Pourquoi, j’ai rétréci les druides !
Posté: Sam 17 Nov, 2007 18:49
Salut à tous,
Pourquoi, j’ai rétréci les druides !
J’ouvre ce fil à l’intitulé un brin provocateur pour mettre en ligne un certain nombre d’observations et de réactions à la lecture de :
Les druides, des philosophes chez les barbares / Jean-Louis Brunaux. Seuil, 2006.- 381 p.
Je viens d’achever lecture de ce livre commencée il y a plusieurs mois avec une période d’interruption pour des raisons personnelles. Tout cela pour dire qu’il ne s’agit pas uniquement de réactions à chaud.
Un commentaire général : c’est un livre clair, bien écrit au sens où il est agréable à lire, bien documenté et sérieux dans ses intentions.
Je commence par la fin, le dernier chapitre, le XIe, Survivants et imposteurs, dernier sous chapitre, La christianisation de l’Irlande. , p. 356-361
Jean-Louis Brunaux ne semble pas véritablement convaincu de la « celticité » de l’Irlande préchrétienne. Il note qu’« Il est probable que cette influence ne s’est exercée qu’assez tard, dans les trois derniers siècles précédant notre ère, puis dans ceux qui suivirent. », p. 357.
Venons-en aux druides irlandais. Jean-Louis Brunaux écrit : « Dans les premiers siècles de notre ère, l’Irlande, comme les autres confins de l’Empire romain, dut voir fleurir une multitude prophètes et de sorciers qui exploitaient les peurs et les espoirs de populations soudainement tirées de leur ancestrale tranquillité.», p.358
L’auteur a précisé que «… les Gaulois et même les Bretons ne connaissent guère cette île… » p. 356 et il constate à propos des Irlandais : «…une forte insularité et une franche hostilité envers le monde extérieur. p 357.
Je poursuis.
« Ces hommes se firent-ils appeler druides ? Ou sont-ce les premiers moines chrétiens, lorsqu’ils transcrivirent la poésie orale insulaire dans les dernières décennies du Ier millénaire qui les assimilèrent aux druides gallois, eux-mêmes sorte de recréation folklorique sur le modèle gaulois ? Il est impossible de le savoir… » p 358
Deux remarques.
Suffit-il de se faire appeler druides pour être reconnus comme tels ? Si oui, l’avenir des néo druides contemporains est une percée dans l’azur !
Des moines qui, à défaut de rechercher le martyre, il est déjà trop tard ou trop tôt, n’ont-ils rien d’autre à faire que de créer presque ex-nihilo un corps structuré de prophètes et de sorciers pour ensuite les réduire au silence et cela au prix d’une imposture qui confinerait à l’hérésie ?
J’avoue que ceci me laisse perplexe.
L’auteur poursuit en expliquant que en tout cas ce « druidisme irlandais » n’a pas grand-chose à voir avec les druides gaulois, lesquels « s’abreuvaient de culture grecque. »
L’idée que le dieu irlandais Ogma, soit l’homologue du dieu gaulois Ogmios et que leurs noms viennent du grec, comme Le Roux et Guyonvarc’h l’ont montré, ainsi que le rappelait Patrice, sur un autre fil, n’a bien sûr ici aucune espèce d’importance.
Jean-Louis Brunaux ne refuse pas tout rapprochement pour autant.
« Avant la christianisation, la littérature, uniquement orale, était diffusée par les filid, des poètes qui pouvaient ressembler quelque peu aux bardes gaulois. » p. 359
Il en arrive ensuite à la transcription des récits par les moines sous la dictée des filid, pour par ceux-ci eux-mêmes. « Quoiqu’il en soit ces transcriptions intervinrent assez tard et à une époque où les filid n’en possédaient plus qu’une mémoire très altérée. Ainsi en est-il de la plus célèbre épopée irlandaise, Táin Bó Cúailnge (La Rafle des vaches de Cooley), à propos de laquelle, selon, ce qu’indique le Livre de Leinster, un manuscrit du XIIe siècle, les poètes avouaient eux-mêmes ne se souvenir que de quelques fragments. » p .359
Une remarque. On pourrait considérer que le thème de l’oubli du récit par les filid, qui les amènera, à pratiquer une évocation des morts, s’inscrit dans l’économie du récit ou d’un ensemble de récits, en tant que ressort narratif pour souligner l’importance du maintien fidèle de la transmission.
Ce qui semble importer, à l’auteur, c’est moins l’amnésie qui frappe les filid , que le fait que la Táin soit altérée. Il fallait qu’elle soit altérée pour le besoin de la démonstration mais pas seulement.
L’Irlande de Jean-Louis Brunaux ignore la Gaule et les Gaulois et réciproquement.
Mais le hasard ou les dieux, à moins d’y voir le prompt rétablissement d’un file, la Táin évoque brièvement, les Galian du Leinster, qui sont probablement des mercenaires gaulois venant proposer leurs services à la reine Medb. Celle-ci les refuse et souhaite même les faire massacrer ce à quoi s’opposera Fergus .
Je pose la question : en laissant de côté les récits irlandais consacrés au roi du Leinster, Labraid Loingsech, combien de textes occidentaux, non issus du corpus classique, et datés des XIe et XIIe siècles mentionnent-ils des bataillons de mercenaires gaulois ?
Pas beaucoup assurément, et s’il n’y en avait qu’un seul, raison de plus pour lui prêter attention.
Un autre exemple maintenant. Dans un épisode célèbre, Sualtam, père de Cuchulainn, celui-ci est en mauvaise posture, fait irruption à Emain Macha pour appeler par trois fois les Ulates à la rescousse, en vain.
« C’était un interdit des Ulates que de parler avant le roi ; c’était un interdit du roi que de parler avant ses druides. » cf, p. 220, La Razzia des vaches de Cooley / traduit de l'irlandais ancien, présenté et annoté par Christian-J. Guyonvarc'h.- Gallimard, 1994.- (L'aube des peuples)
Jean-Louis Brunaux écrit, p. 218, : « Poséidonios mentionnait des lois, telle celle qui interdisait de divulguer toute information concernant l’état et obligeait son détenteur à en avertir tout d’abord le magistrat, celle aussi chez quelques peuples, qui interdisait de parler de la chose publique hors des assemblées. »
Sualtam parle aux Ulates (= hurle) en arrivant à Emain, devant le mur extérieur d’Emain, et enfin à la Pierre des Otages.
Vos réactions…
Pourquoi, j’ai rétréci les druides !
J’ouvre ce fil à l’intitulé un brin provocateur pour mettre en ligne un certain nombre d’observations et de réactions à la lecture de :
Les druides, des philosophes chez les barbares / Jean-Louis Brunaux. Seuil, 2006.- 381 p.
Je viens d’achever lecture de ce livre commencée il y a plusieurs mois avec une période d’interruption pour des raisons personnelles. Tout cela pour dire qu’il ne s’agit pas uniquement de réactions à chaud.
Un commentaire général : c’est un livre clair, bien écrit au sens où il est agréable à lire, bien documenté et sérieux dans ses intentions.
Je commence par la fin, le dernier chapitre, le XIe, Survivants et imposteurs, dernier sous chapitre, La christianisation de l’Irlande. , p. 356-361
Jean-Louis Brunaux ne semble pas véritablement convaincu de la « celticité » de l’Irlande préchrétienne. Il note qu’« Il est probable que cette influence ne s’est exercée qu’assez tard, dans les trois derniers siècles précédant notre ère, puis dans ceux qui suivirent. », p. 357.
Venons-en aux druides irlandais. Jean-Louis Brunaux écrit : « Dans les premiers siècles de notre ère, l’Irlande, comme les autres confins de l’Empire romain, dut voir fleurir une multitude prophètes et de sorciers qui exploitaient les peurs et les espoirs de populations soudainement tirées de leur ancestrale tranquillité.», p.358
L’auteur a précisé que «… les Gaulois et même les Bretons ne connaissent guère cette île… » p. 356 et il constate à propos des Irlandais : «…une forte insularité et une franche hostilité envers le monde extérieur. p 357.
Je poursuis.
« Ces hommes se firent-ils appeler druides ? Ou sont-ce les premiers moines chrétiens, lorsqu’ils transcrivirent la poésie orale insulaire dans les dernières décennies du Ier millénaire qui les assimilèrent aux druides gallois, eux-mêmes sorte de recréation folklorique sur le modèle gaulois ? Il est impossible de le savoir… » p 358
Deux remarques.
Suffit-il de se faire appeler druides pour être reconnus comme tels ? Si oui, l’avenir des néo druides contemporains est une percée dans l’azur !
Des moines qui, à défaut de rechercher le martyre, il est déjà trop tard ou trop tôt, n’ont-ils rien d’autre à faire que de créer presque ex-nihilo un corps structuré de prophètes et de sorciers pour ensuite les réduire au silence et cela au prix d’une imposture qui confinerait à l’hérésie ?
J’avoue que ceci me laisse perplexe.
L’auteur poursuit en expliquant que en tout cas ce « druidisme irlandais » n’a pas grand-chose à voir avec les druides gaulois, lesquels « s’abreuvaient de culture grecque. »
L’idée que le dieu irlandais Ogma, soit l’homologue du dieu gaulois Ogmios et que leurs noms viennent du grec, comme Le Roux et Guyonvarc’h l’ont montré, ainsi que le rappelait Patrice, sur un autre fil, n’a bien sûr ici aucune espèce d’importance.
Jean-Louis Brunaux ne refuse pas tout rapprochement pour autant.
« Avant la christianisation, la littérature, uniquement orale, était diffusée par les filid, des poètes qui pouvaient ressembler quelque peu aux bardes gaulois. » p. 359
Il en arrive ensuite à la transcription des récits par les moines sous la dictée des filid, pour par ceux-ci eux-mêmes. « Quoiqu’il en soit ces transcriptions intervinrent assez tard et à une époque où les filid n’en possédaient plus qu’une mémoire très altérée. Ainsi en est-il de la plus célèbre épopée irlandaise, Táin Bó Cúailnge (La Rafle des vaches de Cooley), à propos de laquelle, selon, ce qu’indique le Livre de Leinster, un manuscrit du XIIe siècle, les poètes avouaient eux-mêmes ne se souvenir que de quelques fragments. » p .359
Une remarque. On pourrait considérer que le thème de l’oubli du récit par les filid, qui les amènera, à pratiquer une évocation des morts, s’inscrit dans l’économie du récit ou d’un ensemble de récits, en tant que ressort narratif pour souligner l’importance du maintien fidèle de la transmission.
Ce qui semble importer, à l’auteur, c’est moins l’amnésie qui frappe les filid , que le fait que la Táin soit altérée. Il fallait qu’elle soit altérée pour le besoin de la démonstration mais pas seulement.
L’Irlande de Jean-Louis Brunaux ignore la Gaule et les Gaulois et réciproquement.
Mais le hasard ou les dieux, à moins d’y voir le prompt rétablissement d’un file, la Táin évoque brièvement, les Galian du Leinster, qui sont probablement des mercenaires gaulois venant proposer leurs services à la reine Medb. Celle-ci les refuse et souhaite même les faire massacrer ce à quoi s’opposera Fergus .
Je pose la question : en laissant de côté les récits irlandais consacrés au roi du Leinster, Labraid Loingsech, combien de textes occidentaux, non issus du corpus classique, et datés des XIe et XIIe siècles mentionnent-ils des bataillons de mercenaires gaulois ?
Pas beaucoup assurément, et s’il n’y en avait qu’un seul, raison de plus pour lui prêter attention.
Un autre exemple maintenant. Dans un épisode célèbre, Sualtam, père de Cuchulainn, celui-ci est en mauvaise posture, fait irruption à Emain Macha pour appeler par trois fois les Ulates à la rescousse, en vain.
« C’était un interdit des Ulates que de parler avant le roi ; c’était un interdit du roi que de parler avant ses druides. » cf, p. 220, La Razzia des vaches de Cooley / traduit de l'irlandais ancien, présenté et annoté par Christian-J. Guyonvarc'h.- Gallimard, 1994.- (L'aube des peuples)
Jean-Louis Brunaux écrit, p. 218, : « Poséidonios mentionnait des lois, telle celle qui interdisait de divulguer toute information concernant l’état et obligeait son détenteur à en avertir tout d’abord le magistrat, celle aussi chez quelques peuples, qui interdisait de parler de la chose publique hors des assemblées. »
Sualtam parle aux Ulates (= hurle) en arrivant à Emain, devant le mur extérieur d’Emain, et enfin à la Pierre des Otages.
Vos réactions…