C.-M. Garnier a écrit:Connla, le prince aux cheveux d’orONNLA aux cheveux d’or était le fils de Conn-le-Vainqueur-des-Cent. Un jour qu’il se tenait avec son père sur la colline royale d’Usna, il aperçut venir vers eux une dame de mise étrange et de grande beauté. Quand elle se fut approchée, il lui demanda qui elle était et de quel pays elle venait.
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Je viens de la Terre de Vie, lui répondit-elle, terre
qui ne connaît ni crime d’aucune sorte, ni vieillesse, ni mort. Les mortels nous appellent Fées des Collines, car c’est au milieu de collines verdoyantes que, dans des fêtes perpétuelles, sans ombre de querelles, nous passons nos heures innocentes.--- Le roi et ses compagnons s’émerveillaient, car ils entendaient la conversation, mais seul Connla voyait la princesse.
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A qui parles-tu donc, mon fils ? dit le roi.
--- Ce fut la dame invisible qui répondit :
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Connla parle à princesse de noble parentage, non sans beauté et qui jamais ne connaîtra l'âge ni la mort. J'aime Connla aux cheveux d'or. Je viens pour l'emmener à Moymel, le pays des joies sans fin. Dès son arrivée, il y sera reconnu comme roi et, sans déboires ni chagrins, à jamais il y règnera. Viens avec moi, gentil Connla aux joues vermeilles, au cou tavelé de son, aux ondoyants cheveux d'or. Viens avec moi Connla bien-aimé, et libre de la menace des rides, tu garderas jusqu'au jour du jugement ta beauté mâle et digne de ta haute lignée.--- Dans son angoisse, le roi de Tara fit appel à son druide, en le priant d'user de tout son pouvoir contre la magie de l'invisible fée.
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O Coran, maître de l'art mystique, rassemble tes incantations les plus puissantes, car si elles ne venaient à mon secours, la magicienne des Collines féeriques me ravirait mon fils.---Le druide Coran sortit du groupe et se mit à proférer ses incantations contre la voix mystérieuse et magique. Pour cette fois, son pouvoir fut plus grand que le pouvoir de la voix et la dame invisible dut se retirer. Mais en s'est allant, elle jeta une pomme à Connla.
---Le roi et sa suite retournèrent au palais. Durant tout un mois, Connla refusa toute nourriture et boisson : il ne goûtait qu'à sa pomme. Chaque jour il la mordait et, chaque soir, elle était entière et parfaite. Il ne cessait de se languir en blessant à la jolie vierge des Collines et s'endolorissait et s'assombrissait. Au bout du mois, il se tenait aux côtés de son père avec les nobles de la cour sur la Plaine d'Arcomin. Soudain, de la région du couchant, il vit s'approcher la même dame de beauté. La Voix, cette fois, frémissait d'ironie contenue :
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C'est un glorieux sort, vraiment, que celui de Connla, mêlé aux pitoyables mortels de courte vie, le cou toujours tendu à la hache de la mort ! Là-bas, au contraire, les enfants de Moymel, qui jamais ne ressentent les atteintes de l'âge ni le froid de la mort, t'aiment d'un amour mystique et, te voyant guider avec ferme sagesse les assemblées de la patrie, ils t'attendent, impatients de te faire leur roi. ---Le roi de Tara, repris d'angoisse, fit appeler son druide. En entendant cet ordre, la dame invisible lui dit :
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Vaillant Conn, vainqueur des cent assaillants, la foi dans le pouvoir des druides connaît aujourd'hui piètre crépuscule. La loi de justice et d'amour monte, elle, à l'horizon. Bientôt seront scellées les lèvres de ces suppôts barbus du démon.
---Se tournant vers son fils qui, muet, semblait absent :
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Connla, lui dit-il,
ton âme est-elle encore remuée par la Voix ?---—
Père, je suis affreusement partagé et malheureux. J'aime mon peuple grandement et, pourtant, la Voix et la Beauté de la dame me remplissent d'un profond et délicieux tourment.---Alors la Vierge des Collines, à l'adresse de Connla, chanta ces strophes d'une voix suave :
---La terre de Jeunesse et de fraîche vigueur,
---Qui ne connaît l’affront du mal ni des pleurs,
---Se cache aux lointains dorés du couchant--------------- Aux bleus confins de l’Océan.
---------------Un volant canot de cristal
---------------Doublant la Roche de Fingal
---------------Nous emmène à la rive
---------------Où le soleil arrive,
---------------Sans l’ombre des druides,
---------------Sans le sillon des rides,
---------------Sans démons altérés,
---------------Sur les coteaux dorés
---------------Tout au fond du couchant,
---------------Aux bleus confins de l’Océan.---Terre aux ruisseaux d'argent, aux courbes sinueuses,
---Où l'Eté vit toujours sa splendeur bienheureuse,
---0ù la fleur toujours veille, où le mal toujours dort,
---Sans le souci des ans ni l'effroi de la mort !---------------La terre de l’asile
---------------Où le bonheur s’exile
---------------Tout au fond du couchant
---------------Aux bleus confins de l’Océan !
---Au mortel qui l’aborde, elle offre des blandices
---Qui passent la saveur des plus douces délices.
---------------Elle semble lointaine,
---------------A l’horizon des flots :
---------------Avant la nuit prochaine
---------------Nous verrons ses palais,
---------------Et puis, à tout jamais,
---------------Ses bosquets de bouleaux
---------------Deviendront notre asile
---------------Où le bonheur s’exile
---------------Dans le moelleux repos
---------------Des terres du couchant
---------------Aux bleus confins de l’Océan.
---Je t'y sauve, ô Connla mon prince aux boucles d’or,
---Et du druide faux et des fourbes démons ;
---Mon canot de cristal t'emporte aux heureux bords
---De la terre bénie où nous nous aimerons.---------------Oui, loin des maléfices
---------------Du druide odieux
---------------Et des sombres offices
---------------Des démons envieux,
---Oui, je te sauverai, mon prince aux boucles d'or,
---De tout mal dans mes bras ! Le canot de cristal
---Nous porte sur les flots jusqu'au versant du val
---Où tu régneras, roi des jours et de la mort !---La dernière note de la mélopée avait à peine vibré à l'oreille de Connla qu'il s'élança dans la barque magique, éblouissante et fine, fendant l'eau comme flèche de cristal. Le roi et ses compagnons la perdirent bientôt de vue dans l'incandescence du couchant, et un lourd émoi appesantit leur cœur. Présage justifié, car jamais dans son pays natal, on ne revit Connla, le prince aux boucles d'or.
---------------Contes et légendes du pays d’Irlande, Charles-Marie Garnier, Éditeur Fernand Nathan, 1946, pp. 116-119, illustrations Maurice Lemainque, 256 pages.