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La langue sacerdotale des îles septentrionales

MessagePosté: Sam 03 Jan, 2009 23:56
de Thomas de Vernet
Bonjour à tous!
Je suis nouveau sur le forum (bien que je lise les messages qui y sont postés depuis bien des années) et je me pose plusieurs questions concernant l'oeuvre de Christian-J. Guyonvarc'h (qui semble être tenu en haute estime par les membres du forum). Alors que je n'avais lu de lui que Les Druides (mon livre de chevet depuis de nombreuses années), je me suis récemment plongé dans sa traduction et présentation du Dialogue des deux sages. J'aurai souhaité avoir l'avis des membres de ce forum sur un passage du livre qui m'a interpellé :
Néde, file irlandais, va en Écosse pour parfaire son instruction et recevoir l'initiation druidique, comme les druides de Gaule, selon César, allaient en Bretagne pour mieux apprendre leur doctrine. Le Nord et les îles au nord du monde sont la destination obligée de tous les candidats à l'initiation celtique, quelle que soit là nature de l'initiation, étant bien entendu que quiconque n'en est pas digne perd la raison au contact des vérités d'ordre supérieur. Une question qui n'a jamais été évoquée concernant ces voyages d'initiation est celle de la langue. Si les druides gaulois et irlandais allaient recevoir ou parfaire leur initiation en Écosse, il fallait qu'il existât une langue commune comprise de tous les initiateurs et de tous les initiés. Cela oblige à postuler l'existence d'un celtique commun, langue sacrée équivalente du sanskrit et opposé aux "prakrits" d'où sont probablement issues les langues néo-celtiques, ainsi que les quelques traces de gaulois retrouvées sur le continent.

Après cela, l'auteur cite plusieurs ouvrages à paraître (qui à ma connaissance - ? - ne sont pas parus), et un article: "Langue profane et langue sacrée", Connaissance des religions, 41-42, juin 1995, p. 55-67. Cet article répondrait-il à mes questions concernant cette hypothèse avancée par Mr Guyonvarc'h concernant une langue celtique commune aux druides du monde celtique ? Quel est votre avis sur cette hypothèse ? Dois-je également en déduire que les fameurs îles au nord du monde dont il est si souvent question dans les mythes celtiques, sont en fait... l'île de Bretagne ?
Merci beaucoup pour vos réponses et à très bientôt !

:ogam-t::ogam-o::ogam-m::ogam-a::ogam-s:

Re: La langue sacerdotale des îles septentrionales

MessagePosté: Dim 04 Jan, 2009 20:01
de Sedullos
Thomas de Vernet a écrit:Bonjour à tous!
Je suis nouveau sur le forum (bien que je lise les messages qui y sont postés depuis bien des années) et je me pose plusieurs questions concernant l'oeuvre de Christian-J. Guyonvarc'h (qui semble être tenu en haute estime par les membres du forum). Alors que je n'avais lu de lui que Les Druides (mon livre de chevet depuis de nombreuses années), je me suis récemment plongé dans sa traduction et présentation du Dialogue des deux sages. J'aurai souhaité avoir l'avis des membres de ce forum sur un passage du livre qui m'a interpellé :
Néde, file irlandais, va en Écosse pour parfaire son instruction et recevoir l'initiation druidique, comme les druides de Gaule, selon César, allaient en Bretagne pour mieux apprendre leur doctrine. Le Nord et les îles au nord du monde sont la destination obligée de tous les candidats à l'initiation celtique, quelle que soit là nature de l'initiation, étant bien entendu que quiconque n'en est pas digne perd la raison au contact des vérités d'ordre supérieur. Une question qui n'a jamais été évoquée concernant ces voyages d'initiation est celle de la langue. Si les druides gaulois et irlandais allaient recevoir ou parfaire leur initiation en Écosse, il fallait qu'il existât une langue commune comprise de tous les initiateurs et de tous les initiés. Cela oblige à postuler l'existence d'un celtique commun, langue sacrée équivalente du sanskrit et opposé aux "prakrits" d'où sont probablement issues les langues néo-celtiques, ainsi que les quelques traces de gaulois retrouvées sur le continent.

Après cela, l'auteur cite plusieurs ouvrages à paraître (qui à ma connaissance - ? - ne sont pas parus), et un article: "Langue profane et langue sacrée", Connaissance des religions, 41-42, juin 1995, p. 55-67. Cet article répondrait-il à mes questions concernant cette hypothèse avancée par Mr Guyonvarc'h concernant une langue celtique commune aux druides du monde celtique ? Quel est votre avis sur cette hypothèse ? Dois-je également en déduire que les fameurs îles au nord du monde dont il est si souvent question dans les mythes celtiques, sont en fait... l'île de Bretagne ?
Merci beaucoup pour vos réponses et à très bientôt !

:ogam-t::ogam-o::ogam-m::ogam-a::ogam-s:


Salut à tous,

Thomas, bienvenue sur l'arbre-celtique :D

Plusieurs commentaires sur cette question.

D'une certaine façon, il y a une contradiction entre ce que Christian- J. Guyonvarc'h a écrit ici et ce que Françoise Le Roux et lui-même ont toujours pensé : à savoir que les Iles au Nord du monde participent de l'Autre-Monde et qu'il ne faut pas les chercher sur une carte terrestre.
Cela relève du mythe pas de la géographie scientifique.

Que les îles du nord du monde soient un reflet terrestre des Iles au Nord du monde, est une idée qu'ils ont défendue.

Quant à la langue, si Le Roux et Guyonvarc'h considèrent avec les linguistes que le breton, le gallois, le cornique, l'irlandais, l'erse, sont de langues néoceltiques, issues d'évolutions médiévales, cela suppose un celtique de l'Antiquité, dont le gaulois, le "lépontique" et le celtibère sont des branches continentales, celles qu'étudient des chercheurs comme Pierre-Yves Lambert, Xavier Delamarre, Joseph Eska, Wolfgang Meid ou David Stifter, et une dizaine d'autres.


La question de la langue initiatique des druides et des filid irlandais renvoie à une conception traditionnelle de type guénonien qui est très éloignée des recherches des auteurs que j'ai cités...

Cela repose en partie sur la mention dans les textes irlandais, d'une langue particulière, secrète, le berla fene, la langue des poètes.

Voici un vieux post de notre ami Fergus :

Je ne me souviens plus du texte où j'ai vu l'expression Berla fene...
Par contre, Chr.-J. Guyonvarc'h a écrit un article très "définitif" (comme toujours) intitulé "Langue profane et langue sacrée", dans la revue Connaissance des Religions, n° XI, 1995, dont je cite le dernier paragraphe (p. 67) :

Citation:
Il y avait, enfin, plus complexe et moins évident, mais beaucoup moins abordable encore aux profanes, le langage spécial que les druides et les filid d'Irlande utilisaient entre eux et, sans doute, pour communiquer avec les dieux. Il en reste assez de traces pour que nous sachions avec précisions en quoi consistait le berla filid ou "langue des poètes", souvenir d'une langue spéciale, dépendant d'une technique sacrée, que personne ne comprenait, hormis les poètes officiellement reconnus, et qui a dû avoir son pendant en Bretagne insulaire et en Gaule. Nous sommes loin de tout savoir mais nous en savons assez pour présumer que tout cela était bien dans la norme traditionnelle - et indo-européenne - d'une langue sacrée, comprise par un nombre restreint d'initiés, qui, tant que la Tradition perdure, est préservée de l'évolution et donc de la mort auxquelles sont condamnées, inexorablement, à plus ou moins long terme, toutes les langues profanes.


Il est plus que probable que des précisions complémentaires se trouvent dans des ouvrages comme le Auraicept na nEces ("Rudiment du Poète), ...


http://forum.arbre-celtique.com/viewtopic.php?p=25781&highlight=berla#25781

MessagePosté: Dim 04 Jan, 2009 20:27
de Sedullos
J'ai oublié de donner une indication.

La notion de langue sacrée utilisée par Guyonvarc'h, si elle n'est pas forcément agréée par les linguistes :wink: , renvoie à la valeur numérique des sons comme par exemple pour l'hébreu ou l'arabe du Coran. En comparaison, le latin et le slavon sont des langues liturgiques qui se situent quelques degrés en dessous des langues sacrées dans la pensée de Guyonvarc'h et de Guénon.

On est d'accord ou pas d'accord, c'est selon.
Je ne travaille plus vraiment sur ces questions...

MessagePosté: Jeu 08 Jan, 2009 11:27
de ejds
Christian-J. Guyonvarc'h a écrit: Néde, file irlandais, va en Écosse pour parfaire son instruction et recevoir l'initiation druidique, comme les druides de Gaule, selon César, allaient en Bretagne pour mieux apprendre leur doctrine. Le Nord et les îles au nord du monde sont la destination obligée de tous les candidats à l'initiation celtique, quelle que soit là nature de l'initiation, étant bien entendu que quiconque n'en est pas digne perd la raison au contact des vérités d'ordre supérieur.

Dans ses Commentarii de bello Gallico, en 55 (liber IV) puis en 55 av. J.-C. (liber V), il informe que, dans presque toutes les guerres qu’il avait faites en Gaule, ses ennemis avaient reçus des secours de l’île de Bretagne. Ce qui sera la principale raison de l'envahir.

Dans son liber VI, 13, il commente sur les druides :

Cæsar a écrit:Disciplina in Britannia reperta atque inde in Galliam translata esse existimatur, et nunc, qui diligentius eam rem cognoscere volunt, plerumque illo discendi causa proficiscuntur.

On croit que leur doctrine a pris naissance dans la Bretagne, et qu'elle fut de là transportée dans la Gaule ; et aujourd'hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie vont ordinairement dans cette île pour s'y instruire.

Puis en Gaule, diverses tentatives d'éradiquer le druidisme, ses influences et pratiques, seront prodiguées par les empereurs Auguste, Tibère, puis surtout Claude que Suétone, dans ses De uita duodecim Cæsarum libri (Vie des douze Césars) indique : — « Il abolit entièrement, dans les Gaules, la cruelle et atroce religion des druides, qu'Auguste avait seulement interdite aux citoyens. » Une des causes de l’invasion de l’île de Bretagne, ou plutôt devrait-on dire des îles britanniques, en 43 ap. J.-C. était de nature religieuse. Claude voulait extirper la religion druidique qui y avait ses racines ; les druides y suivaient leur formation. Mais on ne connaît ni le nombre ni les lieux des différents centres religieux, ou "écoles druidiques", existants alors dans les îles de Bretagne indépendante.

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Ce n'est qu’un peu plus tard que l’on apprendra particulièrement l'existence de l'insulam Monam, insula Mona, en gallois Ynys Môn, qui deviendra en anglo-saxon l'isle of Anglesey… Située dans la mer d'Irlande, au Nord-Ouest de la grande île de Bretagne, une centaine de mètres seulement la sépare du continent gallois. Certaines forces armées insulaires luttant contre les Romains y avaient trouvé refuge auprès des instances druidiques. Vers l'an 60 ap. J.-C., sous l'ordre de Néron, Suetonius Paulinus détruisit son temple et ses bois sacrés (Tacite, Annales, XIV). Puis l'île fut envahie de nouveau en 78 par Agricola dont Tacite, dans son De vita et moribus Iulii Agricolae, XVIII, raconte la singulière manière de traversée du bras de mer à la nage avec armes et chevaux par des troupes auxiliaires.

Incidemment, l'île de Mona forme une sorte d'épicentre géographique, de mediolanum, parmi les autres îles britanniques. La plus susceptible, tout du moins lors du premier siècle de notre ère, d'avoir été l'un des derniers bastions druidiques. De là s’enfuir probablement les derniers druides bretons, face à la menace romaine, plus loin encore vers l’Irlande, l’Écosse…

Christian-J. Guyonvarc'h a écrit:Une question qui n'a jamais été évoquée concernant ces voyages d'initiation est celle de la langue. Si les druides gaulois et irlandais allaient recevoir ou parfaire leur initiation en Écosse, il fallait qu'il existât une langue commune comprise de tous les initiateurs et de tous les initiés.

Il existait certainement plusieurs déclinaisons ou accents plus ou moins compréhensibles plutôt qu'une seule langue monolitho-celtique.

Au programme d'étude des différentes matières savantes des druides (théologie, philosophie, astronomie... ), probablement une seule ou plusieurs langues complémentaires et communes, parlées et ou écrites (— par exemple le grec —) qui étaient en vogue à l’époque particulièrement auprès de certaines tribus continentales du Sud-Est de la Gaule (Helvètes…) durant les derniers siècles avant J.-C. Mais de ce côté là encore, trop peu de traces et donc pas vraiment de confirmation. :(

L’initiation des langues sacrées des religions à mystères se fonde sur des langages hermétiques, eux aussi "à mystères". De nos jours, il est un fait qu'entendre parler dans sa propre langue maternelle en termes techniques ou scientifiques par exemple en informatique, algèbre, mécanique… , est déjà du charabia bien trop compliqué aux oreilles des simples profanes.

e.

MessagePosté: Mer 18 Fév, 2009 21:58
de Séléné.C
J'ai, moi aussi, le dialogue des deux sages en cours de lecture...

Que les "iles du Nord" ou "Iles Lointaines" soient à ranger parmi les nombreuses dénominations de l'une ou l'autre partie du Monde Invisible, je suis assez d'accord. Bien souvent, c'est ça...

Mais les textes celtes sont à plusieurs niveaux. Il ne faut pas zapper le premier degré et passer tout de suite au second ou au troisième...


Le nord est lié, je crois, au monde souterrain, partie obscure du Monde Invisible. En cela, oui, il ne s'agirait pas d'iles réelles mais d'une contrée mythique.
Cependant, il y a eu des échanges entre l'Ecosse et l'Irlande. On ne peut pas, d'un coup, refuser ld'idée que Nede aie reçu son enseignement de filid en Ecosse.
La question d'un parler commun = si j'en crois
Histoire des langues celtiques, Hervé Abalain
le parler d'Irlande et celui d'Ecosse sont plus proches que ne le sont d'autres langues celtiques.

Mais, à la page 13, je vois que le gaélique d'Ecosse aurait été introduit là par des migrants en provenance d'Irlande, au III° siècle et qu'avant cela, on y parlait picte et brittonique.

Mais comme on ignore la date exacte de la création d'origine du Dialogue des Deux Sages, on ne peut pas dire que cette rédaction soit antérieure à cette migration... Et comme au passage des visions, à la fin du dialogue, on sent une influence chrétienne, je tends à penser que c'est postérieur

Auquel cas = oui, il y avait un langage commun, et d'autant plus que, à l'époque, les deux langues n'avaient pas encore eu le temps de beaucoup se différencier

MessagePosté: Ven 20 Fév, 2009 12:05
de ejds
Séléné.C a écrit:La question d'un parler commun = si j'en crois
Histoire des langues celtiques, Hervé Abalain
le parler d'Irlande et celui d'Ecosse sont plus proches que ne le sont d'autres langues celtiques.

Auquel cas = oui, il y avait un langage commun, et d'autant plus que, à l'époque, les deux langues n'avaient pas encore eu le temps de beaucoup se différencier

Surtout avant l'arrivée des Romains, on peut aussi penser que les différentes peuplades celtiques étaient pour la plupart polyglottes, et qu’une langue dominante, et au vocabulaire plus ou moins réduit (mais laquelle ?), était utilisée particulièrement dans les échanges commerciaux, les formations religieuses ou autres. :?

Oh fée ! Bonjour et, soit dit en passant, bravo pour ton original avatar Séléné.C. :)

C'est de la gouache ? Image

e.

MessagePosté: Ven 20 Fév, 2009 12:30
de Séléné.C
Echanges commerciaux = oui... Ils sont plutôt anciens, dans ce secteur. Il a bien falu pouvoir causer un peu, pour les faire.


Avatar = C'est de l'aquarelle.
C'est un détail d'une page de la BD que je prépare (j'aime bien les enluminures)
Merci pour le compliment...