Fragment d'une interview de J.L. Bruneaux au Point à ce propos:
Vous-même, n'avez-vous pas tendance à faire des druides des « philosophes » à la grecque égarés chez les Barbares ?
Non. Comme celle des présocratiques, la philosophie druidique est un savoir universel incluant la métaphysique, les mathématiques, l'astronomie, la botanique, la géographie, la géologie... Loin d'être des magiciens répandant la superstition, ces intellectuels cherchent les causes premières des choses, sous forme d'une pensée qui commence à revendiquer sa rationalité.
Vraiment ?
Quand on voit le calendrier trouvé à Coligny, dans l'Ain, datant du Ier siècle, héritage de leur savoir astronomique, ou des créations artistiques comme certaines phalères au décor géométrique d'une complexité inouïe, on n'est plus dans le domaine des tâtonnements, mais bien de travaux fondés sur des calculs, des mesures, des expériences.
Mais pourquoi, alors, rejetaient-ils l'écriture ?
Cette histoire est un malentendu résultant d'une mauvaise interprétation du texte de César. Les druides prohibaient l'écriture pour les autres, mais afin de s'en réserver l'usage exclusif ! Malheureusement, leurs textes, consignés sur des tablettes d'argile, de bois ou des papyrus, ne sont pas parvenus jusqu'à nous. Le monopole de l'écrit leur permettait de garder la haute main sur les calendriers, les archives, les contrats, les Constitutions politiques. Car leur entreprise de moralisation de la société gauloise passait par un contrôle du savoir.
Bruneaux semble donc privilégier l'argument politique plutôt que celui de Socrate qui par contre était retenu par Dumezil :
Aux deux raisons un peu courtes alléguées par César : souci d'ésotérisme corporatif et danger d'affaiblissement de la mémoire chez les élèves, Dumézil, mis en éveil par un texte de Plutarque (Numa, 22, 2), en a substitué une troisième, plus profonde et d'où découlent les deux autres : sans la parole vivifiante du maître, ce savoir était voué à la sclérose, il devenait seulement formulaire, et donc, comme dit Plutarque, apsukhon. C'était, en somme, le moyen de concilier tradition et actualité. Cl. Sterckx fait remarquer à ce propos que les inscriptions celtiques ou même gallo-romaines s'en tiennent à des messages immuables (épitaphes, ex-voto, exécrations... ) jusqu'à l'époque chrétienne. Il est vrai que la Gaule conquise par César, qui ne manquait pas d'écoles, n'a donné aucun écrivain latin avant le Bas-Empire : inconscient ou non, serait-ce là un effet du vieil interdit druidique ?
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/fe/01/Druides.htmlLe texte de Plutarque :
On ne brûla pas son corps (celui de Numa), parce qu’il l’avait défendu; mais on fit deux cercueils de pierre, qu’on enterra au pied du Janicule: l’un renfermait son corps, et l’autre les livres sacrés qu’il avait écrits lui-même, comme les législateurs grecs écrivaient leurs tables. Pendant sa vie, il avait instruit les prêtres de tout ce que ces livres contenaient et en avait fixé dans leur mémoire tout le contenu et la doctrine; il avait ordonné de les enterrer avec lui, parce qu’il ne jugeait pas convenable de confier à des lettres mortes la garde de ses enseignements secrets. (3) C’est, à ce qu’on dit, par le même motif que les Pythagoriciens n’écrivent pas non plus leurs doctrines et qu’ils les enseignent seulement de vive voix à ceux qu’ils en jugent dignes. (4) Ils racontent eux-mêmes qu’ayant un jour communiqué à un homme qui en était indigne quelques-unes des questions les plus subtiles et les moins connues de la géométrie, les dieux firent connaître qu’ils puniraient, par quelque grande calamité publique, cette profanation et cette impiété. (5) Il ne faut donc pas condamner avec sévérité ceux qui, se fondant sur tous ces rapprochements, soutiennent que Pythagore et Numa se sont rencontrés. (6) Antias rapporte qu’on avait mis dans le cercueil douze livres sur les rituels pontificaux, et douze autres écrits en grec sur des sujets philosophiques. (7) Environ quatre cents ans après, sous le consulat de P. Cornélius et de M. Baebius, des pluies abondantes ayant fait s'entrouvrir la terre, les cercueils restèrent à découvert. On les ouvrit. (8) On trouva l’un d'eux entièrement vide, sans aucun reste de corps; dans l’autre, les livres sacrés s’étaient conservés. Le préteur Pétilius, après les avoir lus, fit son rapport au sénat, et jura qu’il n’était ni pieux ni juste de les rendre publics. En conséquence, ils furent porté dans le Comitium et brûlés.