.

D’abord, le personnage de Lancelot est inséparable de la première fonction, il participe de la royauté d’Arthur dont il garantit la souveraineté, l’un et l’autre sont complémentaires et solidaires, ils partagent même la reine.

A eux deux, ils marquent le dédoublement de la souveraineté.

Si Arthur, figure mithraïque, assume incontestablement la prospérité et la paix du royaume, ne combat pas lui-même (il laisse ses chevaliers s’engager à la poursuite de Méléagant), détient le pouvoir spirituel que lui confère son alliance avec Merlin, Lancelot " justicier rigoureux et redoutable " semble bien hériter de traits Varunesques ou Oddhinesques, qui " signe avec la pointe de sa lance ", lance " contre laquelle se brise l’épée du guerrier ". Comme Varuna, il agit non comme un combattant mais comme une sorte de destin ou de magicien renversant l’âme du combat et les chances de victoire (il passe au milieu des lions, consulte son anneau pour transfigurer le combat).Comme lui il est lié aux eaux. Loin d’être proprement un dieu guerrier Varuna n’intervient que pour fausser le jeu du guerrier et l’on voit Lancelot ainsi combattre au pire ou anonymement. Comme Oddhin, Lancelot, par ses interventions paralyse ses adversaires, ouvre rochers et montagnes (la dalle du cimetière), comme lui il dispose du javelot.

Passant d’un état à un autre, (des royaumes des fées à la cour d’Arthur) ,le mythe de Lancelot ne vise-t-il pas à articuler, dans le passage dont il est la figure, les deux portes de l’univers? D’autres traits nous paraissent le rattacher à la première fonction:

- le fait qu’il n’apparaisse que rarement sous ses propres armes, ce qui le rend invisible à ses ennemis et comme doué d’ubiquité mystérieuse, ainsi dans le Roman en Prose, lors du combat des Cent Chevaliers, il prend les armes de Galehaut, le fils de la Belle Géante,

- son attribut est la lance liée à l’idée de souveraineté,

- ses aventures lui font connaître de nombreux simulacres de mort, il reste parfois absent à lui-même, sauvage et forcené,

- il met fin aux enchantements de la Douloureuse Garde,

- ses interventions sont souveraines, il tranche par les armes, s’en remet à leur sort pour décider du droit, il est " immédiat, universel, multiface ".

Enfin, il est lié par le sang aux Gardiens du Graal et l’issue de sa vie appartient encore à la première fonction.. Par ailleurs, les aspects héroïques du personnage ne sont pas négligeables, à la cour d’Arthur il passe pour le meilleur chevalier du Monde et sa vaillance est à nulle autre pareille quand il combat les armes à la main, chevalier étincelant. Pourtant, il reste le lointain, l’extérieur, l’étranger (il n’est pas celte de Domnonée mais de Gaule) et ses origines aquatiques le rattachent à la fonction nourricière et fécondante quand il conçoit Galaad dans le sein de la fille du riche roi pêcheur. Cette énumération montre le caractère insaisissable du personnage, tellement que, pour reprendre l’expression de Michel Pastoureau, on peut " tenter de le saisir de tous les côtés ".Tout se passe en fait comme si, au fil de ses aventures, son caractère s’euphémisait vers la protection, la fécondité. Il semble que d’une figure de prêtre-roi, païenne et souveraine, on passe insensiblement au fil des aventures et des éditions successives du roman, à une christianisation du mythe. La Quête du Graal, chaudron d’abondance des celtes, révélateur des exploits chez les Nartes, vase d’immortalité, qui apparaît dans les récits arthuriens sous influence cistercienne, est sans doute le lieu où s’opère ce passage. Au Sid se substitue alors le paradis chrétien, aux voyages et gestes symboliques par lesquels les héros entent de purifier le cosmos et la force impersonnelle qui l’agite fait place une religion du salut aux fins universelles. Ceci nous est confirmé par les travaux d’hagiographie locale sur saint Fraimbault, le doublet chrétien de Lancelot, lequel chassait les démons, rendait aux aveugles l’usage de la vue et rendait les femmes stériles capables d’engendrer, dont les cultes évoluent eux-mêmes de l’image de souveraineté du prêtre roi qui a trait à la magie vers celle qui a trait à la fécondité. Ainsi les processions circulaires du Lundi de Pentecôte l’invoquent comme protecteur des moissons. Phénomène assez répandu.

De ce point de vue, Lancelot est vraiment un héros celtique dont la fonction, comme l’a bien vu Ch Guyonwarc’h, à propos des héros irlandais, se fragmente, s’émiette en une trinité ou une infinité de personnages. Les couleurs de Lancelot seraient à analyser dans ce sens, du chevalier lumineux (1ère fonction) qui désarçonne Hélain et porte sur ses armes trois bandes de gueules (2ème fonction), ou à l’écu vermeil, au chevalier vert qui rend vie à la Terre Gaste. Il porte alors la couleur de la classe productrice.

Ceci renforcerait notre hypothèse d’une attraction tardive de la fonction productrice sur le personnage dans la mesure où le roman " Sir Gawain and the Green Knight " date de la fin du XIVème siècle, sorte de légitimation culturelle. Comme Lug, au moins tel que nous le restitue le roman médiéval, Lancelot apparaît bien, in fine, transcendant toutes les classes et assumant toutes les fonctions. Assumant la mise en contact d’aspects parfaitement antagonistes, Lancelot est donc voué au vocable de la Trinité (il est le valet de Tréfle), il est bien le Médiateur.

Deux arguments appuient cette hypothése:

- la cohérence, la société médiévale connaît un passage important aux XIIème-XIIIème siècles, celui de l’héroïsme à la sainteté, dont témoigne l’essor des croisades.

La sublimation du héros vers une position hors normes et hors classes est en cohérence avec le projet des donneurs d’ordres, fonder un ordre nouveau, synthèses de trois civilisations, l’occidentale, la celte, l’orientale.

- le contrôle, subséquemment, exercer en même temps un contrôle social dans le passage à la sainteté et réconcilier les deux types de l’idéal médiéval en formant une société meilleure " associant pour toujours les spécialistes de la politique , du droit et de la plus haute religion et ceux de la guerre avec les maîtres de la richesse et de la fécondité ". Galaad peut alors exister et le cycle se renouveler.


Georges Bertin. UCO Angers, le dimanche 18 août 1996.