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Persistance d'un culte païen

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 11:49
de Jacques
Grégoire de Tours (v. 538 - v. 594), dans son de gloria confessorum relate des pratiques rituelles païennes assez tardives :
De saint Hilaire, évêque de Poitiers. Il y avait dans le pays de Gévaudan, sur une montagne nommée Helanus, un grand lac. Là, à une certaine époque, une multitude de gens de la campagne faisait comme des libations à ce lieu ; elle y jetait des linges ou des pièces d’étoffe servant aux vêtements des hommes ; quelques-uns des toisons de laine ; le plus grand nombre y jetaient des fromages, des gâteaux de cire et chacun, suivant sa richesse, divers objets qu’il serait trop long d’énumérer. Ils venaient avec des chariots, apportant de quoi boire et manger, abattaient des animaux, et pendant trois jours se livraient à la bonne chère. Le quatrième jour, au moment de partir, ils étaient assaillis par une tempête accompagnée de tonnerre et d’éclairs immenses, et il descendait du ciel une pluie si forte et une grêle si violente qu’à peine chacun des assistants croyait-il pouvoir échapper. Les choses se passaient ainsi tous les ans, et la superstition tenait enveloppé ce peuple irréfléchi. Après une longue suite de temps, un prêtre qui avait été élevé à l’épiscopat vint de la ville même (Javouls) à cet endroit et prêcha la foule afin qu’elle s’abstînt de ces pratiques de peur d’être dévorée par la colère céleste ; mais sa prédication ne pénétrait nullement ces rustres épais. Alors, inspiré par la Divinité, le prêtre de Dieu construisit, loin la rive du lac, une église en l’honneur du bienheureux Hilaire de Poitiers, et y plaça des reliques du saint en disant au peuple : Craignez, mes enfants, craignez de pécher devant. le Seigneur; il n’y a rien à vénérer dans cet étang... Ces hommes touchés au cœur se convertirent et abandonnèrent le lac ; ce qu’ils avaient coutume d’y jeter, ils le portèrent à la basilique sainte, et furent ainsi délivrés des liens de l’erreur. »

Il faut préciser qu'Hilaire est mort en 367. Cette histoire de culte païen n'est donc pas antérieure à la fin du IVème siècle. De quoi s'agit-il ? Ces pratiques sont-elles spécifiquement gauloises ou les retrouve-t-on aussi dans les rituels romains ?

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 12:03
de Jacques
Grégoire de Tours cite aussi cette anecdote
LXXVII. Les habitants de ce pays promenaient dans les champs et les vignes, sur un char traîné par des bœufs, la statue de la déesse Bérécynthia autour de laquelle ils chantaient et dansaient pour obtenir d’abondantes récoltes. Témoin de cette misérable coutume du paganisme, l’évêque Simplicius, par l’effet d’une prière à Dieu et du signe de la croix, fait tomber la statue à terre et obtient la conversion de quatre cents personnes.
Certains sites Internet font l'amalgame de Bérécynthia avec Brigantia. Pourtant le culte de Brigantia est plutôt lié aux sources, non ?

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 13:59
de Alexandre
Cette Berecynthia a clairement un nom grec : son nom est probablement fautif, d'où la légitimité de lui chercher son vrai nom celtique.
Quant à Brigantia, non, son culte n'est pas du tout associé aux sources : c'est une Aurore trifonctionnelle dont le culte ressemble beaucoup à celui d'Athena.

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 14:30
de Jacques
Alexandre a écrit:Quant à Brigantia, non, son culte n'est pas du tout associé aux sources : c'est une Aurore trifonctionnelle dont le culte ressemble beaucoup à celui d'Athena.
Pourtant « par ses pouvoirs de guérison, on l'associe souvent aux puits et aux sources sacrés. »
http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... e-3178.htm

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 15:19
de Alexandre
Je peux me tromper, mais j'ai par principe une certaine méfiance envers les idées de "déesse-mère" chez les Celtes : ça sonne un peu trop XIXe siècle et New Age à mon goût.
Si Brigantia était vraiment associée aux sources, j'aimerais qu'on m'en donne des preuves concrètes.

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 19:17
de Muskull
Plus de déesse mère chez les celtes, elle est devenue épouse, mère ou fille des dieux masculins dans le syncrétisme des mythes celtiques.
Mais Brigantia est un avatar (encore que ce mot ne soit pas juste en ce cas) de la Brigit irlandaise effectivement associée au culte de l'eau guérisseuse mais aussi aux sources de lait (du nouveau lait) et du premier beurre d'Imbolc qui était sacrifié en lustrations.
Cette fête mineure celtique située vers Carnaval devait être une fête plus importante dans les religions préceltiques. Elle marquait les premiers signes du retour de la déesse et le recul de l'hiver (de la Vieille). Le passage du blanc (couleur de mort) au doré du beurre conservé en "Mardi gras" dans le folklore actuel.
Pour les preuves concrètes Alexandre, il faut lire l'ouvrage de Véronique Guibert, cela coule de source :wink:

MessagePosté: Sam 06 Oct, 2007 23:17
de Pierre
Muskull a écrit:Pour les preuves concrètes Alexandre, il faut lire l'ouvrage de Véronique Guibert, cela coule de source :wink:


http://www.arbre-celtique.com/encyclope ... e-2027.htm

Excellent ouvrage, excellent travail, mais.....

@+Pierre

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 10:35
de Alexandre
Votre résumé semble indiquer que ces fêtes sont devenues de simples fêtes agraires.

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 10:58
de Patrice
Salut,

Le culte de Berecynthia a bien existé en Gaule: il est attesté par la Passion de saint Symphorien d'Autun, Symphorien étant arrêté après avoir conspué un cortège du culte de Berecynthia.

La rédaction de cette passion étant du Ve siècle, on peut se demander si l'annecdote de Grégoire ne s'y réfère pas...

A+

Patrice (qui ne cherche pas du celtique partout)

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 11:10
de Jacques
Patrice a écrit:Le culte de Berecynthia a bien existé en Gaule: il est attesté par la Passion de saint Symphorien d'Autun, Symphorien étant arrêté après avoir conspué un cortège du culte de Berecynthia.
Si j'en crois l'encyclopédie, http://www.arbre-celtique.com/approfond ... pollon.php il s'agit de Cybèle ou de Diane, suivant les traductions.

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 12:10
de DT
Salut à tous,

V. Macchioro, RA, 9, 1907, p.152:
"On peut toujours faire l’objection qu’il est impossible de savoir, quand Minerve est honorée, s’il s’agit de la Minerve traditionnelle ou une autre plus personnelle, lorsque Jupiter Optimus Maximus apparaît sur une inscription, s’il s’agit du Jupiter capitolin ou l’un des divers Jupiter honorés sous ce nom. Mais si l’inscription spécifie Jupiter ou Minerve, c’est donc justement les divinités dont l’histoire s’est cristallisée sous ces noms. Ceux qui eurent à l’esprit une Minerve plus ou moins analogue à la Mater deum, ou un Jupiter non privé d’éléments syriaques, firent une inscription soit à la Minerve Berecynthia, soit à Jupiter Heliopolitanus".
Voir aussi le rituel des Ambarvalia à Rome.

A+

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 14:20
de André-Yves Bourgès
Bonjour,

Voir le dossier hagiographique de saint Symphorien dans les Acta Sanctorum, Aug. , IV, p. 491-498 :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6 ... pagination

Le texte de la vita/passio se trouve p. 496-497 et la mention explicite et redondante du culte de Berecynthia au § 3 (p. 496).

Cordialement,

André-Yves Bourgès
http://www.hagio-historiographie-medievale.fr

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 15:06
de Jacques
Merci pour cette référence.

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 17:39
de Muskull
Alexandre a écrit:Votre résumé semble indiquer que ces fêtes sont devenues de simples fêtes agraires.

Effectivement car les sacerdotes de ces cérémonies ont été "éradiqués" par la nouvelle idéologie comme les druides l'ont été par les romains et le christianisme romain. Ce qui peut brouiller la compréhension pourtant simple de l'histoire de ces temps c'est que dans les premiers siècles pouvaient coexister des pratiques cultuelles "agraires" pré-I.E. et des pratiques druidiques "déclassées" par la culture romaine.
Chaque "ordre nouveau" a ses opposants idéologiques et ses opposants pragmatiques*.

* Qui sait mieux qu'un "paysan" quel rite est plus propice à ses plantations ? L'observation des cycles lunaires est très propice et c'est scientifiquement prouvé.

MessagePosté: Dim 07 Oct, 2007 19:34
de Alexandre
J'entends bien, mais j'insistais surtout sur le mot "devenu" - car au moins certaines de ces fêtes n'étaient pas au départ des fêtes agraires.