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Hagiographie et politique : la Vie de saint Telo

MessagePosté: Mar 25 Nov, 2008 16:48
de Taliesin
je recolle ici mon long post sur la Vie de Telo :

Le Livre de Llandav, qui contient la Vie des saints Dubric, Telo, Oudoceus, ainsi qu’une collection de chartes datées du temps de ces saints jusqu’à l’épiscopat de Urban en 1107, a été fabriqué pour prouver les droits de l’évêché de Llandav, centre religieux du pays de Gwent (Monmouthshire) contre ceux de Saint-David en Mynyw. A cette époque, le sud du Pays de Galles est depuis quelques décennies sous domination normande, et le clergé gallois est en pleine réorganisation : l’ancien système est détruit, les possessions ecclésiastiques sont redistribuées, souvent de façon arbitraires, et de nouvelles communautés religieuses sont fondées. Afin de conserver ou obtenir des terres et des droits et d’affirmer leur suprématie, il s’agit pour les évêchés gallois d’établir l’autorité religieuse ancienne et indiscutable de leur saint patron, et de le faire agréer par les nouveaux maîtres normands, parfois à n’importe quel prix. Ceci explique l’extraordinaire floraison des Vies de saints gallois aux 11ème-12ème siècles.

C’est en Pembroke que fut nommé le premier évêque normand du Pays de Galles, Bernard, évêque de Saint-David de 1115 à 1148. Il réforma complètement son diocèse pour le conformer au modèle continental, tout en respectant au mieux les divisions territoriales historiques du Pays de Galles. Il semble qu’il fut nommé archevêque vers 1140. Il devint même plus Gallois que les Gallois et poursuivit deux buts : faire de l’évêché de Saint-David le chef de l’Eglise galloise et rendre cette Eglise indépendante de l’archevêché de Canterbury. C’est certainement pour appuyer ces deux objectifs que fut utilisée la Vie de saint David, écrite par Rhigyfarch à la fin du 11ème siècle et où l’on voit David, successeur de Dubric, se rendre à Jérusalem pour être nommé archevêque, en compagnie de ses deux suffragants, Padarn et Teilo.

Cette politique ne pouvait que rencontrer des résistances au Pays de Galles même, et le principal rival au pouvoir de Bernard fut l’évêque de Llandav Urban (1107-1134), Gwrgan de son nom gallois. Llandav – monastère près de la rivière Taf – n’était qu’une chapelle et Urban en fit une cathédrale. On ne sait pas à quel saint était dédicacée la chapelle de Llandav à l’origine ni même si elle fut un centre ecclésiastique important avant l’accession d’Urban à l’épiscopat. Pour contrer les prétentions de l’évêque de Saint-David, Urban et sa famille vont à la fois fabriquer un livre – le Livre de Llandav – et inventer un diocèse. Sur le modèle du cartulaire de Landévennec, le Livre de Llandav contient la Vie des saints fondateurs ainsi qu’une collection de chartes de donations, prouvant la validité et l’ancienneté du diocèse de Llandaf et de ses possessions terriennes. Ainsi, les trois premiers évêques de Llandav auraient été saint Dubric, saint Teilo et saint Oudoceus. Dubric fut probablement un personnage historique. Il figure dans la Vie de saint Samson, comme l’évêque qui ordonna Samson diacre. Son culte primitif semble avoir été centré à Archenfield, mais il doit sa célébrité au clergé de Llandav qui l’adopta et le fit passer pour le patron fondateur du monastère. En 1120, ses reliques furent transférées de Bardsey Island (nord du Pays de Galles) à Llandav et on entreprit la construction d’une cathédrale, afin d’inaugurer la création du nouveau diocèse. Peu après, vers 1134, on rédigea une Vie de saint Dubric où il apparaît comme archevêque de Llandav, et qui est une sorte de réponse à la Vie de saint David, où Dubric, en tant que prédécesseur de David, est donc archevêque de Mynyw. Nous reviendrons plus loin sur le cas de saint Telo. Oudoceus, présenté comme le neveu et successeur de Telo, n’a probablement jamais existé. Quant aux chartes de donation, on peut douter fortement de leur authenticité. Bien qu’elles soient datées du 6ème au début du 12ème siècle, elles se présentent toutes sous la même forme. Les noms des donateurs, les rois du Morgannwg et d’Archenfield, ont sans doute été empruntés à des chartes authentiques et des généalogies. Mieux encore, les faussaires de Llandav utilisèrent des chartes – probablement fausses également - provenant du monastère voisin de Llancarfan, qu’ils réécrirent complètement en attribuant à Llandav les donations faites originellement à Llancarfan. On remarque aussi que si l’on pointe sur une carte les lieux de culte dédiés à saint Telo et saint Dubric, on couvre exactement le territoire réclamé par l’évêque Urban pour le diocèse de Llandav. Cela découle d’une logique simple : si Dubric et Telo sont les saints patrons de Llandav, alors toutes les paroisses, églises, chapelles,…dont ils sont aussi les patrons appartiennent à Llandav.

On peut se demander si un tel travail de falsification eut seulement pour origine une querelle de préséance entre Saint-David et Llandav, ou s’il existaient d’autres raisons. A la fin du 11ème siècle, le seigneur normand Robert Fitz-Hamon réussit à conquérir le Glamorgan, région où étaient implantés les principaux monastères gallois, Llantwit Major, Llancarvan, et aussi Llandav. Fitz-Hamon donna le monastère de Llancarvan à l’abbaye anglo-normande de Gloucester dont il était le seigneur. Or, la famille d’où Llandav tirait ses dirigeants – Urban et ses frères, entre autres – était celle des chefs héréditaires du monastère de Llancarvan, qui venaient donc d’être spoliés de leurs biens par Fitz-Hamon et Gloucester. Leur réponse fut de réclamer devant le pape tout ce que les Normands leur avaient pris, et même au-delà, en fabriquant pour cela un dossier sur lequel appuyer leurs revendications : le Livre de Llandav.

La Vie de Telo, pièce du dossier Llandavien :

La version primitive de la Vie de saint Telo fut écrite vers 1120 par Etienne, frère de l’évêque Urban. Elle ne mentionne pas la visite de Telo en Armorique. C’est dans la version contenue dans le Livre de Llandav, interpolée et en partie réécrite, que Telo se réfugie auprès de Samson. Avant ces deux rédactions, les seuls éléments écrits concernant Telo sont des notes marginales inscrites dans un Evangéliaire du 8ème siècle connu aujourd’hui sous le nom de Lichfield Gospel ou Livre de Saint-Chad. Ces notes furent ajoutées aux chartes du Livre de Llandav au 12ème siècle. L’Evangéliaire en question arriva vers 820 au monastère de Llandeilo Fawr, haut lieu du culte de Telo et siège probable d’un évêché de Telo au 9ème siècle. A cette époque, Llandeilo Fawr se trouvait dans le diocèse de Saint-David. D’autre part, on remarque la rareté des lieux de culte dédiés à Telo dans le Glamorgan et autour de Llandav : la plus proche église dédiée au saint, Merthyr Mawr, se trouve à vingt miles de Landav.

Voici un résumé succinct de cette seconde version : Telo naît dans le sud du pays de Galles, de parents nobles et est instruit par l’archevêque Dubric. Il se lie avec David, futur évêque de Mynyw et tous deux partent pour Jérusalem en compagnie de Padarn. Là, ils sont tous les trois faits évêques et Telo remplace saint Pierre. Revenu dans sa patrie, Telo devient évêque de Llandav et du district voisin sur lequel avait régné Dubric. La peste jaune désolant le pays, emportant avec elle le roi Maelgwn de Gwynedd, Telo, après avoir passé quelque temps auprès de Gerent, roi de Cornouaille insulaire, va chercher refuge en Armorique auprès de Samson, archevêque de Dol et comme lui disciple de Dubric. Il réalise plusieurs miracles en pays dolois puis, la peste jaune ayant disparu, se prépare au retour. Le roi d’Armorique Budic lui demande alors de délivrer son pays d’une énorme vipère, ce qu’il fait sans peine. Budic lui demande alors de venir à Dol pour en être l’évêque. Telo offre à Budic un cheval envoyé par Dieu et prie pour faire des cavaliers armoricains les premiers du monde ; prière qui fut exaucé car, selon l’auteur de la Vie, de son temps les Armoricains étaient sept fois plus forts à cheval qu’à pied. Ensuite, après un court séjour chez Gerent, Telo regagne sa ville épiscopale de Llandav et reprend sa suprématie sur tous les évêques de la Bretagne du sud. Il consacre Ismael évêque de Mynyw à la place de saint David, décédé. A sa mort, le clergé de ses trois principales églises se disputa son corps. Dieu en fit donc trois et ainsi furent satisfaites les trois églises de Pennalun en Pembrokeshire, de Llandeilo fawr en Carmarthenshire et Llandav.

A partir de quels éléments fut écrite la Vie de saint Telo ?

Il y a d’abord le voyage à Jérusalem, en compagnie de David et Padarn, et ce voyage se retrouve d’ailleurs dans les Vies de ces trois saints, celle de Padarn étant la plus ancienne. Les deux autres Vies l’ont copiée, mais en apportant quelques modifications : nous avons vu que dans la Vie de saint David, ce dernier est nommé archevêque par le patriarche de Jérusalem, et que Telo et Padarn, ses suffragants, lui sont inférieurs. D’après Rhigyfarch, Telo aurait même été moine au monastère de David. Dans la Vie de Telo, c’est bien sûr lui qui joue le beau rôle, il est plus élevé en dignité que Padarn et Davis, il remplace même saint Pierre. Revenu en Cambrie, il devient évêque de Llandav et du district voisin sur lequel avait régné Dubric (sans doute Archenfield).
Les divergences constatées entre les trois Vies au sujet de ce voyage à Jérusalem permettent de dire que les hagiographes de Saint-David et de Llandav ont chacun apporté des modifications, non pas en fonction de sources anciennes et historiques, mais en fonction du différend qui les oppose au moment de la rédaction. Et il y a tout lieu de penser qu’il en fut de même pour le séjour de Telo auprès de saint Samson de Dol.

Samson est un personnage historique dont la Vie, très ancienne, fut amplement diffusée et utilisée par les hagiographes britonniques. Ainsi, vers 1125-1130, le chapitre de Saint-David envoya une lettre au pape Honorius II, prétendant que Samson aurait été archevêque de Mynyw, et qu’il aurait transporté le pallium (sorte d’écharpe ou étole de l’archevêque) de Saint-David à Dol. Prétention qui ne repose sur rien de sérieux, mais qui est un argument de plus dans la revendication de Saint-David à l’archevêché. La description de l’amitié entre Telo et Samson – disciple de Dubric, soi-disant fondateur de Llandav – et le séjour de Telo à Dol, qui dérive d’ailleurs largement de la Vie d’un autre saint breton, presque homonyme, Thuriau, successeur de Samson, est donc probablement une réponse à Saint-David et elle s’inscrit dans la rivalité entre les deux évêchés. Le désir de rattacher Mynyw et Llandav à saint Samson a du naître surtout au moment ou l’archevêché de Dol a paru reconnu par les papes, c'est-à-dire de 1076 à 1143.

Autre élément douteux se rapportant à la querelle entre Llandav et Saint-David : de retour en Cambrie, Telo consacre Ismael évêque de Mynyw à la place de David, décedé. La Vie de Oudoceus nous apprend qu’Ismael n’est autre que le neveu de Telo, l’un des fils de sa sœur Anauved et de Budic, roi de Cornouaille. Ici, l’attaque contre Saint-David est double : c’est Telo, qui consacre évêque le successeur de David, il lui est donc supérieur, et il consacre son propre neveu, ce qui signifie le rattachement de Saint-David à Llandav.


La Vie de Telo n'est donc qu'une pièce d'un dossier bâti pour défendre des intérêts politiques et fonciers exclusivement gallois. Le culte de Telo en Bretagne armoricaine n'avait aucun intérêt pour l'hagiographe qui rédigea sa Vita. Pourtant, cet hagiographe, sans doute Caradoc de Llancarfan, avait des liens avec les Bretons armoricains, soit par l'intermédiaire de Llancarfan, en relation avec Quimperlé, soit par son contemporain, certainement d'origine bretonne continentale, Geoffroy de Monmouth. Son silence sur le culte de Telo en Petite-Bretagne (sauf à Dol, mais on voit ce qu'il faut en penser) semble bien être volontaire.
En conclusion, on ne peut s'appuyer sur la Vie de Telo, rédigée dans un contexte très particulier et dans un but tout aussi particulier, pour déterminer l'ancienneté ou non de la légende landeleausienne.

Revenons à Budic :
D'après la Vie de saint Oudoceus, qui appartient au même dossier Llandavois que celle de Telo, Budic, fils de Cybrdan, exilé de la Cornouaille armoricaine, réfugié dans le Dyfed, aurait épousé Anauved, la soeur de Telo, et lui aurait donné trois fils : Ismael, Tyfhei et Oudoceus, qui serait né en Armorique, après que Budic eut été rappelé et fut remonté sur son trône.

Maclou et Budic, comtes des Bretons, s’étaient mutuellement juré que celui qui survivrait des deux prendrait sous sa défense les fils de l’autre comme s’ils étaient les siens. Or Budic étant mort laissa un fils du nom de Thierry (Theodoricus). Oubliant son serment, Maclou l’expulsa de la patrie et prit le royaume de son père. Celui-ci resta longtemps exilé et errant. […] Ayant rassemblé à ses côtés des hommes de la Bretagne, il se jeta sur Maclou, l’égorgea avec son épée ainsi que son fils Jacob et rétablit son pouvoir sur la partie du royaume qu’avait jadis possédé son père ; quant à l’autre partie, Weroc, fils de Maclou, la revendiqua. (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, V XVI)

Budic et Maxenri, duo fratres. Horum primus rediens ab Alamannia interfecit Marchell et paternum consulatum recuperavit. «Budic et Maxenri, deux frères. Le premier de ceux-ci, revenant d’Albanie tua Marchell et récupéra la dignité paternelle ». (Cartulaire de Quimperlé, liste des comtes de Cornouaille)

MessagePosté: Mar 25 Nov, 2008 17:40
de Taliesin
Voici un rapide résumé du commentaire fait par Joëlle Quaghebeur du passage de Grégoire de Tours, cité ci-dessus (Joëlle Quaghebeur, 2003. « Structures institutionnelles et politiques de la Bretagne au temps de Grégoire de Tours. » Les saints bretons du pays vannetais, supplément au Bulletin mensuel de la Société polymathique du Morbihan, 11-38.)

Macliav/Maclou est le frère de Chanao. Celui-ci avait tué ses trois autres frères et s'apprêtait à en faire de même avec le dernier, mais Macliav fut sauvé par l'évêque de Nantes et se réfugia ensuite chez Conomor. Il devint ensuite évêque de Vannes et apostasia à la mort de son frère pour s'emparer de son royaume. Il signa un accord d'entraide avec Budic, qu'il rompit à la mort de ce dernier. Mais Theodoric, fils de Budic, un temps exilé, revint en Bretagne, égorgea Macliav et son fils Jacob, et reprit le pouvoir sur la terre de ses pères. Waroc, autre fils de Macliav, lui succéda en sa terre.

Macliav, Chanao et Waroc furent des chefs du vannetais, Budic fut peut être chef d'un territoire correspondant peu ou prou à la civitas des Osismes, peut être la région Poher-Cornouaille. Le nom de son fils, non seulement d'origine germanique, mais aussi porté par la famille royale mérovingienne, suggère une alliance avec cette famille, peut être un mariage de Budic avec une princesse franque de sang royal. Etant donné les règles de transmission des noms dans l'élite aristocratique du haut Moyen Âge, le nom de Theodoric ne s'est certainement pas retrouvé en Bretagne par effet de mode. L'alliance entre Budic et le pouvoir mérovingien prenait à revers les Bretons du Vannetais, et c'est peut etre pour cela que Macliav a chassé Theodoric. Grégoire ne nous dit pas où celui-ci s'est réfugié après avoir été expulsé....

MessagePosté: Mer 26 Nov, 2008 2:43
de André-Yves Bourgès
J'aime bien le titre donné à ce nouveau fil. D'autant que ma contribution aux Mélanges Guillotel (à venir), laquellei s'intitule : "Propagande ducale, réforme grégorienne et renouveau monastique : la production hagiographique en Bretagne sous les ducs de la maison de Cornouaille"', examine ces rapports entre hagiographie et politique, en particulier ll'utilisation du personnage de Gradlon qui, outre le dossier littéraire carolingien de saint Guénolé, apparait dans cinq textes hagiographiques plus tardifs, consacrés, dans l’ordre alphabétique, à saint Corentin [BHL 1954], à saint Gurthiern [BHL 3722], à saint Jacut [BHL 4113], à saint Ronan [BHL 7336] et à saint Turiau [BHL 8342 d].

A propos du cartulaire de Quimperlé, cité par Patrice, notons que la notice sur les reliques de saint Gurthiern, combinée avec une genealogia [BHL 3720] et une vita [BHL 3721] dont les emprunts à des traditions insulaires sont multiples, apparait comme le prototype de toute cette littérature néo-gradlonienne : la découverte des reliques de Gurthiern, ainsi que celles de plusieurs autres saints, était intervenue sur l’île de Groix, sous l’abbatiat de Benoît, à l’initiative d’un moine nommé Oedri, lequel figure en qualité de témoin dans un acte passé aux années 1057-1059 ; le terminus a quo de la rédaction de cette notice est évidemment l’époque de la compilation du cartulaire par Gurheden, soit les années 1124/1125-1127. Après avoir évoqué l’arrivée de saint Gurthiern sur l’île de Groix, dont lui firent donation à titre d’honor les « nobilissimes » du Kemenet-Heboë (nobilissimi Chemeneth Eboeu), l’hagiographe écrit que « sa renommée vola jusqu’à Gradlon le Grand, consul de Cornouaille, qui lui dépêcha son vicomte pour qu’il vienne devant lui ; et ce consul lui donna Anaurot, là où se rejoignent l’Ellé et l’Isole, ainsi que le territoire situé dans un périmètre de mille pas autour de cette villa, de même que la paroisse de Baye ».
Gradlon reçoit ici l’épithète « grand », qui est l’équivalent de l’adjectif meur accolé au nom du personnage qui figure à la quatrième place dans la liste des comtes de Cornouaille (Gradlon Mur). La dépendance de ce passage de la vita de saint Gurthiern à l’égard de celle de saint Guénolé est d’ailleurs indiscutable, puisque le début du passage que nous avons cité est directement emprunté au texte de Uurdisten, tandis que l’intervention des « nobilissimes » du Kemenet-Heboe rappelle la présence de « témoins cornouaillais nobilissimes » dans la donation de 955 à Landévennec ; mais à bien des égards, c’est le titre de consul, dont il a déjà été question, qui mérite d’être à nouveau souligné, car c’est celui donné à Alain Cainhart, le fondateur de Sainte-Croix de Quimperlé, dans le premier acte du cartulaire de cette abbaye : comme le fait remarquer avec finesse Y. Morice, « on perçoit ici une volonté semblable à celle du compilateur du Cartulaire de Landévennec d’établir une relation entre le Grallon légendaire et les comtes de Cornouaille des XIe et XIIe siècles. Ce faisant, n’est-ce pas aussi Landévennec, qui auparavant avait le monopole de la tutelle de ces prestigieux ancêtres, que l’on cherche à concurrencer en parasitant ce circuit ? »

When I will be back home, I will add comments about Gregory of Tours' text.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mer 26 Nov, 2008 11:38
de Taliesin
Bonjour André-Yves,

il me semble qu'on peut ajouter à cette littérature hagiographique de propagande au profit de la maison de Cornouaille la vie de saint Melar que vous connaissez par coeur.
L'utilisation du mythe du dieu-roi Nuada/Nodens n'est certainement pas fortuite. Melar est roi autant que saint.

MessagePosté: Mer 26 Nov, 2008 12:49
de André-Yves Bourgès
Taliesin a écrit:Bonjour André-Yves,

il me semble qu'on peut ajouter à cette littérature hagiographique de propagande au profit de la maison de Cornouaille la vie de saint Melar que vous connaissez par coeur.
L'utilisation du mythe du dieu-roi Nuada/Nodens n'est certainement pas fortuite. Melar est roi autant que saint.


Entièrement de votre avis. D'ailleurs j'ai écrit dans l'article inédit cité plus haut :
"Cette reconquête du Trégor, au moins dans les mentalités, est également connue par le témoignage de la première vita de saint Mélar [BHL 5906 c/5904]: cet ouvrage décrit l'accueil chaleureux fait au jeune prince venu depuis la Cornouaille se réfugier en Domnonée auprès de son oncle (par alliance) Commor, dans le « château » de ce dernier, à Boxidus (Beuzit, en Lanmeur) ; il indique également que l’enfant reçut de son protecteur et parent des assurances qui allaient bien au-delà de la simple hospitalité puisqu'il était tout simplement question que Commor prît désormais en charge l'éducation de Mélar. Plus encore, l'oncle promit alors à son neveu de lui donner le château de Beuzit, dont le statut de chef-lieu du «pays» soumis au pouvoir de Commor est, sous la plume de l'hagiographe, très explicite. La promesse d'une telle donation ne peut se comprendre que dans le contexte de l’accession du comte Hoël au trône de Bretagne en 1066 ; et ce passage de la vita constitue en fait l'affirmation et la justification des droits de la dynastie comtale de Cornouaille sur cette partie du Trégor, passée par la suite sous le contrôle des vicomtes de Léon.
Ces derniers avaient longtemps entretenu avec la dynastie de Cornouaille des rapports tumultueux, avant une normalisation acquise dès avant 1055. Il paraît en tout cas que ces rapports s'étaient encore améliorés par la suite, comme le montre la charte de 1069 dans laquelle le seigneur de Léon de l'époque, Roland (Rollant de Leün), est mentionné parmi les « chevaliers » (milites) du «comte de Bretagne». Dans le lai de Guigemar, le «sire de Léon» (Liün) est désigné comme un des barons du « roi » Hoël (Hoels) et son fils Guigemar (c’est à dire Guyomarc’h) aurait été élevé à la cour avant d'être adoubé par ce prince ; puis «en quête de renommée il gagna la Flandre, où il y avait toujours batailles et guerres » (en Flandres vait pur sun pris querre / la out tuz jurs estrif e guerre). Quand Hoël s'opposa militairement à ceux de ses barons qui mettaient en cause la légitimité de son autorité, en particulier dans le nord-ouest de la péninsule, il dut s’appuyer sur des fidèles, en l’occurrence les vicomtes de Léon ; ceux-ci auront ainsi étendu et renforcé leurs possessions territoriales dans toute la région concernée, en particulier en Trégor et donc au détriment des Eudonides ou des vassaux de ces derniers. Le souvenir confus de ces événements a été conservé par Pierre Le Baud qui le rapporte à l’époque du conflit supposé entre Eudon et son frère le duc Alain".

L'autre oeuvre de propagande en faveur de Hoël dans sa reconquête du Trégor est évidemment la vita de saint Maudez.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mer 26 Nov, 2008 13:55
de Taliesin
on notera que dans une des versions de la Vie de Melar, le saint a pour grand-père un certain Budic. Si on "synthétise" les versions, on obtient la généalogie suivante :

Jean ou Jean "La Règle" > Daniel > Fortunat ou Budic > Meliau > Mélar.

Et je laisse André-Yves la commenter

on retrouve aussi Budic dans une des plus grands "best-sellers" du Moyen Âge : l'Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth.

la place de la Bretagne armoricaine dans l'HRB a fait l'objet de plusieurs études. En gros, on dégage trois points :
- la bienveillance de Geoffroy à l'égard des Bretons armoricains et son mépris des Gallois
- la géographie essentiellement nordiste (Dol, Penthièvre) des toponymes bretons de l'HRB
- l'anthroponymie essentiellement cornouaillaise ou du Poher (Salomon, Hoel, Budic)

En outre, il y a des liens entre l'HRB et le Livre de Llandav. Geoffroy avait connaissance du travail de son collègue Caradoc de Llancarfan (qui composa aussi les Vies de Gildas et Cadoc, dans lesquelles il est question d'Arthur). Telo et Dubric sont présents dans l'HRB.

Bernard Tanguy a montré les relations entre Llancarfan et Quimperlé à travers les Vies des saints Gurthiern et Cadoc, on peut penser qu'elles ont perdurées au 12ème siècle, et que Geoffroy en a tiré profit.

MessagePosté: Jeu 27 Nov, 2008 19:21
de André-Yves Bourgès
Taliesin a écrit:on notera que dans une des versions de la Vie de Melar, le saint a pour grand-père un certain Budic. Si on "synthétise" les versions, on obtient la généalogie suivante :

Jean ou Jean "La Règle"; < Daniel > Fortunat ou Budic < Meliau > Mélar.

Et je laisse André-Yves la commenter


J'ai en cours de rédaction depuis plusieurs années déjà, un travail intitulé "Une révision du dossier hagiographique mélarien : nouvelles conjectures sur l’origine du Lancelot en prose", où je corrige certaines de mes précédentes hypothèses sur les vitae du saint, notamment ce qui concerne la généalogie de Mélar. Or le nom de Budicus et son alias Fortunatus - lequel pourrait bien avoir été une glose substituée par la suite à la leçon originale - sont au coeur de cette révision, qui me donne par ailleurs l'opportunité de proposer de nouvelles hypothèses concernant le Lancelot en prose ; mais ceci est une autre histoire.

Taliesin a écrit:on retrouve aussi Budic dans une des plus grands "best-sellers" du Moyen Âge : l'Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth.

la place de la Bretagne armoricaine dans l'HRB a fait l'objet de plusieurs études. En gros, on dégage trois points :
- la bienveillance de Geoffroy à l'égard des Bretons armoricains et son mépris des Gallois
- la géographie essentiellement nordiste (Dol, Penthièvre) des toponymes bretons de l'HRB
- l'anthroponymie essentiellement cornouaillaise ou du Poher (Salomon, Hoel, Budic)


Utile rappel, merci Patrice ; de mon côté, j'ai examiné dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 127 (1998),p. 263-264, "Les origines de La Roche-Jagu et l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth" ; ce court article est accessible en ligne ici.

Bien cordialement,

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Ven 28 Nov, 2008 21:01
de jakes
Taliesin a écrit:
"on retrouve aussi Budic dans une des plus grands "best-sellers" du Moyen Âge : l'Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth.

la place de la Bretagne armoricaine dans l'HRB a fait l'objet de plusieurs études. En gros, on dégage trois points :
- la bienveillance de Geoffroy à l'égard des Bretons armoricains et son mépris des Gallois
- la géographie essentiellement nordiste (Dol, Penthièvre) des toponymes bretons de l'HRB "


En efet , l'HRB est une vrai brosse à reluire pour les Bretons continentaux que Geoffroy considère en définitif comme les seuls héritiers de la défunte noblesse bretonne insulaire, cadwalladr en étant le dernier rejeton.

Mais Kidaleta, Alet (St Servan en face de St malo), le lieu de débarquement de Cadwallon en ambassade auprès du roi Salomon est à ma connaissance le seul lieu d'Armorique cité dans l'HRB.

H. Y. Bourgès dans son texte "Les origines de La Roche-Jagu et l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth" souligne les origines trégoroises de Iagvinius de Bodloan , chevalier breton d'Hoel avec Richomarcus et Bloccovius, tués à la bataille de Sessia (ou Siesia)

C'est très possible. Quelle est l'importance réelle de ce personnage alors que l'on voit son nom aparaitre dès le début du roman , presque fortuitement au §27 de l'HRB dans la liste des vingt fils d'Ebrauc:
Brutus au Vert Ecu, Margadud, Sisinnius, Regin, Morvid, Bladud, Iagon, Bodloan, Kingar, Spaden, etc...

Cette liste des frère et celle des trentes soeurs révèlent des antroponymes bretons qui conserve le traitement continental du SP contre YSP entré dans l'usage gallois: (Spaden, Stadud, Stadiald) selon Léon Fleuriot.

Cordialement,