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Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Dim 19 Juin, 2011 17:25
de Latomaros
Alors que je relisais pour la énième fois l'excellent « Des Dieux Gaulois » de P. Lajoye (Oui, je sais, j'ai de très bonnes lectures !), un passage qui n'avait jusqu'à présent éveillé en moi que peu d'échos a particulièrement retenu mon attention.

Le passage en question se situe de la page 103 à la page 108, et concerne le « couple » Borvo / Damona.

La cause de mon intérêt fut en fait, le parallèle qui s'établit dans mon esprit entre ce texte et de très vieux souvenirs de mon enfance. Souvenirs de catéchisme pour être précis...

J'ai grandi dans le petit village de Saint-Victurnien en Haute-Vienne, et voici ce que je me rappelle de la vie du saint telle qu'on me la racontait à cette époque. (Ce sont de très vieux souvenirs, aussi me sera t'il beaucoup pardonné...)

« Saint-Victurnien était un prince écossais qui s'était retiré dans la vallée de la Vienne pour y vivre une vie d'ermite. Il s'établit auprès d'une source. Une vache, venue d'un village voisin traversait quotidiennement la rivière pour venir écouter les prêches du saint. Intrigué par le comportement du bovidé, les villageois suivirent l'animal, et découvrirent l'ermite. Le saint homme guérit miraculeusement plusieurs personnes. L'évêque fut mis au courant des faits et se déplaçât pour juger lui même de la situation. À l'arrivée de l'évêque, l'homme était mort. Le caractère « saint » de l'ermite fut établi. Puis arriva une délégation écossaise pour récupérer le corps. Mais au lieu-dit « la Croix des Châtaignolles », les bœufs qui tiraient le chariot ne purent quitter la vallée comme si leur chargement était devenu soudain trop lourd. Les reliques restèrent donc dans la vallée où elles devinrent l'objet d'un culte. »
Des guérissons miraculeuses continuèrent, bien entendu, à avoir lieu. Ces miracles étaient le fait des reliques du saint exposées dans l'église selon Monsieur le curé, mais étaient surtout dû aux vertus de la fontaine miraculeuse d'après les « vieux » du village.

Vous comprendrez donc, j'espère, pourquoi l'association « Guérisseur / Source / Vache / Borvo / Damona » c'est faite dans mon esprit. Mais s'il est vrai qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, il est surement vrai aussi, qu'il faut plus qu'une vache pour faire un dieu gaulois, sinon Fernandel entrerait instantanément dans le panthéon celtique grâce à sa Marguerite. Les vagues souvenirs de catéchisme d'un vieil athée étant décidément fort peu de choses, je décidais de « gratter » un peu...

Bilan de mes premières recherches :

Saint Victurnien étant un saint très « mineur », je n'ai quasiment rien trouvé à la BFM de Limoges (Bibliothèque Francophone Multimédia).

Sur le Web, pas grand choses non plus... À part ce petit texte :

http://saintamand87.chez-alice.fr/VICTU ... 5B1%5D.htm

Ce n'est pas encourageant, ma vache a disparu, pour devenir un « bœuf mugissant ». Le Saint est mort sans avoir pu accomplir aucune guérison miraculeuse ni faire la démonstration de sa « sainteté ».

Je n'ai pas jugé nécessaire de contacter le rédacteur de ce texte, car j'ai retrouvé exactement le même récit dans un « Programme officiel des Ostentions de 1974 à Saint Victurnien ». Le texte trouvé sur le Net n'est qu'un copier/coller du susdit programme.

Je me suis donc rendu à l'évêché. Je connais mal le fonctionnement des structures religieuses, mais l'accueil fut plutôt sympathique. Un monsieur prit sur son temps (il avait visiblement pas mal d'autres choses a faire) pour me répondre. Réponses sommaires, mais bon, comme je l'ai dit , la personne semblait occupée.
Bref, il me fit les photocopies de quelques pages d'un bouquin (dont je n'ai pas eu le loisir de prendre les références).

Voici ce que dit la page qui parle un peu du Saint :

« SAINT VICTURNIEN

Sa « vie », rédigée dans un latin de type humanistique, en fait dans la transcription du chanoine Collin, un « Écossais de bonne naissance », venu s'établir au bord de la Vienne à environ quatre lieues de Limoges en un endroit « si sauvage qu'on l'appelait la Vallée Ténébreuse ». Fuyant le commerce des hommes, Victurnien ne négligeait pas de soulager ou guérir les aveugles, les sourds et particulièrement, « ceux qui dans l'ardeur d'une fièvre aiguë tombent en quelque frénésie ou, par quelque accident sinistre, venaient à perdre l'usage de la raison » (Il s'agit sans doute d'une allusion au « Mal des Ardents »). On retrouve ici quelques lieux communs hagiographiques avec apparemment une méprise quant aux origines du pieux ermite dont le nom n'a rien de celtique.

D'ailleurs si Geoffroy de Vigeois signale l'existence de ses restes sur les bords de la Vienne, Bernard Gui précise qu'il repose dans l'église du lieu, dédiée au premier martyr Étienne. Il semble bien que la dévotion populaire ait ici aboli, comme parfois, le vocable ancien au profit du saint local « canonisé » par la foule. Bernard Gui ajoutait que sa vertu essentielle était de faire échapper ceux qui l'invoquent à la dent du loup et des bêtes féroces.

De Victurnien que l'on peut situer dans le temps au VIIe siècle, on dit qu'il est mort un 30 septembre. Sa fête fut déplacée au 1er octobre pour laisser la place à saint Rémi et à saint Vaast, à la fin du XVIIe siècle. L'invention de ses reliques se célébrait le 15 octobre.

Le « Pouillé » de la fin du XVIIIe siècle ne relevait que deux emplois du vocable dans tout le diocèse. Le tombeau du saint, surmonté d'un autel maçonné et revêtu de peintures au XVe siècle, comporte un passage à demi enterré et à l'arrière, deux ouvertures circulaires où l'on passait par dévotion la tête, les mains ou des mouchoirs, disposition semblable à celle des églises de Saint-Cessateur à Limoges, aujourd'hui détruite, de Saint Junien et d'Uzerche. Un ancien buste reliquaire portait dans le bas une inscription latine qui avait déjà disparu au XVIIe siècle mais qui signalait le don fait l'église dans les années 1400 par Adémar de Rochechouart, archidiacre de Dijon.

J.D.

Bibliographie :

On consultera : Collin, 1672, p. 425-428 ; Legros : ms. 26 (3), p. 1191-1200 ; Geoffroy de Vigeois, p. 26 ; Aubrun, p. 324-325 ; Saints limousins et marchois des églises de la Haute-Vienne, 1991, p. 134-135 ; Becquet, Répertoire alphabétique... »


Trois autres pages seulement contenaient des bribes d'informations :

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À quelles informations ont eu accès L. Bonnaud et J. Perrier pour identifier Saint Victurnien à sa vêture de feuillage ?

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Tiens, voilà ma vache qui refait surface ! Dans un rôle nourricier, et présente au moment du décès...

On peut voir l'image de la scène de la découverte du corps en 17ème position sur la page Web suivante : http://www.culture.gouv.fr/public/mistr ... 4%24%2534P

Bref, cette histoire semble avoir subi plein de distorsions et je ne suis pas certain d'arriver à m'en démêler tout seul... :s49:
Qu'en pensez vous ? Dans quelle direction dois-je poursuivre mes investigations ?

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Dim 19 Juin, 2011 17:56
de Alexandre
C'est un début intéressant.
Voici qui pourrait t'aider à continuer : viewtopic.php?f=5&t=5466&p=69001&hilit=Quentin#p69001

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Dim 19 Juin, 2011 23:53
de Alexandre
Les dates de mort des saints sont un codage mythologique. Demande-toi quels autres saints sont fêtés ou sont réputés morts un 30 septembre.

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Lun 20 Juin, 2011 11:31
de Latomaros
Merci de tes encouragements Alexandre.

C'est vrai, je n'ai pas encore trop cherché du côté des dates.

J'avais juste relevé que le 15 octobre (date retenue pour célébrer l'invention des reliques de Saint Victurnien) était la veille de la fête de Saint Junien.

Le 16 octobre, on fête donc Saint Junien (disciple de Saint Amand de Coly), autre saint local qui présente des caractéristiques intéressantes. Il est invoqué pour guérir la cécité et il a vaincu un dragon. Saint Junien est à moins de 10 km de Saint Victurnien.

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Lun 20 Juin, 2011 11:56
de Alexandre
Tout ça est décidément très luguien...

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Mar 21 Juin, 2011 20:36
de Latomaros
Du côté des dates rien de flagrant. Il y a bien un ou deux trucs qui demandent à être approfondit, mais... Je garde cette partie du dossier sous le coude... Pour plus tard.

Je vais essayer de me procurer des versions plus anciennes de la vie du Saint. À ce stade ça me parait indispensable...

Sinon, il a deux autres saints dont les légendes présentent des "thèmes " assez approchants. Je creuserais aussi dans cette direction... Plus tard aussi.

Saint Berthevin de Parigny dans la légende duquel apparaissent les thèmes "Vache" et "Source miraculeuse".

Et Saint Herbot, saint (non officiel) patron des "bêtes à cornes", sa légende le dit originaire d'une puissante famille de l'ile de Bretagne venu vivre en ermite dans la forêt armoricaine. Il était obéi même des bêtes sauvages.

Saint Berthevin de Parigny se fête le 11 juillet et Saint Herbot se fête le 17 juin. Donc, aucun rapprochement au niveau des dates dans ces deux cas.

Bref, je continu (dans le brouillard) mes investigations... :D

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 9:26
de Patrice
Salut,

Voilà un dossier qui pourrait être intéressant. Cependant, il manque, pour que les choses soit flagrantes, deux éléments:
1. que la fontaine ou source soit bouillonnante;
2. qu'il y ait punition des parjures.
S'il y avait eu l'un ou l'autre, oui, alors on aurait pu .

Il y a quelques petites choses en plus ici concernant son culte.

Des choses ici sur les pratiques liées à la fontaine.

Les Petits Bollandistes donnent comme variante à son nom Vertunien. Je ne sais d'où ils tirent ça, mais faut-il le lier avec une divinité masculine particulièrement bien attestée en (Grande-)Bretagne, et spécialement sur le limes: Veter/Veteres/Vheteris/Viter/Vitiris/Votris, etc.: il y a plein de variantes orthographiques?

Je note qu'à Souleure / Solothurn, en Suisse, on honore à la même date un saint Victor, en compagnie de saint Ours, martyrs de la légion thébaine. La même ville honore au 1er septembre saint Verène, leur compagne, que j'ai rapprochée d'Epona (fêté au même endroit le 20 août).

A+

Patrice

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 11:30
de Alexandre
Patrice a écrit:Salut,

Voilà un dossier qui pourrait être intéressant. Cependant, il manque, pour que les choses soit flagrantes, deux éléments:
1. que la fontaine ou source soit bouillonnante;
2. qu'il y ait punition des parjures.
S'il y avait eu l'un ou l'autre, oui, alors on aurait pu.

Pas forcément : A Delphes, Apollon est associé à la source Telphousa, qui n'est ni bouillonnante, ni ordalique.

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 11:33
de Patrice
Salut,

Oui mais là on parle des Celtes.

A+

Patrice

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 12:10
de Alexandre
Certes, mais les Grecs font un si bon modèle des Celtes en matière de mythologie, même christianisée...

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 15:27
de Patrice
Salut,

Oui, enfin pas à ce point.
Pour le monde hellénistique, j'avais noté une concordance avec le mythe de Boand et du puits de Nechtan (Boand étant vraisemblablement Damona). C'est dans la Vie d'Apollonios de Tyane par Philostrate (I, 6). Il y avait à Tyane (Asie mineure), « une source que l’on dit appartenir à Zeus-des-Serments et que l’on appelle la Fontaine d’Asbama : son eau jaillit froide, mais elle bouillonne, comme celle d’un chaudron que l’on chauffe. Cette eau est favorable et douce à qui est fidèle à ses serments, mais aux parjures, elle apporte un prompt châtiment ; elle s’en prend à leurs yeux, à leurs mains et à leurs pieds. […] Les gens du pays assurent qu’Apollonios était le fils de ce Zeus, mais Apollonios lui-même se disait fils d’Apollonios »

Là, on a plus un Apollon, même si Philostrate rappelle peut après la nature d'Apollonios, mais un Zeus.

A+

Patrice

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 16:17
de Alexandre
Tout ça ressemble surtout à Poseïdon, d'autant qu'un peu plus loin, le texte se réfère au caractère lieur du dieu de la source. J'ajoute qu'Asbama est un mot probablement pisidien qui se rapport au cheval.

Le bouillonnement renvoie de façon évidente à l'Apam Napat, mais ce dernier évoque surtout Rudra-Varuna (aujourd'hui cantonné dans un rôle de dieu des océans), et à travers lui Dionysos, et probablement Karnonos, qu'Apollon, et à travers lui Lug. Je concède qu'ils sont souvent difficiles à distinguer à partir de seulement quelques éléments mythiques ou rituels, à plus forte raison indirects.
On peut jeter un oeil à l'article de Sergent sur Poseidon et Manannan dans "Celtes et Grecs II". Il évoque une source ordalique sur le mode de la légende de Boand, mais en Grèce continentale.

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 16:48
de Patrice
Salut,

Que la fontaine ressorte de Neptune (et consorts), d'accord, mais son propriétaire final n'a pas forcément à voir avec lui. Zeus ici, mais en Gaule, c'est bien un Apollon:

http://encyclopedie.arbre-celtique.com/ ... n-1256.htm

A+

Patrice

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Ven 24 Juin, 2011 23:07
de Latomaros
Patrice a écrit:Cependant, il manque, pour que les choses soit flagrantes, deux éléments:
1. que la fontaine ou source soit bouillonnante


Hélas... :( Au mieux, peut on la qualifier de "gentiment glougloutante".

Voir les photos sur ce site : http://www.fontainesdefrance.info/fonta ... urnien.htm

Patrice a écrit:2. qu'il y ait punition des parjures.


Aucun élément ne va dans ce sens. :(

Patrice a écrit:Les Petits Bollandistes donnent comme variante à son nom Vertunien. Je ne sais d'où ils tirent ça


Saint victurnien se dit "Sent vertunian" en occitan.

Merci Patrice, pour les précisions sur les dévotions...

Les Dévotions complètes comprennent les dévotions à la croix des Châtaignolles, les dévotions à la fontaine et la « sortie » du saint, l’exposition et l’impositions des reliques.
Le curé dirige cette dernière partie de la cérémonie aidé du sacristain , d’un enfant de chœur et « d’une femme des dévotion ».
Ces femmes sont payées par les malades d’après le tarif suivant :
0 f 30 pour les dévotions à la fontaine
1 f 00 pour kes dévotions à la croix des Châtignolles
16 f 75 pour les dévotions complètes

Sur ces 16 f 75, le curé prélève 2 f, la fabrique 5 f, l’enfant de chœur 0 f 75 et la femme des dévotion 9 f, à charge par elle de faire, pendant neuf jours consécutifs, les dévotions à la croix des Châtaignolle et à la fontaine. Le jour de la sortie du saint, elle dîne de droit à l’hôtel avec le malade et ceux qui l’ont accompagné. Ces derniers lui laissent comme cadeau du linge ou des vêtements appartenant au malade ; elle leur donne en retour une bouteille d’eau de la fontaine, du pain et du vin qu’elle a fait bénir et que le malade doit prendre chaque matin pendant les neufs jours qui suivent .
De tout temps les dévotions de Saint-Victurnien ont été approuvées et encouragées par les curés, qui du reste, en bénéficient. Seul M. Deschamps, curé de 1873 à 1877, essaya de les interdire mais en vain.


J'ai appris récemment que mon arrière grand mère était une de ces "femmes des dévotions". :D

Re: Saint Victurnien : Borvos et Damona ?

MessagePosté: Sam 25 Juin, 2011 9:37
de Latomaros
On ne pourra manquer de relever, (dans le même lien que celui des "dévotions à Saint Victurnien) l'intéressante affaire de la Font-bouillant de Rochechouart.

Nom de la fontaine : Font-bouillant.
Nom de la seconde église locale : Saint Julien de Biennac
Nom du ruisseau local : Graine

Rochechouart étant à moins de 6 km des thermes (et sanctuaire) gallo-romains de Cassinomagus à Chassenon.

(On relèvera aussi, mais c'est plus anecdotique, le hameau de "Brethenoux" :biere: à mi-chemin entre Rochechouart et Chassenon... )