Kambonemos a écrit: Sur la folie de la guerre : ce passage de la mythologie grecque, où pendant la guerre contre les Géants, Arès se voit enfermer par ses cousins, les Aloades, dans un chaudron de bronze ; c'est Hermès qui, longtemps après, viendra le délivrer. Le symbolisme est très parlant...
Effectivement, il existe des variantes à cette singulière histoire de ces deux Aloïdes, plus sots l'un que l'autre, aux corps démesurés, qui, de leurs mains, avaient entrepris de forcer le ciel immense, le monde des Dieux.
Dans la mort, ils furent condamnés à écouter sans fin le cri de la sagesse :
É. Hamilton a écrit:OTOS ET EPHIALTES
----------On trouve une allusion à cette légende dans l'Odyssée et dans l'Enéide,
----------mais seul Apollodore la raconte en entier.
----------Il est probable qu'il écrivait au Ie ou IIe siècle de notre ère.
----------C'est un auteur assez ennuyeux, bien qu'il le soit moins que d’habitude dans ce conte.
-----Ces deux frères jumeaux étaient des Géants mais ils ne ressemblaient pas aux monstres des temps anciens. Ils avaient le corps droit et leur visage était noble. Homère nous dit qu'ils étaient :
Les plus grands que la terre féconde ait nourris de son pain
Et les plus beaux aussi, après l’incomparable Orion.
-----Virgile parle surtout de leur ambition insensée :
Jumeaux gigantesques qui de leurs mains tentèrent de détruire la voûte céleste
Et de renverser Jupiter de son trône surnaturel.
-----Selon les uns, ils seraient les fils d'Iphimédéia et selon les autres de Canace. Mais quelle que fût leur mère, leur père était certainement Poséidon, bien qu'on les appelât d'ordinaire les Aloades, les fils d'Alous, du nom du mari de leur mère.
-----Tout jeunes encore, ils décidèrent de prouver leur supériorité sur les dieux. Ils capturèrent Arès, le chargèrent de chaînes d'airain et l’emprisonnèrent. Les Olympiens répugnaient à le libérer au moyen de la force. Ils déléguèrent l'astucieux Hermès à son aide et celui-ci, sous le couvert de la nuit, réussit à le faire sortir furtivement de sa geôle. Alors les jeunes arrogants osèrent davantage encore. Ils menacèrent d'entasser le Mont Pélion sur le Mont Ossa et d'escalader le ciel, comme dans le temps jadis les Géants avaient entassé l'Ossa sur le Pélion. Ceci était plus que la patience des immortels n'en pouvait supporter et Zeus se prépara à les frapper de son foudre ; mais avant qu'il ait eu le temps de le lancer, Poséidon vint l'implorer d'épargner ses fils et lui promit de les soumettre désormais à une vigoureuse discipline. Zeus se laissa fléchir et Poséidon tint parole. Les jumeaux renoncèrent à guerroyer contre les cieux et Poséidon se félicita. En fait, Otos et Ephialtès s'étaient tournés vers des activités plus intéressantes.
-----Otos, en effet, pensait qu'enlever Héra serait une excellente aventure ; quant à Ephialtès, il était épris d'Artémis ou croyait l'être. En réalité, les deux frères n'avaient d'affection pour personne sinon l'un pour l'autre ; ils s'aimaient tendrement. Pour décider lequel se saisirait le premier de sa dame, ils tirèrent au sort et la fortune favorisa Ephialtès. Aussitôt, par les collines et par les bois, partout ils cherchèrent Artémis, et quand enfin ils l'aperçurent, elle était sur la grève et se dirigeait droit vers la mer. Elle n'ignorait rien de leur vil dessein et elle savait aussi comment elle les châtierait. Ils s'élancèrent à sa poursuite mais elle continua sa course au-dessus des flots. Or, tous les fils de Poséidon avaient le même pouvoir : ils couraient à pied sec sur la mer comme sur la terre ferme ; sans aucune difficulté, ces deux-ci suivirent donc la déesse. Elle les conduisit vers l'île boisée de Naxos et là, comme ils étaient sur le point de la rejoindre, elle disparut. A sa place, ils virent une biche ravissante, blanche comme neige, qui d'un bond sauta dans la forêt. Ils oublièrent la déesse pour se lancer sur les traces de la charmante créature.
L'épaisseur des bois la leur fit bientôt perdre de vue et pour doubler leurs chances de la retrouver, ils se séparèrent. Ils l'aperçurent en même temps, dans une clairière, immobile et les oreilles dressées ; mais ni l'un ni l'autre ne vit que derrière elle, dans les arbres, se tenait son frère. Ils jetèrent leurs javelots et la biche disparut. Les armes volèrent à travers la clairière vide jusqu'au bois, et là, elles trouvèrent leur cible. Les corps gigantesques des jeunes chasseurs s'écrasèrent sur le sol, chacun transpercé par le fer de l'autre, chacun à la fois victime et meurtrier de l'unique être qu'il aimât.
-----Et ce fut ainsi qu'Artémis se vengea.
La mythologie, Édith Hamilton, Éditions Marabout, 1988, 416 pages, pp. 163-5.
Il est dit que dans la mort, un châtiment exemplaire les attendit aux Enfers. Des serpents leurs servirent de liens à une colonne d'où voletait une chouette, et qui, sans cesse, hululait lugubrement.
Érasme dans un des ses
Adages résume ce parcours sans fin dans l'histoire de l'humanité, la bêtise des hommes à vouloir se surpasser, puis finalement devenir sage :
Érasme a écrit:31. Le sot devient sage après le malheur
Cela a été dit un peu autrement par Hésiode, mais c’est la même pensée, dans un ouvrage intitulé Les Travaux et les Jours :
---------- « Justice se saisit du coupable
-----en venant à la fin et le sot devient sage après le malheur 1. »
C’est à cette pensée que semble faire allusion Homère au XXIIIe chant de l’Iliade : « afin que tu instruises par l’épreuve 2. » Platon dans le Banquet : « Ce que je te dis Agathon, c’est : ne te laisse pas tromper par celui-ci, mais instruis-toi par ma propre expérience, méfie-toi, et ne fais pas ce que dit le proverbe : devenir sage après le malheur, comme un sot 3. » C’est à cela encore qu’il faut rapporter ce passage de Plaute dans Le Marchand : « Heureuse sagesse que la sagesse acquise par l’expérience d’autrui 4. » Dans le même sens Tibulle, Élégies, livre III :
---------- Heureux celui à qui la souffrance
----- d’autrui apprend à s’en éviter à lui-même 5.
A cela font allusion les paroles de ceux qui sont sages trop tard : « Maintenant je sais ce qu’est l’amour 6. » « Maintenant je comprends qu’elle est scélérate et moi malheureux 7. » « Ah, c’est à peine enfin si j’ai compris, idiot que je suis 8. » Il semble que l’adage provienne de la très ancienne fable des deux frères Prométhée et Épiméthée 9, rapportée par Hésiode à peu près de cette façon : « Jupiter, irrité contre Prométhée à cause du feu dérobé furtivement au ciel et donné aux hommes, et désireux de lui rendre la pareille, charge Vulcain de modeler dans de l’argile, le plus artistiquement possible, la statue d’une jeune fille. Une fois la chose faite, il demande à chacun des dieux et à chacun des déesses de faire un don particulier à la statue. Il est manifeste que de là vient le nom de Pandore donné à la jeune fille. Donc quand elle eut reçu tous les dons de la beauté, de l’élégance, de l’esprit, de la parole, Jupiter l’envoie à Prométhée avec une boîte extrêmement belle, mais contenant secrètement toutes les sortes de calamités. Prométhée refuse le cadeau et prévient son frère de n’accepter aucun cadeau qui serait envoyé en son absence. Pandore revient, persuade Épiméthée et lui donne la boîte. Dès qu’il l’eut ouverte, les maladies s’envolèrent et il comprit le cadeau empoisonné de Jupiter, commençant mais trop tard à être sage. Ici Hésiode, faisant évidemment allusion à l’adage, dit :
----- « il accepta et quand le malheur l’atteignit il comprit 10 ». Même pensée dans la Théogonie ; c’est elle, dit-il, qui enfanta : « Prométhée à l’esprit souple et subtil et Épiméthée qui comprend après coup 11. »
--- C’est pourquoi Pindare dans les Pythiques l’appelle le « sage trop tard 12 ». C’est ce que signifient d’ailleurs leurs noms. Car Prométhée en grec veut dire « celui qui réfléchit avant d’agir » et Épiméthée « celui qui se met à réfléchir une fois la chose faite ». Le verbe prometheuesthai signifie réfléchir avant d’affronter les maux menaçants. Lucien dans un Dialogue cite ce vers d’un Comique contre Cléon parce qu’il était sage trop tard, après coup :
----- Cléon : Prométhée quand tout est fini 13.
A la fin du même dialogue : « Car réfléchir après l’action c’est d’Épiméthée, non de Prométhée ! » Le proverbe se trouve aussi sous cette forme : « Plus prudent après l’épreuve. »
Encore ainsi : « Des épreuves font preuve ! 14 » ce que je rends selon le sens plutôt que mot à mot. Mais il est beaucoup plus avisé de devenir plus prudent en voyant les malheurs d’autrui, selon la pensée grecque :
--- En regardant les malheurs des autres je me suis instruit.
On répète aussi beaucoup dans le peuple chez moi : « Les mortels s’instruisent par leurs hontes et leurs pertes. »
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1. Vers 217-218. 2. V. 487. 3. 222b. 4. V. 893 des anciennes éditions, apocryphe. 5. Tib. 3, 6, 43-44. 6. Virg. Ecl. 8, 43. 7. Ter. Eun. 71. 8. Ter. Andr. 470. 9. Voir plus loin le sens de ces noms. 10. Hes. Travaux 89. 11. Hes. Theog. 510-1. 12. Pyth. 5, 27. 13. Ad eum qui dixerat : Prometheus es in verbis, 2. 14. Les jeux de sonorités sont en grec : « Ex ôn épathès émathès » ; et latin : « Quae nocent, docent » ; mot à mot respectivement : « De ce que tu as subi, tu as appris » et « Ce qui nuit instruit ».
Œuvres choisies, Érasme, Librairie Générale Française, 1991, 1056 pages, 330-2.
e.