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Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 16:03
de André-Yves Bourgès
Taliesin a écrit:Cette partition semble aussi avoir une origine politique. Léon Fleuriot a émis l'hypothèse d'un traité entre Clovis et les Bretons, accordant à ces derniers les cités des Osismes et des Vénètes, qu'ils contrôlaient déjà, et y ajoutant celle des Coriosolites. C'est probablement à partir de ce moment qu'on passe d'une émigration bretonne essentiellement militaire à une émigration de peuplement civil. Comme l'émigration militaire s'était faite sous l'égide du pouvoir romain, l'émigration civile semble se faire sous l'égide du pouvoir franc, qui entretient sans doute aussi des relations avec la Bretagne insulaire. L'alliance perdure jusqu'à la mort de Childebert en 558. Il s'ensuit une période troublée où les Bretons prennent part aux luttes intestines franques (Chramme, Clotaire) et s'entredéchirent (Budic/Maclou). Il semble qu'il y ait alors deux partis en présence en Bretagne : celui de Budic, fidèle à l'alliance franque, qui a nommé son fils Theodoric, ce qui, selon Joëlle Quaghebeur, suggère "sinon une alliance matrimoniale, au moins une alliance de fidélité avec les Mérovingiens, pouvant être justifiée par les relations nécessairement entretenues avec le pouvoir franc, dans un contexte d’installation bretonne dans les Gaules. Mais concéder ce nomen était compris comme un honneur fait au chef breton, ce dont ce dernier avait certainement conscience." Et celui de Maclou, puis de son fils Waroc, chefs du Vannetais naissant, qui brisent l'alliance et mènent des raids vers l'Est, profitant des luttes de pouvoir entre les petit-fils de Clovis. La révolte vannetaise, conjuguée aux défaites des Bretons insulaires face aux Saxons, conduisent peut-être les Francs à un retournement d'alliance : après la mort de Clotaire en 561, son fils Charibert marie sa fille Berta à Aethelbert, héritier du royaume du Kent, qui sera le premier roi saxon à se faire baptiser.


Voir, dans le récent ouvrage de Bernard Merdignac, Les saints bretons entre légendes et histoire — Le glaive à deux tranchants, Rennes, PUR (collection Histoire), 2008, une intéressante hypothèse sur le millenium des saints :
André-Yves Bourgès a écrit:L’hypothèse proposée par B.M. constitue une importante avancée pour les futurs travaux des médiévistes sur les origines bretonnes : les débuts de la christianisation massive de la Bretagne armoricaine se situeraient, dans une perspective millénariste, au lendemain du traité d’alliance passé par les Bretons avec la dynastie mérovingienne dont le plus illustre membre, Clovis, venait de recevoir l’onction baptismale. Tenant compte des travaux fondateurs de S. Reinach, reprenant les propositions du regretté L. Fleuriot et de M. Rouche, intégrant les correctifs apportés par A. Chédeville, B.M. avance l’idée séduisante « que si les saints bretons sont passés sur le continent à la suite du baptême de Clovis », comme le confirme indirectement le fait qu’au travers du prisme d’une documentation principalement hagiographique, cette vague d’immigration, constituée majoritairement de membres du clergé, a largement occulté une vague antérieure, de nature essentiellement militaire, « c’est parce que les milieux ecclésiastiques insulaires adhéraient à l’idée que la conversion du roi franc venait d’inaugurer le millenium attendu » : la production hagiographique bretonne des temps carolingiens nous a donc « transmis, comme l’auraient fait des palimpsestes, de précieux vestiges de l’ambiance spirituelle dans laquelle s’est ouvert “l’âge des saints” en Bretagne continentale ».


Le CR de cet ouvrage, qui a paru dans les Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne. t. 86 (2008), p. 365-374, est accessible en ligne ici.

Bien cordialement.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 19:44
de Jacques
Taliesin a écrit:selon von Wartburg, les implantations germaniques, plus importantes dans le nord que dans le sud, où les Wisigoths n'ont fait que passer, ont quand même eu un effet linguistique majeur : la coupure oïl/oc au niveau de la Loire.

Outre que le domaine d'oïl s'étend bien au sud de la Loire (si la Saintonge et une partie du Poitou ont été ré-influencés par la langue d'oïl plus tardivement, le sud de l'Anjou, de la Touraine, le Berry, le Nivernais, le Bourbonnais peut-être, le nord de la Bourgogne et la Franche-Comté ont toujours fait partie du domaine d'oïl), l'influence germanique ne s'est pas exercée de façon uniforme, mais selon un gradient dont on peut voir les traces dans les dialectes, avec pour centre évident la zone flamande, puis l'isoglosse de palatalisation du c latin, et dans la toponymie ; et sur ce dernier point, si on considère que les envahisseurs sont représentés dans la toponymie par un ethnonyme ou par un patronyme, on ne peut que constater l'extrême rareté de ces derniers dans l'ouest, par exemple. Bien sûr, un recensement de ces toponymes d'origine germanique reste à faire, ainsi que des cartes de répartition, qui pourraient donner une idée de la densité d'implantation des germains selon les régions.
Enfin, le gallo étant regroupé par les dialectologues avec le manceau et l'angevin, je vois mal comment expliquer aux Hauts-Bretons et fiers de l'être, qui ont déjà du mal à admettre que leur langue n'est qu'un dialecte d'oïl, qu'elle doit une partie de ses origines à des peuplades germaniques. :P

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 20:04
de Taliesin
je viens de relire l'article de Bernard Merdrignac : son hypothèse est effectivement très intéressante et ouvre également des perspectives linguistiques et démographiques sur lesquelles je reviendrai ci-dessous. J'ajouterai d'abord que, dans le contexte politico-religieux au tournant des 5ème-6ème siècle, l'alliance britto-franque paraît aller de soi, car les autres peuples installés en Gaule sont alors tous ariens (wisigoths, burgondes, ostrogoths). Dans la mission dévolue par le clergé gallo-romain au frais chrétien Clovis, à savoir la lutte contre l'arianisme, il ne pouvait se permettre un conflit contre un autre peuple chrétien, dont la puissance militaire devait être encore assez redoutable, aussi bien sur l'île que sur le continent.

Concernant la seconde émigration, on peut se demander dans quelle langue s'est faite la christianisation massive de la Bretagne armoricaine, et quelle fut l'importance des populations civiles qui émigrèrent avec le clergé insulaire.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 20:18
de Jacques
En complément, voici un article au titre éloquent, Marqueurs génétiques et provinces françaises, le genre d'étude un peu tabou en France, mais qui pourrait remettre en cause certaines de nos convictions.
On y voit comme un reste "d’anciennes populations Ibero-Liguriennes au sud-est et un analogue centre de diffusion au Sud-Ouest, siège des Paleo-basques."

Ce sont ensuite "les vagues successives de diffusion depuis l'Europe centrale qui se trouvent évoquées", puis une troisième carte paraît révéler que "les populations qui habitaient entre la Loire et la Garonne ont été si différentes de celles de l’intérieur qu’elles ont gardé leurs caractéristiques sans être complètement assimilées même pendant la domination des gaulois."

Pour finir, une conclusion surprenante : "Quant à la superposition informatique des trois cartes, elle aboutit à une carte complexe, qui se révèle comparable à la carte des dialectes et langues en France."

Pour creuser le sujet, c'est ici.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 03 Jan, 2010 21:03
de Taliesin
je reste quand même dubitatif et sceptique à propos de ces études associant génétique et linguistique.

En plus, dans le cas présent, il me semble très réducteur de limiter l' échantillonnage à l'intérieur des frontières de l'hexagone actuel, alors qu'on parle de peuplements successifs remontant parfois au néolithique. Une succession de cartes de l'Atlantique à l'Oural aurait été plus suggestif.

Quant au rapport avec les langues parlées en France, si j'analyse la carte trois (variantes de rouge) à l'aune de cette théorie, j'en conclus que Basques et Bretons parlent la même langue.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Lun 04 Jan, 2010 12:52
de Agraes
Thierry a écrit:La grande spécificité bretonne s'attache à cette singularité de peuplement et aussi à la résistance à l'expansion franque, pour autant, je ne peux m'empêcher de penser que cette histoire particulière ne permet pas d'expliquer en tout cas à elle seule la singularité linguistique par ailleurs

D'après ce que tu décris, l'histoire de l'implantation bretonne ne se distingue guère de l'implantation de peuples germaniques, ailleurs.

On sait en plus que l'implantation bretonne va largement déborder en réalité la Bretagne - en témoigne toutes les traces existant également notamment dans le Cotentin, voir la Normandie en général.

Pour autant les implantations germaniques et les implantations bretonnes hors extrême ouest ne donneront pas naissance à un tel particularisme linguistique, au contraire même, les peuples germaniques comme plus tard les scandinaves vont se fondre linguisitiquement dans le paysage (hors toponymie) si je puis dire....


On peut expliquer cela par la survie du gaulois, qui nous préoccupe ici, mais aussi par d'autres éléments : une implantation beaucoup plus dense en cet extrême ouest armoricain qu'elle ne le fut ailleurs en Gaule. Des contacts prolongés, débutant bien avant la conquête romaine (et bien prouvés archéologiquement) entre les péninsules armoricaine et sud-ouest de la Bretagne insulaire. Et le phénomène de la "seconde migration" à partir du tournant du VIe siècle surtout, se concentrant de plus en plus dans cette région, comme l'évoque Taliesin.

Si j'y vais de ma théorie, qui vaut ce qu'elle vaut, outre les patronages romain puis franc qui sont indubitables, il faudrait aussi s'intéresser à une alliance entre les civitates bretonnes et armoricaines, ou du moins entre certaines d'entre elles. A défaut on sait que la Britannia influence l'Armorique, lorsqu'en 409, le diocèse et les provinces chassent l'administration impériale et se soulèvent. On fait parler Procope en faveur de l'alliance britto-franque, il évoque également la lutte qui oppose Armoricains et Francs grosso modo entre la mort de Syagrius et le baptême de Clovis. Avant que le pouvoir de ce dernier soit reconnu par l'église et l'Orient, les Bretons ont déjà secouru un empire moribond en 469. Anthemius était empereur d'Occident, mais d'origine grecque et placé sur le trône avec l'aide de l'orient. C'est justement des années 460-470 que l'on peut dater les premiers imports méditerranéens de céramiques dans l'ouest de la Grande-Bretagne. On peut s'avancer à y voir un traité reconnaissant le rôle joué par les Bretons (ou partie d'entre eux) à l'ouest, avant (et encore après) que les Francs deviennent maîtres de la Gaule.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 09 Jan, 2010 13:44
de Sedullos
Salut à tous,
Sedullos a écrit:La pression des pirates Saxons sur le littoral de la Gaule doit commencer à cette époque. Quant aux Dumnonii et aux peuples bretons de l'Ouest, les raids des Irlandais et des Pictes ont dû les toucher eux-aussi à la même époque. Il y a des souvenirs de ce type de raids dans un récit irlandais.


Ce récit est le Togail Bruidne Da Derga = La Destruction de l'hôtel de Da Derga, dans lequel des pirates et exilés bretons commandés par Ingcél Cáech (Ingcél le Borgne) et irlandais commandés par des fils de Donn Désa : Fer Gair, Fer Lí et Fer Rogain (les frères de fosterage de Conaire) s'allient pour envahir l'Irlande et détruire le roi Conaire. Le pacte est clair les Irlandais doivent aider les Bretons à ravager la Bretagne et les Bretons aider les Irlandais à ravager l'Irlande.

Que le texte relève de la mythologie celtique, avec quelques emprunts germaniques, les loups garous, n'empêche pas qu'il y ait un souvenir réel de raids de part et d 'autre de la mer d'Irlande.

Enfin, j'ai trouvé quelque chose de curieux dans la chronologie établie par André Crépin, à la fin de son édition de Beowulf.- LGF, 2007.-(Lettres gothiques) :

André Crépin a écrit:c(ircum) 450 : Arrivée (légendaire) des Anglo-Saxons en Angleterre menés par Hengest et Horsa. L'installation des Anglo-Saxons daterait, en fait, du siècle suivant.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 09 Jan, 2010 16:11
de Kambonemos
Bonjour;

Rapide et bref retour en arrière, Jacques annonce :
Pour finir, une conclusion surprenante : "Quant à la superposition informatique des trois cartes, elle aboutit à une carte complexe, qui se révèle comparable à la carte des dialectes et langues en France."
Ce qui me semble assez aléatoire, si je considère au premier chef ma région... De la carte 1 à la carte 4, se sont les contours historiques de Lorraine qui se détachent de façon étonnante et paradoxale... D'autant que Lorrains romans et Lorrains franciques sont fâchés depuis la première croisade, étant d'origines différentes, ce qui a donné lieu à une bagarre homérique (pour les plus lettrés) ou hollywoodienne (pour les fans de John Wayne), et qui me laisse également dubidatif _ tout comme Taliesin _ sur ce découpage à l'emporte-pièce, en complète contradiction avec les données archéologiques dont je me suis fait l'écho dans d'autres fils. Mais, bon... :?:

@+

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Sam 09 Jan, 2010 16:41
de Jacques
Je ne connais pas l'histoire de la Lorraine ; mais il ne faut pas perdre de vue que qui dit langues différentes ne veut pas dire origines différentes : à ce compte les Irlandais anglophones pourraient s'opposer aux gaélophones.
D'autre part, Taliesin a mal lu l'article : il ne s'agit pas de tirer des conclusions dialectologiques de la carte trois, mais bien de la seule carte quatre.
C'est cette dernière qu'il faut comparer à celle-là, mais à grands traits, et non pas dans le détail de telle ou telle région.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 10 Jan, 2010 23:56
de Thierry
Je crois que l'histoire c'est l'histoire c'est à dire l'appréhension dans le temps et l'espace de la vie des hommes à travers les sources matérielles écrites ou non que l'on peut connaître. Plus ça va et plus je pense que cette matière ne mérite absolument pas d'être abandonnée, sauf très marginalement, à des considérations linguistiques modernes empreintes d'idéologies et d'arrières pensées politiques et encore moins à des considérations pseudo scientifiques habillées de biologie, toutes modernes, ramenant le groupe humain au niveau du troupeau de bovidés.

La génétique et les considérations pseudo biologiques contemporaines ne sont d'aucune utilité pour la compréhension de l'histoire et des phnéomènes passés.

Les constructions que sont les langues - surtout quand elles sont non écrites - avec tout leur environnement sont bien évidemment des phénomènes d'une fragilité extrême à reconsidérer avec leur contexte de formulation.

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Mer 13 Jan, 2010 21:01
de Kambonemos
Bonjour,

Juste pour dire que je comprends la démarche de Jacques lorsqu'il dit :
mais il ne faut pas perdre de vue que qui dit langues différentes ne veut pas dire origines différentes
Je comprends son intégrité et son honnêteté intellectuelle... Pas de souci la-dessus, c'était juste pour dire que vraiment _ avec le peu que je sais _, ma région ne pouvait pas être considérée comme homogène : ni de façon linguistique, ni de façon antrhopologique (je ne sais même pas si ces mots sont reconnus par l'Académie française)... :) Nous ne sommes pas prêts à tout entendre, c'est tout. Et simplement pour cela, je ne suis pas de Nancy ! :s46:

Cordialement.

@+

Re: Implantations bretonnes en Gaule et survie de la langue

MessagePosté: Dim 17 Jan, 2010 20:39
de Sedullos
Jacques a écrit:Muskull a écrit:Par exemple, un persan comprends le turc (actuel) parlé grâce aux racines et la communication intervient rapidement sur des sujets simples car les deux langues, très différentes, ont des mots communs et une syntaxe proche.

Euh... tu crois ? Le persan (farsi) est une langue indo-iranienne appartenant à la famille indo-européenne, alors que le turc fait partie du groupe altaïque comme le mongol.


Salut à tous,
Pour l’anecdote :
"Les Arméniens de Mouchkour, pour dire « Dieu me soit en aide », disent « Khoda toukmek bochi ». Dans cette phrase, le mot Khoda, Dieu est persan et le reste turc. » Jan Potocki, Au Caucase et en Chine : Une traversée de l’Asie par l’auteur du manuscrit trouvé à Saragosse : 1797-1806. - Phébus, 1991. page. 96