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Lailoken, Suibhne, Merlin, les "fous" divins...

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 8:27
de Muskull
Bonjour,
Une petite recherche à propos d'une riche figure de l'imaginaire celtique que l'on retrouve en de multiples traditions.
De Merlin, le médiéviste Claude Lecouteux écrit :

Son caractère énigmatique derrière lequel se distinguent des traits archaïques résiste à l’analyse et les traditions médiévales, très répétitives, sont embrouillées et témoignent de la littérarisation et de la christianisation d’un individu venu d’ailleurs, d’un lointain autrefois que même les auteurs du XIIe siècle ne comprenaient sans doute plus4.

Merlin est encore l’homme sauvage qui vit en communion avec la nature et qui a des pouvoirs sur elle. Maître des animaux, il apparaît souvent monté sur un cerf ou accompagné d’un loup. Il possède le don de métamorphose, surgit et disparaît subitement. Il a des visions, des accès de fureur prophétique vécus comme une sorte de possession. Ces thèmes sont surtout développés dans La Vita Merlini auquel fait écho La Folie Suibhné et La Vie de Saint Kentigern (qui donne un rôle à Lailoken, sorte de Merlin sylvestre3).

http://crm.revues.org/document1833.html
Ce qui me semble frappant c'est que ces "personnages" se rapproche du Cernunnos tel qu'il est représenté sur le chaudron de Gudenstrup.
Image

Le rapport avec le domaine "sauvage", non anthropisé, est patent et ce, que cette marginalisation sociale soit volontaire ou non.
Je pense que l'on retrouve dans les narrations des "miracles" accordés aux ermites chrétiens ce même effet de "pouvoirs divins" accordés à ces antiques figures d'hommes sauvages, voire de maîtres des animaux.
@ suivre... :113:

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 8:55
de Muskull
Les deux textes (en anglais) concernant Lailoken:
St. Kentigern and Lailoken
http://everything2.com/index.pl?node_id=1000075
Melred and Lailoken
http://everything2.com/title/Melred%252 ... 20Lailoken

L'évocation de la "triple mort" est intéressante.

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 12:44
de Gwalchafed
Marcel Brasseur a sorti il y a cinq ans environ un bouquin dans lequel ce thème est abordé...http://www.amazon.fr/Merlin-Veilleur-temps-Marcel-Brasseur/dp/2877722066/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1207046599&sr=8-1

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 13:03
de Muskull
Un article d'Ana Donnard:
Merlin intermédiaire des mondes.
http://www.brathair.com/Revista/N9/merlin.pdf
Où l'on retrouve deux "hommes sylvestres" en Bretagne armoricaine, Gwynglaff et Scolan.

Merci Gwalchafed, il y a aussi:
Le Devin Maudit ; Merlin, Lailoken, Sulbhne, Textes Et Etudes de Philippe Walter aux éditions Ellug.

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 16:52
de André-Yves Bourgès
Gwalchafed a écrit:Marcel Brasseur a sorti il y a cinq ans environ un bouquin dans lequel ce thème est abordé...http://www.amazon.fr/Merlin-Veilleur-temps-Marcel-Brasseur/dp/2877722066/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1207046599&sr=8-1


Ci-dessous le CR de cet ouvrage par Max Lejbowicz

Marcel Brasseur, La geste des Bretons II, Merlin le veilleur du temps, 142 p., 18 x 25 cm, quelques illustrations non-numérotées, bibliographie sommaire, Paris, Éditions Errance, 2002, 28 euros, ISBN 2-87772-206-6.

Avec ce nouveau volume, Marcel Brasseur poursuit l’enquête qu’il a commencée avec le Roi Arthur, héros d’utopie (voir les Cahiers de recherches médiévales, VIII, 2001, p. 292). Il reste fidèle au mode d’exposition qu’il a alors choisi. De courts chapitres, non-numérotés, suivent un ordre approximativement chronologique, en recensant la plupart des poèmes, chroniques, romans et même films qui mettent en scène ou simplement évoquent la figure de bardes historiques devenue celle du prophète mythique. L’ouvrage débute donc avec les traces de la tradition orale celtique relative à Merlin et se termine avec l’Excalibur de John Boorman et Star Wars de Georges Lukas.

Brasseur reste également fidèle à un style d’études très particulier. Il donne un aperçu des œuvres qu’il a retenues en s’en tenant à leur périphérie. Il évite d’examiner les configurations historiques successives où ces œuvres ont vu le jour ; et il écarte l’analyse des enjeux idéologiques dont elles sont parties prenantes. Il se réfugie derrière un celtisme pur et dur, et soigneusement dégagé de ces contingences qui font le prix et le charme du travail de l’historien. Sa tradition de référence s’enracine dans un chamanisme passe-partout qui, à défaut de permettre les voyages dans l’espace, en permet dans le temps historique à moindre coût. La seule critique qu’il « ose » lui adresser laisse le lecteur pantois. Gageons que Geoffroy de Monmouth et Robert de Buron l’auraient été tout autant ; quant à la plus lointaine Clio… : « Une nation qui met son espoir dans la venue hypothétique d’un Héros ne peut renaître. Il faut un sursaut national pour que le prodige attendu se réalise. On l’a bien vu au Moyen-Orient où un peuple avili, toujours en quête d’un Messie, attendra deux mille ans pour se reprendre en main, et avec quelle vigueur…(p. 52). » Que faut-il en déduire pour les Plantagenêt ? Et, au-delà de cette dynastie, pour l’histoire celte ?

Enveloppé de ses fortes et courtes ce(l)rtitudes, Brasseur avance en pachyderme dans le champ des études historiques. Je m’en tiendrai à quelques-unes de ses casses : « Alain de Lille (1114-1202), professeur de théologie et recteur (v. 1200) à l’université de Paris... (p. 64). » Faut-il rappeler que la fonction de recteur apparaît sur les rives de la Seine vers 1245 et qu’elle y est réservée aux maîtres ès arts ? De plus, l’enseignement parisien d’Alain est plutôt daté des années 1170-1180. Il appartient donc à une période nettement préuniversitaire. Il est suivi d’un probable enseignement montpelliérain. Enfin, peu après 1200, alors que l’université de Paris prend forme, Alain revêt l’habit cistercien. Voilà par conséquent un personnage dont la biographie se révèle plus complexe que Brasseur le laisse entendre. Et de la complexité d’une biographie à celle de la conjoncture historique dans laquelle elle s’inscrit, il n’y a qu’un pas, qu’il faut bien évidemment franchir pour essayer de tenir des propos pertinents. De toute façon, les dates de la naissance et de la mort d’Alain de Lille sont à l’heure actuelle plutôt fixées à 1128 et à 1203. En délicatesse avec l’histoire, Brasseur est fâché avec la critique des textes. À supposer qu’il en ait eu connaissance, il tait les doutes que les spécialistes d’Alain ont émis sur la paternité de la Prophetia Merlini en notant qu’elle ne contient pas « d’expressions qui rappellent la manière d’Alain »[29]. Pourquoi s’inquièterait-il de ces problèmes d’attribution, lui qui cite le plus souvent les œuvres dont il traite sans préciser l’édition qu’il utilise ? Le lecteur non prévenu qui souhaiterait passer des propos de Brasseur au texte même de la Prophetia Merlini devrait entreprendre des recherches particulières pour en obtenir simplement les références imprimées, pour ne rien dire des manuscrites... À suivre notre guide, et à propos de Merlin, Alain de Lille : « témoigne d’une largeur d’esprit en avance sur son temps (p. 65) ». Sous la plume d’un auteur qui méconnaît le temps d’Alain, la phrase ne manque pas de sel. Faut-il de surcroît rappeler cette fois le De fide catholica, où Alain s’en prend successivement, et sans ménagement, aux hérétiques (les Cathares), aux Vaudois, aux Juifs et aux païens (les Musulmans) ? Le De fide catholica illustre une étroitesse d’esprit que Brasseur attribue généreusement au XIIe siècle. À supposer que la Prophetia Merlini soit d’Alain et qu’elle témoigne bien de largeur d’esprit, cette ouverture à « la matière de Bretagne » devrait être examinée en tenant compte du traité de controverse qui montre une disposition contraire. Mais pour concilier ces œuvres d’aspects antinomiques, il faudrait dépasser les cadres rigides qu’imposent les cultures celte et chrétienne quand elles sont prises pour de pures abstractions. Il faudrait cerner les phénomènes culturels dans leur singularité historique tout en les envisageant dans leur expression transculturelle. L’historien doit se faire créateur de concepts pour tenter de mener son labeur indépendamment des idéologies, celte ou chrétienne en l’espèce.

Brasseur nous assure que : « la première figuration du ‘Cercle du Géant’(Stonehenge) (p. 55) » date de 1786. Fidèle à lui-même, il donne comme référence bibliographique un « in-folio français de la fin du XVIIIe siècle » ! Je ne chercherai pas à en savoir davantage sur cette nouveauté parce que, précisément, elle n’en est pas une, du moins quant à la figuration en question. Le site de Stonehenge apparaît dès les enluminures médiévales (par exemple dans le ms Londres, BM, Egerton 3028, f. 30r du XIVe siècle, qui montre Merlin en bâtisseur de la construction). La plus ancienne image ‘moderne’ est une aquarelle de Lucas de Heere de 1574, conservée au British Museum. Elle est suivie un an plus tard d’une gravure signée seulement R. F., également conservée au British Museum, et qui a eu l’insigne honneur d’avoir été reprise, peu modifiée, dans l’une des gravures du Britannia de William Camden (1600)[30]. Si l’on exclut les enluminures, il est donc possible, sans faire trop d’efforts, de reculer de deux siècles la date avancée par notre celtophile.

Les Celtes, leur histoire et leur culture méritent mieux que les faux savants et les vrais dévots[31].

Max Lejbowicz


André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 17:06
de André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mar 01 Avr, 2008 20:04
de Marc'heg an Avel
Citation :

"Les Celtes, leur histoire et leur culture méritent mieux que les faux savants et les vrais dévots"

----------------

C'est vrai.

Comme le Christ face aux marchands du temple : c'est finalement eux qui ont eu sa peau.

Comment faire pour éjecter ces faux savants et ces vrais dévots de la Matière celtique, puisque c'est eux qui sont maîtres des chaires, et des maisons d'éditions en quête de fantastique ?

Le mieux, c'est encore de les ignorer, parce que leur seule importance tient dans le simple fait qu'on en parle et qu'on les évoque.

JC Even

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 4:53
de Muskull
Bien, "on" n'aime pas M. Brasseur mais l'aigreur du billet de Max Lejbowicz fait penser à un règlement de compte. S'il fustige avec une telle virulence quelques approximations d'un spécialiste sans doute un peu pressé de publier, que penserait-il des miennes et de celles d'une grande partie des membres de ce forum ?

J'aimerais que l'on revienne au sujet ; c'est à dire, pour simplifier, au concept de "l'homme sauvage" et à ses déclinaisons dans l'imaginaire celtique.
Avec par exemple ce thème de la triple mort que l'on retrouve dans une gwerz bretonne dans l'article d'Ana Donnard et qui parait liée au geis dans les mythes (la "prophétie" étant une forme d'oralité du geis).

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 10:17
de Sedullos
Salut à tous,

Merci pour les références.

Muskull, le thème de la triple mort a été traité par Dumézil mais je ne me souviens plus dans quel livre.

Il y a un exemple de triple mort avec celle de Muircertach, on en a discuté récemment, tu as les données dans La légende de la ville d'Is de Le Roux et Guyonvarc'h.

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 10:23
de Sedullos
Marc'heg an Avel a écrit:Citation :

"Les Celtes, leur histoire et leur culture méritent mieux que les faux savants et les vrais dévots"

----------------

C'est vrai.

Comme le Christ face aux marchands du temple : c'est finalement eux qui ont eu sa peau.

Comment faire pour éjecter ces faux savants et ces vrais dévots de la Matière celtique, puisque c'est eux qui sont maîtres des chaires, et des maisons d'éditions en quête de fantastique ?

Le mieux, c'est encore de les ignorer, parce que leur seule importance tient dans le simple fait qu'on en parle et qu'on les évoque.

JC Even


Salut, JCE
c'est bien commode et ça ne mange pas de pain.
Quels professeurs ? Quelles éditions ?

Muskull a écrit: "Bien, "on" n'aime pas M. Brasseur mais l'aigreur du billet de Max Lejbowicz fait penser à un règlement de compte. S'il fustige avec une telle virulence quelques approximations d'un spécialiste sans doute un peu pressé de publier, que penserait-il des miennes et de celles d'une grande partie des membres de ce forum ?


Je suis bien d'accord, j'ajoute qu'il était un peu pressé probablement parce qu'il sentait sa fin prochaine.

Il est mort entre la publication de son Merlin et celle du 3eme volume sur la femme dans la littérature arthurienne. Les 3 sont publiés chez Errance.

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 10:45
de Marc'heg an Avel
Sedullos a écrit:
Quels professeurs ? Quelles éditions ?


---------------------

Salut Sed.

Si l'on doit donner la liste de tous ceux qui ont fantasmé sur ce thème, une encyclopédie n'y suffirait pas.

Il suffit de s'abonner à la Société Internationale Arthurienne.

----------------

Ce domaine consiste surtout à gloser sur les gloses des autres, en se donnant des airs sérieux, mais en espérant que personne ne trouve jamais la solution, puisque, selon ce principe et ce postulat, il n'y a pas de solution. On peut donc gloser à perte de vue.

Et moi, ça ne m'intéresse pas. Je préfère les gens de terrain.

JCE :wink:

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 11:03
de André-Yves Bourgès
Muskull a écrit:Bien, "on" n'aime pas M. Brasseur mais l'aigreur du billet de Max Lejbowicz fait penser à un règlement de compte. S'il fustige avec une telle virulence quelques approximations d'un spécialiste sans doute un peu pressé de publier, que penserait-il des miennes et de celles d'une grande partie des membres de ce forum ?


Bonjour,

"on" est un c..., comme "on" me l'a appris quand j'étais petit, il y a plus d'un demi-siècle.
J'ai dans ma bibliothèque le volume consacré aux "saints oubliés" de la collection de M. Brasseur relative aux "Celtes" ; ce volume appartenait à Gwenaël Le Duc et est annoté de la main de cet ami tant regretté : chaque page (ou presque) fait l'objet d'un correctif humoristique ou agacé (c'est selon) sur les approximations qu'elle contient. Pourtant Gwenaël était plutôt ouvert aux spéculations "mythémiques" (sur quoi nous avions souvent des controverses amicales où il me traitait de "guillotelien") et il avait lui aussi travaillé avec Claude Sterckx.

André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 11:39
de Sedullos
AYB, pourquoi ne pourrait-on pas utiliser un pronom de la langue française ?

JCE a écrit:Ce domaine consiste surtout à gloser sur les gloses des autres, en se donnant des airs sérieux, mais en espérant que personne ne trouve jamais la solution, puisque, selon ce principe et ce postulat, il n'y a pas de solution. On peut donc gloser à perte de vue.


Je comprends ton point de vue. J'ai fait sur plusieurs fils allusion à la Salamandre de Merlin représentée sur une enluminure du XIIIe siècle.
Fixée au bout d'une hampe, elle est l'équivalent du draco, des Sarmates, des Romains et des Bretons romanisés. Merlin chevauche à la tête des Chevaliers de la Table Ronde équipés de heaumes cylindriques et de tout l'équipement du XIIIe siècle.

Ce dragon-enseigne distinct des dragons ou griffons d'Excalibur indique clairement que ce personnage de Merlin est un militaire, un magister equitum. Ce statut me semble l'éloigner considérablement du personnage du fou des bois, de l'ermite et de l'interprétation chamanique à laquelle je ne crois pas.

L'existence de cette illustration devrait nous inciter à nous interroger sur ce qu'est une transmission traditionnelle.

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 12:07
de André-Yves Bourgès
Sedullos a écrit:AYB, pourquoi ne pourrait-on pas utiliser un pronom de la langue française ?


On peut tout ; mais l'opprobre qui s'attache à "on" vient de ce qu'il est souvent employé de manière floue, inconsistante ou malhonnête.

Poil de Carotte reste seul, dérouté.

Hier, M. Lepic lui conseillait d’apprendre à réfléchir :

— Qui ça, on ? lui disait-il. On n’existe pas. Tout le monde, ce n’est personne. Tu récites trop ce que tu écoutes. Tâche de penser un peu par toi-même. Exprime des idées personnelles, n’en aurais-tu qu’une pour commencer.


André-Yves Bourgès

MessagePosté: Mer 02 Avr, 2008 12:18
de Sedullos
Je viens de lire l'article d'Ana Donnard, un texte très intéressant.

J'ai beaucoup apprécié les deux tiers, par contre je ne la suis pas sur la dernière partie. Ce n'est pas diminuer le prestige de Hersart de la Villemarqué que de le considérer comme un auteur romantique qui a certes réalisé des collectages mais qui a aussi et surtout composé une pseudo tradition orale marquée par ses emprunts aux littératures celtiques et au néobardisme gallois.