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Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 18:55
de André-Yves Bourgès
Patrice a écrit:Re-

Outre Serge Lapierre, pour une contribution sur les sophistes grecs, j'ai cité Marc Bloch et Pierre Nora, qui sont des historiens. Patrice me répond par le truchement de Tolstoï et toi par celui de Keats... Bon, je me suis encore trompé de fil de discussion :evil: :twisted:


Tu as tort de te fâcher. As-tu lu Guerre et paix justement?


"Je ne m'énerve pas, Madeleine, j'explique aux gens !" :mrgreen: Non, je n'ai pas lu Guerre et Paix, ce qui ne constitue qu'une petite partie de mon abyssale inculture ; mais, par exemple, j'ai lu Prosper Mérimée, en particulier la Vénus d'Ille, et je ne suis pas sûr, quoique que cet écrivain avait été par ailleurs inspecteur des monuments historiques, que j'utiliserais ses textes sur un fil de discussion relatif à l'archéologie...

M'est avis que Marc Bloch l'a nécessairement lu, justement.


Bien sûr, il fait même explicitement mention des oeuvres de Tolstoï dans une lettre-testament de 1915 ("Mes Tolstoï et mes livres de poésie à Jacques Massigli").

AYB

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 19:02
de Patrice
Salut,

Dans Mérimée, il n'y a que je sache aucune réflexion sur l'Histoire ou l'Archéologie, alors que dans Guerre et Paix, c'est au coeur du propos. C'est comme je l'ai dit le principe fondateur du récit: dévoiler une réflexion sur l'Histoire sous couvert de romanesque. Du coup, toute la fin alterne chapitres "théoriques", qui ne sont constitués que de développement de philosophie historique, et chapitres on va dire "romanesques purs".

C'est diablement intéressant et ça m'a appris à relativiser la valeur de mon propre travail.

A+

Patrice

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 19:07
de Séléné.C
:roll: Que de citations, sur ce fil...

Muskull a écrit:Témoin mais pas historien, okaydoky, il y a les spécialistes et les autres qu'on ne lit pas. Système de caste dirais-je.
Système reconnu par l'histoire comme immobilisme.

Te fâches pas, Muskull... :wink:

Ceci dit, je suis assez d'accord... Au niveau "reflet de société", les auteurs d'une époque valent bien, quand même quelque chose, et les archéologues et historiens des XVIII° et XIX° siècle, s'ils n'avaient pas la rigueur scientifique actuelle, ont quand même un intérêt, quand ça ne serait que par leurs témoignages sur des vestiges ou archives depuis disparus
On peut en dire autant des chroniqueurs du Moyen Age... Ce ne sont pas des historiens scientifiquement fiables, mais ils sont quand même bien précieux, non ?



Patrice a écrit:Dans Mérimée, il n'y a que je sache aucune réflexion sur l'Histoire ou l'Archéologie,

C'est assez étonnant, même... La Vénus d'Ille est peut-être ce qui se rapproche le plus du domaine, et ça ne le fait que par le cadrage de départ (on pourrait avoir la même intrigue avec une statue de facture récente mais la mise en bouche serait moins savoureuse).
Mariette vers (presque) la même époque, a fait les décors de l'opéra Aida, mais lui, c'est le contraire... Ca n'était pas son domaine habituel. Faut dire que c'était à la fin de sa vie...
Des exceptions dans leur "production", quoi

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 19:24
de André-Yves Bourgès
Muskull a écrit:
André-Yves Bourgès a écrit:Salut ami Muskull,

J'ignorais que Keats avait été historien :wink: !

Outre Serge Lapierre, pour une contribution sur les sophistes grecs, j'ai cité Marc Bloch et Pierre Nora, qui sont des historiens. Patrice me répond par le truchement de Tolstoï et toi par celui de Keats... Bon, je me suis encore trompé de fil de discussion :evil: :twisted:

Ah la valse des étiquettes ! Untel poète ne peut être ni philosophe ayant un regard sur l'histoire qu'on lui a apprit, un autre, romancier, ne peut non plus être historien parce que son questionnement sur "l'âme russe" n'est que sentimentale. Faut-il avancer dans la connaissance de l'histoire avec des fondamentalistes qui nieraient par exemple que Zola n'est pas historien de son époque et que dans ses analyses il avait aussi une connaissance historique des époques antérieures sur laquelle il basait son jugement ?
Témoin mais pas historien, okaydoky, il y a les spécialistes et les autres qu'on ne lit pas. Système de caste dirais-je.
Système reconnu par l'histoire comme immobilisme.


Décidément, il se confirme bien que je me suis trompé de fil de discussion (car il vrai que je voulais ouvrir un débat sur le "travail de l'historien", ce qui implique donc en effet un minimum de "spécialisation")... mais aussi d'ami ! :s47: Je sens venir la reductio at hitlerum et autres "points Godwin" derrière les mots de "fondamentalistes", "système de caste", "immobilisme" et je laisse tomber, ayant déjà donné sur ce même forum avec quelqu'un qui lit les romans arthuriens comme des procès-verbaux de gendarmerie.

Au fait, en ce qui concerne Zola, de son aveu même, plutôt observateur et expérimentateur qu'historien ; mais ce n'est là encore qu'une distinction sans importance.

AYB

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 19:37
de Muskull
André-Yves Bourgès a écrit:Décidément, il se confirme bien que je me suis trompé de fil de discussion (car il vrai que je voulais ouvrir un débat sur le "travail de l'historien", ce qui implique donc en effet un minimum de "spécialisation")... mais aussi d'ami ! :s47: Je sens venir la reductio at hitlerum et autres "points Godwin" derrière les mots de "fondamentalistes", "système de caste", "immobilisme" et je laisse tomber, ayant déjà donné sur ce même forum avec quelqu'un qui lit les romans arthuriens comme des procès-verbaux de gendarmerie.

Au fait, en ce qui concerne Zola, de son aveu même, plutôt observateur et expérimentateur qu'historien ; mais ce n'est là encore qu'une distinction sans importance.

Inutile de se fâcher, je n'étais pas fâcheux, juste un peu agacé de voir balancer aux oubliettes de l'histoire des témoignages qui valent autant que ceux des historiens "officiels".
François Villon par exemple ; n'apporte-t-il rien à la connaissance de son époque ?
Mon propos était simplement de mettre en balance les informations que nous avons de tel ou tel temps. Je suis absolument désolé que tu ais ressenti une agression personnelle dans cette 'évaluation" (?) ce n'était pas mon intention, taquiner tout au plus... :oops:

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 19:55
de André-Yves Bourgès
Muskull a écrit:Inutile de se fâcher, je n'étais pas fâcheux, juste un peu agacé de voir balancer aux oubliettes de l'histoire des témoignages qui valent autant que ceux des historiens "officiels".
François Villon par exemple ; n'apporte-t-il rien à la connaissance de son époque ?


Mais quel historien balancerait aux oubliettes les "témoignages" qui constituent son matériau documentaire :shock: ? Bien sûr que les "objets littéraires", qu'ils soient de Keats, de Zola ou de Villon, apportent à la connaissance de l'histoire de leur temps ; mais il ne faut pas confondre témoins et historiens, mémoire et histoire.

Au fait, c'est quoi un historien "officiel" ?

Je me "farcis" à longueur de week end des textes hagiographiques souvent répétitifs et à vrai dire parfois assez "barbants" ; mais il s'agit d'un des matériaux essentiels à connaître pour pénétrer de l'intérieur la mentalité du milieu clérical à l'époque médiévale. En revanche cette approche nécessite une certaine forme de "spécialisation", dont j'apprends par Patrice, qu'elle n'était pas étrangère à Tolstoï. Non, je plaisante :evil: . Plus sérieusement, je pense, contrairement à Patrice, que Mérimée et Tolstoï, en tant qu'auteurs, ont certainement plus de points communs dans leur "utilisation", même différenciée, du matériau historique à des fins romanesques, que Tolstoï n'en a avec Marc Bloch.

AYB

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 20:30
de Patrice
Salut,

Plus sérieusement, je pense, contrairement à Patrice, que Mérimée et Tolstoï, en tant qu'auteurs, ont certainement plus de points communs dans leur "utilisation", même différenciée, du matériau historique à des fins romanesques, que Tolstoï n'en a avec Marc Bloch.


C'est là un point de vue sur lequel je ne peux être d'accord. La littérature de Mérimée est purement distrayante. Celle de Tolstoï se rapproche de l'essai philosophique, en conséquence de quoi elle est plus proche des différentes formes de théorisation de l'Histoire que de Mérimée.
Lis donc les chapitres "théoriques", et tu verras. Il s'agit de longues réflexions qui n'ont quasiment plus rien de romanesque. Des pauses dans le récit qui en exposent le fondement.
Il cherche à comprendre le sens de l'histoire. Et du coup, il se refuse à juger qui que ce soit.

A+

Patrice

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 21:02
de André-Yves Bourgès
Patrice a écrit:C'est là un point de vue sur lequel je ne peux être d'accord. La littérature de Mérimée est purement distrayante. Celle de Tolstoï se rapproche de l'essai philosophique, en conséquence de quoi elle est plus proche des différentes formes de théorisation de l'Histoire que de Mérimée.
Lis donc les chapitres "théoriques", et tu verras. Il s'agit de longues réflexions qui n'ont quasiment plus rien de romanesque. Des pauses dans le récit qui en exposent le fondement.
Il cherche à comprendre le sens de l'histoire. Et du coup, il se refuse à juger qui que ce soit.


Je te crois sur parole : je suis arrivé à un âge où il faut prendre en compte un certain arbitrage du temps et, compte tenu de ce que j'ai en cours et des quantités de bouquins qui me restent à lire, il est peu probable que je lise Guerre et paix ; mais je note qu'il s'agit chez Tolstoï d'une réflexion de nature quasi-philosophique à partir d'un matériau historiographique à lui fourni par les historiens justement et moins d'un travail d'historien proprement dit, non ?

AYB

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 22:17
de Patrice
Salut,

mais je note qu'il s'agit chez Tolstoï d'une réflexion de nature quasi-philosophique à partir d'un matériau historiographique à lui fourni par les historiens justement et moins d'un travail d'historien proprement dit, non ?


Tout à fait. Mais du coup ça rentre largement dans le cadre de ta question. Qui sont les historiens pour juger (du moins ceux qui se permettent le moindre jugement).
Le seul jugement que peut émettre à mon sens un historien et celui qui destine à ses pairs. Car il ne peut objectivement pas juger non plus ses prédécesseurs, qui, comme ses sources, sont à remettre dans le cadre d'un contexte.

A+

Patrice

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Sam 26 Sep, 2009 22:56
de André-Yves Bourgès
Patrice a écrit:Le seul jugement que peut émettre à mon sens un historien et celui qui destine à ses pairs. Car il ne peut objectivement pas juger non plus ses prédécesseurs, qui, comme ses sources, sont à remettre dans le cadre d'un contexte.


Heureusement que j'avais pris soin d'intituler ce fil : "Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger". Imaginons nos débats si j'avais proposé : "juger plutôt que comprendre" ! :P

Merci à chacun(e) (Colette, Séléné, Patrice, Muskull) pour ses contributions. Je laisse ce fil s'envoler à l'instar d'un fil de la Vierge...

Des anges chauves tissent les fils de la vierge. Toile d’araignée, l’étoile du désespoir.
Mouches enivrées, joueurs de tennis, malgré les filets, malgré l’azur insolent qui nous limite, continuons à charmer les lectrices des magazines anglais.


PPC

AYB

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Dim 27 Sep, 2009 0:16
de Séléné.C
André-Yves Bourgès a écrit:Heureusement que j'avais pris soin d'intituler ce fil : "Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger". Imaginons nos débats si j'avais proposé : "juger plutôt que comprendre" ! :P

:roll: :( :shock: :cry: :roll:


Sur le fait que la littérature de Merimée soit purement distrayante... Elle est quand même parsemée de petits détails sociologiques (les officiers mis en demi-solde dans Colomba, le tourisme folklorique ou archéologique qui se dévelloppe sans les milieux chics ("tendance"), sans compter avec une certaine ambiance au niveau des auberges et des moyens de transport...)
Mais je ne l'ai jamais lu comme source historique, je dois l'admettre... Pas pensé !
Ceci dit, ayant lu cet été les correspondance d'Hugo à sa fille, étant en voyage... Ben, je dois dire que j'ai été très déçue par ce qu'il dit de son passage à Montreuil sur Mer = un historien n'y trouverait aucunement sa pitance ! Et ailleurs, pas mieux. Aucune description, même vague. Rien que des rêveries et des considérations sur les gens qui l'entourent. Ah si ! Il est fait mention d'un naufrage célèbre à Boulogne, dont il a visité les lieux.
Lu en même temps "la mer" de Maupassant... Lecture de divertissement, mais où j'ai trouvé tout ce que j'ai coutume de trouver dans les musées sur la pêche et le travail des marins. Criant de vérité, jusque dans les planches du bateau et parfumé de saumure à conserver le poisson...


Avis d'une fille qui a renoncé au domaine purement historique...
Et sans intention de juger.... Comme je l'ai dit plus haut, j'aime le mot "humain" dans "sciences humaines"

Re: Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger

MessagePosté: Dim 27 Sep, 2009 10:29
de Colette
André-Yves Bourgès a écrit:Heureusement que j'avais pris soin d'intituler ce fil : "Le travail de l'historien : comprendre plutôt que juger". Imaginons nos débats si j'avais proposé : "juger plutôt que comprendre" ! :P

AYB


Le titre de votre sujet dévoile en effet une qualité fondamentale du travail historique : l’impartialité et la distanciation. Soit une attitude qui exige une prise en compte des différentes versions d’un fait puis une évaluation de l'exactitude des faits dénuée de préjugés car seule la recherche de la vérité doit avoir de l'importance aux yeux de l'historien qui n’émet aucun jugement de valeur (du genre ceci est juste ou cela est mauvais) vu l'absurdité d'une opinion de ce type : les systèmes de valeurs présents et passés n'ayant aucune correspondance ... L’historien doit seulement comprendre, selon moi. La démarche proprement dite historienne, visant à contextualiser les faits et à établir leur véritable importance, devrait donc ètre dépourvue d'appréciation.

Un grand merci à vous AYB pour vos messages qui ont enrichi ce débat :wink: