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au plus tôt à la toute fin du 3ème millénaire (époque d'Ur III). Extrait daté du premier quart du 2ème millénaire, époque paléo-babylonienne. Morceaux choisis par un âne
« (Et c’est là,) [dans la step]pe, (qu’)elle (Déesse Aruru) forma Enkidu-le-preux. Mis au monde en la Solitude, (aussi) compact que Ninurta. Abondamment [ve]lu par tout le corps, il avait une chevelure de femme aux boucles foisonnant comme un champ d’épis. Ne connaissant ni concitoyens, ni pays, accoutré comme Sumuqân (à la sauvage), en compagnie des gazelles. Il broutait ; en compagnie de sa harde, il fréquentait l’aiguade ; il se régalait d’eau en compagnie des bêtes. »
(...)
« Or, un chasseur – un poseur de pièges, tomba sur lui (Enkidu). Une première fois, une autre, une troisième, au bord de l’aiguade il tomba sur lui. Quand le chasseur l’eut vu, il en fut médusé ; et lorsque avec sa harde, Enkidu eut regagné son gîte, le chasseur demeura troublé, perplexe et sans mot dire, le cœur serré, le visage assombri de l’inquiétude qui lui était entrée au ventre : il avait le visage d’un qui revient de loin... Le chasseur, ayant alors ouvert la bouche, prit la parole et s’adressa à son père : “ Mon père, il y a un gaillard, venu du désert : c’est le plus fort du pays, le plus vigoureux ; sa musculature est aussi puissante qu’un bloc venu du Ciel ! Constamment, il vagabonde au désert ; constamment, il broute avec sa harde ; il hante constamment les abords de l’aiguade. J’en ai si peur que je ne l’ai pas approché ! Il a comblé les trappes que j’avais moi-même creusées ; arraché les filets que j’avais tendus, et détourné de moi gros et menu gibier ! Il ne me laisse plus battre la steppe !” Son père, ayant ouvert la bouche, prit la parole et s’adressa au chasseur : “ Mon fils, à Uruk demeure Gigameš. Personne n’est plus fort que lui ; sa musculature est aussi puissante qu’un bloc venu du Ciel ! Va le trouver, mon fils, et l’informer de la vigueur de cet être-humain. Il te donnera La Courtisane Lajoyeuse, que tu emmèneras avec toi à la chasse, lui expliquant combien ce gaillard est robuste. Lorsque sa harde arrivera à l’aiguade, elle ôtera ses vêtements, elle dévoilera ses charmes, et quand il la verra ainsi, il se jettera sur elle. Alors, sa harde, élevée avec lui, lui deviendra hostile.” (...) Le chasseur s’en fut donc, emmenant avec lui La Courtisane Lajoyeuse. Ils prirent route et tirèrent chemin, et, au bout de trois jours, arrivèrent au bon endroit. Chasseur et Courtisane, installés en leur coin, restèrent là, un jour, deux jours, aux abords de l’aiguade. Puis la harde arriva pour s’y abreuver : arrivèrent les bêtes pour se régaler d’eau. Enkidu en personne, naturel du désert, broutait en compagnie des gazelles ; en compagnie de sa harde, il s’abreuvait à l’aiguade, et se régalait d’eau en compagnie des bêtes. Lajoyeuse le vit, cet être humain sauvage, ce redoutable gaillard d’en pleine steppe : “Le voilà ! lui dit le chasseur. Dénude-toi, Lajoyeuse, découvre-toi le sexe pour qu’il y prenne ta volupté ! Et n’aie crainte de l’épuiser ! Il se jettera sur toi : laisse alors choir ton vêtement pour qu’il s’allonge sur toi, et fais-lui, à ce sauvage, ton affaire de femme !” (...) Et elle lui fit, à ce sauvage, son affaire de femme, tandis que, de ses mamours, il la cajolait, six jours et sept nuits, Enkidu, excité, fit l’amour à la Joyeuse ! Une fois soûlé du plaisir qu’elle lui avait donné, il se disposa à rejoindre sa harde. Mais, à la vue d’Enkidu, gazelles de s’enfuir, et les bêtes sauvages, de s’écarter de lui. Son corps vidé de force, il voulut s’élancer : ses genoux trop paralysés pour talonner les bêtes, Enkidu était affaibli, incapable de courir comme avant. Mais il avait mûri : il était devenu intelligent ! Aussi revient-il s’asseoir aux pieds de la Courtisane. Les yeux rivés sur son visage, il comprenait tout ce qu’elle lui disait. »
, traduit de l’akkadien et présenté par Jean Bottéro, Ed. NRF Gallimard, coll. L’aube des peuples, 1992.