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reprenons...
L'Armes Prydain Vawr mentionne Conan et Cadwaladr comme libérateurs de la Bretagne. C'est aussi le cas des Prophéties de Merlin, intégrées par Geoffroy à son Histoire des rois de Bretagne, et de la version de Jean de Cornwall. Ces deux textes, avec leurs ressemblances et divergences, dérivent de la même tradition prophétique se rattachant à l'Armes Prydain. Point d'Arthur...
Le premier témoignage concernant Arthur et son retour est celui des chanoines de Laon, visitant Bodmin vers 1113. Bodmin est en Cornouailles, mais en 1113, les Bretons armoricains - au service des Normands - y sont nombreux (voir Keats-Rohan, Ditmas,...)
dans l'Histoire des rois de Bretagne, Geoffroy indique seulement qu'Arthur, mortellement blessé, fut transporté dans l'île d'Avallon pour y soigner ses blessures. La Vita Merlini, qu'il écrit en 1148, nous apprend qu'Arthur est soigné par Morgane et qu'elle se dit capable de le guérir.
Cette allusion au séjour d'Arthur en Avallon prend place à la fin de l'exposé de Taliesin. Merlin lui répond alors que le royaume (probablement la Bretagne) est ravagé et que la race saxonne va à nouveau réduire les Bretons à néant. Ce à quoi Taliesin réplique : "Il faudrait donc pour le bien du peuple envoyer auprès de Morgane un messager et demander au roi, s'il est déjà rétabli, de revenir sur un vaisseau rapide pour repousser les ennemis avec l'énergie dont il est coutumier et réformer le comportement des citoyens en restaurant l'ancienne paix."
Voici donc un témoignage très précis de la croyance au retour d'Arthur comme libérateur de la Bretagne. Pourtant, Merlin réplique à Taliesin qu'il vaut mieux ne rien faire pour l'instant car tel est la volonté divine : il faut attendre que viennent Conan et Cadwaladr.
Merlin s'oppose donc au retour d'Arthur, contrairement à Taliesin.
Peut-être faut-il y voir certaines dissensions à l'intérieur du monde britonnique, dans un contexte très troublé - la guerre civile anglo-normande - où Gallois et Bretons armoricains se retrouvent dans les deux camps. Ces années 1140-1150 marqueraient en quelque sorte une évolution dans la littérature prophétique-messianique des Bretons, où Arthur commencerait à remplacer Conan et Cadwaladr. Cette évolution pourrait être le fait des Bretons armoricains (Taliesin revient d'Armorique lorsqu'il engage le dialogue avec Merlin). En effet, le témoignage du Draco Normannicus d'Etienne de Rouen, écrit vers 1168, place le retour d'Arthur dans le contexte d'une rébellion de seigneurs bretons, Roland de Dinan à leur tête, contre Henri II.
Il semble que la croyance au retour d'Arthur atteigne un sommet lors de la naissance du fils posthume de Geoffroy Plantagenêt, prénommé Arthur. Peu de temps après, Henri II aurait appris où se trouvait le tombeau d'Arthur. Vers 1190-1191, l'invention de la sépulture d'Arthur à Glastonbury vise à montrer qu'il ne pourra jamais revenir, puisqu'il est bien mort et enterré. C'est de cette période, sous le règne de Richard Coeur-de-Lion comme roi d'Angleterre, que date le poème "Appel des Bretons aux armes", qui sonne comme une réponse à l'officialisation de la mort d'Arthur :
http://books.google.fr/books?id=4yAbAAAAYAAJ&ots=YU1CIV7H83&dq=edelestand%20du%20m%C3%A9ril%20po%C3%A9sies%20populaires%20latines&pg=PA275#v=onepage&q=&f=trueLéon Fleuriot a proposé une traduction presque entière de ce texte dans Récits et Poèmes celtiques, p. 76-78. Il pense que ce texte est d'origine bretonne armoricaine. En voici un extrait :
"Notre fort ancêtre, le grand roi Arthur, s'il vivait aujourd'hui (note : il est donc mort), je serais en sécurité. Aucun rempart des Saxons ne lui résistait. [...] Que le Tout-Puissant lui procure un successeur, au moins égal à lui, qui soulage l'antique douleur des Bretons et leur rende splendeur et leurs biens."
Il est possible que ce successeur potentiel ait eu pour nom Arthur lui aussi - Arthur 1er, héritier du duché de Bretagne - et qu'il ait alors cristallisé sur sa personne les espoirs mis dans le retour de l'Arthur légendaire.
Beaucoup d'hypothèses et de conditionnel, mais c'est pour faire avancer le schmilblick
Nota Bene : Fleuriot n'a pas traduit les deux derniers paragraphes, concernant Charles et Richard Coeur-de-Lion. Est-ce qu'un éminent latiniste du forum pourrait s'en charger ? Merci beaucoup.