Le désert des Helvètes
Ptolémée (Géographie, II, 11, 10) évoque une contrée de Grande-Germanie qu'il dénomme Ἐλουητίων Ἔπρημος, le "désert des Helvètes", qu'il localise au sud des ἀβνοβαίων ὀρέων ("les montagnes d'Abnoba", la Forêt Noire, le Kraichgau et l'Odenwald), dans le voisinage d' ἀλπείων ὀρέων ("les montagnes d'Alpeion", le Jura Souabe). Ce témoignage est corroboré et complété par Tacite (Germanie, XXVIII, 2) qui localise également l'établissement originel des Helvètes sur la rive droite du Rhenus (le Rhin), entre ce fleuve, le Moenus (le Main) et la Hercyniam siluam (la Forêt Hercynienne, les forêts du piémont nord des Alpes). Le territoire qui leur est attribué correspond à la portion méridionale de ce que les Romains appelleront par les suite Agri Decumates (les "Champs Décumates").
Tacite, Germanie, XXVIII, 2 : "Ainsi les Helvètes s'établirent entre la forêt hercynienne, le Rhin et le Main, tandis que les Boiens se fixaient encore plus à l'intérieur. Ce sont deux peuples gaulois. Le nom de Bohème subsiste encore, qui évoque d'antiques souvenirs liés à ce lieu, même si les occupants en ont changé."
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Dans les ouvrages antiques, la notion de "désert" se rapportait le plus souvent à des territoires désertés / fuis par un peuple, dans le cadre d'une migration plus ou moins volontaire. Un autre cas relativement bien documenté, le désert des Boïens, en constitue une parfaite illustration. En 58 av. J.-C., lorsque César dut intervenir en Gaule, il localisait les Helvètes sur la rive gauche du Rhin, entre ce fleuve, le Jura, le Lac Léman et le Rhône (Guerre des Gaules, I, 2). Le départ des Helvètes de leur foyer originel était donc antérieur. Dans quel cadre et à quelle date se fit-il ?
L'histoire des Helvètes est relativement mal connue, cependant, à partir des éléments en notre disposition deux événements, peut-être complémentaires, pourraient expliquer leur migration :
- Du temps de César (58 av. J.-C.), les territoires jadis occupés par les Helvètes étaient occupés par les Suèves et leurs alliés, les Harudes, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens et Marcomans. Nous savons par ailleurs que c'est notamment en raison des conflits incessants qui les opposaient à ces derniers et la promiscuité de leur territoire (Guerre des Gaules, I, 1 ; I, 2), que les Helvètes entreprirent de migrer à travers la Gaule. Ont-ils été repoussés, par la passé, par cette vaste confédération de peuples germaniques ? César n'en dit rien et ne laisse aucunement supposer que leur installation dans la région était récent.
- Lorsque les Cimbres franchirent le Rhin (113-109 av. J.-C.), César (Guerre des Gaules, I, 12 ; I, 14), Strabon (Géographie, IV, 1, 8 ; VII, 5, 1), Tite-Live (Histoire romaine, LXV) et Appien (Extrait des Celtiques, III) nous apprennent qu'une partie des Helvètes se joignit à eux pour piller la Gaule. Ambrones, Tigurins et Toygènes étaient en effet des peuplades helvètes (et pourquoi pas les Teutons, mentionnés pour la première fois en Gaule au moment du franchissement du Rhin ?). Lorsque les Tigurins anéantirent les légions de Lucius Cassius, ils le firent "sur les frontières des Allobroges" selon Tite-Live, peuple voisin des Helvètes du temps de César. Lorsque les Teutons furent vaincus à la bataille d'Aquae Sextiae (102 av. J.-C.), certains refluèrent et furent faits prisonniers par les Séquanes, autre peuple voisin des Helvètes du temps de César. Après la bataille de Verceil, les Tigurins fuirent l'Italie à travers les Alpes noriques. Peut-être est-il possible de penser que les différentes peuplades constituant les Helvètes refluèrent vers un territoire qui n'était pas le leur originellement ?
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