Bonjour à Tous,
Je me permets de reprendre la suite du fil – en théorie concernant l’étude du bouclier gaulois – mais qui a plus que très largement dévié vers l’étude du « fauchage » à la lance à une main apparemment pratiqué par les Sikhs.
Si je me permets de le faire c’est surtout dans le but peu avouable de proposer qu’on oublie joyeusement cette idée de prétendu fauchage gaulois récurrente qui était déjà apparue de manière incidente dans le fil concernant « l’Equipement et l’Art de la Guerre chez les Gaulois ».
Je rejoints totalement les avis de Sedullos et de Genava sur l’improbablilité d’un tel usage des lances à fers larges chez les Gaulois, même si l’expérience initiée par Yves le Bechenec reste intéressante pour l’expérience en elle-même.
Plusieurs choses me font particulièrement bondir en ce qui concerne cette théorie du fauchage Sikh appliquée aux méthodes de combat des Celtes.
En 1er lieu :
Une telle manœuvre aussi hasardeuse dans sa manipulation que dans son efficacité réelle sur la cible choisie me ferait – dans un contexte de combat réel avec obligation de mettre hors « hors service » mon adversaire – abandonner d’office une telle idée, à moins que je ne sois moi-même suicidaire.
Je suis d’accord de risquer ma vie dans un combat, mais pas de manière aussi bête en me donnant en plus moi-même l’occasion de perdre.
Comme l’ont si bien soulignés Genava et Sedullos ; s’amuser à faire une telle manœuvre avec un baton muni d’une extrémité bluntée n’est en rien comparable à la manipulation d’une véritable lance d’estoc, muni d’un large fer à son extrémité.
Ça n’est pas seulement la question de la difficulté de la torsion du poignet – laquelle est déjà largement évidente comme l’a bien expliqué Genava – mais surtout le fait que le poids important de ce type de fer de lance ne déséquilibre complètement la trajectoire courbe de la totalité de la hampe.
Et surtout au final qu’en bout de course la force de l’impact du fer de lance comme de son efficacité réelle sur la cible choisie ne soit furieusement amortie par son propre poids si tant est qu’elle n’ait pas aussi été ralentie entre temps rien que par des herbes hautes, comme le suggère si justement Genava.
Mieux vaut donc être sûr de son terrain de bataille et préférer combattre en bord de plage ou sur une surface plane dotée d’un gazon coupé court, sans arbres, buissons ou monticules d’aucune sorte.
Exit les embuscades en forêts…
D’autre part, dans un contexte de combat véritable avec les mouvements des uns et ceux des adversaires, le pratiquant de ce « fouetté » a intérêt à être particulièrement sur-entrainé pour arriver à calculer le point d’impact réel de son fer de lance au bout de sa trajectoire courbe – tout comme et surtout – de son efficacité réelle.
Si les GDE ont pû faire quelques essais ; Sedulos a bien dû se rendre compte que même uniquement avec une hampe bluntée à son extrémité ; le « faucheur » arrive au mieux à « taper » dans le mollet de la jambe gauche de sa cible…mais non pas avec le tranchant du fer de lance mais bien plus sûrement avec une partie de la hampe elle-même.
L’efficacité réelle d’un tel bobo sur sa cible est tellement nulle rien que dans l’idée, que jamais aucun combattant ne risquerait de perdre sa lance pour un tel résultat.
Car un mouvement de fauchage aussi ample se voit venir à dix kilomètres et le temps que la hampe ne finisse sa trajectoire courbe, un combattant aguerri – entendons par là rien que « vigilant et réactif» aura eu le temps de contrer la manœuvre en décallant son long bouclier oval sur la gauche juste le temps nécessaire pour bloquer le fer de lance, voire bloquer l’extrémité de la hampe elle-même au sol ou la casser – ce qui aurait pour effet de priver dès le début son assaillant « faucheur » de son arme la plus utile.
En termes de pourcentages réels d’efficacité de la manœuvre, concevons que cette dernière est tout bonnement franchement nulle, surtout en comparaison du pourcentage de risques de perdre sa lance dès le début du combat.
Ce qui est concevable en terme d’efficacité chez les Sikhs qui ne portent qu’une rondache à mi-corps- et donc la moitié basse du corps largement dégagée - , ne l’est pas du tout pour des combattants gaulois dont la longueur du bouclier oval permet aisément de stopper la course en demi-cercle d’une lance « faucheuse » vers le bas, c’est-à-dire vers la jambe gauche que le « faucheur » choisira de moissonner...
D’autre part, la réalisation d’une telle manœuvre déséquilibre complètement le « faucheur » qui se met donc de lui-même en danger, puisqu’à demi-plié en deux pour avoir tenté de faucher la jambe gauche de son adversaire ; celui-ci n’est plus suffisamment en position stable sur ses appuis et de surcroît son regard orienté vers le bas ne sera plus assez attentif l’espace d’un instant à la riposte de son adversaire, lequel pourra aisément le bousculer à terre rien qu’avec un simple percutite de son bouclier.
En second lieu : dans un contexte de bataille rangée, il apparait bien plus évident que les combattants de 1ère ligne ne se comportent pas dans leurs actions en égoïste et en total désintérêt des actions de leur voisin.
J’ai beaucoup de mal à imaginer qu’un combattant lambda ne décide brusquement tout seul à faire du fauchage, alors qu’en théorie – et surtout dans une logique de « phalange de lanciers gaulois » - même moins soudée boucliers sur boucliers qu’une phalange grecque du Ve - , on peut largement supposer que les guerriers ne combattaient pas de manière purement égoïste et totalement individuelle, sans tenir compte de leurs voisins et camarades de combat.
Il est de toutes manières totalement illusoire d’imaginer un « faucheur » au milieu même d’un corps de combattants dont toutes les lances sont destinées à frapper en trajectoire directe de l’arrière vers l’avant.
Au mieux : 1 seul combattant aurait pu être placé à l’extrémité droite de la 1ère ligne de combat, surtout afin de ne pas gêner les manœuvres de son propre camp…
On le voit bien : l’efficacité réelle d’une telle action réservée à uniquement 1 seul guerrier potentiel au sein du mode de combat gaulois est tellement nulle qu’on a peine à croire qu’on l’ait réellement pratiqué.
Donnez une telle lance à un hallebardier Suisse du XVe siècle : jamais il ne l’utilisera comme un fouet, mais bien effectivement en manœuvre de « Bêche » et à deux mains qui plus est.
Car au final : c’est tout-de-même bien la forme de l’outil qui détermine son utilisation et les grands et larges fers de lances celtes servaient davantage – à mon avis – bien plus à « saigner » et à découper les chairs aux endroits découverts où on peut les atteindre : principalement sur le flanc gauche de l’adversaire : du niveau du coup (juste sous la colerette du casque pour ceux qui en portent), au bras, flanc et cuisse gauche s’ils sont découverts (pour ceux qui ne portent pas de cottes de mailles au niveau du corps).
Le « travail » d’entailles et de découpes qui devait s’opérer alors grâce à ces grands Fers de lance était sans doute bien plus comparable à celui pratiqué par les légionnaires avec le glaive : les points d’impacts sur tout le flanc gauche et le mode de blessures par découpe sur toute la longueur du tranchant de la lame lorsqu’on la ramène vers soi ne devaient pas être très éloignés entre les deux types d’armes et de toute évidence bien plus efficace qu’en espérant fouetter ou trancher je ne sais quoi à travers des braies.
Même la hallebarde Suisse du XVe siècle dont le fer présente effectivement une partie davantage en forme de tranchoir que les larges fers celtes de la fin de La Tène n’est pas du tout utilisée en technique de fauchage de manière latérale, mais dans l’intention de fendre par un geste vertical du haut vers le bas et à 2 mains - sous forme de hachoir de boucher ou de hache de bucheron – dont personne ne peut douter que les milices cantonales devaient être abondamment pourvues de représentants de ces métiers en question, plus habitués à ce type de manœuvres qu’à faucher latéralement.
Autant utiliser une faux dans ce cas-là, ce sera plus efficace.
Si l’idée de vouloir faire tester à des combattants Sikhs des armes qu’ils ne connaissent pas est intéressante en soi, je ne suis pas du tout convaincu qu’il faille réellement tenir compte de tels résultats pour le mode de combat gaulois – et plus largement : au Combat Antique au bouclier et à la lance.
Autant faire tester la manœuvre des glaives romains - uniquement utilisés en estoc direct de coups très courts - à des Samouraï accoutumés à une gestuelle verticale et horizonthale très ample de leurs katanas et qui combattent essentiellement pour « trancher » leurs adversaires.
L’expérience serait sans doute très intéressante, mais tout aussi peu concluante…
Pourquoi chercher effectivement aussi loin des comparatifs en terme de méthodes de combats ?
Les guerriers antiques qui ont tous combattu avec la lance et le bouclier – qu’il s’agisse des Grecs, étrusques, italiques et autres peuples latins – n’ont manifestement jamais ressenti le besoin de « faucher » leurs adversaires ??
A moins qu’on nous ait menti ??
Quid du maniement de la lance d’estoc chez les Grecs ??
Il était de toute évidence bien plus proche de ce qu’ont pratiqué les Celtes que les Sikhs…
S’il me venait à l’esprit un seul peuple guerrier auquel je ferai tester le mode de combat gaulois à la lance ET avec le bouclier long et oval ; je choisirais bien plus les guerriers Zoulous d’Afrique du Sud de la fin du XIXe siècle, déjà plus accoutumés à un mode de combat similaire par le simple fait que leurs boucliers aient à peu près la même forme et taille, tout comme certains de leurs grands Fers de lance (je mets de côté les assegaï courtes dont le maniement se rapprocherait lui bien plus du glaive romain).
Voilà une expérience qui serait des plus intéressantes à observer, rien que pour en tirer des enseignements sur les modes de déplacements et d’utilisation de la lance et du bouclier oval (plus pratique manifestement pour la course, la charge et la guerre de mouvement rapide que le scutum romain)…
Le « Crochetage » :
Enfin pour la question du « crochetage » - très justement mise en doute par Leukirix à propos de certains fers de lances partiellement ajourés sur leurs tranchants d’ « échancrures curvilignes » ; on peut effectivement mettre en doute l’efficacité d’un tel « dispositif » aussi faible pour le crochetage d’un bouclier…
Car il ne suffit pas déjà de pouvoir coincer et maintenir une telle échancrure sur le bord d’un bouclier, encore faut-il pouvoir au même moment exercer une pression suffisamment forte sur la hampe pour tenter d’ouvrir ou de faire basculer la partie supérieure du bouclier de son adversaire – et ce avant que le porteur du bouclier en question ne vous arrache lui-même la hampe des mains en tirant son bouclier fortement vers soi.
En gladiature ; l’expérience du crochetage latéral du scutum du mirmillon avec la sica du Thrace montre bien que même en combat rapproché et avec une pression très forte et directe du poignet sur la sica, il n’est pas si évident de pouvoir « ouvrir » le bouclier de son adversaire comme une huître.
Le seul outil de crochetage efficace montée sur hampe qui permette une telle chose reste bien evidemment le trident du rétiaire dont les angles perpendiculaires des fourches latérales permettent de se câler efficacement et de « tenter » de crocheter le bouclier de son adversaire… Et encore, çà ne marche pas à tous les coups..loin de là…
Quid de l’intérêt de ces échancrures alors ?
Décoration ? Fers d’Enseignes ?
Ou Fers d’utilisations polyvalentes ?
Cette question m’en rappelle justement une autre que je me permets de vous soumettre pour comparaison :
Sur le site Romae Victrix ;
http://www.roma-victrix.com/signa/signa_signa.htmles Italiens considère ce Fer à forme de trident conservé au musée de Worms comme étant un Fer d’Enseigne militaire.
Un type de modèle quasi similaire, dont un fragment fut trouvé à Kempten est pourtant identifié par les Allemands (Exposition sur la Gladiature - Musée Romain d’Augsburg – Printemps 2012) comme étant un fer réel de trident de rétiaire, tout en indiquant que cet élément a toutefois été identifié ailleurs (Londres, Worms) comme étant un Fer d’Enseigne.
Lequels ont raison ?, lesquels ont tort ?
Ce qui sûr c’est qu’il ne s’agit pas d’un modèle de fer de trident tel que représenté traditionellement sur les iconographies : les 3 fourches n’ayant pas la même longueur et celle du centre ayant davantage la forme d’un fer de lance que d’une pointe de trident.
Car la force réel du trident du rétiaire réside surtout dans l’impact créée par la pression des 3 pointes de même longueur en même temps et sur une même surface : le casque du secutor ou son bouclier.
Utilisé en gladiature, ce fer n’aurait eu qu’un rôle de fer de lance.
Mais très curieusement, la reconstitution produite par les Allemands du fragment trouvé à Kempten ne reproduit pas du tout cette forme de fer de lance, mais à la place une pointe de trident en section quadrangulaire de pilum ??
Curieuse manipulation…
En revanche, un Fer de lance gaulois, même légèrement échancré pourra toujours être utilisé au combat – si tant est que les tranchants soient effectivement correctement aiguisées comme pour tout Fer de lance de combat.
Mais ça, je pense que des spécialistes comme Leukirix en savent largement plus sur la question que moi…