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La principale source antique sur les druides

MessagePosté: Lun 02 Avr, 2007 19:32
de Patrice
Salut,

Je vous livre ci-dessous quelques réflexions sur un texte important concernant les druides. Parce que c'est bien beau de critiquer les autres, encore faut-il faire quelque chose soit même.
Dans ce travail, les italiques et les couleurs n'apparaissent pas: je transmets les fichiers à Pierre pour qu'il puisse en faire une fiche pour l'encyclopédie.

Les commentaires sont les bienvenues.

Sur la classe sacerdotale des Gaulois, nous disposons de sept textes qui rapportent, à quelques détails près, le même contenu: César, Guerre des Gaules, VI, 13-14 et 18; Strabon, Géographie, IV, 4, 4; Pomponius Méla, Chorographie, V, 2, 18; Ammien Marcellin, Histoires, XV, 9-12; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 31; Lucain, La Guerre civile, 448-465; Dion Chrysostome, Discours, 49, 8.

En dispersant les informations contenues dans ces textes dans un tableau et en les mettant en parallèles, il est possible de proposer une reconstitution du texte initial, source de tous les autres.
Dans cette reconstitution, seront utilisées les abréviations suivantes:
C: César
S: Strabon
D: Diodore de Sicile
P: Pomponius Mela
A: Ammien Marcellin
L: Lucain
Di: Dion Chrysostome
En vert seront mis les passages mentionnés par un seul auteur, en rouge ceux qui ne le sont que par César.

1. Chez les Gaulois, il existe trois castes d'érudits et de sages, les bardes, les vates et les druides.
2. Les bardes sont des poètes lyriques qui s'accompagnent d'instruments semblables à des lyres. Leurs chants sont tantôt des hymnes qui racontent en vers héroïques les hauts faits des hommes illustres, tantôt des satires.
3. Les vates, ces devins, observent la nature (D: les oiseaux) et immolent des victimes pour prédire l'avenir.
4. Parmis eux, les druides sont les plus importants. Ils s'occupent des choses de la religion: ce sont des théologiens et des philosophes. Ils veillent à l'observation des rites dans les sacrifices publics et privés et Ils règlent les pratiques religieuses (C) . On leur rend les plus grands honneurs.
5. On a la plus haute opinion de leur justice: à ce titre on s'en remet à eux du jugement de tous les litiges privés ou publics. C'est à ce point qu'autrefois ils étaient arbitres même dans les guerres, arrêtaient les adversaires prêts à se ranger en bataille.
6. Dans tous ces cas, les rois ne sont pas autorisés à faire ou à envisager quoi que ce soit sans l'aide de ces hommes sages, au point que, en vérité, c'était eux qui gouvernaient, alors que les rois étaient leurs serviteurs et ministres de leurs volontés (Di).
7. On s'en remet à leur justice si quelque crime est commis. Lorsqu'abondent ces sortes de jugements, ils estiment que c'est signe d'abondance pour le pays (S). S'il y a un différent pour une question d'héritage ou de bornage, ils jugent l'affaire, ils déterminent les indemnités et les amendes. Tout particulier, tout peuple qui ne s'est pas soumis à leur décision est exclu des sacrifices: c'est chez les Gaulois le châtiment le plus grave. Ceux qui sont ainsi exclu sont mis au nombre des impies et des criminels: tout le monde s'éloigne d'eux, fuit leur abord et leur entretien, de peur d'être souillé à leur contact. Il leur est interdit de demander justice ni de recevoir aucun honneur (C).
8. Au dessus de tous les druides, il y en a un qui possède sur eux une très grande autorité. A sa mort, si quelqu'un se distingue particulièrement, il lui succède. Si les mérites sont égaux, le principat dépend du suffrage des druides, parfois d'une lutte armée.
9. Les druides, à une date fixe, chaque année, tiennent leurs assises dans le pays des Carnutes qui est considéré comme le centre de la Gaule, en un lieu consacré. C'est là que se rassemblent tous les gens qui ont entre eux des contestations et ils se soumettent à leurs décisions et à leurs jugements.
10. On pense que leur doctrine est née en Bretagne et, actuellement, ceux qui veulent l'étudier plus à fond, vont généralement là-bas pour faire cette étude.
11. Les druides, habituellement, s'abstiennent d'aller à la guerre. Ils ne paient pas d'impôt comme les autres et ils sont exemptés de service militaire et de toute espèce de charge.
12. Attirés par de si grands privilèges (C), nombre de gens viennent d'eux-mêmes à eux pour apprendre (P: secrètement) une foule de connaissances. Et nombre d'autres aussi sont envoyés par leurs parents et leurs proches. On dit qu'ils apprennent par coeur un grand nombre de vers (C) aussi y en a-t-il qui restent ving ans là, pour étudier. Cela se fait dans des cavernes ou les bois les plus retirés (L: des lieux écartés).
13. Ils pensent qu'il est interdit par la religion de confier leur science à l'écriture ben que, dans presque tout le reste des affaires, dans les comptes publics et privés, ils se servent de l'alphabet grec. Cet usage oral me paraît voulu pour deux raisons: ils ne veulent pas voir divulguer leur doctrine; ni que leurs élèves, se fiant à l'écriture, cultivent moins leur mémoire, ce qui arrive généralement lorsqu'on se sert de textes écrits on s'applique moins à apprendre par coeur et on néglige sa mémoire (C).
14. Le point essentiel de leur doctrine est l'immortalité de l'âme. Ils enseignent qu'après la mort elle passe dans d'autres corps (C), sans doute afin de rendre le peuple plus propre à la guerre. De là vient que les Gaulois brûlent et enterrent avec les morts tout ce qui est à l'usage des vivants, et qu'autrefois ils ajournaient jusque dans l'autre monde l'exécution des contrats ou le remboursement des prêts. Il y en avait même qui se précipitaient gaiement sur les bûchers de leurs parents, comme pour continuer de vivre avec eux. Le monde aussi est immortel, mais un jour régneront seuls le feu et l'eau (S).
15. En outre, ils discutent beaucoup sur les astres, leurs mouvements, la grandeur du monde et celle de la terre. La coutume est chez eux que personne ne sacrifie sans l'assistance d'un philosophe; car ils croient devoir user de l'intermédiaire de ces hommes qui connaissent la nature et la volonté des dieux, et parlent on pourrait dire leur langue, pour leur offrir des sacrifices d'action de grâces et implorer leurs bienfaits.


La question qui se pose est de savoir de qui est le texte reconstitué ci-dessus. On a souvent avancé le nom de Posidonios d'Apamée. Cependant, aucun de nos textes ne mentionne ce rhéteur comme source. Pire, on possède encore un fragment qui lui est bien attribué. Ce fragment parle des bardes:
"Les Celtes emmènent avec eux, même à la guerre, de ces commensaux qu'on appelle parasites. Ces parasites célèbrent les louanges de leurs patrons et devant des assemblées nombreuses et même devant quiconque veut bien en particulier leur prêter l'oreille. Ces personnages qui se font entendre ainsi sont ceux qu'on appelle bardes: ce sont aussi les poètes qui dans leurs chants prononcent ces éloges (Posidonios d'Apamée, livre XXIII, d'après Athénée, Les Deipnosophistes, VI, 49)".
Ce paragraphe pourrait très bien être considéré comme la source de notre paragraphe 2 ci-dessus. Cependant, chez Posidonios, les informations concernant les bardes sont tout de même sensiblement différentes de celles que nous avons données, plus précises. Posidonios ne peut donc pas être considéré comme la source directe de ce que nous savons sur les druides. Il faut admettre que les fragments composant notre texte sont issut d'un autre compilateur fiable. Il n'y en a qu'un seul possible: Timagène d'Alexandrie, qui est d'ailleurs nommé par Ammien Marcellin.
Paul-Marie Duval le notait déjà: « il a dû être une source importante pour Diodore, César, Tite Live, il l'a été sûrement pour Strabon ».

Reste qu'un de nos auteurs s'écarte sensiblement de sa source: César, qui ajoute quantité d'informations qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Il n'y a qu'une seule raison à cela: César c'est lui-même documenté sur place, a vu des druides, et s'est renseigné sur eux. Il reste donc notre source la plus fiable et la plus complète les concernant.



A+

Patrice

MessagePosté: Lun 02 Avr, 2007 22:34
de Patrice
Salut,

Je continue avec une autre fiche, cette fois-ci un recensement des formes antiques du mot druide.

J'ignore encore si les caractères grecs vont s'afficher correctement. Dans le pire des cas, là encore, j'envoie le fichier à Pierre.

Cicéron, De la Divination, 1, 41, 90 : druidae (Ier siècle av. JC).
César, Guerre des Gaules, 6, 13, 1 : druidum ; 6, 14, 1 : druides ; 6, 18, 1 : druidibus; 6, 21, 1: druides (Ier siècle av. JC).
Diodore de Sicile, Histoires, 5, 31, 4 : σαρονιδας (var. σαρωνιδας), corrigé δρουιδας (Ier siècle av. JC – Ier siècle ap.). Aucun des manuscrits ne porte la forme δρουιδας qui est une conjecture déjà ancienne et elle-même fautive puisqu'on aurait attendu δρυιδας.
Strabon, Géographie, 4, 4, 4 : δρυιδαι ; 4, 4, 5 : δρυιδων (Ier siècle av. JC – Ier siècle ap.).
Pomponius Méla, Chorographie, 3, 2, 18 : druidas (Ier siècle ap. JC).
Lucain, Pharsale, 1, 450-458 : druidae (var. driadae, dryadae). Commentaires : driadae, driades (Ier siècle ap. JC). Les variantes des manuscrits, ainsi que celles des scholies (dont les plus anciennes doivent remonter au IVe siècle) montrent que le mot a été très vite corrompu.
Pline, Histoire naturelle, 16, 249 : druidae ; 24, 103 : druidae ; 29, 52 : druidae ; 29, 54 : druidis, 30, 12 : druidas (Ier siècle ap. JC).
Tacite, Annales, 14, 30 : druidaque (Ier siècle ap. JC);
Tacite, Histoires, 4, 54 : druidae (Ier siècle ap. JC).
Suétone, Claude, 25 : druidarum (var. druidorum, driadarum, dryadarum, dryidarum) (fin Ier – début IIe siècle ap. JC).
Dion Chrysostome, Discours, 49: δρυιδας (fin Ier – début IIe siècle ap. JC).
Hérodien le Technicien, δρυιδης (fin du IIe siècle ap. JC).
Aristote, fragment = Diogène Laërte, prologue, 1 : δρυιδας (fin IIe – début IIIe siècle ap. JC).
Clément d’Alexandrie, Stromates, 1, 15 : δρυιδαι (fin IIe – début IIIe siècle ap. JC)
Origène, Contre Celse, 1, 16 : δρυιδας (var. δρυαδας) (fin IIe – début IIIe siècle ap. JC)
Hippolyte de Rome (ex Origène), Philosophoumena, 2 : δρυιδας; δρυιδαι (var. δρυιδων) (fin IIe – début IIIe siècle ap. JC)
Timagène, chez Ammien Marcellin, Histoire, 15, 9, 4 : drasidae (var. drysidae) ; 15, 9, 8 : drasidas, dryaridae (Timagène : Ier siècle av. JC ; Ammien : fin du IVe siècle ap. JC)
Aurélius Victor, Des Césars, 4, 2 : druidarum (var. drysadarum, drysudarum, drysidarum) (IVe siècle ap. JC)
Ausone, Commémoration des professeurs, 5 : druidarum ; 11 : druidum (IVe siècle ap. JC)
Histoire auguste, Alexandre Sévère, 60, 6 : dryas (fin IVe – début Ve siècle ap. JC)
Histoire auguste, Numérien, 14, 2 : dryade ; 14, 3 : dryas ; 15, 1 : dryade ; 15, 5 : dryadis (fin IVe – début Ve siècle ap. JC)
Histoire auguste, Aurélien (d’après Asclépiodote), 44, 4 : dryadas ; 44, 5 : dryadibus (fin IVe – début Ve siècle ap. JC ; Asclépiodote : Ier siècle av. JC)
Cyrille d’Alexandrie, Contre Julien, 4 : δρυιδαι (Ve siècle ap. JC)
Etienne de Byzance : δρυιδαι (VIe siècle)

Inscription de Metz, CIL XIII, 555* : SILVANO SACR(um) ET NYMPHIS LOCI ARETE DRUIS ANTISTITA SOMNIA MONITA D (avant le IIIe siècle).

Comme on peut le voir (et Christian-J. Guyonvarch' l'avait déjà remarqué avec un échantillon plus faible), les formes grecques vont du logique (druid- + déclinaison grecque) au plus aberrant (saronidas, drasidae, etc.). L'attraction phonétique des "Dryades" est forte. Sur ce plan-là, la morale est simple: les auteurs grecs (et les latins qui les ont copiés comme Lucain) ne sont pas fiables.

Un mystère subsiste: l'inscription de Metz, découverte au XVIe siècle et depuis perdue. Elle présentait donc une druidesse, prêtresse principale (antistita), qui a fait ce monument à la suite d'un songe. L'inscription serait fausse, donc, mais comment se fait-il que le mot "druis", au singulier, soit orthographié convenablement, alors qu'il n'est attesté dans aucun texte antique?

A+

Patrice

MessagePosté: Lun 02 Avr, 2007 22:44
de Pierre
Salut à tous,

Sans le tableau joint, c'est effectivement dur à suivre.

Je suis en train de rentrer la fiche (la 1ère), mais le tableau est chiadé à saisir.

J'espère finir cette fiche ce soir.



En tout cas Patrice, joli travail, c'est impressionnant :shock:


@+Pierre

MessagePosté: Lun 02 Avr, 2007 23:37
de Pierre
Ouf,

http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... s-4713.htm

Intérro écrite demain soir.

Et attention Patrice a les moyens de détecter, qui a copié sur qui :lol:

@+Pierre

MessagePosté: Jeu 05 Avr, 2007 15:35
de Taliesin
Bonjour à tous :D

concernant la mention faite par Ausone du druide Baiocasse Patera, a-t-on une idée de la signication de ce nom, qui, d'après Ausone, semble désigner les serviteurs (ou ministres) de Belenos : "ta famille tirait son origine sacrée du temple de Belenus ; de là vos noms : le tien, Patera, qui, dans le langage des initiés, désigne les ministres d’Apollon ; celui de ton frère et de ton père, qu’ils doivent à Phébus et celui de ton fils, qui lui vient de Delphes" ?

MessagePosté: Jeu 05 Avr, 2007 16:52
de Patrice
Salut,

Patéra tire son nom d'un objet e culte: la patère, tout simplement. Ausone commet un abus en en faisant un objet spécifique du culte d'Apollon.

Mais je reviendrai sur ce texte sous peu. Pour l'instant sont en cours d'étude les textes des IIe-IIIe siècle (je livre ça peut-être ce soir).

A+

Patrice

MessagePosté: Jeu 05 Avr, 2007 22:06
de Patrice
Salut,

Voici donc la suite avec des textes plus tardifs mais qui ont été très souvent mis à contribution. L'intérêt ici est de prendre en compte leur date (et donc leur contexte) de rédaction:

Entre 161 et 180, Hérodien le Technicien écrit une Prosodie générale, dans laquelle il mentionne:
« Druides: peuple galatique, philosophes ».
Cette définition sera reprise au Ve siècle par Etienne de Byzance, qui l'attribuera par erreur à Diogène Laërte.
Vers 177-180, Celse, dans sa Parole de Vérité (conservée ici dans Origène, Contre Celse, I, 16), écrit:
« Les Galactophages d'Homère, les druides de la Gaule, les Gètes, sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs ».
Après 200, Clément d'Alexandrie, dans ses Stromates (Mélanges), I, 15, 70, 1, cite Alexandre Polyhistôr:
« Alexandre, dans son traité des Symboles pythagoriciens, [...] veut que Pythagore ait écouté encore des Gaulois et des Brachmanes ».
Alexandre Polyhistôr écrivait entre 70 et 60 avant J.-C.
Mais plus loin, le même Clément écrit que tous les barbares ont leur philosophes, et notamment « chez les Assyriens, les Chaldéens; chez les Gaulois, les druides; [...] et chez les Celtes, les philosophes de là-bas » (I, 1, 70, 4). Les mêmes passages seront repris un siècle plus tard par Cyrille d'Alexandrie.
Au début du IIIe siècle, avant 235, c'est au tour d'Hippolyte de Rome, anti-pape, d'écrire sur les druides, dans un ouvrage qui lui a été rendu dans le courant du XXe siècle, Philosophoumena.
Au chapitre I, préface, 6, il mentionne côte à côte les « Brachmanes de l'Inde, les druides des Celtes ».
Au chapitre I, 2, 17, il signale déjà brièvement que Zalmoxis, élève de Pythagore, aurait enseigné la philosophie pythagoricienne aux druides des Celtes.
Mais c'est au chapitre I 25, 1-2 qu'il est le plus détaillé:
« Les druides chez les Celtes se sont appliqués avec un zèle particulier à la philosophie de Pythagore, le responsable de leur aspiration à cette philosophie étant Zalmoxis, d'origine thrace, et esclave de Pythagore. Après la mort de Pythagore, s'étant rendu là, il fut pour les druides à l'origine de leur pratique de la philosophie. Et les Celtes virent en ces derniers des interprètes des dieux et des prophètes parce qu'ils font des prédictions suivant la technique de Pythagore par la divination des cailloux et par celle des nombres. Nous ne passerons pas sous silence les moyens de cet art, depuis qu'ils ont entrepris d'introduire chez eux des écoles de philosophie. Par ailleurs, les druides utilisent aussi des pratiques magiques ».
Enfin, dans le courant du IIIe siècle, le compilateur Diogène Laërte, dans ses Vies des philosophes, écrit:
« Quelques uns affirment que l'étude de la philosophie a commencé chez les Barbares. Les mages la pratiquaient chez les Perses, les chaldéens chez les Babyloniens ou les Assyriens, les gymnosophistes chez les habitants de l'Inde, ainsi que chez les Celtes et les Gaulois ceux qu'on appelle druides ou semnothées. Ils disent cela sous l'autorité d'Aristote dans son livre La Magie et sous celle de Sotion, dans son vingt-troisième livre, La Succession des philosophes » (prologue, I).
« Quant aux gymnosophistes et aux druides, nous avons dit qu'ils philosophaient en parlant par énigmes, ordonnant aux hommes d'honorer les dieux, de s'abstenir de faire du mal, et de s'exercer à la bravoure » (prologue, 6).

Ces textes se ressemblent énormément, et il n'est pas du tout étonnant qu'ils aient tous été écrits dans le courant de la fin du IIe et le début du IIIe siècle. Nous en alors en plein essort des religions orientales dans l'Empire, on s'intéresse aux mystères, mais aussi à la philosophie ancienne, et notamment platonicienne, dont aussi pythagoricienne.
Il n'empêche qu'on sent vraiment que nos auteurs se copient les uns, les autres.
Ainsi, Hérodien le Technicien, Clément d'Alexandrie (I, 1, 70, 4), Hippolyte de Rome (I, préface, 6) et Diogène Laërte disent exactement la même chose: ils dressent un simple catalogue des philosophes barbares. On notera la parenté évidente entre les textes de Clément et de Diogène, pour lequel il n'est nul besoin d'invoquer Aristote ou Sotion (du moins pour les druides).

Reste le problème du long développement d'Hippolyte sur les relations entre Pythagore, Zalmoxis et les druides.
Il faut mettre ensemble deux informations différentes: les Barbares ont des philosophes, dont les druides. Pythagore et ses disciples sont des philosophes. Dans l'esprit des penseurs grecs antiques, il fallait donc qu'il y ait un lien d'ascendance entre les uns et les autres. Dans quel sens?
La majorité des auteurs traitant de Pythagore disent que celui-ci a appris la philosophie chez les Barbares (Jamblique, Porphyre, Diogène). Seul Hippolyte affirme le contraire, mais c'est dans la nature même d'Hippolyte, polémiste imbu de sa personne et fier de sa culture et de sa noblesse. Que la philosophie vienne des Barbares est pour lui inconcevable. On ne manquera pas de remarquer que lui-même est capable d'erreurs grossières, comme par exemple dans sa Chronique, 218: « Il y a quatre peuples de Gaulois et de Narboudèsioi (Narbonnais): Lugdunais, Belsikoi (Belges), Sikanoi (Séquanes), Edaoi (Eduens) ».
C'est de toute façon une chose que l'on peut généraliser à tous les auteurs mentionnés ci-dessus: ils ne savent pas de quoi ils parlent! Ainsi, Clément dit que les Gaulois ont les druides, et les Celtes les « philosophes de là-bas »!
Pourtant, Clément invoque l'autorité d'Alexandre Polyhistôr, mais celui-ci n'est lui-même pas exempt de repproches: « compilateur dénué de sens critique », disait Paul-Marie Duval.

Résumons: Au Ier siècle avant J.C., Alexandre Polyhistôr, polygraphe, dresse une liste des philosophies barbares ayant un rapport plus ou moins lointain avec les doctrines pythagoriciennes. Au début du bas Empire, période d'incertitude, on exhume ce texte, on le recopie, l'adapte. Mais un seul et unique reste indiscutable: la parenté entre la doctrine « druidique » et la doctrine pythagoricienne, sans pouvoir préciser qui tient de l'autre.

A+

Patrice

MessagePosté: Ven 06 Avr, 2007 17:29
de Sedullos
Salut,
Patrice, tu en reviens à la parenté druidisme / pythagorisme mais il me semble qu'une autre parenté est récurrente celle des Gymnosophistes de l'Inde, c'est à dire les Brahmanes, avec les druides.

"Quant aux gymnosophistes et aux druides, nous avons dit qu'ils philosophaient en parlant par énigmes, ordonnant aux hommes d'honorer les dieux, de s'abstenir de faire du mal, et de s'exercer à la bravoure » (prologue, 6)."

Pour tardive qu'elle soit cette citation de Diogène Laërte rassemble en un même passage deux classes sacerdotales situées aux confins de l'aire géographique indo-européenne et une formule trifonctionnelle que n'aurait pas reniée Dumézil ! Le hasard ou les dieux ?

Quand tu dis : "C'est de toute façon une chose que l'on peut généraliser à tous les auteurs mentionnés ci-dessus: ils ne savent pas de quoi ils parlent! Ainsi, Clément dit que les Gaulois ont les druides, et les Celtes les « philosophes de là-bas »! "

Si un de ces auteurs de l'Antiquité pouvait lire ce forum et nos discours sur la différence entre Gaulois, Celtes, Belges, Cimbres et autres Cimmériens, il pourrait presque dire pareil 8) :cry:

MessagePosté: Ven 06 Avr, 2007 17:39
de Sedullos
Un compilateur dénué de sens critique peut être aussi un excellent transmetteur, là où un autre plus critique irait mettre sa patte.

C'est le principe de la fable de l'âne porteur de reliques.

Le dénominateur commun entre druides, brahmanes et pythagoriciens est pour moi la croyance (ou la connaissance) en la métempsychose.

Ce que d'ailleurs Le Roux et Guyonvarc'h ont plus ou moins mis sous le boisseau suivant en cela d'un peu trop près les idées de Guénon sur ce thème.

Ces quelques critiques n'empêchent pas que je souscris pleinement à la réponse :D de Pierre :
"En tout cas Patrice, joli travail, c'est impressionnant"

MessagePosté: Ven 06 Avr, 2007 19:44
de Patrice
Salut,

Attention: je ne nie pas la parenté entre les croyances gauloises, pythagoriciennes, indiennes, etc. Mais le fait est que les auteurs antiques ont juste dit: "ça se ressemble", en recopiant sans arrêt une source plus ancienne (Alexandre Polyhistôr), mais sans en dire plus. C'est vague, et c'est bien dommage.

Mais ils nous donnent au moins une preuve pour dire qu'on a affaire là à un héritage commun, et non à une succession d'emprunts.

Quand tu dis : "C'est de toute façon une chose que l'on peut généraliser à tous les auteurs mentionnés ci-dessus: ils ne savent pas de quoi ils parlent! Ainsi, Clément dit que les Gaulois ont les druides, et les Celtes les « philosophes de là-bas »! "


Normalement, pour un Grec, cela devait être clair: Κελτοι signifie "Gaulois" et Γαλατοι signifie "Galates". Or les Galates n'ayant pas eu de druides attestés historiquement, du fait d'une hellénisation très rapide, on a donc ici un doublon, un pléonasme: les Gaulois ont les druides et les Gaulois ont les philosophes de là-bas. Ca n'est pas logique.

En fait, ces textes-là sont les plus boiteux et les moins praticables qu'on ait sur le druidisme. Il faut s'en méfier.

A+

Patrice

MessagePosté: Ven 06 Avr, 2007 19:52
de Sedullos
Peut-être que philosophe correspond à une fonction spécialisée, de la même manière que physiologue dans un texte ancien peut désigner un devin, enfin si mes souvenirs sont bons, il doit y avoir la référence dans Les Druides de Le Roux et Guyonvarc'h.

En tout cas, quand tu écris :
"Mais ils nous donnent au moins une preuve pour dire qu'on a affaire là à un héritage commun, et non à une succession d'emprunts. "

Là je suis d'accord à 100 %

MessagePosté: Sam 07 Avr, 2007 13:03
de Sedullos
Je poursuis en reposant la question que posaient le Roux et Guyonvarc'h à la fin des Druides :

"Qu'a voulu dire Philostrate quand il a écrit sous Septime Sévère : "La philosophie eut tellement peur (sous Domitien) que, parmi ses adeptes, les uns dépouillant leur manteau, s'enfuirent vers l'Occident chez les Celtes." ? pp339-340.

Il s'agit d'un passage de la Vie d'Appolonius de Tyane, Livre VII, ch. IV :
http://remacle.org/bloodwolf/roman/phil ... onius7.htm

"c'est ainsi que le sénat fut décapité de ses membres les plus illustres, et que l'effroi se répandit parmi les philosophes, au point que tous quittèrent leur manteau, et que les uns s'enfuirent vers l'Occident, chez les Celtes, ou dans les déserts de la Libye et de la Scythie, et que les autres en vinrent à se faire, dans leurs discours, les conseillers du crime. " traduit par A Chassang.

Le manteau est-il le signe extérieur de l'initiation ?

MessagePosté: Sam 07 Avr, 2007 14:28
de Muskull
Sedullos a écrit:
Le manteau est-il le signe extérieur de l'initiation ?

Effectivement et il l'est toujours en Orient mais aussi dans la chrétienté et dans le F.M.
On trouve aussi dans la Bible Elie qui donne son manteau à Elisée.

Moi ce qui m'intrique est cette citation de Patrice :
Vers 177-180, Celse, dans sa Parole de Vérité (conservée ici dans Origène, Contre Celse, I, 16), écrit:
« Les Galactophages d'Homère, les druides de la Gaule, les Gètes, sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs ».

Il ne parle pas des chrétiens mais de la religion hébraïque qui se signale surtout par un Dieu unique et transcendant et l'enseignement des prophètes.
Pythagore, Platon, Apollonius de Tyane sont toujours considérés comme des prophètes par les ismaëliens et curieusement Zalmoxis est représenté comme un "fou-sage" errant à l'image des prophètes de l'ancien testament.
Un fond commun celà semble sûr et peut-être en corrélation avec ce que l'on nomme le "chamanisme grec" vers cette époque...

Le chamanisme grec

MessagePosté: Lun 09 Avr, 2007 17:43
de Muskull
Au début du VIe siècle, l’ouverture de la mer Noire au commerce et à la colonisation grecques amena pour la première fois la civilisation hellénique au contact du chamanisme. On peut reconstituer la ligne d’une tradition spirituelle de chamanisme grec qui part de la Scythie et de la Thrace (Abaris, Aristée, Orphée), traverse l’Hellespont, arrive en Asie Mineure (Hermotime de Clazomènes), se combine peut-être avec quelques traditions minoennes survivantes en Crète (Épiménide), émigre dans le « Far West » avec Pythagore, et achève son mouvement avec le Sicilien Empédocle. Tous ces hommes sont les prophètes d’une nouvelle croyance : ils enseignent, et ils montrent par leurs activités chamanistiques, qu’il y a en l’homme une âme ou un « moi » d’origine divine, qui peut par des techniques appropriées quitter le corps, que ce « moi » existait avant le corps et durera après lui. Les activités de cette âme et celles du corps sont directement inverses, corps et âme sont mis en opposition radicale. D’où une psychologie nouvelle dans laquelle le corps est l’ennemi de l’âme : c’est déjà le dualisme.
Avec le chamanisme grec, nous sommes donc en présence d’un large phénomène spirituel qui, réagissant lui-même sur le donné religieux traditionnel, détermina plusieurs mouvements qui, par-delà un fonds commun relativement simple, se réclamèrent chacun d’un antécédent chamanistique connu ou inconnu. Les plus célèbres s’appellent l’orphisme et le pythagorisme, mais beaucoup de ces mouvements chamanistiques, dont nous parle Platon quand il invoque un « discours sacré », une « tradition antique » ou des « prêtres divins », sont restés anonymes, semble-t-il.
Ramenée à ce fonds commun, la nouvelle anthropologie se compose de trois éléments résultant chacun d’une interprétation moralisante des pratiques des chamans ;
– la liberté dont l’âme peut jouir dans le sommeil, ou si le chaman entre en transe, et, à la limite, à la mort corporelle, révèle une opposition fondamentale entre le corps et l’âme ;
– le « noviciat », auquel se soumettent les chamans, met en valeur les pratiques d’ascèse volontaire à base d’abstinences et d’exercices spirituels ;
– les histoires de chamans disparaissant puis réapparaissant, les migrations magiques de l’esprit d’un chaman dans un autre conduisent tout naturellement à la croyance en une âme démonique, indestructible, qui se réincarne et peut passer de corps en corps.
Ces trois éléments se relient logiquement. Si le corps, c’est le mal, il faut le mépriser, le réduire pour libérer l’âme. Cette purification se fait progressivement par le moyen des réincarnations successives qui purgent l’âme et l’amènent enfin à la délivrance du cycle des naissances et au retour à son origine divine. Ce que les mystères accordaient en une seule fois, la métensomatose le procure par une purification lente. Platon nous apporte l’écho de ces doctrines : « J’ai entendu parler des hommes [...] savants dans les choses divines. Ce qu’ils disent, c’est que l’âme de l’homme est immortelle et que tantôt elle aboutit à un terme (c’est précisément ce que l’on appelle mourir) et tantôt elle recommence à naître, mais que jamais elle n’est anéantie » (Ménon, 81 a) ; « il existe une vieille tradition [...] c’est que, d’ici, les âmes s’en sont allées là-bas, et qu’à nouveau elles s’en viennent ici, et qu’elles naissent à partir de ceux qui sont morts » (Phédon, 70 c) ; « l’âme est dans le corps comme dans une prison » (Gorgias, 525 a ; Phédon, 62 b), « ou même dans une tombe » (allitération s˜yma-s˜cma, Gorgias, 493 a ; Cratyle, 400 c). L’extrême pointe de ce pessimisme se révèle au mieux dans l’ironie sinistre d’Aristophane, lorsqu’il désigne les vivants par cet euphémisme : « Les morts d’en haut » (Grenouilles, 420). Si ce mot fait rire, c’est justement parce qu’il raille un sentiment profond que chacun prend très au sérieux.
À la fin du Ve siècle, en Grèce, la notion d’âme, principe spirituel du vivant, d’origine divine, promise à l’immortalité, faisait partie des croyances bien établies. La philosophie pouvait s’en emparer pour lui donner un fondement rationnel.

Fragment d'un article de Pierre Clair et de Henri-Dominique Saffrey dans l'E.U.

On peut être d'accord ou pas avec ces chercheurs mais si l'on date ces faits du VI° siècle c'est que l'on a des traces écrites. L'influence a pu se faire plus tôt chez les celtes mais était au moins contemporaine car si les druides étaient philosophes, ils étaient curieux et les libres penseurs n'ont pas peur de spéculer sur les nouvelles idées. Les religieux moins ou pas du tout mais c'est un autre sujet...
L'on mésestime fortement ce qui pouvait se passer sur les grands axes commerciaux de cette époque et même de bien avant. Récemment des généticiens ont prouvé le renouvellement constant du patrimoine génétique des chèvres de l'ouest européen par celle du moyen orient au néolithique. C'est dire que la circulation était déjà importante et que des "Pythéas oraux" il y en a depuis la nuit des temps.

Pour en revenir à mon propos précédent, la religion hébraïque n'est pas figée dans l'espace et le temps ; lire "l'homme Moïse" de Freud par exemple (que personne ne me dise que Freud n'était pas philosophe) et aussi cette curiosité de la Bible qui a gardé l'initiation d'Abraham par "Melchisedek", sorte de roi mage d'avant l'heure.

MessagePosté: Lun 09 Avr, 2007 18:44
de Fergus
Muskull a écrit:
Sedullos a écrit:
Le manteau est-il le signe extérieur de l'initiation ?

Effectivement et il l'est toujours en Orient mais aussi dans la chrétienté et dans le F.M.

Est-ce de la F.M. que tu parles, Muskull ?
Jamais entendu parler d'un manteau quelconque, en tout cas aux trois degrés "symboliques"...