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Histoire des Francs - Livre V |
GREGORII TURONENSIS
HISTORIA FRANCORUM
LIBER QUINTUS
Taedit me bellorum civilium diversitatis, que Francorum gentem et regnum valde proterunt, memorare; in quo, quod peius est, tempore illud quod Dominus de dolorum praedixit initium iam videmus: Consurgit pater in filium, filius in patrem, frater in fratrem, proximus in propinquum. Debebant enim eos exempla anteriorum regum terrere, qui, ut divisi, statim ab inimicis sunt interempti. Quotiens et ipsa urbs urbium et totius mundi capud ingens bella civilia diruit; quae cessante, rursum quasi ab humo surrexit. Utinam et vos, o regis, in his proelia, in quibus parentes vestri desudaverunt, exercimini, ut gentes, vestra pace conterritae, vestris viribus praemirentur! Recordamini, quid capud victuriarum vestrarum Chlodovechus fecerit, qui adversos reges interficet, noxias gentes elisit, patrias subiugavit, quarum regnum vobis integrum inlesumque reliquit! Et cum hoc facerit, neque aurum neque argentum, sicut nunc est in thesauris vestris, habebat. Quid agetis? Quid quaeritis? Quid non habundatis? In domibus dilitiae supercrescunt, in prumtuariis vinum, triticum oleumque redundat, in thesauris aurum atque argentum coacervatur. Unum vobis deest, quod, pacem non habentes, Dei gratiam indegetis. Cur unus tollit alteri suum? Cur alter concupiscit alienum? Cavete illo, quaeso, apostoli: Si ab invicem mordetis et comeditis, vidite, ne ab invicem consummamini. Scrutamini diligenter veterum scripta, et videbitis, quid civilia bella parturiant. Requirite, quod de Carthaginensibus scribat Orhosius, qui, cum post septingentos annos subversam dicat civitatem et regionem eorum, addidit: Quae res eam tamdiu servavit? Concordia. Quae res eam post tanta distruxit tempora? Discordias. Cavete discordiam, cavete bella civilia, quae vos populumque vestrum expugnant. Quid aliud sperandum erit, nisi cum exercitus vester caeciderit, vos sine solatio relicti atque a gentibus adversis oppressi protinus conruatis? Si tibi, o rex, bellum civili delectat, illut quod apostolus in hominem agi meminit exerce, ut spiritus concupiscat adversus carnem et vitia virtutibus caedant; et tu liber capite tuo, id est Christo, servias, qui quondam radicem malorum servieras conpeditus.
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Il me pèse d'avoir à raconter les vicissitudes des guerres civiles qui écrasent la nation et le royaume des Francs, et, chose cruelle, nous ont déjà fait voir ces temps marqués par le Seigneur comme le commencement des calamités; Le frère livrera le frère à la mort, et le père le fils; les enfants se soulèveront contre leur père et leur mère, et les feront mourir. Ils auraient dû cependant se laisser enrayer par les exemples des rois anciens qui, une fois divisés, succombaient aussitôt sous leurs ennemis. Combien de fois la ville des villes elle-même, la capitale du monde entier, n'a-t-elle pas été vue, en s'engageant dans la guerre civile, tomber du coup, et, la guerre cessée, se relever comme de terre - Plût à Dieu et à vous, ô rois - que vous voulussiez exercer vos forces dans des combats semblables à ceux que livrèrent vos pères à la sueur de leurs fronts, afin que les nations, frappées de terreur à la vue de votre union, fussent subjuguées par votre valeur. Rappelez-vous ce qu'a fait Clovis, celui qui marche en tête de toutes vos victoires, ce qu'il a mis à mort de rois ennemis, anéanti de nations contraires, subjugué de pays et de peuples ; par quoi il vous a laissé le royaume dans. toute sa force et son intégrité ; et lorsqu'il fit ces choses il ne possédait ni or ni argent, comme vous en avez maintenant dans vos trésors. Que faites-vous ? que demandez-vous ? quelles choses n'avez-vous pas en abondance ? Dans vos maisons les délices surpassent vos désirs; vos celliers regorgent de vin, de blé, d'huile ; l'or et l'argent s'accumulent dans vos trésors. Mais une seule chose vous manque, la grâce de Dieu, parce que vous ne conservez pas entre vous la paix. Pourquoi l'un prend-il le bien de l'autre ? Pourquoi chacun convoite-t-il ce qui n'est pas à lui ? Prenez garde, je vous en prie, à ce que dit l'apôtre : Si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres. Examinez avec soin les écrits des anciens, et voyez ce qu'ont engendré les guerres civiles ; recherchez ce qu'a écrit Orose sur les Carthaginois, lorsque racontant qu'après sept cents années leur ville et leur empire furent détruits, il ajoute : Qui les a conservés a si longtemps ? la concorde ; qui les a détruits après un si long temps ? la discorde. Garder vous de la discorde, gardez-vous des guerres civiles qui vous tourmentent vous et vos peuples. Que pouvez-vous espérer, si ce n'est qu'après la destruction de vos armées, demeurés sans appui, vous ne tombiez bientôt accablés par les nations ennemies ? Si la guerre civile te plaît, ô roi ! exerce-toi à ces combats que l'apôtre avertit l'homme de livrer en lui-même ; que l'esprit ambitionne de surmonter la chair, et que les vices soient vaincus par les vertus : libre alors, sers ton maître qui est le Christ ; au lieu qu'enchaîné tu servais celui qui est la source de tout mal.
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1. De Childeberthi iunioris regno et matre eius. |
Igitur interempto Sigybertho rege apud Victuriacum villam, Brunichildis regina cum filiis Parisius resedebat. Quod factum cum ad eam perlatum fuisset et, conturbata dolore ac lucto, quid ageret ignoraret, Gundovaldus dux adpraehensum Childeberthum, filium eius parvolum, furtim abstulit ereptumque ab immenente morte, collectisque gentibus super quas pater eius regnum tenuerat, regem instituit, vix lustro aetatis uno iam peracto. Qui die dominici natalis regnare coepit. Anno igitur primo regni eius Chilpericus rex Parisius venit adpraehensamque Brunichildem apud Rodomaginsem civitatem in exilio trusit thesaurisque eius, quos Parisius detulerat, abstulit; filias vero eius Meledus urbe tenire praecipit. Tunc Roccolenus cum Cinomannicis Toronus venit et praedas egit et multa scelera fecit, quod in sequenti, qualiter a virtute beati Martini pro tantis malis quae gessit percussus interiit, memoramus.
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Le roi Sigebert ayant été tué auprès de Vitry, la reine Brunehault se trouvait à Paris avec ses fils ; et comme on lui cuit apporté la nouvelle de ce qui était arrivé, et que, troublée par la douleur et le deuil, elle ne savait ce qu'elle avait à faire, le duc Gondebaud enleva secrètement son fils Childebert encore petit enfant, et, le dérobant à une mort certaine, rassembla les peuples sur lesquels avait régné son père, et l'établit pour roi à peine âgé d'un lustre. Il commença à régner le jour de la naissance du Seigneur. La première année de son règne, le roi Chilpéric vint à Paris, et, s'étant saisi de Brunehault, l'envoya en exil dans la ville de Rouen, et s'empara de ses trésors qu'elle avait apportés à Paris. Il ordonna que ses filles fussent retenues prisonnières dans la ville de Meaux. Alors Roccolène vint à Tours avec les gens du Maine, pilla et commit beaucoup de crimes. Nous raconterons ensuite comment il périt, frappé par saint Martin, en punition de tout le mal qu'il avait fait.
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2. Quod Merovechus Brunechilde accepit. |
Chilpericus vero filium suum Merovechum cum exercitu Pectavus dirigit. At ille, relictam ordinationem patris, Toronus venit ibique et dies sanctos paschae tenuit. Multum enim regionem illam exercitus eius vastavit. Ipsi vero simolans ad matrem suam ire velle, Rodomago petiit; et ibi Brunichilde reginae coniungitur, ea quoque sibi in matrimonio sociavit. Haec audiens Chilpericus, quod scilicet contra fas legemque canonicam uxorem patrui accepisset, valde amarus dicto citius ad supra memoratum oppidum dirigit. At ille, cum haec cognovissent, quod eosdem separare decernerit, ad basilicam sancti Martini, quae super murus civitatis ligneis tabulis fabrecata est, confugium faciunt. Rex vero adveniens, cum in multis ingeniis eos exinde auferre niteretur et illi, dolosae eum potantes facere, non crederent, iuravit eis, dicens: 'Si', inquid , 'voluntas Dei foret, ipse hos separare non conaretur'. Haec illi sacramenta accipientes, de basilica egressi sunt; exosculatisque et dignanter acceptis, epulavit cum eis. Post dies vero paucus adsumpto secum rex Merovecho Sessionas rediit.
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Chilpéric fit marcher vers Poitiers son fils Mérovée, à la tête d'une armée ; mais celui-ci, négligeant les ordres de son père, vint à Tours et y passa les saints jours de Pâques. Son armée ravagea cruellement tout le pays, et lui, feignant de vouloir aller trouver sa mère, se rendit à Rouen, y rejoignit la reine Brunehault et la prit en mariage. Chilpéric ayant appris que, contre l'honnêteté et les lois canoniques, Mérovée avait épousé la femme de son oncle, en sentit une grande amertume, et plus prompt que la parole, s'avança vers la ville de Rouen. Mais comme ils reconnurent qu'il avait l'intention de les séparer, ils se réfugièrent dans la basilique de saint Martin, construite en planches, sur les murs de la ville. Le roi étant arrivé s'efforça, par beaucoup d'artifices, de les engager à en sortir, et comme ils ne le croyaient pas, pensant bien que ce qu'il en faisait était pour les tromper, il leur fit serment, en disant : Puisque c'est la volonté de Dieu, je ne les forcerai point à se séparer. Ceux-ci ayant reçu son serment sortirent de la chapelle, il les embrassa, les reçut honorablement, leur fit des festins. Peu de jours après, il retourna à Soissons, emmenant avec lui le roi Mérovée.
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3. Bellum contra Chilpericum, et de malitia Rauchingi. |
Cum autem ibidem commorarentur, collecti aliqui de Campania Sessionas urbe adgrediuntur, fugatamque ex ea Fredegundem regina atque Chlodovechum, filium Chilperici, volebant sibi subdere civitatem. Quod ut Chilpericus rex conperit, cum exercitu illuc dirigit, mittens nuntius, ne sibi iniuriam facerent et excidium de utroque eveniret exercitu. Illi autem haec neglegentes, praeparantur ad bellum; commissoque proelio, invaluit pars Chilperici atque fugavit partem sibi adversam, multus ex ea strenuos atque utilis viros prosternens; fugatusque reliquos, Sessionas ingreditur. Quae postquam acta sunt, rex propter coniugatione Brunichildis suspectum habere coepit Merovechum, filium suum, dicens, hoc proelium eius nequitia surrexisse; spoliatumque ab armis, datis custodibus, libere custodire praecipit, tractans, quid de eo in posterum ordinaret. Godinus autem, qui a sorte Sigyberthi se ad Chilpericum transtulerat et multis ab eo muneribus locopletatus est, caput belli istius fuit; sed in campo victus, primus fuga dilabitur. Villas vero, quas ei rex a fisco in territurio Sessionico indulserat, abstulit et basilicae contulit beati Medardi. Ipse quoque Godinus non post multum tempus repentina morte praeventus, interiit. Cuius coniugem Rauchingus accepit, viro omni vanitate repletus, superbia tumidus, elatione protervus, qui se ita cum subiectis agebat, ut non cognusceret in se aliquid humanitatis habere, sed ultra modum humanae malitiae atque stultitiae in suos deseviens, nefanda mala gerebat. Nam si ante eum, ut adsolet, convivio utenti puer cereum tenuisset, nudari eius tibias faciebat atque tamdiu in his cereum comprimi, donec lumine privaretur; iterum cum inluminatus fuisset, similiter faciebat, usque dum totae tibiae famuli tenentes exurirentur. Quod si vocem emittere aut se de loco illo alia in parte movere conatus fuisset, nudus ilico gladius imminibat, fiebatque, ut, hoc flente, iste magna laetitia exultaret. Aiebant enim quidam, quod eo tempore duo de famulis eius, ut sepe contingit, mutuo se amore dilixisse, virum scilicet et puella. Cumque haec dilectio per duorum annorum aut eo amplius spatio traheretur, coniuncti pariter aeclesiam petierunt. Quod cum Rauchingus conperisset, accedit ad sacerdotem loci; rogat, sibi protinus reddi suos famulos excusatus. Tunc sacerdos ait ad eum: 'Nosti enim, quae veneratio debeat inpendi aeclesiis Dei; non enim poteris eos accepere, nisi ut fidem facias de permanente eorum coniunctione; similiter et ut de omni poena corporali liberi maneant repromittas'. At ille, cum diu ambiguus cogitatione siluisset, tandem conversus ad sacerdotem, posuit manus suas super altarium cum iuramento, dicens, quia: 'Numquam erunt a me separandi, sed potius ego faciam, ut in hac coniunctione permaneant, quia, quamquam mihi molestum fuerit, quod absque mei consilii coniventia ista sint gesta, illud tamen libens amplectur, quod nec hic ancillam alterius neque haec extranei servum acceperit'. Crededit sacerdus illi simpliciter promissionem hominis callidi reddeditque hominis excusatos. Quibus ille acceptis et gratias agens, abscessit ad domum suam. Et statim iussit elidere arborem truncatamque colomnam eius per capita cuneo scissam praecipit excavare; effossamque in altitudine trium aut quattuor pedum humum, deponi vas iubet in foveam. Ibique puellam ut mortuam conponens, puerum desuper iactare praecipit, positoque operturium, fossam humo replevit sepelivitque eos viventes, dicens, quia: 'Non frustravi iuramentum meum, ut non separarentur hi in sempiternum'. Qui cum sacerdote nuntiata fuissent, cucurrit velociter; et increpans hominem, vix obtenuit, ut detegerentur. Verumtamen puerum vivum extraxit, puellam vero repperit suffocatam. In talibus enim operibus valde nequissimus erat, nullam habens aliam potius utilitatem, nisi in caccinnis ac dolis omnibusque perversis rebus. Unde non inmerito taliter excessit a vita, qui talia gessit, cum frueretur hanc vitam; quod in posterum degesturi sumus. Siggo quoque referendarius, qui anolum regis Sigyberthi tenuerat et ab Chilperico rege ita provocatus erat, ut servitium, quod tempore fratris sui habuerat, obteneret, ad Childeberthum regem, Sigyberthi filium, relicto Chilperico, transivit resque eius, quas in Sessionico habuerat, Ansovaldus obtinuit. Multi autem et alii de his, qui se de regno Sigyberthi ad Chilpericum tradiderant, recesserunt. Uxor quoque Siggonis non post multum temporis spatio obiit; sed ille aliam rursus accepit.
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Tandis qu'ils étaient encore à Rouen, il s'assembla quelques gens de la Champagne qui attaquèrent la ville de Soissons, et qui, en ayant chassé la reine Frédégonde et Clovis, fils de Chilpéric, voulaient se rendre maîtres de la ville. Le roi Chilpéric l'ayant appris, y marcha avec une armée ; et leur envoya des messagers pour les avertir de ne pas l'offenser, de peur qu'il n'en résultât la perte des deux armées ; mais eux, dédaignant ce conseil, se préparèrent au combat. La bataille se livra, et le parti de Chilpéric fut vainqueur ; il mit en fuite ses ennemis, coucha sur le champ de bataille beaucoup de leurs forts et vaillants hommes, et ayant mis le reste en fuite, il entra dans Soissons. Après cela, le roi commença d'entrer en soupçon contre son fils Mérovée, à cause de son mariage avec Brunehault, disant que sa méchanceté avait été la cause de ce combat. Il lui ôta donc ses armes, et lui donna des gardes auxquels il enjoignit de veiller sur lui, songeant en lui-même à ce qu'il en ordonnerait ensuite. Godin qui à la mort de Sigebert avait passé à Chilpéric, et que celui-ci avait enrichi de beaucoup de bienfaits, était celui qui avait soulevé cette guerre ; mais vaincu sur le champ de bataille, il fut le premier à s'enfuir. Le roi lui ôta les domaines qu'il lui avait donnés de son fisc, dans le territoire de Soissons, et les transféra à la basilique de saint Médard. Godin mourut peu de temps après, de mort subite. Sa femme épousa Rauchingue, homme rempli de toute sorte de vanité, gonflé d'orgueil et d'une insolente fierté ; il se conduisait envers ceux qui lui étaient soumis de telle sorte qu'on n'apercevait pas en lui la moindre humanité ; mais cruel envers les siens, au-delà de ce qui est ordinaire à la méchanceté et à la folie humaines, il commettait à leur égard des actions détestables. Lorsqu'un serviteur tenait devant lui, comme il est d'usage, pendant son repas, un flambeau de cire allumé, il lui faisait découvrir les jambes, et le forçait d'appuyer le flambeau jusqu'à ce qu'il s'éteignît ; puis le faisant rallumer il recommençait aussi longtemps qu'il le fallait pour que le serviteur se brûlât entièrement les jambes. Si celui-ci criant ou s'efforçait de s'enfuir, on le menaçait d'une épée nue, et s'il arrivait qu'il se mît à pleurer, cela augmentait les transports de joie de son maître. On raconte que, dans ce temps, deux de ses serviteurs, un homme et une jeune fille prirent, comme il arrive souvent, de l'amour l'un pour l'autre, et après que cette affection eut duré l'espace de plus de deux ans, ils se réfugièrent ensemble dans l'église ; Rauchingue, l'ayant appris, alla trouver le prêtre du lieu, le priant de lui rendre sur-le-champ ses domestiques, moyennant promesse de ne les pas châtier. Alors le prêtre lui dit : Tu sais quel respect on doit rendre à l'église de Dieu ; tu ne peux reprendre ceux-ci sans leur avoir juré ta foi que tu les uniras pour toujours, et sans avoir promis en même temps de les exempter de toute punition corporelle. Il demeura quelque temps en suspens sans rien dire, puis se tournant vers le prêtre, il mit les mains sur l'autel, et prêta serment en disant : Je ne les séparerai jamais, mais plutôt aurai soin qu'ils demeurent unis. Ce qui s'est passé m'a été désagréable, parce que cela s'est fait sans mon consentement ; cependant je m'en accommode volontiers, puisque lui n'a pas pris pour femme la servante d'un autre, et qu'elle n'a pas choisi un serviteur étranger. Le prêtre crut de bonne foi la promesse de cet homme rusé, et lui rendit ses serviteurs, après qu'il eut donné la garantie exigée ; il les reçut de lui, et l'ayant remercié, s'en retourna à sa maison. Aussitôt il fit couper un arbre, en fit abattre la tête, et ayant fait fendre le tronc avec un coin, ordonna de le creuser, ensuite fit ouvrir en terre une fosse de la profondeur de trois ou quatre pieds, et donna ordre d'y déposer ce tronc creusé ; puis y arrangeant la jeune fille en manière de morte, fit jeter dessus le serviteur, les fit couvrir d'une planche, remplit la fosse de terre, et les ensevelit ainsi vivants, disant : Comme je ne veux pas manquer à mon serment, ils ne seront jamais séparés. Le prêtre, averti de la chose, accourut en toute hâte, et reprochant à cet homme son action, obtint à grand'peine qu'il fît découvrir la fosse ; on en retira le serviteur vivant, mais on trouva la jeune fille suffoquée. Rauchingue était d'une grande perversité dans les actions de cette sorte, ne se montrant en rien aussi habile que dans les tromperies et les dérisions, et dans toutes les choses mauvaises, en sorte qu'il mourut comme il le méritait, car sa mort fut semblable aux plaisirs de sa vie, ainsi que nous le dirons par la suite. Siggo, référendaire, qui avait été chargé du sceau du roi Sigebert, et avait passé au roi Chilpéric pour en obtenir l'emploi qu'il avait eu chez son frère, quitta de nouveau Chilpéric, et passa au roi Childebert, fils de Sigebert. Ansoald obtint les biens qu'il avait dans le Soissonnais. Beaucoup de ceux qui avaient passé du royaume de Sigebert dans celui de Chilpéric le quittèrent de même. La femme de Siggo mourut peu de temps après, mais il en prit une autre.
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4. Quod Roccolenus Toronus venit. |
His diebus Roccolenus, ab Chilperico missus, Toronus advenit cum magna iactantia, et ultra Legerem castra ponens, nuntios ad nos dirixit, ut scilicit Gunthchramnum, qui tunc de morte Theudoberthi inpetebatur, a basilica sancta deberemus extrahere. Quod si non facerimus, et civitatem et omnia suburbana eius iuberet incendio concremare. Quo auditu, mittimus ad eum legationem, dicentes, haec ab antiquo facta non fuisse, quae hic fieri deposcebat, sed nec modo permitti posse, ut basilica sancta violaretur; quod si fierit, nec sibi fore prosperum nec rege, qui haec iussa mandasset; metueretque magis sanctitatem antestetis, cuius virtus hesterna die paralitica membra dirixisset. Nihil his ille furmidans, cum in domo aeclesiae ultra Legerem resederet, domum ipsam, quae clavis adfixerat, dissecet. Ipsos quoque clavos Caenomannici, qui tunc cum eodem advenerant, inpletis follibus portant, annonas evertunt et cuncta devastant. Sed dum haec Roccolenus agit, a Deo percutitur, morboque regio croceus effectus, mandata aspera remittit, dicens: 'Nisi hodie proieceritis Gunthchramnum ducem de basilica, ita cuncta virentia quae sunt circa urbem atteram, ut dignus fiat aratro locus ille'. Interim advenit dies sanctus epifaniae; et hic magis ac magis torquere coepit. Tunc accepto a suis consilio, amne transacto, ad civitatem accedit. Denique cum psallentes de eclesiam egressi, ad sanctam basilicam properarent, hic post crucem, praecidentibus signis, aequo superpositus ferebatur. Verum ubi basilicam sanctam introit, mox furor minantis intepuit; regressusque ad eclesiam, nihil cibi ea die accipere potuit. Exinde cum valde anillus esset, Pectavo abiit. Erant enim dies sanctae quadraginsimae, in qua fetus cunicolorum saepe comedit. Dispositis vero actionibus, quibus in Kalendas Martias cives Pectavus vel adfligeret vel damnaret, pridie animam reddedit; et sic superbia tumorque quievit.
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En ces jours-là Roccolène, envoyé par Chilpéric, vint à Tours plein de jactance, et, plaçant son camp de l'autre côté de la Loire, nous fit dire par des messagers de faire sortir de la sainte basilique Gontran, accusé de la mort de Théodebert, menaçant, si nous ne le faisions pas, de brûler la ville et tous ses faubourgs. Ayant entendu son message, nous députâmes vers lui, répondant que ce qu'il nous demandait ne s'était pas fait dans les temps anciens, et qu'on ne pouvait en aucune manière permettre la violation de la sainte basilique ; que s'il exécutait ce qu'il avait dit, cela ne lui tournerait pas à bien non plus qu'au roi qui avait donné cet ordre, et qu'il devait redouter davantage la puissance du saint évêque, dont les mérites avaient opéré la veille la guérison d'un paralytique. Mais lui, sans aucune crainte, s'étant établi dans la maison épiscopale d'outre-Loire, disjoignit les planches de cette maison attachées avec des clous, et les gens du flans qui étaient venus avec lui en emportèrent même les clous dans des sacs de cuir ; ils abattirent les blés et ravagèrent tout. Mais tandis que Roccolène se conduisait ainsi, frappé de Dieu, il fut attaqué de la jaunisse. Cependant il renvoya de nouveau des ordres violents, disant : Si vous ne chassez pas aujourd'hui le duc Gontran de votre basilique, j'écraserai tellement tout ce qu'il y a de verdoyant autour de la ville, que la terre pourra être labourée par-dessus. Le saint jour de l'Épiphanie arriva , et il commença à être tourmenté de plus en plus. Alors, par le conseil des siens, il passa le fleuve et vint à la ville. Ensuite, lorsque les prêtres allèrent, en chantant les psaumes, de la cathédrale à la sainte basilique, il suivit la croix monté sur son cheval ; mais lorsqu'il entra dans la sainte basilique, ses menaces et sa fureur tombèrent, et, sorti de l'église, il ne put ce jour-là prendre aucune nourriture ; sa respiration était devenue très difficile, et il se rendit à Poitiers. C'étaient alors les saints jours de carême ; il mangea une grande quantité de lapereaux ; et, comme il avait prépara des actes pour tourmenter ou rançonner dans les premiers jours de mars les citoyens de Poitiers, il rendit l'âme le lendemain ; et ainsi se calmèrent son orgueil et sa superbe.
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5. De episcopis Lingonicis. |
Eo tempore Felix Namneticae urbis episcopus litteras mihi scripsit plenas opprobriis, scribens etiam fratrem meum ob hoc interfectum, eo quod ipse cupidus episcopati episcopum interfecisset. Sed ut haec scriberet, villam ecclesiae concupivit. Quam cum dare nollem, evomit in me, ut dixi, plenus furore opprobria mille. Cui aliquando ego respondi: 'Memento dicti prophetici: Vae his qui iungunt domum ad domum et agrum ad agrum copulant! Numquid soli inhabitabunt terram? O si te habuisset Massilia sacerdotem! Numquam naves oleum aut reliquas species detulissent, nisi cartam tantum, quo maiorem oportunitatem scribendi ad bonos infamandos haberes. Sed paupertas cartae finem inponit verbositati'. Inmensae enim erat cupiditatis atque iactantiae. Sed ego ista postponens, ne illi similis appaream, illud explicabo, qualiter germanus meus ab hac luce migraverit, et quam velocem in percussorem eius Dominus praestiterit ultionem. Consenescente beato Tetrico ecclesiae Lingonicae sacerdote, cum Lampadio diacono, quem creditorem habuit, deicisset et frater meus, dum pauperibus, quos ille male spoliaverat, opitulare cupiens, consensisset in eius humiliatione, odium ex hoc incurrit. Interea beatus Tetricus a sanguine sauciatur. Cui cum nulla medicorum fomenta valerent, conturbati clerici et a pastore utpote destituti, Mundericum expetunt. Qui a rege indultus ac tonsoratus, episcopus ordinatur, sub ea specie, ut, dum beatus Tetricus viveret, hic Ternoderinsim castrum ut archipresbiter regerit atque in eo commoraretur, migrante vero decessore, iste succederet. In quo castro dum habitaret, iram regis incurrit. Adserebatur enim contra eum, quod ipse Sigibertho regi adversus fratrem suum Guntchramnum venienti alimenta et munera praebuisset. Igitur extractus a castro, in exilio super ripam Rhodani in turre quadam arta atque detecta retruditur; in qua per duos fere annos cum grandi exitu commoratus, obtinente beato Nicetio episcopo, Lugduno regreditur habitavitque cum eo per duos menses. Sed cum obtinere non posset a rege, ut in loco, unde eiectus fuerat, restitueretur, nocte per fugam lapsus, ad Sigiberti regnum pertransiit et apud Arisitensim vicum episcopus instituetur, habens sub se plus minus dioceses XV, quas primum quidem Gothi tenuerant, nunc vero Dalmatius Rutenensis episcopus iudicat. Quo abeunte, iterum Lingonici Silvestrum, propinquum vel nostrum vel beati Tetrici, episcopum expetunt. Sed ut eum peterent, fratris mei hoc instinctu fecerunt. Interea transeunte beato Tetrico, hic, tonso capite, presbiter ordinatur, accepta omni potestate de rebus ecclesiae. Qui vero, ut benedictionem episcopalem Lugduno accipiat, iter parat. Quae dum aguntur, ipse, quia iam diu epilenticus erat, ab hoc morbo correptus, asperius ex sensu factus et per dies duos assiduae dans mugitum, tertia die spiritum exalavit. Quae peracta, Lampadius, ut superius dictum est, ab honore et facultate privatus, in odio Petri diaconi cum filio Silvestri coniungitur, machinans atque confirmans, patrem suum ab ipso fuisse maleficiis interfectum. At ille aetate iuvenis, sensu levis contra eum commovetur, ipsum inpetens publice parricidam. Porro ille haec audiens, facto placito in praesentia sancti Niceti episcopi, avunculi matris meae, Lugduno dirigitur; et ibi, Siagrio episcopo coram adstante vel aliis sacerdotibus multis cum saecularium principibus, se sacramento exuit, numquam se in morte Silvestri mixtum fuisse. Post duos vero annos instigatus iterum a Lampadio filius Silvestri, adsecutus in via Petrum diaconum, lancea sauciatum interfecit. Quod cum factum fuisset, de eo loco elevatus et ad Divionensim delatus castrum, secus sanctum Gregorium, proavum nostrum, sepelitur. Iste vero fugam iniens, ad Chilpericum regem transiit, facultatibus suis fisco regis Guntchramni dimissis. Cumque per diversa vagaretur pro commisso scelere nec ei essit locus firmus ad commorandum, tandem, ut credo, contra eum sanguine insonte ad divinam potentiam proclamante, in quodam loco, dum iter ageret, innocentem hominem evaginato gladio interemit. Cuius parentes condolentes propinqui exitum, commota seditione, extractis gladiis, eum in frustra concidunt membratimque dispergunt. Tale iusto iudicio Dei exitum miser accepit, ut, qui propinquum innocentem interimerat, ipse nocens diutius non maneret. Nam tertio ei haec evenerunt anno. Denique Silvestri post transitum Lingonici iterum episcopum flagitantes, Pappolum, qui quondam archidiaconus Agustidunensis fuerat, accipiunt. Qui multa, ut asserunt, egit iniqua, quae a nobis praetermittuntur, ne detractores fratrum esse videamur. Tamen, quale habuerit exitum, non omittam. Anno octavo episcopatus sui, dum dioceses ac villas ecclesiae circuiret, quadam nocte dormienti apparuit beatus Tetricus vultu minaci. Cui ita: 'Quid tu', inquit, 'hic Pappole? Ut quid sedem meam polluis? Ut quid ecclesiam pervadis? Ut quid oves mihi creditas sic dispergis? Cede loco, relinque sedem, abscede longius a regione'. Et haec dicens, virgam quam habebat in manu pectori eius cum ictu valido inpulit. In quo ille evigilans, dum cogitat, quid hoc esset, ficta in loco illo defigitur ac dolore maximo cruciatur. Abhorret cibum potumque et mortem iam sibi proximam praestolatur. Quid plura? Tertia die, cum sanguinem ore proicerit, exspiravit; exinde elatus, Lingonas est sepultus. In cuius loco Mummolus abba, quem Bonum cognomento vocant, episcopus substituitur. Quem multi magnis laudibus prosecuntur: esse eum castum, sobrium, moderatum ac in omni bonitate promptissimum, amantem iustitiam, caritatem omni intentione diligentem. Qui, accepto episcopatu, cognoscens, quod Lampadius multum de rebus fraudasset ecclesiae ac de spoliis pauperum agros vineasque vel mancipia congregasset, eum ab omni re nudatum a praesentia sua iussit abigi. Qui nunc in maxima paupertate degens, manibus propriis victum quaerit. Haec de his sufficiant.
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En ce temps Félix, évêque de Nantes, m'écrivit des lettres pleines d'injures, me mandant aussi que mon frère avait été tué parce que, par convoitise de l'épiscopat, il avait fait périr l'évêque ; mais, tandis qu'il écrivait ces choses, lui-même convoitait un domaine de mon église, et, comme je ne voulus pas le lui donner, plein de fureur il vomit, comme je l'ai dit, mille injures contre moi. Je lui répondis enfin un jour : Rappelez-vous ce que dit le prophète : Malheur à vous qui joignez maisons à maisons, et qui ajoutez terres à terres, jusqu'à ce qu'enfin le bien vous manque. Serez-vous donc les seuls qui habiterez sur la terre ? Oh ! si tu étais évêque de Marseille, les vaisseaux n'y apporteraient jamais ni huile, ni aucune autre épice, mais seulement du papier, pour te donner plus de moyens de diffamer les gens de bien par tes écritures ; mais la disette de papier a mis un terme à ta loquacité. " Il était d'un orgueil et d'une cupidité infinie ; mais, pour ne pas lui ressembler, je passerai sur ces choses, et expliquerai de quelle manière mon frère avait quitté la lumière du jour, et avec quelle promptitude la vengeance de Dieu atteignit ceux qui l'avaient frappé. Le bienheureux Tétrique, évêque de la cathédrale de Langres, étant devenu vieux, chassa le diacre Lampade qui avait été son homme de confiance, et mon frère, désirant venir au secours des pauvres que Lampade avait injustement dépouillés, contribua à lui faire donner cette humiliation, et encourut par-là sa haine. Cependant le bienheureux Tétrique fut frappé d'apoplexie , et les remèdes de la médecine ne pouvant rien pour lui, son clergé troublé et angoissé, autant qu'il était possible, de se trouver sans pasteur, demanda qu'on lui envoyât Munderic. Le roi l'ayant accordé et tonsuré, il fut sacré évêque, à cette condition que, pendant la vie du bienheureux Tétrique, il gouvernerait, en qualité d'archiprêtre, le château de Tonnerre, y ferait sa résidence, et qu'après le décès de son prédécesseur, il lui succéderait. Tandis qu'il habitait ce château, il encourut la haine du roi, car on assurait que lorsque le roi Sigebert était venu contre son frère Gontran, il lui avait donné des vivres et fait des présents. Il fut donc tiré du château et mis en exil sur la rive du Rhône , dans une certaine tour étroite et sans toiture, dans laquelle il demeura environ deux ans avec de grandes souffrances. A la demande du saint évêque Nicet, il lui fut permis de venir à Lyon, où il habita pendant deux mois ; mais ne pouvant obtenir du roi d'être rétabli au lieu d'où il avait été chassé, il s'échappa la nuit, se rendit près du roi Sigebert, et institué évêque du canton de l'Arsat, ayant sous sa juridiction quinze paroisses qui avaient été d'abord occupées par quelques Goths, et que réclamait maintenant Dalmate, évêque de Rodez. Lorsque Munderic fut parti, les habitants de Langres demandèrent pour évêque Silvestre, mon parent et celui du bienheureux Tétrique, et ils le demandèrent à l'instigation de mon frère. Le bienheureux Tétrique étant sorti de ce monde, Silvestre fut tonsuré et ordonné prêtre, et prit possession de tout ce qui dépendait de cette cathédrale, puis se prépara à partir pour Lyon, pour y recevoir la consécration épiscopale. Mais, attaqué depuis longtemps d'épilepsie, il fut en ce temps saisi de cette maladie ; et plus cruellement privé de ses sens qu'il ne l'avait encore été, fut deux jours sans relâche à pousser des mugissements, et le troisième jour rendit l'esprit. Alors Lampade, qui avait été dépouillé, comme nous l'avons dit, de ses dignités et de ses revenus, se joignit, en haine du diacre Pierre, mon frère, avec le fils de Silvestre, lui persuadant et affirmant que son père avait péri par les maléfices de celui-ci. Le fils de Silvestre, jeune d'âge et léger d'esprit, s'irrita contre le diacre Pierre et l'accusa en public de ce parricide. Aussitôt que Pierre eut entendu cette accusation, il porta sa cause devant l'évêque saint Nicet, oncle de ma mère, et se rendit à Lyon ; là, en présence de l'évêque Syagrius, de beaucoup d'autres prêtres et des principaux séculiers, il prêta serment qu'il n'avait jamais eu part à la mort de Silvestre. Mais deux ans après le fils de Silvestre, excité de nouveau par Lampade, poursuivit sur une route le diacre Pierre, et le tua d'un coup de lance ; après quoi celui-ci fut enlevé de ce lieu et porté au château de Dijon, où on l'ensevelit auprès de saint Grégoire, notre bisaïeul. L'homicide ayant pris la fuite, passa vers le roi Chilpéric, et ses biens furent remis au fisc du roi Gontran. Le crime qu'il avait commis le fit errer en différents lieux, ne s'arrêtant et ne demeurant nulle part. Enfin, poussé, je crois, par les cris du sang innocent qui s'élevait contre lui vers la puissance divine, dans un des lieux par où il passait, il tua de son épée un homme qui ne lui avait rien fait. Les parents de celui-ci, pleins de douleur de la mort de leur proche, soulevèrent le peuple, et ayant tiré leurs épées, le coupèrent en morceaux et dispersèrent ses membres de côté et d'autre. Telle fut, par un juste jugement de Dieu, la fin de ce misérable, afin qu'après avoir fait périr un parent innocent, coupable lui-même il ne demeurât pas plus longtemps sur la terre. Cela lui arriva au bout de trois ans. Après la mort de Silvestre, les habitants de Langres demandant encore un évêque, on leur donna Pappole qui avait été archidiacre d'Autun. Beaucoup assurent qu'il commit un grand nombre d'iniquités que nous passerons sous silence, pour ne pas nous montrer détracteur de nos frères. Cependant nous n'omettrons pas de raconter quelle fut sa mort. La huitième année de son épiscopat, comme il parcourait les paroisses et les domaines de son église, le bienheureux Tétrique lui apparut une nuit pendant son sommeil avec un visage menaçant, et lui parla ainsi : Pourquoi es-tu ici, Pappole ? pourquoi souilles-tu mon siège et envahis-tu mon église ? Pourquoi disperses-tu les brebis qui m'avaient été confiées ? Va-t-en ; abandonne ce siège, éloigne-toi de ce pays. Et disant ces mots, il poussa vigoureusement contre sa poitrine une verge qu'il tenait à la main. Comme Pappole s'éveillait, cherchant à penser ce que ce pouvait être, une crampe se fixa en ce lieu, lui faisant éprouver une vive douleur. En cette angoisse, il prit horreur de la nourriture et de la boisson, et vit la mort s'approcher de lui ; que dirai-je de plus ? Le troisième jour le sang lui sortit par la bouche et il expira ; on le transporta et on l'ensevelit à Langres. On nomma évêque à sa place l'abbé Mummole surnommé le beau, que beaucoup ont célébré avec de grandes louanges comme chaste, sobre, modéré , très diligent en toutes les bonnes oeuvres, ami de la justice, adonné de toutes ses forces à la charité. Parvenu à l'épiscopat, comme il sut que Lampade avait dérobé une grande quantité des biens de l'église, et que, des dépouilles des pauvres, il avait acquis des champs, des vignes et des esclaves, il le chassa de sa présence, dénué de tout ; et celui-ci, tombé dans ta plus grande pauvreté, est maintenant obligé de gagner sa nourriture par le travail de ses mains. Mais en voilà assez sur ce point.
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6. De Leunaste archidiacono Bitorigo. |
Anno vero quo supra, id est quo, mortuo Sigybertho, Childeberthus, filius eius, regnare coepit, multae virtutes ad sepulchrum beati Martini apparuerunt, quas in illis libellis scripsi, quos de ipsis miraculis conponere temptavi. Et licet sermone rustico, tamen celare passus non sum, quae aut ipse vidi aut a fidelibus relata cognovi. Hic tantum, quid neglegentibus evenerit, qui post virtutem caelestem terrena medicamenta quaesierunt, exsolvam, quia, sicut per gratiam sanitatum, ita et in castigationem stultorum virtus eius ostenditur. Leonastis Biturigus archidiaconus, decedentibus cataractis, lumen caruit oculorum. Qui cum, per multos medicos ambulans, nihil omnino visionis recipere possit, accessit ad basilicam beati Martini; ubi per duos aut tres menses consistens et ieiunans assiduae, lumen ut reciperet flagitabat. Adveniente autem festivitate, clarificatis oculis cernere coepit; regressus quoque domum, vocato quodam Iudaeo, ventosas, quorum beneficio oculis lumen augeret, humeris superponit. Decedente quoque sanguine, rursus in redeviva caecitate redigitur. Quod cum factum fuisset, rursum ad sanctum templum regressus est. Ibique iterum longo spatio commoratus, lumen recipere non meruit. Quod ei ob peccatum non praestitum reor iuxta illud dominicum oraculum: Qui habet, dabitur ei et habundavit; et qui non habet, ipsum quod habet aufertur ab eo; et illud: Ecce sanus factus es, iam noli peccare, ne quid tibi deterius eveniat. Nam perstiterat hic in sanitate, si Iudaeum non induxisset super divinam virtutem. Tales enim et monet et arguit apostulus, dicens: Nolite enim iugum ducere cum infidelibus. Quae enim participatio iustitiae cum iniquitate? Aut quae societas luci cum tenebris? Quae autem communicatio Christi cum Belial? Aut quae pars fideli cum in fidele? Qui autem consensus templo Dei cum idolis? Vos estis enim templum Dei vivi. Propterea exite de medio eorum et separamini ab his, ait Dominus. Ideo doceat unumquemque christianum haec causa, ut, quando caelestem accipere meruerit medicinam, terrena non requirat studia.
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Pendant l'année dont nous venons de parler, c'est-à-dire, celle où, après la mort de Sigebert, son fils Childebert commença à régner, il se fit au tombeau du bienheureux Martin beaucoup de prodiges que j'ai écrits dans le livre que j'ai essayé de composer sur ses miracles ; et, bien qu'en un discours sans art, je me crois obligé de rapporter ce que j'ai vu moi-même ou ce qui m'a été raconté par des gens dignes de foi. J'exposerai donc ici seulement les choses arrivées aux hommes de peu de foi qui, après avoir éprouvé la puissance des secours célestes, recoururent cependant encore aux remèdes de la terre. Léonaste, archidiacre de Bourges, avait perdu la lumière par des cataractes qui lui étaient tombées sur les yeux. Après s'être promené de médecin en médecin, sans pouvoir recouvrer la vue, il vint à la basilique de saint Martin, et là il demeura deux ou trois mois gémissant assidûment et priant que la lumière lui fût rendue. Un jour de fête il s'aperçut que sa vue commençait à s'éclairer ; mais revenu à sa maison, il appela un juif qui lui mit des ventouses aux épaules afin de rendre encore plus de lumière à ses yeux ; mais à mesure que le sang coulait, il retombait dans sa cécité. Alors il revint de nouveau au saint temple et y demeura encore un long espace de temps, mais sans pouvoir recouvrer la lumière ; ce qui, je pense, lui fut refusé à cause de son péché, selon ces paroles du Seigneur : Quiconque à déjà, on lui donnera encore, et il sera dans l'abondance ; mais pour celui qui n'a point, on lui ôtera même ce qu'il a. Et cette autre : Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire. Celui-ci serait demeuré en santé, s'il n'eût pas voulu ajouter les secours d'un Juif à ceux de la puissance divine ; car tels sont les avertissements et les paroles de l'apôtre : Ne vous attachez point à un même joug avec les infidèles, car quelle union peut-il y avoir entre la justice et l'iniquité ? Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre Jésus-Christ et Bélial ? Quelle société entre le fidèle et l'infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? Car vous êtes le temple du Dieu vivant ?? C'est pourquoi sortez du milieu de ces personnes et séparez-vous d'eux, dit le Seigneur. Que tout chrétien apprenne donc de là, quand il a obtenu les remèdes célestes, à ne pas requérir la science mondaine.
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7. De Senoch reclauso. |
Sed et illud commemorare libet, qui vel quales viri hoc anno a Domino sunt vocati. Unde magnum eum et Deo acceptabilem ego censeo, qui tales de nostra terra suo paradiso collocavit. Nam benedictus Senoch presbiter, qui apud Turonus morabatur, sic migravit a saeculo. Fuit enim genere Theifalus, et in Turonico clericus factus, in cellulam, quam ipse inter parietes antiquos conposuerat, se removit, collectisque monachis, oratorium, quod multo tempore dirutum fuerat, reparavit. Idem super infirmos multas virtutes fecit, quas in libro vitae eius scripsimus.
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Il convient de rapporter ici qui et quels hommes furent, cette année, appelés à Dieu ; car je regarde comme favorisés et agréables à Dieu ceux qu'il appelle en cette sorte de notre terre en son Paradis. Ainsi sortit du monde le saint prêtre Sénoch, qui faisait sa demeure à Tours. Il était de la nation des Taifales ; et , ayant pris à Tours les ordres ecclésiastiques, il se retira dans une cellule qu'il se fit entre de vieux murs, rassembla des moines, et répara l'oratoire ruiné depuis longtemps ; il fit éprouver à un grand nombre de malades la vertu de ses miracles, que nous avons écrits dans le livre de sa vie.
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8. De sancto Germano Parisiorum episcopo. |
Eo anno et beatus Germanus Parisiorum episcopus transiit. In cuius exsequiis multis virtutibus, quas in corpore gesserat, hoc miraculum confirmationem fecit. Nam carcerarius adclamantibus, corpus in platea adgravatum est, solutisque eisdem, rursum sine labore levatur. Ipsi quoque, qui soluti fuerant, in obsequium funeris usque basilicam, in qua sepultus est, liberi pervenerunt. Ad sepulchrum autem eius multas virtutes, Domino tribuente, credentes experiuntur, ita ut quisque iusta petierit velociter exoptata reportet. Quis tamen strenuus virtutes illius, quas in corpore fecit, sollicite vult inquirere, librum vitae illius, qui a Fortunato presbitero conpositus est, legens, cuncta repperiet.
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En cette année, décéda le bienheureux Germain, évêque de Paris. Les grands miracles qu'il avait opérés dans sa vie mortelle furent confirmés par celui qu'il fit à ses obsèques. Des prisonniers l'ayant invoqué à grands cris, son corps aussitôt s'appesantit sur la terre, et lorsqu'ils eurent été déliés, il se laissa enlever sans peine. Ceux qui avaient été ainsi délivrés suivirent ses funérailles, et arrivèrent libres à la basilique, dans laquelle on l'ensevelit ; et avec l'aide de Dieu, ceux qui avaient la foi obtinrent à son tombeau une grande quantité de miracles ; en sorte que ce qu'on y demandait avec justice y était aussitôt accordé. Celui qui voudra s'enquérir avec soin et exactitude des miracles opérés par son corps, les trouvera tous dans sa vie, composée par le prêtre Fortunat.
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9. De Caluppane reclauso. |
Eodem quoque anno et Caluppa reclausus obiit. Hic autem ab infantia sua semper religiosus fuit, et apud monasterium Melitensim termini Arverni conversus, in magna se humilitate fratribus praebuit, sicut in libro vitae eius scripsimus.
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Cette même année, mourut encore le reclus Caluppa : il avait été religieux dès son enfance. Étant entré au monastère de Mélite, dans le territoire d'Auvergne, il se fit remarquer des frères par une grande humilité, comme nous l'avons écrit dans le livre de sa vie.
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10. De Patroclo reclauso. |
Fuit autem in Biturigo termino reclausus nomine Patroclus, presbiterii honore praeditus, mirae sanctitatis ac religionis, vir magnae abstinentiae, qui plerumque ab inaedia diversis incommodis vexabatur. Vinum, sicera vel omne quod inebriare potest non bibebat praeter aquam parumper melle linitam; sed nec pulmentum aliquod utebatur. Cuius victus erat panis in aqua infusus atque sale respersus. Huius oculi numquam caligaverunt. Erat enim in oratione assiduus, quam si parumper praetermisisset, aut legebat aut scribebat. Frigoriticis, pustulis laborantibus vel reliquis morbis saepe per orationem remedia conferebat. Sed et alia signa multa fecit, quae per ordinem longum est enarrare. Cilicium semper puro adhibens corpori. Qui octogenaria aetate abscedens a saeculo, migravit ad Christum. Scripsimus et de huius vita libellum.
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Il y eut aussi dans le territoire de Langres un reclus nomme Patrocle, élevé aux honneurs de la prêtrise, homme d'une admirable sainteté et piété, et d'une grande abstinence, souvent tourmenté de diverses incommodités que lui causait le jeûne : il ne buvait, ni vin ni bière, ni rien de ce qui peut enivrer, mais seulement de l'eau un peu adoucie de miel. Il n'usait d'aucune espèce de ragoût, mais se nourrissait de pain trempé dans l'eau, et parsemé de sel. Jamais ses yeux ne s'appesantirent par le sommeil : il était assidu à l'oraison, et lorsqu'il l'interrompait quelque peu, lisait ou écrivait. Il guérissait souvent par ses prières des fiévreux tourmentés de pustules ou d'autres maladies. Il se manifesta par beaucoup d'autres miracles qu'il serait trop long de raconter en détail. Il portait toujours un cilice à nu sur son corps. A quatre-vingts ans, il quitta ce monde, et alla trouver le Christ. Nous avons écrit un livre de sa vie.
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11. De Iudaeis conversis per Avitum episcopum. |
Et quia semper Deus noster sacerdotes suos glorificare dignatur, quid Arverno de Iudaeis hoc anno contigerit pandam. Cum eosdem plerumque beatus Avitus episcopus commoneret, ut, relicto velamine legis Moysaicae, spiritaliter lecta intellegerent et Christum, filium viventis Dei, prophetica et legali auctoritate promissum, corde purissimo in sacris litteris contemplarent, manebat in pectoribus eorum, iam non dicam, velamen illud, quod facies Moysi obumbrabatur, sed paries. Sacerdos quoque orans, ut, conversi ad Dominum, velamen ab eis litterae rumperetur, quidam ex his ad sancta pascha ut baptizaretur expetiit, renatusque Deo per baptismi sacramentum, cum albatis reliquis in albis et ipse procedit. Ingredientibus autem populis portam civitatis, unus Iudaeorum super capud conversi Iudaei oleum foetidum, diabulo instigante, diffudit. Quod cum cunctus aborrens populus voluissent eum urguere lapidibus, pontifex ut fieret non permisit. Die autem beato, quo Dominus ad caelos post redemptum hominem gloriosus ascendit, cum sacerdos de aeclesiam ad basilicam psallendo procederet, inruit super sinagogae Iudaeorum multitudo tota sequentium, distructamque a fundamentis, campi planitiae locus adsimilatur. Alia autem die sacerdos eis legatos mittit, dicens: 'Vi ego vos confiteri Dei Filium non inpello, sed tamen praedico et salem scientiae vestris pectoribus trado. Pastor sum enim dominicis ovibus superpositus; et de vobis ille verus Pastor, qui pro nobis passus est, dixit, habere se alias oves quae non sunt ex ovili suo, quas eum oporteat adducere, ut fiat unus grex et unus pastor. Ideoque si vultis credere ut ego, estote unus grex, costodi me posito; sin vero aliud, abscedite a loco'. Illi autem diu aestuantes atque dubitantes, tertia die, ut credo, obtentum pontificis coniuncti in unum, ad eum mandata remittunt, dicentes: 'Credimus Iesum, filium Dei vivi, nobis prophetarum vocibus repromissum; et ideo petimus, ut abluamur baptismum, ne in hoc delicto permaneamus'. Gavisus autem nuntio pontifex, noctem sanctam pentecosten vigilias caelebratas, ad baptistirio forasmoraneum egressus est; ibique omnis multitudo coram eo prostrata, baptismum flagitavit. At ille prae gaudio lacrimans, cunctos aqua abluens, crismate liniens, in sinu matris eclesiae congregavit. Flagrabant caerei, lampades refulgebant, albecabat tota civitas de grege candido, nec minor fuit urbi gaudium, quam quondam, Spiritu sancto discendente super apostulos, Hierusalem videre promeruit. Fuerunt autem qui baptizati sunt amplius quingenti. Hii vero qui baptismum noluerunt discedentes ab illa urbe, Massiliae redditi sunt.
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Et comme notre Dieu a toujours daigné glorifier ses prêtres, j'exposerai ici ce qui arriva cette année aux Juifs en Auvergne. Le bienheureux évêque Avitus les avait exhortés plusieurs fois à écarter le voile de la loi mosaïque, afin que, comprenant les saintes Écritures selon l'Esprit, ils pussent, d'un 'coeur pur, y contempler le Christ, fils du Dieu vivant, et promis par l'autorité d'un roi et des prophètes. Néanmoins ils conservaient dans leurs âmes, je ne dirai pas le voile dont Moïse avait caché sa face, mais un véritable mur qui les séparait de la vérité. L'évêque, ne cessant de prier pour que, convertis au Seigneur, ils déchirassent ce voile dont se couvrent à leurs yeux les Écritures, un d'eux, au saint jour de Pâques, lui demanda d'être baptisé ; et lorsqu'il eut été régénéré en Dieu par le sacrement du baptême, il se joignit, vêtu de blanc, à la procession des autres catéchumènes. Comme le peuple entrait par la porte de la ville, un des Juifs, poussé du diable, versa une huile puante sur la tête de celui qui s'était converti. Le peuple, saisi d'horreur à cette action, voulut le poursuivre à coups de lierres, ce que l'évêque ne permit pas. Mais, au jour bienheureux où le Seigneur est remonté glorieux au ciel, après avoir racheté les hommes, comme l'évêque se rendait, en chantant les psaumes, de la cathédrale à la basilique, la multitude dont il était suivi se précipita sur la synagogue des Juifs, la détruisit de fond en comble, en sorte qu'elle fut rasée. Un autre jour, l'évêque envoya aux Juifs des gens qui leur dirent : Je ne vous contrains pas par la force à confesser le fils de Dieu ; je vous prêche seulement, et fais passer dans vos coeurs le sel de la science ; car je suis le pasteur chargé de conduire les brebis du Seigneur ; cet votre véritable pasteur, qui est mort pour nous, a dit : J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pris de cette bergerie, il faut aussi que je les amène ; elles écouterons ma voix, et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur. Ainsi donc, si vous voulez croire comme moi, soyez un seul troupeau, dont je serai le pasteur ; sinon éloignez-vous de ce lieu. Ils demeurèrent quelques jours troublés et en suspens ; enfin, le troisième jour, par l'effet, à ce que je crois, des prières de l'évêque, ils se réunirent, et lui firent dire : Nous croyons en Jésus, fils du Dieu vivant, qui nous a été promis par la voix des prophètes, et nous vous demandons de nous laver par le baptême, afin que nous ne demeurions pas dans notre péché. Le pontife, réjoui de cette annonce, se rendit, le matin de la sainte Pentecôte, après les Vigiles, au baptistaire situé hors des murs de la ville. Là, toute la multitude, prosternée devant lui, implora le baptême, et lui, pleurant de joie, les lava tous dans l'eau sainte, les oignit du saint chrême, et les réunit dans le sein de la mère Église. Les cierges brillaient, les lampes brillaient, l'éclat de ce blanc troupeau se répandait sur toute la cité. La joie de la ville ne fut pas moindre que celle de Jérusalem, lorsqu'il lui fut permis devoir autrefois l'Esprit saint descendre sur les apôtres. On en baptisa plus de cinq cents : ceux qui ne voulurent pas recevoir le baptême quittèrent la ville, et se rendirent à Marseille.
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12. De Brachione abbate. |
Transiit post haec et Brachio abba cellulae Manatensis. Fuit autem genere Thoringus, in servitio Sigivaldi quondam ducis venationern exercens, sicut alibi scripsimus.
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Après cela, mourut Brachius, abbé du monastère de Menat. Il était Thuringien de naissance, et avait été, comme nous l'avons écrit ailleurs, chasseur au service de Sigewald.
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13. Quod Mummolus Lemovicas vastavit. |
Ergo ut ad propositum revertamur, Chilpericus rex Chlodovechum filium suum Toronus transmisit. Qui, congregato exercitu, inter terminum Toronicum et Andecavum usque Sanctonas transiit eamque pervasit. Mummolus vero patricius Gunthchramni regis cum magno exercitu usque Lemovicinum transiit et contra Desiderium ducem Chilperici regis bellum gessit. In quo proelio ceciderunt de exercitu eius quinque milia, de Desiderii vero viginti quattuor milia. Ipse quoque Desiderius fugiens vix evasit. Mummolus vero patricius per Arvernum rediit eamque per loca exercitus eius devastavit. Et sic in Burgundiam peraccessit.
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Pour revenir à notre propos, Chilpéric envoya à Tours son fils Clovis, qui, ayant rassemblé fine armée entre Tours et Angers, passa jusqu'à Saintes, et s'en empara ; mais Mummole, patrice du roi Gontran, avança jusqu'à Limoges avec une grande armée , et livra bataille à Didier, chef de celle du roi Chilpéric. Il perdit dans ce combat cinq mille hommes ; mais Didier en perdit vingt-quatre mille, et s'échappa avec peine par la fuite. Le patrice Mummole revint par l'Auvergne, que son armée ravagea en divers lieux, et il arriva ainsi en Bourgogne.
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14. Quod Merovechus tunsoratus confugit. |
Post haec Merovechus, cum in custodia a patre reteneretur, tunsoratus est, mutataque veste, qua clericis uti mos est, presbiter ordenatur et ad monasterium Cinnomannicum qui vocatur Aninsola dirigitur, ut ibi sacerdotali eruderetur regula. Haec audiens Gunthchramnus Boso, qui tunc in basilica sancti Martini, ut diximus, resedebat, misit Riculfum subdiaconum, ut ei consilium occulte praeberet expetendi ad basilicam sancti Martini. Qui cum abisset, ab alia parte Gailenus puer eius advenit. Cumque parvum solatium qui eum ducebant haberent, ab ipso Gaileno in itenere excussus est, opertoque capite indutusque veste saeculari, beati Martini templum expetiit. Nobis autem missa caelebrantibus, in sanctam basilicam, aperta repperiens ostia, ingressus est. Post missa autem petiit, ut ei eulogias dare deberemus. Erat autem tunc nobiscum Ragnemodus Parisiacae sedis episcopus, qui sancto Germano successerat. Quod cum refutaremus, ipse clamare coepit et dicere, quod non recte eum a communione sine fratrum conibentia suspenderemus. Illo autem haec dicente, cum consensu fratris qui praesens erat, contestatam causam canonicam, eulogias a nobis accepit. Veritus autem sum, ne, dum unum a communione suspendebam, in multos existerem homicida. Minibatur enim aliquos de populo nostro interficere, si communionem nostram non meruisset. Multas tamen pro hac causa Toronica regio sustenuit clades. His diebus Necetius, vir neptis meae, propriam habens causam, ad Chilpericum regem abiit cum diacono nostro, qui regi fugam Merovechi narraret. Quibus visis, Fredegundis regina ait: 'Exploratores sunt et ad sciscitandum quid agat rex advenerunt, ut sciant, quid Merovecho renuntient'. Et statim expoliatis in exilio retrudi praecepit; de quo mense septimo relaxati sunt. Igitur Chilpericus nuntius ad nos direxit, dicens: 'Eiecite apostatam illam de basilicam; sin autem aliud, totam regionem illam igne succendam'. Cumque nos rescripsissemus, inpossibile esse, quod temporibus hereticorum non fuerat, christianis nunc temporibus fieri, ipsi exercitum commovit et illuc dirigit. Anno autem secundo Childeberthi regis, cum videret Merovechus patrem in hac deliberatione intentum, adsumpto secum Gunthchramnum ducem, ad Brunichildem pergere cogitat, dicens: 'Absit, ut propter meam personam basilica domni Martini violentiam perferat aut regio eius per me captivitate subdatur'. Et ingressus basilicam, dum vigilias ageret, res quas secum habebat ad sepulchrum beati Martini exhibuit, orans, ut sibi sanctus succurrerit atque ei concederit gratiam suam, ut regnum accepere possit. Leudastis tunc comis, cum multas ei in amore Fredegundis insidias tenderit, ad extremum pueros eius, qui in pago egressi fuerant, circumventus dolis gladio trucidavit, ipsumque interimere cupiens, si repperire loco oportuno potuisset. Sed illi consilio usus Gunthchramni et se ulcisci desiderans, redeunte Marileifo archietro de praesentia regis, conpraehendi praecepit; caesumque gravissime, ablato auro argentoque eius vel reliquis rebus, quas secum exhibebat, nudum reliquit; et interfecisset utique, si non inter manus caedentium elapsus eclesiam expetisset. Quem nos postea indutum vestimentis, obtenta vita, Pectavo remisimus. Merovechus vero de patre atque novercam multa crimina loquebatur; quae cum ex parte vera essent, credo, acceptum non fuisse Deo, ut haec per filium vulgarentur, sicut in sequentibus cognovi. Quaedam enim die ad convivium eius accedi. Dum pariter sederemus, suppliciter petiit aliqua ad instructionem animae legi. Ego vero, reserato Salomonis libro, versiculum qui primus occurrit arripui, qui haec contenebat: Oculum, qui aversus aspexerit patrem, effodiant eum corvi de convallibus. Illo quoque non intellegente, consideravi hunc versiculum ad Dominum praeparatum. Tunc direxit Gunthchramnus puerum ad mulierem quandam, sibi iam cognitam a tempori Chariberthi regis, habentem spiritum phitonis, ut ei quae erant eventura narrare. Asserebat praeterea, ipsam sibi ante hoc tempus non solum annum, sed et diem et horam, in qua rex Chariberthus obiret, denuntiasse. Quae haec ei per puerus mandata remisit: 'Futurum est enim, ut rex Chilpericus hoc anno deficiat et Merovechus, exclusis fratribus, omni capiat regnum. Tu vero ducatum totius regni eius annis quinque tenebis. Sexto vero anno in una civitatum, quae super Legeris alveum sita est, in dextera eius parte, favente populo, episcopatus gratiam adipiscis ac senes et plenus dierum ab hoc mundo migrabis'. Cumque haec pueri redeuntes domino nuntiassent, statim ille vanitate elatus, tamquam se iam in cathedram Toronice eclesiae resederet, ad me haec detulit verba. Cuius ego inridens stultitiam, dixi: 'A Deo haec poscenda sunt; nam credi non debent quae diabolus repromittit. Ille autem ab initio mendax est et in veritate numquam stetit'. Illo quoque cum confusione discedente, valde inridebam hominem, qui talia credi putabat. Denique quadam nocte vigilias in basilica sancti antestitis caelebratas, dum lectulo decubans obdormissem, vidi angelum per aera volantem. Cumque super sanctam basilicam praeteriret, voce magna ait: 'Heu heu! Percussit Deus Chilpericum et omnes filios eius, nec superavit de his qui processerunt ex lumbis eius qui regat regnum illius in aeternum.' Erant ei eodem tempore de diversis uxoribus filii quattuor, excepto filiabus. Cum autem haec in posterum inpleta fuissent, tunc a liquidum cognovi, falsa esse quae promiserant arioli. Igitur commorantibus his apud basilicam sancti Martini, misit ad Guntchramnum Bosonem Fredegundis regina, quaequae ei iam pro morte Theodoberthi patrocinabatur occulte, dicens: 'Si Merovechum eiecere potueris de basilica, ut interficiatur, magnum de me munus accipies'. At ille praesto putans esse interfectores, ait ad Merovechum: 'Ut quid hic quasi signes et timidi resedemus et ut hebetis circa basilicam occulimur? Veniant enim equi nostri, et acceptis accipitribus, cum canibus exerceamur venationem spectaculisque patulis iocundemur'. Hoc enim agebat callide, ut eum a sancta basilica separaret. Gunthchramnus vero alias sane bonus - nam in periuriis nimium praeparatus erat -, verumtamen nulli amicorum sacramentum dedit, quod non protinus omisisset. Egressi itaque, ut diximus, de basilica, ad Iocundiacensim domum civitate proximam progressi sunt; sed a nemine Merovechus nocetus est. Et quia inpetebatur tunc Gunthchramnus de interitu, ut diximus, Theodoberthi, misit Chilpericus rex epistulam scriptam ad sepulchrum sancti Martini, quae habebat insertum, ut ei beatus Martinus rescriberet, utrum liceret extrahi Gunthchramnum de basilica eius an non. Sed Baudegyselus diaconus, qui hanc epistulam exhibuit, cartam puram cum eadem quam detulerat ad sanctum tumolum misit. Cumque per triduum expectasset et nihil rescripti reciperet, redivit ad Chilpericum. Ille vero misit alios, qui Gunthchramno sacramenta exigerent, ut sine eius scientiam basilicam non relinqueret. Qui ambienter iurans, pallam altaris fideiussorem dedit, numquam se exinde sine iussione rege egressurum. Merovechus vero non credens phitonissae, tres libros super sancti sepulchrum posuit, id est psalterii, Regum, euangeliorum, et vigilans tota nocte, petiit, ut sibi beatus confessor quid eveniret ostenderet, et utrum possit regnum accepere an non, ut Domino indicante, cognuscerit. Post haec continuato triduo in ieiuniis, vigiliis atque orationibus, ad beatum tumolum iterum accedens, revolvit librum, qui erat Regum. Versus autem primus paginae, quem reseravit, hic erat: Pro eo quod dereliquistis dominum Deum vestrum et ambolastis post deos alienos nec fecistis rectum ante conspectum eius, ideo tradedit vos dominus Deus vester in manibus inimicorum vestrorum. Psalterii autem versus hic est inventus: Verum propter dolositatem posuisti eis mala; deiecisti eos, dum allevarentur. Quomodo facti sunt in desolatione? Subito defecerunt, et perierunt propter iniquitates suas. In euangeliis autem hoc repertum: Scitis, quia post biduum pascha fiet, et Filius hominis traditur, ut crucifigatur. In his responsibus ille confusus, flens diutissime ad sepulchrum beati antestetis, adsumpto secum Gunthchramno duce, cum quingentus aut eo amplius viris discessit. Egressus autem basilicam sanctam, cum iter ageret per Audisiodorensim territurium, ab Erpone duce Gunthchramni regis conpraehensus est. Cumque ab eo deteneretur, casu nescio quo dilapsus, basilica sancti Germani ingressus est. Audiens haec Gunthchramnus rex, in ira commotus, Erponem septingentis aureis damnat et ab honorem removet, dicens: 'Retenuisti, ut ait frater meus, inimicum suum. Quodsi hoc facere cogitabas, ad me eum debuisti prius adducere; sin autem aliud, nec tangere debueras, quem tenere dissimulabas'. Exercitus autem Chilperici regis usque Toronus accedens, regionem illam in praedas mittit, succendit atque devastat nec rebus sancti Martini pepercit, sed quod manum tetigit, sine ullo Dei intuetu aut timorem deripuit. Merovechus prope duos menses ad antedictam basilicam resedens, fugam iniit et ad Brunichildem reginam usque pervenit; sed ab Austrasiis non est collectus. Pater vero eius exercitum contra Campanensis commovit, putans, eum ibidem occultare. Sed nihil nocuit nec eum potuit repperire.
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Ensuite Mérovée , que son pure faisait garder, fut tonsuré, et, changeant son vêtement pour celui des ecclésiastiques, fut ordonné prêtre et conduit à un monastère du pays du Mans appelé Saint-Calais, pour y être instruit dans les devoirs sacerdotaux. Gontran Boson qui, comme nous l'avons dit, vivait alors dans la basilique de Saint-Martin, ayant appris cette nouvelle, envoya à Mérovée le sous-diacre Riculphe pour lui conseiller secrètement de se réfugier aussi à la basilique de Saint-Martin ; et comme Mérovée était en route pour Saint-Calais, Gaïlen, un de ses serviteurs, vint à sa rencontre. Ceux qui le conduisaient n'étant pas en force, Gaïlen le délivra dans la route ; et Mérovée s'étant couvert la tête et ayant revêtu des habits séculiers, se rendit à l'église de Saint-Martin. Nous célébrions la messe dans cette sainte basilique lorsque, trouvant la porte ouverte, il y entra. Après la messe, il dit que nous devions lui donner les eulogies. Ragnemode, évêque du siége de Paris, et qui avait succédé à saint Germain, était alors avec nous. Comme nous avions refusé à Mérovée ce qu'il demandait , il commençait crier et à dire que nous n'avions pas le droit de le suspendre de la communion sans avoir demandé l'avis de nos confrères. D'après ces paroles, après avoir discuté canoniquement son affaire, nous nous accordâmes avec celui de nos confrères qui était présent, à lui donner les eulogies. Je craignais d'ailleurs, en suspendant un homme de la communion, de me rendre homicide de beaucoup d'autres, car il menaçait de tuer plusieurs de nos gens s'il n'obtenait pas d'être reçu à notre communion. Cependant cela attira de grands désastres sur le pays de Tours. En ces jours-là Nicet, mari de ma nièce, se rendit pour ses affaires près du roi Chilpéric avec notre diacre qui raconta au roi la fuite de Mérovée. En les voyant, la reine Frédégonde dit : Ce sont des espions qui sont venus pour s'enquérir de ce que fait le roi, afin de savoir ce qu'ils auront à dire à Mérovée. Et aussitôt les ayant fait dépouiller, elle ordonna qu'on les conduisît en exil, d'où ils ne sortirent qu'après sept mois accomplis. Chilpéric nous envoya dire par ses messagers : Chassez cet apostat hors de votre basilique, autrement je livrerai tout le pays aux flammes. Nous lui répondîmes qu'il était impossible de faire dans un temps chrétien ce qui ne s'était pas fait du temps des hérétiques. Alors il fit marcher une armée et la dirigea vers ce pays. La seconde année du règne de Childebert, Mérovée, voyant son père arrêté à ce dessein, songea à prendre avec lui le duc Gontran et à aller trouver Brunehault, disant : Ne plaise à Dieu que la basilique de monseigneur Martin soit violée à cause de moi, ou que le pays, à cause de moi, soit réduit en captivité. Et étant entré dans la basilique pendant les Vigiles, il offrit au sépulcre de saint Martin tout ce qu'il avait avec lui, priant ce saint de le secourir et de lui accorder sa protection, afin qu'il pût se mettre en possession du royaume. Le comte Leudaste qui, pour l'amour de Frédégonde, lui tendait beaucoup d'embûches, tua plusieurs de ses serviteurs qu'il avait attirés dans le piège tandis qu'ils étaient hors de la basilique, et il cherchait à le tuer lui-même, s'il en pouvait trouver l'occasion favorable ; mais lui, par le conseil de Gontran et désirant se venger, ordonna qu'on saisît Mariléïphe, premier médecin du roi, et qui revenait d'auprès de lui. Il le fit battre cruellement, le dépouilla de son or, de son argent, et de tout ce qu'il avait, et le laissa entièrement nu. Il l'aurait tué si Mariléïphe ne s'était échappé des mains de ceux qui le frappaient, et ne se fût sauvé dans la cathédrale. Après lui avoir redonné des vêtements et obtenu sa vie, nous le renvoyâmes à Poitiers. Mérovée racontait beaucoup de crimes de son père et de sa belle-mère, et bien qu'ils fussent vrais en partie, je ne crois pas qu'il fût agréable à Dieu qu'ils fussent divulgués par un fils. En effet, je le connus bien par la suite ; car un jour que j'avais été invité à sa table, comme nous étions assis l'un prés de l'autre, il me demanda avec instance de lui lire quelque chose pour l'instruction de son âme, et ayant ouvert le livre de Salomon, je pris le premier verset qui me tomba sous les yeux, contenant ces paroles : Que l'oeil de celui qui insulte son père soit arraché par les corbeaux des torrents, et dévoré par les enfants de l'aigle. Il ne le comprit pas, et je regardai ces paroles comme une prédiction du Seigneur à son sujet. Gontran envoya alors un de ses serviteurs vers une femme qu'il avait connue dès le temps du roi Charibert, et qui avait un esprit de Python, afin qu'elle lui apprit ce qui devait arriver. Il soutenait qu'elle lui avait annoncé d'avance non seulement la nuit, mais le jour et l'heure où devait mourir le roi Charibert ; elle lui fit dire par ses serviteurs : Il arrivera que le roi Chilpéric mourra cette année, et que le roi Mérovée régnera sur tout le royaume à l'exclusion de ses frères. Tu auras pendant cinq ans le commandement de tout le royaume ; mais la sixième année, par la faveur du peuple, tu obtiendras la faveur de l'épiscopat dans une des cités situées sur la Loire, à la droite de son cours, et tu sortiras de ce monde vieux et plein de jours. Lorsque ses serviteurs lui eurent, en arrivant, annoncé cette nouvelle, transporté de vanité comme s'il eût déjà siégé dans la cathédrale de Tours, Gontran vint aussitôt me rapporter ces paroles. A quoi, riant de sa sottise, je lui dis : C'est à Dieu qu'il faut demander ces choses ; il ne faut pas croire ce que promet le diable, car il est menteur et père du mensonge. Lui donc s'en étant allé confus, je riais beaucoup de cet homme qui pensait qu'on devait croire de telles choses. Enfin, dans une certaine nuit, comme après avoir célébré Vigile dans la basilique du saint évêque, je dormais couché dans mon lit, je vis un ange volant par les airs, qui, en passant au-dessus de la sainte basilique, dit d'une voix forte : Hélas, hélas, Dieu a frappé Chilpéric et tous ses fils, et il n'en survivra aucun de ceux qui sont sortis de ses reins, pour gouverner à jamais son royaume. Il avait alors de plusieurs femmes quatre fils sans compter deux filles. Lorsque par la suite ces paroles eurent été accomplies, je connus clairement la fausseté de ce qu'avaient prédit les devins. Tandis que Mérovée et Gontran demeuraient dans la basilique de Saint-Martin, la reine Frédégonde envoya vers Gontran Boson qu'elle protégeait en secret à cause de la mort de Théodebert, et lui fit dire : Si tu peux faire sortir Mérovée de la basilique, afin qu'on le tue, je te ferai un grand présent. Lui, qui croyait que les assassins étaient près de là, dit à Mérovée : Pourquoi restons-nous ici, comme des paresseux et des lâches ? Et d'où vient que semblables à des imbéciles , nous nous cachons autour de cette basilique ? Faisons venir nos chevaux, prenons des faucons, allons à la chasse avec des chiens, et jouissons de la vue des lieux ouverts ; ce qu'il disait par artifice, afin de l'éloigner de la sainte basilique. Gontran avait certainement d'ailleurs de bonnes qualités ; mais toujours prêt au parjure, il ne faisait jamais un serment à l'un de ses amis qu'il ne le violât aussitôt ; ils sortirent donc comme nous l'avons dit de la basilique et se rendirent à Jouay, maison près de la ville. Mais personne ne fit de mal à Mérovée. Et comme Gontran était, comme nous l'avons dit, accusé de la mort de Théodebert, le roi Chilpéric envoya au tombeau de Saint-Martin des messagers avec une lettre écrite à saint Martin , le priant de lui mander, par sa réponse, s'il lui était permis ou non de tirer Gontran de sa basilique. Le diacre Baudégésile, chargé de cette lettre, la mit avec une feuille de papier blanc sur le saint tombeau ; mais, après avoir attendu trois jours sans recevoir aucune réponse, il retourna vers Chilpéric. Celui-ci envoya alors d'autres gens qui exigèrent de Gontran le serment de ne pas quitter la basilique sans le lui faire savoir. Gontran jura avec empressement, donnant la couverture de l'autel pour gage de sa parole, qu'il ne s'en irait pas sans l'ordre du roi Mérovée, ne croyant pas aux paroles de la pythonisse, mit sur le tombeau du saint trois livres : savoir, le Psautier, les Rois et les Évangiles, et passant toute la nuit, il pria le bienheureux confesseur de lui découvrir ce qui devait arriver, afin que le Seigneur lui indiquât s'il devait régner ou non. Il passa ainsi trois jours dans le jeûne, les veilles et l'oraison ; et revenant de nouveau à la sainte tombe, ouvrit un des livres qui était celui des Rois ; le premier verset de la page sur laquelle il tomba, était celui-ci : Le Seigneur a frappé ces peuples de tous les maux, parce qu'ils ont abandonné le Seigneur leur Dieu, et qu'ils ont suivi des dieux étrangers, et les ont adorés et servis. Le verset des psaumes qu'il trouva était celui-ci : A cause de leur perfidie, ô Dieu, vous les avez renversés dans le temps même qu'ils s'élevaient. O comment sont-ils tombés dans la dernière désolation ? Ils ont manqué tout d'un coup, et ils ont péri à cause de leur iniquité. Il trouva ceci dans l'Évangile : Vous savez que la Pâques se fera dans deux jours, et le fils de l'homme sera livré pour être crucifié. Consterné de ces réponses, il pleura très longtemps près du sépulcre du saint évêque ; puis ayant pris avec lui le duc Gontran, il s'en alla avec cinq cents hommes, ou davantage. Ayant donc quitté la sainte basilique, comme ils traversaient le territoire d'Auxerre, Mérovée fut pris par Erpon, l'un des ducs du roi Gontran, et s'étant ensuite échappé, je ne sais comment, d'entre ses mains, il se réfugia dans la basilique de Saint-Germain. Lorsque Gontran l'eut appris, irrité de colère contre Erpon, il le condamna à une amende de sept cents pièces d'or, et lui ôta son emploi, en disant : Mon frère m'a dit que tu avais arrêté son ennemi ; si telle était ton intention, tu devais d'abord me l'amener ; autrement tu ne devais pas toucher à celui que tu ne voulais pas retenir. Cependant l'armée du roi Chilpéric étant venue jusqu'à Tours, pilla, dévasta et brûla tout le pays, sans épargner ce qui appartenait à saint Martin ; car les soldats, sans aucune crainte ni pensée de Dieu, détruisirent tout ce qu'ils purent atteindre. Mérovée, après avoir demeuré deux mois dans la basilique de Saint-Germain, s'enfuit de nouveau et parvint à rejoindre la reine Brunehault ; mais les Austrasiens ne voulurent pas les recevoir. Son père fit marcher une armée en Champagne, pensant qu'il y était caché ; mais cette armée ne fit pas de mal et ne put trouver Mérovée.
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15. Bellum inter Saxonis et Suavos. |
Et quia tempore illo, quo Alboenus in Italia ingressus est, Chlothacharius et Sigyberthus Suavos et alias gentes in loco illo posuerunt, hi qui tempore Sigyberthi regressi sunt, id est qui cum Alboeno fuerant, contra hos consurgunt, volentes eos a regione illa extrudere ac delere. At illi obtulerunt eis tertiam partem terrae, dicentes: 'Simul vivere sine conlisione possumus'. Sed ille contra eos irati, eo quod ipse hoc antea tenuissent, nullatenus pacificare voluerunt. Dehinc obtulerunt eis iterum iste medietatem, post haec duas partes, sibi tertiam relinquentes. Nolentibus autem illis, obtulerunt cum terra omnia pecora, tantum ut a bello cessarent. Sed nec hoc illi adquiescentis, certamen expetiunt. Et inter se ante certamen, qualiter uxores Suavorum deviderent et qui quam post eorum exitu acciperet, tractant, potantes, eos iam quasi interfectus habere. Sed Domini miseratio, quae iustitiam facit, in aliam partem voluntatem eorum retorsit. Nam confligentibus illis, erant enim XXVI milia Saxonum, ex quibus XX milia caeciderunt; Suavorum quoque VI milia, ex quibus quadringenti octuagenta tantum prostrati sunt, reliqui vero victuriam obtenuerunt. Illi quoque qui ex Saxonibus remanserant detestati sunt, nullus se eorum barbam neque capillos incisurum, nisi prius se de adversariis ulciscerent. Quibus iterum decertantibus, in maiore excidio conruerunt; et sic a bello cessatum est.
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Comme au temps où Alboin avait passé en Italie, Clotaire et Sigebert avaient placé, dans le lieu qu'il quittait, des Suèves et d'autres nations, ceux qui avaient accompagné Alboin, étant revenus du temps de Sigebert, s'élevèrent contre eux, et voulurent les chasser et les faire disparaître du pays ; mais eux leur offrirent la troisième partie des terres, disant : Nous pouvons vivre ensemble, sans nous combattre. Les autres, irrités parce qu'ils avaient auparavant possédé ce pays, ne voulurent aucunement entendre à la paix. Les Suèves leur offrirent alors la moitié des terres, puis les deux tiers, ne gardant pour eux que la troisième partie. Les autres le refusant, les Suèves leur offrirent toutes les terres et tous les troupeaux, pourvu seulement qu'ils renonçassent à combattre ; mais ils n'y consentirent pas, et demandèrent le combat. Avant de le livrer, ils traitèrent entre eux du partage des femmes des Suèves, et de celles qu'aurait chacun après la défaite de leurs ennemis qu'ils regardaient déjà comme morts ; mais la miséricorde de Dieu qui agit selon sa justice les obligea de tourner ailleurs leurs pensées, car le combat ayant été livré, sur vingt-six mille Saxons, vingt mille furent tués, et des Suèves qui étaient six mille quatre cents, quatre-vingt seulement furent abattus, et les autres obtinrent la victoire. Ceux des Saxons qui étaient demeurés après la défaite, jurèrent, avec des imprécations, de ne se couper ni la barbe ni les cheveux jusqu'il ce qu'ils se fussent vengés de leurs ennemis ; mais ayant recommencé le combat, ils éprouvèrent encore une plus grande défaite, et ce fut ainsi que la guerre cessa.
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16. De interitum Macliavi. |
In Brittanis haec acta sunt. Macliavus quondam et Bodicus Brittanorum comites sacramentum inter se dederant, ut, quis ex eis superviveret, filius patris alterius tamquam proprius defensaret. Mortuus autem Bodicus reliquit filium Theudericum nomen. Quem Macliavus, oblitus sacramenti, expulsum a patria, regnum patris eius accipit. Hic vero multo tempore profugus vaguusque fuit. Cui tandem misertus Deus, collectis secum a Brittania viris, se super Macliavum obiecit eumque cum filio eius Iacob gladio interemet partemque regni, quam quondam pater eius tenuerat, in sua potestate restituit; partem vero aliam Warochus, Macliavi filius, vindicavit.
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Voici ce qui se passa en Bretagne. Mâlo et Bodic, comtes des Bretons, s'étaient mutuellement fait serment que celui des deux qui survivrait défendrait les fils de l'autre comme les siens propres ; Bodic mourut laissant un fils, nommé Théodoric, et Mâlo, oubliant son serment, le chassa de son pays et lui enleva les États de son père. Il demeura longtemps errant et fugitif ; mais enfin, cependant, Dieu eut pitié de lui, et ayant réuni des Bretons, il vint combattre Mâlo, le tua ainsi que son fils Jacob, et rentra en possession de cette partie du pays qu'avait possédé son père. Waroch , fils de Mâlo, conserva l'autre.
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17. De dubietate paschae. |
Gunthchramnus vero rex duos Magnacharii quondam filios gladio interemit, pro eo quod in Austregildem reginam eiusque subolis multa detestabilia atque exsecranda proferrent, facultatesque eorum fisco suo redegit. Ipse quoque duos filios suos subito morbo oppressus perdedit; de quorum funere valde contristatus est, eo quod orbatus absque liberis remansisset. Eo anno dubietas paschae fuit. In Galliis vero nos cum multis civitatibus quarto decimo Kalendas Maias sanctum paschae celebravimus. Alii vero cum Spanis duodecimo Kalendas Aprilis solemnitatem hanc tenuerunt; tamen, ut ferunt, fontes illi, qui in Spaniis nutu Dei conplentur, in nostrum pascha repleti sunt. Cainone vero Toronicum vicum, dum ipso glorioso resurrectionis dominicae die missae caelebrarentur, eclesia contremuit, populusque conterritus a pavore, unam vocem dedit, dicens, quod eclesia caderet, cunctique ab ea, etiam effractis ostiis, per fugam lapsi sunt. Magna post haec lues populum devastavit. Post haec Gunthchramnus rex ad Childeberthum, nepotem suum, legatos mittit, pacem petens ac depraecans eum videre. Tunc ille cum proceribus suis ad eum venit; qui ad Pontem quem Petreum vocitant coniuncti sunt, cumsalutantes atque invicem osculantes se. Gunthchramnus rex ait: 'Evenit inpulso peccatorum meorum, ut absque liberis remanerem, et ideo peto, ut hic nepus meus mihi sit filius'. Et inponens eum super cathedram suam, cunctum ei regnum tradedit, dicens: 'Una nos parma protegat unaque asta defendat. Quod si filius habuero, te nihilhominus tamquam unum ex his reputabo, ut illa cum eis tecumque permaneat caretas, quam tibi hodie ego pollicior, teste Deo'. Proceris vero Childeberthi similiter pro eodem polliciti sunt. Et manducantes simul atque bibentes dignisque se muneribus honorantes, pacifici discesserunt, ad Chilpericum regem legationem mittentis, ut redderet, quod de eorum regno minuerat; quod si differret, campum praepararet ad bellum. Quod ille dispiciens, apud Sessionas atque Parisius circus aedificare praecepit, eosque populis spectaculum praebens.
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Le roi Gontran fit tuer par l'épée deux fils de défunt Magnachaire, parce qu'ils proféraient beaucoup d'exécrations et d'imprécations contre la reine Austregilde et ses enfants, et il confisqua tout ce qu'ils possédaient. Lui-même perdit ses deux fils par une maladie soudaine, dont il fut grandement contristé, parce qu'il demeurait privé d'enfants. Cette année, il y eut du doute sur le jour de Pâques. Dans les Gaules, notre cité et beaucoup d'autres célébrèrent la sainte Pâques le 25 d'avril ; il y en eut qui la solennisèrent avec les Espagnols le 21 mars. On dit cependant que les fontaines qui, par l'ordre spécial de Dieu, se remplissent le jour de Pâques, se remplirent le jour que nous avions choisi pour la célébrer. Dans le bourg de Chinon, au territoire de Tours, il arriva que, pendant qu'on célébrait la messe, le jour glorieux de la résurrection du Seigneur, l'église trembla, et le peuple, troublé de frayeur, cria tout d'une voix que l'église tombait. Tous en même temps brisèrent les portes, et se sauvèrent par la fuite. Après quoi une grande contagion fit périr beaucoup de ce peuple. Ensuite le roi Gontran envoya vers son neveu le roi Childebert, lui demandant la paix et désirant de le voir ; alors Childebert vint à lui avec ses grands et ils se réunirent au pont qu'on appelle le pont de pierre. Là, ils se saluèrent mutuellement, et s'embrassèrent, et le roi Gontran dit : Il est arrivé à cause de mes péchés que je suis demeuré sans enfants, je prie donc que mon neveu devienne mon fils. " Et le plaçant sur son siége, il lui remit tout son royaume, disant : Qu'un même bouclier nous protège ! qu'une même lance nous défende ! S'il me vient des fils, je ne le regarderai pas moins comme un d'entre eux, en sorte que vous conserviez entre vous cette amitié que je te promets aujourd'hui en présence de Dieu. Les grands de Childebert promirent la même chose pour lui. Ils mangèrent et burent ensemble, s'honorèrent mutuellement de nobles présents et se séparèrent en paix. Puis ils firent partir des envoyés pour aller trouver le roi Chilpéric afin qu'il leur rendît ce qu'il avait usurpé de leurs royaumes, ou que, s'il s'y refusait, il se préparât à la guerre. Mais lui n'ayant aucun égard à ce message, commença à faire bâtir à Soissons et à Paris des cirques où il donna des spectacles au peuple.
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18. De Praetextato episcopo et interitu Merovechi. |
His ita gestis, audiens Chilpericus, quod Praetextatus Rothomagensis episcopus contra utilitatem suam populis munera daret, eum ad se arcessire praecepit. Quem discussum, repperit cum eodem res Brunichildis reginae conmendatas; ipsasque ablatas, eum in exilium usque sacerdotalem audientiam retenere praecepit. Coniuncto autem concilio, exhibitus est. Erant autem episcopi qui advenerant apud Parisius in basilica sancti Petri apostoli. Cui rex ait: 'Quid tibi visum est, o episcope, ut inimicum meum Merovechum, qui filius esse debuerat, cum amita sua, id est patrui sui uxore, coniungeres? An ignarus eras, quae pro hac causa canonum statuta sancsexissent? Etiam non hic solum excessisse probaris, sed etiam cum illo egisti, datis muneribus, ut ego interficerer. Hostem autem filium patri fecisti, seduxisti paecuniam plebem, ut nullus mecum fidem habitam custodiret, voluistique regnum meum in manu alterius tradere'. Haec eo dicente, infremuit multitudo Francorum voluitque ostea basilicae rumpere, quasi ut extractum sacerdotem lapidibus urgueret; sed rex prohibuit fieri. Cumque Praetextatus episcopus ea quae rex dixerat facta negaret, advenerunt falsi testis, qui ostendebant species aliquas, dicentes: 'Haec et haec nobis dedisti, ut Merovechum fidem promittere deberimus'. Ad haec ille dicebat: 'Verum enim dicitis vos a me saepius muneratus; sed non haec causa extetit, ut rex eieceretur a regno. Nam et cum vos mihi et equos optimos et res alias praeberetis, numquid poteram aliud facere, nisi et ego vos simile sorte remunerarem?' Recedente vero regem ad metatum suum, nos, collecti in unum, sedebamus in secretarium basilicae beati Petri. Confabulantibusque nobis, subito venit Aetius archaediaconus Parisiacae eclesiae, salutatisque nobis, ait: 'Audite me, o sacerdotes Domini, qui in unum collecti estis; aut enim hoc tempore exaltabitis nomen vestrum et bonae famae gratia refulgebitis, aut certe nullus vos amodo pro Dei sacerdotibus est habiturus, si personas vestras sagaciter non eregitis aut fratrem perire permittetis'. Haec eo dicente, nullus sacerdotum ei quicquam respondit. Timebant enim regine fururem, cuius instinctu haec agebantur. Quibus intentis et ora digitis conpraementibus, ego aio: 'Adtenti estote, quaeso, sermonibus meis, o sanctissimi sacerdotes Dei, et praesertim vos, qui familiariores esse regi vidimini; adhibite ei consilium sanctum atque sacerdotalem, ne exardiscens in ministrum Dei pereat ab ira eius et regnum perdat et gloriam'. Haec me dicente, silebant omnes. Illis vero silentibus, adieci: 'Mementote, domini mi sacerdotes, verbi prophetici, quo ait: Si viderit speculatur iniquitatem hominis et non dixerit, reus erit animae pereuntes. Ergo nolite silere, sed praedicate et ponite ante oculos regis peccata eius, ne forte ei aliquid mali contingat et vos rei sitis pro anima eius. An ignoratis, quid novum gestum fuerit tempore? Quomodo adpraehensum Sigymundum Chlodomeris retrusit in carcerem, dixitque ei Avitus Dei sacerdus: Ne inicias manum in eo, et cum Burgundiam petieris, victuriam obtenebis". Ille vero abnuens quae ei a sacerdote dicta fuerant, abiit ipsumque cum uxore et filiis interemit petiitque Burgundiam, ibique obpraessus ab exercitu, interemptus est. Quid Maximus imperatur? Cum beatum Martinum conpulisset communicare cuidam homicide episcopo, et ille, quo facilius addictus morte liberaret, regi impio consensisset, prosequente Regis aeterni iudicio, ab imperio depulsus Maximus morte pessima condemnatus est'. Haec me dicente, non respondit ullus quicquam, sed erant omnes intenti stupentes. Duo tamen adolatores ex ipsis - quod de episcopis dici dolendum est - nuntiaverunt regi, dicentes, quia nullum maiorem inimicum suis causis quam me haberet. Ilico unus ex aulicis cursu rapitu ad me repraesentandum dirigitur. Cumque venissem, stabat rex iuxta tabernaculum ex ramis factum, et ad dexteram eius Berthchramnus episcopus, ad levam vero Ragnemodus stabat; et erat ante eos scamnum pane desuper plenum cum diversis fercolis. Visoque me, rex ait: 'O episcope, iustitiam cunctis largire debes: et ecce! ego iustitiam a te non accipio; sed, ut video, consentis iniquitati, et impletur in te proverbium illud, quod corvus oculum corvi non eruet. Ad haec ego: 'Si quis de nobis, o rex, iustitiae tramitem transcendere voluerit, a te corrigi potest; si vero tu excesseris, quis te corripiet? Loquimur enim tibi; sed si volueris, audis; si autem nolueris, quis te condemnavit, nisi is qui se pronuntiavit esse iustitiam?' Ad haec ille, ut erat ab adolatoribus contra me accensus, ait: 'Cum omnibus enim inveni iustitiam et tecum invenire non possum. Sed scio, quid faciam, ut noteris in populis, et iniustum te esse in omnibus perpatiscat. Convocabo enim populum Toronicum et dicam eis: Voceferamini contra Gregorium, quod sit iniustus et nulli hominum iustitiam praestit". Illis quoque haec clamantibus respondebo : Ego qui rex sum iustitiam cum eodem invenire non possum, et vos qui minores estis invenietis?"' Ad haec ego: 'Quod sim iniustus, tu nescis. Scit enim ille conscientia mea, cui occulta cordis sunt manifesta. Quod vero falso clamore populus, te insultante, vociferat, nihil est, quia sciunt omnes a te haec emissa. Ideoque non ego, sed potius tu in adclamatione notaberis. Sed quid plura? Habes legem et canones; haec te diligenter rimari oportet, et tunc quae praeciperint si non observaberis, noveris, tibi Dei iudicium imminere'. At illi quasi me demulcens, quod dolose faciens potabat me non intellegere, conversus ad iuscellum, quod coram eo erat positus, ait: 'Propter te haec iuscella paravi, in qua nihil aliud praeter volatilia et parumper ciceris continetur'. Ad haec ego, cognuscens adulationis eius, dixi: 'Noster cibus esse debet facere voluntatem Dei et non in his diliciis dilectare, ut ea quae praecipit nullo casu praetermittamus. Tu vero, qui alios de iustitia culpas, pollicire prius, quod legem et canones non omittas; et tunc credimus, quod iustitiam prosequaris'. Ille vero, porrectam dexteram, iuravit per omnipotenti Deo, quod ea quae lex et canones edocebant nullu praetermitteret pactu. Post haec, accepto pane, hausto etiam vino, discessi. Ea vero nocte, decantatis nocturnalibus hymnis osteum, mansionis nostrae gravibus audio cogi verberibus; missoque puero, nuntius Fredegundis reginae adstare cognusco. Quibus introductis, salutationem reginae suscipio. Deinde praecantur pueri, ut in eius causis contrarius non existam, simulque ducentas argenti promittunt libras, si Praetextatus, me inpugnante, obpraemeretur. Dicebant enim: 'Iam omnium episcoporum promissionem habemus; tantum tu adversus non incedas'. Quibus ego: 'Si mihi mille libras auri argentique donetis, num quid aliud facere posso, nisi quae Dominus agire praecipit? Unum tantum pollicior, quod ea quae ceteri secundum canonum statuta consenserint sequar'. At illi, non intellegentes quae dicebam, gratias agentes, discesserunt. Mane autem facto, aliqui de episcopis ad me venerunt, simile mandato ferentes; quibus ego similia respondi. Convenientibus autem nobis in basilica sancti Petri, mane rex adfuit dixitque: 'Episcopus enim in furtis depraehensus ab episcopali officio ut avellatur, canonum auctoritas sancxit'. Nobis quoque respondentibus, quis ille sacerdus esset, cuius furti crimen inrogaretur, respondit rex: 'Vidistis enim species, quas nobis furtu abstulit'. Ostenderat enim nobis ante die tertia rex duo volucra, species et diversis ornamentis referta, quae praeciebantur amplius quam tria milia solidorum; sed et saccolum cum nummismati auri pondere, tenentem quasi duo milia. Haec enim dicebat rex sibi ab episcopo fuisse furata. Qui respondit: 'Recolere vos credo, discendente a Rothomaginse urbe Brunichilde regina, quod venerim ad vos, dixique vobis, quia res eius, id est quinque sarcinas, conmendatas haberem, et frequentius advenire puerus eius ad me, ut ea redderem, et nolui sine consilio vestro. Tu autem dixisti mihi, o rex: Eiece haec a te, et revertantur ad mulierem res suae, ne inimicitia inter me et Childeberthum, nepotem meum, pro his rebus debeat pullulare". Reversus ego ad urbem, unum volucrum tradidi puerus; non enim valebant amplius ferre. Reversi iterum requirebant alios. Iterum consiliatus sum magnificentiam vestram. Tu autem praecipisti, dicens: Eiece, eiece haec a te, o sacerdos, ne faciat scandalum haec causam". Iterum tradidi eis duo ex his; duo autem alii remanserunt mecum. Tu autem quid nunc calumniaris et me furti argues, cum haec causa non ad furtum, sed ad custodiam debeat deputare?' Ad haec rex: 'Si hoc depositum penes te habebatur ad custodiendum, cur solvisti unum ex his et lymbum aureis contextum filis in partibus desecasti et dedisti per virus, qui me a regno deiecerent?' Praetextatus episcopus respondit: 'Iam dixi tibi superius, quia munera eorum acciperam, ideoque haec, cum non haberem de praesenti quid darem, hinc praesumpsi et eis vicissitudinem munerum tribui. Proprium mihi esse videbatur, quod filio meo Merovecho erat, quem de lavacro regenerationis excipi'. Videns autem rex Chilpericus, quod eum his calumniis superare nequiret, adtonitus valde ac conscientia confusus, discessit a nobis vocavitque quosdam de adolatoribus suis et ait: 'Victum me verbis episcopi fateor et vera esse quod dicit scio; quid nunc faciam, ut reginae de eo voluntas adimpleatur ?' Et ait: 'Ite, et accedentes ad eum, dicite, quasi consilium ex vobismet ipsis dantes: Nosti, quod sit rex Chilpericus pius atque conpunctus et cito flectatur ad misericordiam; humiliare sub eo et dicito, ab eo obiecta a te perpetrata fuisse. Tunc nos prostrati omnes coram pedibus eius, dare tibi veniam inpetramus"'. His seductus Praetextatus episcopus, pollicitus est se ita facturum. Mane autem facto, convenimus ad consuetum locum; adveniensque et rex, ait ad episcopum: 'Si munera pro muneribus his hominibus es largitus, quur sacramenta postulasti, ut fidem Merovecho servarent?' Respondit episcopus: 'Petii, fateor, amicitias eorum habere cum eo, et non solum hominem, sed, si fas fuisset, angelum de caelo evocaveram, qui esset adiutor eius; filius enim mihi erat, ut saepe dixi, spiritalis ex lavacro'. Cumque haec altercatio altius tolleretur, Praetextatus episcopus, prostratus solo, ait: 'Peccavi in caelo et coram te, o rex misericordissime; ego sum homicida nefandus; ego te interficere volui et filio tuo in solio tuo eregere'. Haec eo dicente, prosternitur rex coram pedibus sacerdotum, dicens: 'Audite, o piissimi sacerdotes, reum crimen exsecrabile confitentem'. Cumque nos flentes regem elevassemus a solo, iussit eum basilicam egredi. Ipse vero ad metatum discessit, transmittens librum canonum, in quo erat quaternio novus adnixus, habens canones quasi apostolicus, continentes haec: Episcopus in homicidio, adulterio et periurio depraehensus, a sacerdotio divillatur. His ita lectis, cum Praetextatus staret stupens, Berthechramnus episcopus ait: 'Audi, o frater et coepiscope, quia regis gratiam non habes, ideoque nec nostram caritatem uti poteris, priusquam regis indulgentia merearis'. His ita gestis, petiit rex, ut aut tonicam eius scinderetur aut centisimus octavus psalmus, qui maledictionibus Scarioticas continet, super caput eius recitaretur aut certe iudicium contra eum scriberetur, ne in perpetuo communicaret. Quibus condicionibus ego restiti, iuxta promissum regis, ut nihil extra canones gereretur. Tunc Praetextatus a nostris raptus oculis, in custodia positus est. De qua fugire temptans nocte, gravissime caesus, in insola maris, quod adiacet civitati Constantinae, in exilio est detrusus. Post haec sonuit, quod Merovechus iterum basilica sancti Martini conaretur expetere. Chilpericus vero custodire basilicam iubet et omnes claudi aditus. Custodis autem unum osteum, per quod pauci clerici ad officium ingrederentur, relinquentes, reliqua ostea clausa tenebant; quod non sine taedio populis fuit. Cum autem apud Parisius moraremur, signa in caelo apparuerunt, id est viginti radii a parte aquilonis, qui ab oriente surgentes, ad occidentem properabant; ex quibus unus prolixior et alius supereminens, ut est in sublime elevatus, mox defecit, et sic reliqui qui secuti fuerant evanuerunt. Credo, interitum Merovechi pronuntiassent. Merovechus vero, dum in Remensem campaniam latitaret nec palam se Austrasiis crederit, a Tarabannensibus circumventus est, dicentibus, quod, relicto patre eius Chilperico, ei se subiugarent, si ad eos accederit. Qui velociter, adsumptis secum viris fortissimis, ad eos venit. Hi praeparatus detegentes dolos, in villam eum quandam concludunt et, circumseptum cum armatis, nuntius patri dirigunt. Quod ille audiens, illuc properare distinat. Sed hic cum in hospitiolo quodam reteneretur, timens, ne ad vindictam inimicorum multas lueret poenas, vocatum ad se Gailenum familiarem suum, ait: 'Una nobis usque nunc et anima et consilium fuit; rogo, ne patiaris me in manibus inimicorum tradi, sed, accepto gladio, inruas in me'. Quod ille nec dubitans, eum cultro confodit. Advenientem autem regem, mortuos est repertus. Extetirunt tunc qui adsererent, verba Merovechi, quae superius diximus, a regina fuisse conficta, Merovechum vero eius fuisse iussu clam interemptum. Gailenum vero adpraehensum, abscisis manibus et pedibus, auribus vel narium summitatibus et aliis multis cruciatibus adfectum, infiliciter negaverunt. Grindionem quoque intextum rotae in sublime sustulerunt; Ciucilonem, qui quondam comes palatii Sygiberthi regis fuerat, absciso capite, interficerunt. Sed et alios multos, qui cum eodem venerant, crudile nece diversis mortibus adficerunt. Loquebantur etiam tunc homines, in hac circumventionem Egidium episcopum et Gunthchramnum Bosonem fuisse maximum caput, eo quod Gunthchramnus Fredegundis reginae occultas amicitias potiretur pro interfectione Theodoberthi; Egidius vero, quod ei iam longo tempore esset carus.
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Ces choses arrivées, Chilpéric, ayant ouï dire que Prétextat, évêque de Rouen, agissait contre lui par des présents qu'il répandait parmi le peuple, ordonna et qu'il lui fût amené ; et la chose discutée, il lui trouva des effets que lui avait confiés la reine Brunehault : il les lui prit, et ordonna qu'il fût retenu en exil, jusqu'à ce qu'il eût été entendu par les évêques. Le concile assemblé, on s'y présenta. Les évêques, venus à Paris, s'étant réunis dans la basilique de l'apôtre saint Pierre, le roi dit : Par quelle raison, ô évêque ! as-tu uni en mariage mon ennemi. Mérovée qui aurait dû agir comme mon fils, avec sa tante, c'est-à-dire, la femme de son oncle ? Ignorais-tu ce que les canons ont ordonné à cet égard ? Et tu es convaincu non seulement de t'être rendu coupable en cela, mais d'avoir travaillé par des présents, de concert avec lui, à me faire assassiner : ainsi tu as rendu le fils ennemi de son père, tu as séduit le peuple par des présents, afin qu'aucun ne me gardât la foi qu'il m'a promise, et tu as voulu livrer mon royaume entre les mains d'un autre. A ces paroles, la multitude des Francs frémit de colère, et voulut priser les portes de la basilique pour en tirer l'évêque et le lapider ; mais le roi défendit qu'on en fît rien. L'évêque Prétextat, niant avoir fait ce que le roi avait dit, il vint de faux témoins qui montrèrent quelques joyaux, disant : Tu nous as donné telles et telles choses pour que nous promissions fidélité à Mérovée. Et il répondit à cela : Vous dites la vérité ; je vous ai souvent fait des présents, mais non pas pour que le roi fût chassé de son royaume ; car, lorsque vous veniez m'offrir de très beaux chevaux et d'autres choses, je ne pouvais faire autrement que de vous récompenser de cette manière. Le roi étant retourné à son logis, nous siégions tous ensemble dans la sacristie de la basilique de Saint-Pierre ; et tandis que nous nous entretenions, vint tout à coup Aetius, archidiacre de l'Église de Paris, qui, nous ayant salués, dit : Écoutez-moi, ô prêtres du Seigneur rassemblés en ce lieu ; c'est ici le temps où vous pouvez honorer votre nom, et briller de tous les avantages d'une bonne renommée ; ou bien, en vérité, personne ne vous regardera plus comme les prêtres de Dieu, si vous ne vous conduisez pas judicieusement, et que vous laissiez périr votre frère. Lorsqu'il eut dit ces paroles, aucun des évêques ne lui répondit, car ils craignaient la fureur de la reine, à l'instigation de laquelle se faisait tout cela. Comme ils demeuraient pensifs et le doigt appuyé sur les lèvres, je leur dis : Faites attention, je vous prie, à mes paroles, ô très saints prêtres de Dieu, et vous surtout qui paraissez être plus que les autres dans la familiarité du roi ; portez-lui un conseil pieux et sacerdotal, de peur que, s'irritant contré un ministre du Seigneur, il ne périsse lui-même par la contre de Dieu, et ne perde son royaume et sa gloire. Comme je disais ces paroles, ils demeuraient dans le silence ; et voyant qu'ils continuaient à se taire, j'ajoutai : Souvenez-vous, messeigneurs les évêques, des paroles du prophète qui a dit : Si la sentinelle, voyant venir l'épée , ne sonne point de la trompette , et que l'épée vienne et ôte la vie aux peuples, je redemanderai leur sang à la sentinelle. Ne gardez donc pas le silence, mais prêchez et mettez devant les yeux du roi ses péchés, de peur qu'il ne lui arrive quelque mal, et que vous ne soyez coupables de sa perte. Ignorez-vous ce qui est arrivé de nos temps, lorsque Clodomir prit et envoya en prison Sigismond ? Le prêtre Avitus lui dit : Ne porte pas les mains sur lui, et si tu vas en Bourgogne, tu obtiendras la victoire ; mais lui, rejetant ce que lui avait dit le prêtre, alla et fit tuer Sigismond avec sa femme et ses fils ; il partit ensuite pour la Bourgogne, et, vaincu par une armée, il fut tué. Ne savez-vous pas ce qui est arrivé à l'empereur Maxime , et comment il força le bienheureux Martin, à recevoir à la communion un évêque homicide, à quoi celui-ci consentit pour obtenir de ce roi impie la délivrance des gens condamnés à mort ? Poursuivi par le jugement du Roi éternel, Maxime, chassé de l'empire, fut condamné à la mort la plus cruelle. Personne ne répondit rien à ces paroles ; ils étaient tous pensifs et dans la stupeur. Cependant deux flatteurs qui se trouvaient parmi eux, chose douloureuse à dire en parlant d'évêques, envoyèrent dire au roi qu'il n'avait pas dans cette affaire de plus grand ennemi que moi. Aussitôt il envoya un de ses courtisans en toute hâte pour m'amener devant lui. Lorsque j'arrivai, le roi était auprès d'une cabane faite de ramée ; à sa droite, était l'évêque Bertrand ; à sa gauche, Ragnemode ; devant eux était un banc couvert de pain et de différents mets. Le roi, me voyant, dit : Ô évêque, tu dois dispenser la justice à tous, et voilà que je ne puis obtenir de toi la justice ; mais, je le vois, tu consens à l'iniquité, et en toi s'accomplit le proverbe : le corbeau n'arrache point les yeux du corbeau. Je lui dis : Si quelqu'un de nous, ô roi , voulait s'écarter des sentiers de la justice, il peut être corrigé par toi ; mais si tu y manques, qui te reprendra ? Car nous te parlons, et tu ne nous écoutes que si tu veux ; et si tu ne le veux pas, qui te condamnera, si ce n'est celui qui a déclaré être lui-même la justice ? Alors, irrité contre moi par les flatteurs, il me dit : J'ai trouvé la justice avec tous , et ne puis la trouver avec toi ; mais je sais ce que je ferai, afin que tu sois noté parmi les peuples, et reconnu de tous pour un homme injuste. J'assemblerai le peuple de Tours, et je lui dirai : Élevez la voix contre Grégoire, et criez qu'il est injuste et n'accorde la justice à personne ; et je répondrai à ceux qui crieront ainsi : Moi qui suis roi, je ne puis obtenir de lui la justice ; comment vous autres plus petits l'obtiendriez-vous ? Je lui dis : Tu ne sais pas si je suis injuste. Celui à qui se manifestent les secrets des 'coeurs connaît ma conscience ; et, quant à ces faussetés que proférera contre moi, dans ses clameurs, le peuple que tu auras poussé par tes insultes, elles ne seront rien du tout, car chacun saura qu'elles viennent de toi ; ce n'est donc pas moi, mais toi plutôt, qui seras noté par tes cris. Tu as les lois et les canons ; il te faut les consulter avec soin, et si tu n'observes pas ce qu'ils t'apprendront, sache que tu es menacé par le jugement de Dieu. Lui, pour m'apaiser, et pensant que je ne devinerais pas qu'il le faisait par artifice, me montra un bouillon placé devant lui, et me dit : Je t'ai fait préparer ce bouillon, dans lequel il n'y a autre chose que de la volaille et quelques pois chiches. Et moi, connaissant qu'il cherchait à me flatter, je dis : Notre nourriture doit être de faire la volonté de Dieu , et non de nous plaire dans les délices, afin que nous ne transgressions en aucune manière ce qu'il a ordonné. Toi qui inculpes la justice des autres, promets d'abord que tu ne laisseras pas de côté la loi et les canons, et alors nous croirons que c'est la justice que tu poursuis. Il étendit sa main droite et jura par le Dieu tout-puissant de ne transgresser en rien ce qu'enseignaient la loi et les canons. Ensuite, après avoir pris du pain et bai du vin, je m'en allai. Cette nuit même, après que nous eûmes chanté les hymnes de la nuit, j'entendis frapper à grands coups à la porte de notre demeure ; j'envoyai un serviteur, et j'appris que c'étaient des messagers de la reine Frédégonde. Ayant été introduits, ils me saluèrent de la part de la reine ; puis ils me prièrent de ne pas persister à lui être contraire dans cette affaire, me promettant deux cents livres d'argent si, me déclarant contre Prétextat, je le faisais condamner, car ils disaient : Nous avons déjà la promesse de tous les évêques ; seulement ne va pas à l'encontre. A quoi je répondis : Quand vous me donneriez mille livres d'or et d'argent, je ne puis faire autre chose que ce que Dieu ordonne ; je vous promets seulement de m'unir aux autres dans ce qu'ils décideront conformément aux canons. Eux, qui ne comprirent pas le sens de mes paroles, s'en allèrent en me remerciant. Le matin, quelques-uns des évêques vinrent à moi avec un message semblable. Je leur répondis la même chose. Comme nous nous fûmes rassemblés dans la basilique de Saint-Pierre, le roi y vint le matin et dit : Les canons ordonnent qu'un évêque, convaincu de vol, sera exclu des fonctions épiscopales. Et nous, en réponse, lui ayant demandé quel était l'évêque auquel on imputait le crime de vol, le roi dit : Vous avez vu ces joyaux qu'il nous a dérobés. Or le roi nous avait montré, trois jours auparavant, deux valises remplies d'effets en or et en argent, et de divers joyaux qu'on estimait à plus de trois mille sols d'or, et aussi un sac rempli de pièces d'or, et qui en contenait près de deux mille. Le roi disait que ces choses lui avaient été volées par l'évêque : celui-ci répondit : Vous vous rappelez, je crois, que la reine Brunehault étant arrivée à Rouen, j'allai vers vous, et vous dis qu'elle m'avait confié ses trésors, savoir cinq valises, et que ses serviteurs venaient souvent me demander de les lui rendre, mais que je ne voulais pas le faire sans votre avis. Tu me dis, ô roi : Rejette ces choses, et rends à cette femme ce qui lui appartient, de peur qu'à cause de ces richesses il ne s'élève des inimitiés entre moi et mon neveu Childebert. Étant donc retourné à la ville, je remis aux serviteurs une des valises, car ils n'étaient pas assez forts pour en porter davantage. Ils revinrent demander les autres. Je consultai de nouveau votre Magnificence ; tu m'ordonnas la même chose, disant : Rejette, rejette loin de toi ces trésors, ô évêque ! de peur qu'ils ne fassent naître quelque querelle. J'en rendis donc encore deux ; les deux autres me demeurèrent. Et toi, comment maintenant peux-tu me calomnier et m'accuser de vol, puisque ces choses ne peuvent être regardées comme volées, mais remises en ma garde ? Le roi dit à cela : Si ces valises ont été remises entre tes mains pour les garder, pourquoi en as-tu ouvert une et coupé en partie une frange tissue de fil d'or, que tu as donnée à des hommes pour qu'ils me chassassent de mon royaume ? L'évêque Prétextat répondit : Je t'ai déjà dit que, comme j'avais reçu d'eux des présents, n'ayant point à moi de quoi leur en faire, j'empruntai cela et le leur donnai en retour. Je regardais comme à moi ce qui appartenait à mon fils Mérovée que j'ai tenu sur les fonts baptismaux. Le roi Chilpéric, voyant qu'il ne pouvait l'emporter sur lui par ces calomnies, nous quitta très interdit et troublé par sa conscience ; il appela à lui quelques-uns de ses flatteurs, et leur dit : J'avoue que l'évêque m'a vaincu par ses paroles, et je sais bien que ce qu'il dit est vrai ; que ferai-je donc maintenant pour accomplir contre lui la volonté de la reine ? et il leur dit : Allez le trouver et dites-lui, comme si vous lui donniez de vous-même ce conseil : Tu sais que le roi Chilpéric est bon et facile à toucher, qu'il se laisse promptement fléchir à la miséricorde. Humilie-toi devant lui, et dis avoir fait les choses dont il t'accuse ; alors nous nous prosternerons tous à ses pieds et obtiendrons qu'il t'accorde ton pardon. Séduit par eux, l'évêque Prétextat promit de faire ce qu'ils lui conseillaient. Le matin arrivé, nous nous rassemblâmes au lieu accoutumé ; le roi y étant venu dit à l'évêque : Si tu as rendu à ces hommes des présents en retour de leurs présents, pourquoi leur as-tu demandé par serment de demeurer fidèles à Mérovée ? L'évêque répondit : Je leur ai demandé d'être ses amis, et j'aurais appelé à son secours non seulement un homme, mais, s'il me l'eût été permis, un ange du ciel, car c'était,comme je l'ai dit plusieurs fois, mon fils spirituel que j'ai tenu au baptême. La discussion s'échauffant, l'évêque Prétextat se prosterna à terre et dit : J'ai péché contre le ciel et contre toi, ô roi très miséricordieux ! je suis un détestable homicide. J'ai voulu te faire périr et élever ton fils sur ton trône. Lorsqu'il eut dit ces paroles, le roi se prosterna aux pieds des évêques, disant : Écoutez, très pieux évêques ! ce coupable a confessé son crime exécrable. Alors nous relevâmes en pleurant le roi, et il ordonna à Prétextat de sortir de l'église. Lui-même se retira dans son logis, et il nous envoya les livres des canons auxquels on en avait ajouté un quatrième renfermant des canons dits apostoliques où se trouvaient ces paroles : L'évêque pris en homicide, adultère ou parjure, doit être dépouillé du sacerdoce. Lorsqu'on les eut lus, Prétextat demeurant saisi de stupeur, l'évêque Bertrand lui dit : Écoute, ô frère et collègue ! comme tu n'as pas la grâce du roi, notre bienveillance ne peut t'être bonne à rien jusqu'à ce que tu aies obtenu que le roi te pardonne. Après cela le roi demanda, ou qu'on lui déchirât sa robe, ou qu'on récitât sur sa tête le 108e psaume qui contient les malédictions contre Judas Iscariote, ou qu'on souscrivit un jugement contre lui pour le priver à jamais de la communion. Je me refusai à toutes ces conditions d'après la promesse du roi qu'il ne serait rien fait contre les canons. Alors Prétextat fut enlevé de devant nos yeux et remis à des gardes, et, ayant essayé de s'enfuir pendant la nuit, il fut grièvement battu et envoyé en exil dans une île sur la mer près de la ville de Coutances. Le bruit courut ensuite que Mérovée cherchait de nouveau à regagner la basilique de Saint-Martin. Chilpéric ordonna de la garder et d'en fermer toutes les portes. Les gardes laissèrent donc ouverte une seule porte par où un petit nombre de clercs se rendaient à l'office, et ils tinrent les autres fermées, non sans grande incommodité pour le peuple. Tandis que nous étions à Paris, il parut des signes dans le ciel. On vit vers le nord vingt rayons qui, s'élevant de l'orient, allaient se perdre à l'occident ; un de ces rayons, plus long et plus élevé que les autres, monta au haut du ciel et se dissipa soudainement. Les autres qui l'avaient suivi s'évanouirent ; je crois que cela présageait la mort de Mérovée. Tandis qu'il se cachait dans la Champagne Rémoise, n'osant ouvertement se confier aux Austrasiens, il fut conduit dans le piège par les gens de Térouane qui lui dirent que, s'il voulait venir vers eux, ils abandonneraient son père Chilpéric et se soumettraient à lui. Ayant aussitôt pris avec lui des hommes très courageux, il vint vers eux : eux alors découvrant la fourbe qu'ils avaient préparée, l'enfermèrent dans une métairie, et, l'ayant entourée de gens armés, envoyèrent des messagers à son père. Celui-ci, apprenant cette nouvelle , se disposa à se rendre sur le lieu. Mais Mérovée, retenu dans cette petite maison, craignant de satisfaire par beaucoup de tourments à la vengeance de ses ennemis, appela à lui Gaïlen, un de ses familiers, et lui dit : Nous n'avons eu jusqu'ici qu'une âme et qu'une volonté ; ne souffre pas, je te prie, que je sois livré entre les mains de mes ennemis, mais, prends une épée et enfonce-la dans mon corps. Celui-ci, sans hésiter, le perça de son couteau. Le roi en arrivant le trouva mort. Il y eut des gens qui soutinrent que les paroles de Mérovée, que nous venons de rapporter, avaient été supposées par la reine, et que Mérovée avait été tué secrètement par son ordre. Gaïlen ayant été pris, en lui coupa les mains, les pieds, les oreilles, le dessus des narines, et on le fit périr misérablement. Grindion fut condamné au supplice de la roue. Gucilian, autrefois comte du palais du roi Sigebert, eut la tête tranchée. Beaucoup d'autres, venus avec Mérovée, furent mis à mort de diverses et cruelles manières. On disait que cette trahison avait été particulièrement conduite par l'évêque Aegidius et par Gontran Boson, car la reine Frédégonde portait à Gontran une amitié secrète comme meurtrier de Théodebert ; Aegidius lui était cher depuis longtemps.
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19. De aelimosinis Tiberii. |
Cum autem Iustinus imperator, amisso sensu, amens effectus esset et per solam Sophiam augustam eius imperium regiretur, populi, ut in superiore libro iam diximus, Tiberium caesarem elegerunt utilem, strinuum atque sapientem, aelymosinarium inopumque optimum defensorem. Qui cum multa de thesauris, quos Iustinus adgregavit, pauperibus erogaret et augusta illa eum frequentius increparet, quod rem publicam redegisset in paupertate, diceritque: 'Quod ego multis annis congregavi, tu infra pauco tempus prodegi dispergis', agebat ille: 'Non deerit fisco nostro; tantum pauperis aelymosinam accipiant, aut captivi redimantur. Hoc est enim magnum thesaurum, dicente Domino: Thesaurizate vobis thesaurus in caelo, ubi neque erugo neque tinea corrumpit, et ubi fures non effodiunt nec furantur. Ergo de quod Deus dedit, congregemus per pauperes in caelo, ut Dominus nobis augere dignetur in saeculo'. Et quia, ut diximus, magnus et verus christianus erat, dum hilare distributione pauperibus opem praestat, magis ac magis ei Dominus subministrat. Nam deambolans per palatium, vidit in pavimento domus tabolam marmoream, in qua crux dominica erat sculpta, et ait: 'Crucem tuam, Domine, frontem nostram munimus et pectora, et ecce crucem sub pedibus conculcamus!' Et dicto citius iussit eam auferre; defossamque tabulam atque erectam, inveniunt subter et aliam hoc signum habentem. Nuntiantesque, iussit et illam auferri. Qua amota, repperiunt et tertiam; iussumque eius et haec aufertur. Qua ablata, inveniunt magnum thesaurum, habentem supra mille auri centinaria. Sublatumque aurum pauperibus adhuc habundantius, ut consueverat, subministrat; nec ei Dominus aliquid defecere faciet pro bona voluntate sua. Quid ei in posterum Dominus transmiserit, non omittam. Narsis ille dux Italiae, cum in quadam civitate domum magnam haberet, Italiam cum multis thesauris egressus, ad supra memoratam urbem advenit ibique in domo sua occultae cisterna magna fodit, in qua multa milia centenariorum auri argentique reposuit idque, interfectis consciis, uno tantummodo seni per iuramentum condita conmendavit. Defuncto quoque Narsite, haec sub terra latebant. Cumque supradictus senex huius aelymosinas assidue cerneret, pergit ad eum, dicens: 'Si', inquid, 'mihi aliquid prodest, magnam rem tib, caesar, edicam'. Cui ille: 'Dic', ait, 'quod volueris. Proderit enim tibi, si quiddam nobis profuturum esse narraveris'. 'Thesaurum' , inquid, 'Narsitis reconditum habeo, quod in extremum vitae positus caelare non possum'. Tunc caesar Tiberius gavisus, mittit usque ad locum pueros suos; praecedente vero sene, hi secuntur attoniti. Pervenientesque ad cesternam deopertamque ingrediuntur, in qua tantum aurum argentumque repperiunt, ut per multos dies vix evacuaretur a deportantibus. Et ex hoc ille amplius hilari erogatione dispensavit egenis.
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Lorsque l'empereur Justin, perdant la raison, fut devenu tout à fait insensé et que l'impératrice Sophie fut demeurée seule à la tête de l'empire, les peuples, comme nous l'avons dit dans un livre précédent, élurent Tibère César, homme vaillant, habile, sage, aumônier, défenseur des pauvres et des gens de bien. Comme il distribuait aux pauvres beaucoup des trésors amassés par Justin, l'impératrice lui en faisait de fréquents reproches, disant : Tu dissipes en peu de temps avec prodigalité ce que j'ai amassé en un grand nombre d'années. Et il lui disait : Notre fisc ne sera pas appauvri, si les pauvres ont reçu l'aumône et que les captifs aient été rachetés, car c'est là un grand trésor, puisque Dieu a dit : Faites vous des trésors dans le ciel, où ni la rouille ni les vers ne les mangent point, et où il n'y a point de voleurs qui les déterrent et qui les dérobent. Ainsi donc, de ce que Dieu nous a donna, amassons des trésors dans le ciel, par le moyen des pauvres, afin de mériter que Dieu augmente nos biens sur la terre. Et comme, ainsi que nous l'avons dit, c'était un grand et véritable chrétien, à mesure qu'il distribuait, joyeusement ses richesses aux pauvres, Dieu lui en accordait de plus en plus. Car se promenant dans le palais, il vit, dans le pavé d'une salle, une dalle de marbre dans laquelle était sculptée la croix du Seigneur, et il dit : Seigneur, nous fortifions notre front et notre poitrine du signe de ta croix, et voilà que nous foulons la croix sous nos pieds ! Et aussitôt il ordonna qu'elle fût enlevée ; la dalle de marbre ayant été détachée et déplacée on en trouva une autre portant le même signe ; lorsqu'on vint le lui dire, il ordonna de l'enlever. Celle-ci ôtée, on en trouva une troisième ; il donna ordre de même qu'on l'enlevât, et l'ayant ôtée on trouva un grand trésor de plus de mille pièces d'or. Il prit cet or et le distribua aux pauvres encore plus abondamment qu'il n'avait coutume de faire, et, à cause de ses bonnes intentions, Dieu ne permit jamais qu'il en manquât. Je ne passerai pas sous silence ce que le Seigneur lui envoya par la suite. Narsès, duc d'Italie, avait dans une certaine ville une grande maison. Étant venu en Italie avec beaucoup de trésors, il arriva à la ville dont je parle, et là fit creuser secrètement dans sa maison une grande citerne dans laquelle il plaça beaucoup de milliers de pièces d'or et d'argent, et, ayant fait tuer ceux qui en étaient instruits, il ne mit dans le secret qu'un vieillard à qui il fit jurer de n'en rien dire. Après la mort de Narsès, ces trésors demeuraient ensevelis sous la terre. Le vieillard dont j'ai parlé voyant les constantes aumônes de Tibère, alla le trouver en disant : S'il doit m'en revenir quelque profit, je te découvrirai, César, une chose importante. - Dis ce qu'il te faut, répondit celui-ci ; si tu nous apprends quelque chose d'avantageux pour nous, tu y trouveras ton profit. - J'ai, dit le vieillard, les trésors cachés de Narsès, et, parvenu au terme de ma vie , je ne saurais les cacher. Alors Tibère César, fort joyeux, envoya en ces lieux ses serviteurs. Le vieillard les précédait et eux le suivaient étonnés. Parvenus à la citerne, et l'ayant découverte, ils y entrèrent et y trouvèrent tant d'or et d'argent qu'on eut grand'peine à emporter en plusieurs jours tout ce qu'elle contenait. Ce que Tibère retira de là fut encore plus largement distribué aux pauvres.
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20. De Salunio et sagittario episcopis. |
Igitur contra Salonium Sagittariumque episcopos tumultus exoritur. Hi enim a sancto Nicetio Lugdunensi episcopo educati, diaconatus officio sunt sortiti; huiusque tempore Salonius Ebredunensis urbis, Sagittarius autem Vappinsis ecclesiae sacerdotes statuuntur. Sed, adsumpto episcopatu in proprio relati arbitrio, coeperunt in pervasionibus, caedibus, homicidiis, adulteriis diversisque in sceleribus insano furore crassari, ita ut quodam tempore, celebrante Victore Tricassinorum episcopo sollemnitatem natalicii sui, emissa cohorte, cum gladiis et sagittis inruerent super eum. Venientesque sciderunt vestimenta eius, ministros ceciderunt, vasa vel omne apparatum prandii auferentes, relinquentes episcopum in grandi contumelia. Quod cum rex Guntchramnus comperisset, congregari synodum apud urbem Lugdunensim iussit. Coniunctique episcopi cum patriarcha Nicetio beato, discussis causis, invenerunt eos de his sceleribus quibus accusabantur valde convictos; praeceperuntque, ut qui talia commiserant episcopatus honore privarentur. At illi, cum adhuc propitium sibi regem esse nossent, ad eum accedunt, inplorantes se iniuste remotos, sibique tribui licentiam, ut ad papam urbis Romae accedere debeant. Rex vero annuens petitionibus eorum, datis epistolis, eos abire permisit. Qui accedentes coram papa Iohanne exponunt se nullius rationis existentibus causis dimotos. Ille vero ad regem epistolas dirigit, in quibus locis suis eosdem restitui iubet. Quod rex sine mora, castigatos prius verbis multis, implevit. Sed nulla, quod peius est, fuit emendatio subsecuta. Tamen Victoris episcopi pacem petierunt, traditis hominibus quos in seditione direxerant. Sed ille recordatus praecepti dominici, non debere reddi inimicis mala pro malis, nihil his mali faciens, liberos abire permisit. Unde in posterum a communione suspensus est, pro eo quod, publice accusans, clam inimicis pepercisset absque consilio quibus accusaverat fratrum. Sed per favorem regis iterum in communione revocatus est. Hi vero in maioribus sceleribus cotidie miscebantur; et in proeliis illis, sicut iam supra meminimus, quae Mummolus cum Langobardis gessit, tamquam unus ex laicis, accincti arma, plurimos propriis manibus interfecerunt. In civibus vero suis, nonnullos commoti felle verberantes fustibus, usque ad effusionem sanguinis saeviebant. Unde factum est, ut clamor populi ad regem denuo procederet, eosdemque rex arcessiri praecepit. Quibus advenientibus, noluit suis obtutibus praesentari, scilicet ut, prius habita audientia, si idonei inveniebantur, sic regis praesentiam mererentur. Sed Sagittarius felle commotus, hanc rationem dure suscipiens, ut erat levis ac vanus et in sermonibus inrationabilibus profluus, declamare plurima de rege coepit ac dicere, quod filii eius regnum capere non possint, eo quod mater eorum ex familia Magnacharii quondam adscita regis torum adisset, ignorans, quod, praetermissis nunc generibus feminarum, regis vocitantur liberi, qui de regibus fuerant procreati. His auditis, rex commotus valde, tam equos quam pueros vel quaecumque habere poterant abstulit; ipsosque in monasteriis a se longiori accensu dimotos, in quibus paenitentiam agerent, includi praecepit, non amplius quam singulos eis clericos relinquens; iudices locorum terribiliter commonens, ut ipsos cum armatis custodire debeant, ne cui ad eos visitandos ullus pateat aditus. Superstes enim erant his diebus filii regis, ex quibus senior aegrotare coepit. Accedentes autem ad regem familiares eius, dixerunt: 'Si propitius audire dignaretur rex verba servorum suorum, loquerentur in auribus tuis'. Qui ait: 'Loquimini quae libet'. Dixeruntque: 'Ne forte innocentes hi episcopi exilio condemnati fuissent, et peccatum regis augeatur in aliquo, et ideo filius domini nostri pereat'. Qui ait: 'Ite quantocius et laxate eos, deprecantes, ut orent pro parvulis nostris'. Quibus abeuntibus, dimissi sunt. Egressi igitur de monasteriis, coniuncti sunt pariter, et se osculantes, eo quod olim a se visi non fuerant, ad civitates suas regressi sunt, et in tantum conpuncti sunt, ut viderentur numquam a psallentio cessare, celebrare ieiunia, aelemosinas exercere, librum Davitici carminis explere per diem noctesque in hymnis ac lectionibus meditando deducere. Sed non diu haec sanctitas inlibata permansit, conversique sunt iterum retrorsum; et ita plerumque noctes epulando atque bibendo ducebant, ut, clericis matutinas in eclesia celebrantibus, hi pocula poscerent et vina libarent. Nulla prorsus de Deo erat mentio, nullus omnino cursus memoriae habebatur. Renitente aurora, surgentes a cena, mollibus se indumentis operientes, somno vinoque sepulti, usque ad horam diei tertiam dormiebant. Sed nec mulieres deerant, cum quibus polluerentur. Exsurgentes igitur, abluti balneis, ad convivium discumbebant; de quo vespere surgentes, caenae inhiabant usque ad illud lucis tempus, quo superius diximus. Sic faciebant singulis diebus, donec ira Dei diruit super eos; quod in posterum memoraturi sumus.
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Il s'éleva une émeute contre les évêques Salone et Sagittaire ; élevés tous les deux par saint Nicet, évêque de Lyon, ils avaient obtenu le diaconat. En ce temps Salone fut fait évêque de la ville d'Embrun, et Sagittaire de la ville de Gap ; mais, parvenus à l'épiscopat et se trouvant livrés à eux-mêmes, ils commencèrent à s'abandonner, avec une fureur insensée, aux dévastations, aux voies de fait, au meurtre, à l'adultère et à divers crimes. En ce temps Victor, évêque de Saint-Paul des Trois-Châteaux, célébrant la fête de sa naissance, ils envoyèrent une troupe qui tomba sur lui à coups d'épée et de flèches. Ces hommes déchirèrent ses vêtements, blessèrent ses serviteurs, et, emportant les vases et tout l'appareil du festin, laissèrent l'évêque couvert d'outrages. La chose ayant été porté devant le roi Gontran, il ordonna qu'il fût assemblé un synode dans la ville de Lyon ; les évêques réunis au patriarche le bienheureux Nicet, et la cause discutée, ils trouvèrent les deux évêques grandement coupables de ce dont ils étaient accusés, et ordonnèrent que, pour avoir commis de telles choses, ils fussent dépouillés de la dignité épiscopale ; mais ceux-ci, connaissant que le roi leur était favorable, allèrent à lui et l'implorèrent, disant qu'ils avaient été injustement dépouillés, et le priant de leur accorder la permission de s'en aller vers le pape de la ville de Rome. Le roi leur accorda leur demande, et leur donna, par lettres expresses, la permission de se rendre à Rome. Eux, arrivés devant le pape Jean, exposèrent leur affaire comme s'ils eussent été dépouillés sans aucun motif. Le pape adressa donc au roi des lettres portant injonction de les rétablir dans leurs siéges. Le roi accomplit sans retard cette injonction, après les avoir cependant vivement maltraités de parole ; mais ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'il n'en résulta aucun amendement. Cependant ils demandèrent la paix à l'évêque Victor, et lui remirent les gens qu'ils avaient fait courir sur lui ; mais lui, se rappelant le précepte du Seigneur, de ne pas rendre à ses ennemis le mal pour le mal, les renvoya libres sans leur avoir fait éprouver aucun mauvais traiteraient. Et, à cause de cela, il fut par la suite privé de la communion, pour avoir épargné en secret les ennemis qu'il avait accusés publiquement, et sans demander l'avis de ses confrères, devant lesquels il les avait accusés. Mais, par la faveur du roi, il fut de nouveau reçu à la communion. Les autres cependant se livraient tous les jours aux plus grands forfaits, et, comme nous l'avons déjà raconté, dans le combat que Mummole soutint contre les Lombards, ils se couvrirent d'armes connue des laïques, et tuèrent beaucoup de Lombards de leur propre main. Ils tournaient aussi leur cruauté contre plusieurs de leurs concitoyens, les faisant frapper de coups de bâton jusqu'à effusion de sang, d'où il arriva que la clameur populaire parvint de nouveau jusqu'au roi, et le roi ordonna qu'on les amenât devant lui. Lorsqu'ils furent venus, il ne voulut pas qu'ils parussent à ses yeux, ordonnant, avant de leur donner audience, qu'on examinât s'ils étaient dignes d'être admis en la présence royale. Mais Sagittaire, vivement irrité, prenant la chose fort à 'coeur, comme il était vain, léger d'esprit et abondant en paroles déraisonnables, commença à déclamer beaucoup contre le roi, et à dire que ses fils ne pouvaient posséder son royaume, parce que leur mère avait été prise parmi les servantes de Magnachaire pour entrer dans le lit du roi ignorant. Que maintenant, sans s'informer de la naissance des femmes, on appelle enfants du roi ceux qui ont été engendrés par le roi. Le roi l'ayant su, extrêmement irrité, leur enleva leurs chevaux, leurs serviteurs et tout ce qu'ils pouvaient avoir, et ordonna qu'ils fussent enfermés, pour y faire pénitence, en des monastères situés dans des lieux fort éloignés, ne leur laissant à chacun d'eux qu'un seul clerc. Il donna des ordres terribles aux juges du lieu pour qu'ils les fissent garder par des gens armés, et ne souffrissent pas que personne pût les venir visiter. Le roi en ce temps avait encore deux fils dont l'aîné tomba malade ; alors les familiers du roi vinrent à lui et lui dirent : Si le roi daigne écouter favorablement les paroles de ses serviteurs, ils se feront entendre à tes oreilles. Le roi répondit : Dites ce qu'il vous plaît. Et ils dirent : Prends garde que ces évêques n'aient été condamnés à l'exil sans le mériter, tellement que les péchés du roi pèsent sur quelqu'un , et qu'ainsi le fils de notre seigneur vienne à périr. Il dit : Aller au plus vite et relâchez-les, en les conjurant de prier pour nos petits enfants. On alla vers eux, et ils furent mis en liberté. Sortis du monastère, ils se réunirent, et, s'embrassant parce qu'ils ne s'étaient pas vus depuis longtemps, ils retournèrent à leurs cités tellement touchés de componction qu'on les voyait sans relâche chanter des psaumes, célébrer des jeûnes, exercer l'aumône, passer les jours à la lecture des chants de David, et les nuits à chanter des hymnes et méditer des leçons ; mais une telle sainteté ne se soutint pas longtemps sans tache ; ils retournèrent à leurs anciennes pratiques et passaient souvent des nuits à banqueter et à boire ; tellement que, lorsque dans l'église les clercs célébraient les Matines, ils demandaient à boire et faisaient couler le vin. Il n'était plus question de Dieu ; ils ne songeaient plus à dire leurs heures ; au retour de l'aurore, ils se levaient de table, et, se couvrant de vêtements moelleux, ils s'ensevelissaient dans le sommeil et dormaient jusqu'à la troisième heure du jour ; ils ne se faisaient pas faute de femmes pour se souiller avec elles ; puis, se levant, entraient dans le bain, et de là passaient à la table ; ils s'en levaient le soir et se mettaient alors à souper jusqu'au lever du soleil, comme nous l'avons dit. C'est ainsi qu'ils faisaient tous les jours, jusqu'à ce qu'enfin la colère de Dieu tomba sur eux, comme nous le dirions par la suite.
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21. De Winnoco Brittone. |
Tunc Winnocus Britto in summa abstinentia a Brittaniis venit Toronus, Hierusolimis accedere cupiens, nullum alium vestimentum nisi de pellibus ovium lana privatis habens; quem nos, quo facilius teneremus, quia nobis relegiosus valde videbatur, presbiterii gratia honoravimus. Inghitrudis autem relegiosa consuetudinem habebat, aquam de sepulchrum sancti Martini collegere. Qua aqua deficiente, rogat, vas cum vino ad beati tumulum deportari. Transacta autem nocte, eum exinde hoc presbitero praesenti adsumi mandavit; et ad se delatum, ait presbitero: 'Aufer hinc vino et unam tantum guttam de aqua benedicta, unde parum superest, effunde'. Quod cum fecisset, mirum dictu, vasculum, quod semeplenum erat, ad unius guttae discensum impletum est. Idem bis aut tertio vacuatum, per unam tantum guttam est impletum; quod non ambigetur, et in hoc beati Martini fuisse virtutem.
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Alors vint de la Bretagne à Tours le Breton Winnoch, homme d'une grande abstinence, qui s'en allait à Jérusalem et portait pour tout vêtement des peaux de brebis dépouillées de leur laine. Comme il nous parut un homme très religieux, pour le retenir plus longtemps, nous l'honorâmes de la dignité de prêtrise. Ingiltrude avait la pieuse habitude de recueillir l'eau du sépulcre de saint Martin ; cette eau lui manquant, elle pria qu'on portât sur le tombeau du saint un vase rempli de vin ; après qu'il y eut passé la nuit, elle l'envoya prendre en présence du prêtre, et lors qu'on le lui eut apporté, elle dit au prêtre : Ôte de ce vin, verses-y une seule goutte de cette eau bénite dont il me reste un peu ; et lorsqu'il l'eut fait, chose merveilleuse à dire, une seule goutte étant tombée dans le vase à demi plein, il se trouva aussitôt rempli ; on le vida de même deux ou trois fois, et de même une seule goutte le remplit. On ne saurait douter que cela ne fût opéré par les mérites de saint Martin.
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22. De obitu Samsonis, filii Chilperici. |
His ita gestis, Samson, filius Chilperici regis iunior, a desenteria et febre conpraehensus, a rebus humanis excessit. Hic vero, cum Chilpericus rex Tornacum a fratre obsederetur, natus est; quem mater ob metum mortis a se abiecit et perdere voluit. Sed cum non potuisset, obiurgata a rege, eum baptizare praecepit. Qui baptizatus et ab ipso episcopo susceptus, lustro uno nec perfuncto, defunctus est. Nam et mater eius Fredegundis in his diebus graviter egrotavit, sed convaluit.
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Après cela Samson, le plus jeune des fils du roi Chilpéric, pris de la fièvre et de la dysenterie, sortit de la vie de ce monde. Il était né tandis que le roi Chilpéric était à Tournai, assiégé par son frère. Sa mère, saisie de la crainte d'une mort prochaine, le rejeta alors loin d'elle, et voulut le faire perdre ; mais elle ne le put, et le roi l'en ayant réprimandée, elle ordonna qu'il fût baptisé. L'évêque, l'ayant baptisé, le prit avec lui ; mais il mourut avant d'avoir accompli un lustre. En ces jours-là, sa mère Frédégonde fut brièvement malade , mais elle guérit.
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23. De prodigiis ostensis. |
Post haec in nocte, quod erat tertio Idus Novembris, apparuit nobis beati Martini vigilias celebrantibus magnum prodigium; nam in medio lunae stilla fulgens visa est elucere, et super ac subter lunam aliae stillae propinquae apparuerunt. Sed et circolus ille, qui pluviam plerumque significat, circa eam apparuit. Sed quae haec figuraverint, ignoramus. Nam et luna hoc anno sepe in nigridinem versam videmus, et ante natalem Domini gravia fuere tonitrua. Sed et splendores illi circa solem, sicut iam ante cladem Arvernam fuisse commemoravimus, quod rustici soles vocant, apparuerunt; et mare ultra modum egressum adserunt, et multa alia signa apparuerunt.
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Ensuite, la nuit du troisième jour des ides de novembre, tandis que nous célébrions les Vigiles de saint Martin, il nous apparut un grand prodige : on vit au milieu de la lune briller une étoile flamboyante, et proche de la lune, au-dessus et au-dessous, apparurent d'autres étoiles. On la vit entourée du cercle qui souvent annonce la pluie ; mais nous ignorons ce que signifiaient ces choses. Plusieurs fois durant cette année nous vîntes la lune devenir obscure, et, avant le jour de la naissance du Seigneur, on entendit de grands tonnerres. Il parut aussi autour du soleil des lueurs semblables à celles qui, comme nous l'avons rapporté, avaient été vues avant la mortalité d'Auvergne, et que les paysans appellent des soleils. On dit que la mer s'éleva beaucoup plus que de coutume, et il apparut beaucoup d'autres signes.
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24. Chilpericus Pectavus invasit. |
Guntchramnus Boso Toronus cum paucis armatis veniens, filias suas, quas in basilica sancta reliquerat, vim abstulit et eas Pectavus civitatem, qui erat Childeberthi regis, perduxit. Chilpericus quoque rex Pectavum pervasit, atque nepotis sui hominis ab eius sunt hominibus effugati. Ennodium ex comitatu ad regis praesentiam perduxerunt. Quem exilio damnatum, facultates eius fisco subdiderunt. Sed post annum et patriae et facultatibus redditus est. Gunthchramnus Boso, relictis filiabus suis in basilica beati Hilari, ad Childebertum regem transiit.
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Gontran Boson vint à Tours avec un petit nombre d'hommes armés, enleva par force ses filles qu'il avait laissées dans la sainte basilique, et les conduisit à Poitiers qui appartenait au roi Childebert. Le roi Chilpéric se rendit maître de Poitiers. Ses gens mirent en fuite les gens de son neveu, et conduisirent au roi le comte Ennodius. Le roi le condamna à l'exil et ses biens furent portés au fisc. Mais un an après, il recouvra ses biens et la liberté de retourner dans son pays. Gontran Boson ayant laissé ses filles dans la basilique de Saint-Hilaire, alla trouver le roi Childebert.
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25. De interitu Dacconis et Dracoleni. |
Anno quoque tertio Childeberthi regis, qui erat Chilperici et Gunthchramni septimus decimus annus, cum Dacco, Dagarici quondam filius, relicto regi Chilperico, huc illucque vagaretur, a Dracoleno duci; qui dicebatur Industrius, fraudolenter adpraehensus est. Quem vinctum ad Chilpericum regem Brannacum deduxit, data ei sacramenta, quod vitam illius cum rege obteniret. Sed oblitus sacramenti, egit cum principe, nefarias res adserens, ut moreretur. Ille quoque cum vinctus deteneretur et cernerit se paenitus non evasurum, a presbitero, rege nesciente, paenitentiam petiit. Qua accepta, interfectus est. Cum autem idem Dracolenus velociter reverteretur in patriam, his diebus Guntchramnus Boso filias suas Pectavo auferre conabatur. Quod audiens Dracolenus, se super eum obiecit; sed illi, sicut erant parati, resistentes, se defensare nitebantur. Gunthchramnus vero misit unum de amicis suis ad eum, dicens: 'Vade et dic ei: Scis enim, quod foedus inter nos initum habemus; rogo, ut te de meis removeas insidiis. Quantumvis de rebus tollere non prohibeo; tantum mihi, etsi nudo, liceat cum filiabus meis accedere, quo voluero"'. At ille, ut erat vanus ac levis: 'Ecce', inquid, 'funicolum in quo alii culpabiles legati ad regem me ducente directi sunt, in quo et hic hodie legandus illuc educitur vinctus'. Et haec cum dixisset, calcaneorum ictibus urguens equum, ad illum veloci cursu dirigit; et casso eum verberans ictu, astili divisum, ensis ad terram ruit. Guntchramnus vero cum super se mortem cernerit inminere, invocato nomen Domini et virtutem magnam beati Martini elevatoque contu, Dracolenum artat in faucibus, suspensumque de equo sursum unus de amicis suis eum lancia latere verberatum finivit. Fugatisque sociis ipsumque spoliatum, Gunthchramnus cum filiabus liber abscessit. Post haec Severus, socer eius, a filiis apud regem graviter accusatur. Haec ille audiens, cum magnis muneribus ad regem petiit. Qui in via adpraehensus et spoliatus atque in exilium deductus, morte pessima vitam finivit. Sed et duo filii eius Burgolenus et Dodo, ob crimen maiestatis lesi iudicium mortis susceptum, unus ab exercitu vi obpressus est, alius in fugam adpraehensus, truncatis manibus et pedibus, interiit; resque omnes tam eorum quam patris fisco conlatae sunt. Erant enim eis magni thesauri.
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La troisième année du roi Childebert, qui était la dix-septième du règne de Chilpéric et de Gontran, Daccon, fils de défunt Dagaric, ayant quitté le roi Chilpéric, errait de côté et d'autre, lorsqu'il fut pris en trahison par le duc Dracolène dit l'avisé. Dracolène lui ayant promis par serment qu'il obtiendrait sa vie du roi, le conduisit à Braine, chargé de liens et le remit au roi Chilpéric ; puis oubliant son serment, il machina avec ce prince de le faire mourir, portant contre lui d'odieuses accusations. Daccon se voyant attaché, et s'apercevant qu'il lui était impossible d'échapper, demanda à un prêtre, à l'insu du roi de lui donner l'absolution, et lorsqu'il l'eut reçue, on le fit mourir. Dracolène étant retourné promptement dans son pays, tandis que Gontran Boson cherchait à enlever ses filles de Poitiers, Dracolène l'apprit et vint à sa rencontre pour l'attaquer. Gontran et les siens se préparèrent au combat, et voulurent se défendre ; cependant Gontran envoya un de ses amis à Dracolène, disant : Va et dis-lui : tu sais que nous avons alliance ensemble ; je te prie d'éloigner toute embûche de ceux qui m'appartiennent ; je ne t'empêche pas d'enlever tant que tu voudras les choses que je possède, mais que seulement, nu s'il le faut, je puisse avec mes filles arriver où j'ai dessein d'aller. Mais l'autre, plein de vanité et d'insolence, dit : Voilà la corde avec laquelle j'ai attaché les autres coupables que j'ai conduits au roi ; elle me servira aujourd'hui à t'attacher et te conduire vaincu. En disant ces mots, pressant son cheval des deux talons, il se précipita rapidement sur Gontran, et lui porta un coup à faux ; le fer de sa lance se sépara du bois, et tomba à terre ; Gontran voyant la mort suspendue sur sa tête, invoqua le nom de Dieu, les grands mérites de saint Martin, et ayant élevé sa lance, en frappa Dracolène dans la mâchoire. Celui-ci demeurait suspendu à moitié tombé de son cheval, lorsqu'un des amis de Gontran l'acheva d'un coup de lance dans le côté. Ceux qui l'accompagnaient furent mis en fuite, et après l'avoir dépouillé, Gontran poursuivit librement sa route avec ses filles. Ensuite son beau-père Sévère fut gravement accusé près du roi par ses fils. Apprenant la chose, il se mit en route pour aller trouver le roi avec de grands présents, mais il fut pris en chemin et dépouillé de tout ; puis envoyé en exil, il y périt d'une mort malheureuse. Ses deux fils Bursolène et Dodon furent condamnés â mort pour crime de lèse-majesté. L'un fut tué par une troupe armée qu'on avait envoyée contre lui ; l'autre fut pris dans sa fuite, et mourut les pieds et les mains coupés. Leurs biens et ceux de leur père furent confisqués, car ils avaient de grands trésors.
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26. Quod exercitus in Brittaniis abiit. |
Dehinc Toronici, Pictavi, Baiocassini, Caenomannici et Andecavi cum aliis multis in Brittania ex iussu Chilperici regis abierunt et contra Varocum, filium quondam Macliavi, ad Vicinoniam fluvium resedent. Sed ille dolose per nocte super Saxones Baiocassinos ruens, maximam exinde partem interfecit. Post die autem tertia cum ducibus regis Chilperici pacem faciens et filium suum in obsedatum donans, sacramentum se constrinxit, quod fidelis regi Chilperico esse deberet. Venitus quoque civitatem refudit sub ea condicione, ut, se mereretur eam per iussionem regis regere, tributa vel omnia quae exinde debebantur annis singulis, nullo admonente, dissolverit. Quod cum factum fuisset, exercitus ab ea loca remotus est. Post haec Chilpericus rex de pauperibus et iunioribus eclesiae vel basilicae bannos iussit exigi, pro eo quod in exercitu non ambulassent. Non enim erat consuetudo, ut hi ullam exsolverent publicam functionem. Post haec Varochus obliviscens promissionis suae, volens inrumpere quod fecerat, Eunium episcopum Veneticae urbis ad Chilpericum regem dirigit. At ille ira commotus, obiurgatum eum exilio damnare praecipit.
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Les habitants de Tours, de Poitiers, de Bayeux, du Mans et d'Angers, marchèrent avec beaucoup d'autres en Bretagne, par ordre du roi Chilpéric, pour attaquer Waroch, fils de Mâlo, et s'arrêtèrent aux bords de la rivière de la Vilaine. Mais lui tombant par ruse pendant la nuit sur les Saxons de Bayeux en tua la plus grande partie. Puis le troisième jour, il fit la paix avec les capitaines du roi Chilpéric, et donnant son fils en otage, s'obligea par serment à demeurer fidèle au roi. Il rendit aussi la ville de Vannes, à condition que le roi lui en accorderait le gouvernement, promettant qu'il paierait tous les ans, sans qu'on fut obligé de les lui demander, les tributs que devait cette ville. Après quoi l'armée s'éloigna de ce lieu. Ensuite le roi Chilpéric ordonna que les pauvres et les serviteurs de l'Église payassent l'amende pour n'avoir pas marché avec l'armée. Ce n'était pourtant pas la coutume qu'ils fussent soumis à aucune fonction publique. Waroch, quelque temps après, oubliant ses promesses et voulant revenir sur ce qu'il avait fait, envoya à Chilpéric Éon, évêque de Vannes ; mais le roi irrité de colère, après l'avoir tancé , le condamna à l'exil.
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27. De eiectione Saloni et Sagittari. |
Anno quoque quarto Childeberthi, qui fuit 18. Guntchramni et Chilperici regum, apud Cavellonum civitatem sinodus acta est ex iussu principis Guntchramni; discussisque diversis causis, contra Salonium et Sagittarium episcopos iteratur illa antiqua calamitas. Obiciuntur eis crimina, et non solum de adulterium, verum etiam de homicidiis accusantur. Sed haec per paenitentiam purgari censentis episcopi, illud est additum, quod essent rei maiestatis et patriae proditores. Qua de causa ab episcopato discincti, in basilica beati Marcelli sub custodia detruduntur. Ex qua per fugam lapsi, discesserunt per diversa vagantes, donec in civitatibus eorum alii subrogati sunt.
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La quatrième année de Childebert, qui était la dix-huitième des rois Gontran et Chilpéric, un synode se rassembla dans la ville de Châlons, par l'ordre du roi Gontran. On y discuta diverses affaires ; Salone et Sagittaire retombèrent dans leurs anciennes calamités ; on leur reprochait plusieurs crimes ; ils furent accusés non seulement d'adultère, mais encore de meurtre. Cependant les évêques jugeaient qu'ils pourraient les expier par la pénitence ; mais on les accusa de crime de lèse-majesté, et de trahison envers la patrie, ce pourquoi ils furent dépouillés de l'épiscopat, et retenus prisonniers dans la basilique de Saint Marcel. Ils s'en échappèrent par la suite, et allèrent errer en divers lieux. D'autres furent nommés à leurs sièges.
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28. De discriptionibus Chilperici. |
Chilpericus vero rex discriptiones novas et gravis in omne regno suo fieri iussit. Qua de causa multi relinquentes civitates illas vel possessiones proprias, alia regna petierunt, satius ducentes alibi peregrinare quam tali pericolo subiacere. Statutum enim fuerat, ut possessor de propria terra unam anforam vini per aripennem redderit. Sed et alii functionis infligebantur multi tam de reliquis terris quam de mancipiis; quod implere non poterat. Lemovicinus quoque populus, cum se cernerit tali fasci gravari, congregatus in Kalendas Martias Marcumque refrendarium, qui haec agere iussus fuerat, interficere voluit; et fecisset utique, nisi eum episcopus Ferreolus ab inminente discrimine liberasset. Areptis quoque libris discriptionum, incendio multitudo coniuncta cremavit. Unde multum molestus rex, dirigens de latere suo personas, inmensis damnis populum adflixit suppliciisque conteruit, morte multavit. Ferunt etiam, tunc abbatis atque presbiteros ad stipitis extensus diversis subiacuisse tormentis, calumniantibus regalibus missis, quod in siditione populi ad incendendus libros satellitis adfuissent, acerbiora quoque deinceps infligentes tributa.
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Le roi Chilpéric fit faire dans tout son royaume des rôles d'impositions nouvelles et très pesantes, ce qui fut cause que beaucoup quittèrent leurs cités, abandonnèrent leurs propriétés, et se réfugièrent dans d'autres royaumes, aimant mieux se transporter ailleurs, que de demeurer exposés à un pareil danger ; car il avait été ordonné que chaque propriétaire de terre paierait une amphore de vin par demi arpent : on avait imposé, tant sur les autres terres que sur les esclaves, beaucoup d'autres contributions ou prestations qu'il était impossible de supporter. Le peuple du Limousin, se voyant accablé sous de telles charges, se rassembla dans les premiers jours de mars, et voulut tuer Marc, le référendaire chargé de lever ces impositions ; et ils n'y auraient pas manqué, si l'évêque Ferréole ne l'eût délivré du péril qui le menaçait : la multitude s'empara des rôles et les livra aux flammes. Le roi, extrêmement irrité, envoya des gens de sa maison chargés d'infliger au peuple de grands châtiments. On effraya par des tourments, on punit des gens à mort. On rapporte même que des abbés et des prêtres furent attaches à des poteaux, et livrés à divers tourments sur les calomnies des envoyés du roi, qui les accusaient de s'être mêlés à la sédition où le peuple avait brûlé les registres. On mit ensuite des impositions plus accablantes qu'auparavant.
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29. De vastatione Brittanorum. |
Brittani quoque graviter regionem Redonicam vastaverunt incendio, praeda, captivitate. Qui usque Cornutium vicum debellando progressi sunt. Eunius vero episcopus de exilio reductus, Andecavo ad pascendum delegatur nec ad civitatem suam Veneticam redire permittitur. Byppolenus vero dux contra Brittanus dirigitur et loca aliqua Brittaniae ferro incendioque obpraemit; quae res maiorem insaniam excitavit.
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Les Bretons dévastèrent aussi cruellement le pays de Rennes, brûlant, pillant, emmenant les habitants captifs. Ils vinrent ravageant tout jusqu'au bourg de Saint-Aubin-le-Cormier. L'évêque Éon retiré de son exil, on l'envoya vivre à Angers ; mais on ne lui permit pas de retourner dans la cité de Vannes. Le duc Beppolène fut envoyé contre les Bretons, et ravagea par le fer et le feu le reste de la Bretagne, ce qui excita de plus en plus la fureur des peuples.
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30. De imperio Tiberii. |
Dum haec geruntur in Galliis, Iustinus, impleto imperii octavo decimo anno, amentiam quam incurrerat cum vita finivit. Quo sepulto, Tiberius caesar arripuit iam olim adgressum imperium. Sed cum eum secundum consuetudinem loci ad spectaculum circi prestularet populus processurum, parare ei cogitans pro parte Iustiniani insidias, qui tunc nepus Iustini habebatur, ille per loca sancta processit. Conpletaque oratione, vocatum ad se urbis papam, cum consolibus ac praefectis palatium est ingressus. Dehinc indutus purpora, diademate coronatus, throno imperiale inpositus, cum inmensis laudibus imperium confirmavit. Factionarii quoque operientes ad circum, cum cognovissent quae acta fuerant, pudore confusi, sine effectu regressi sunt, nihil homini, qui in Deo spem posuerat, adversare valentes. Transactis igitur paucis diebus, adveniens autem Iustinianus, pedibus se proicit imperatoris, quindecem ei centenaria auri deferens ob meritum gratiae. Quem ille secundum patientiae suae ritum collegens, in palatium iussit adsistere. Sophia vero augusta inmemor promissionis, quam quondam in Tiberium habuerat, insidias ei temptavit intendere. Procedentem autem eum ad villam, ut iuxta ritum imperiale triginta diebus ad vindimiam iocundaretur, vocato clam Iustimniano, Sophia voluit eum erigere in imperio. Quod cumpertum, Tiberius cursu veloci ad Constantinopolitanam civitatem regreditur adpraehensamque augustam ab omnibus thesaurus spoliavit, solum ei victus cotidiani alimentum relinquens. Segregatos pueros eius ab ea, alios posuit de fidelibus suis, mandans prorsus, ut nullus de anterioribus ad eam haberet accessum. Iustinianum vero obiurgatum tanto in posterum amore dilexit, ut filio eius filiam suam promitteret rursumque filio suo filiam suam expeteret; sed non est res sortita effectum. Exercitus eius Persas debellavit, victorque regressus, tantam mole praedae detulit, ut crederetur cupiditate humanae posse sufficire. Viginti elifanti capti ad imperatorem deducti sunt.
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Tandis que ces choses se passaient dans les Gaules, Justin, après avoir accompli la dix-huitième année de son règne, termina avec sa vie la folie dans laquelle il était tombé. Dès qu'il eut été enseveli , Tibère César se mit en possession de l'empire qu'il gouvernait déjà depuis longtemps. Mais comme le peuple l'attendait, selon la coutume du pays, au spectacle du cirque, où on lui préparait des embûcllës en faveur de Justinien, neveu de Justin, il se rendit aux saints lieux, et, après y avoir fait sa prière, il appela à lui le pape de la ville, et rentra au palais avec les consuls et le préfet. Là, s'étant revêtu de la pourpre et couronné du diadème, il monta sur le trône impérial et fut reconnu empereur avec d'immenses acclamations. Les gens de la faction qui l'attendait au cirque, apprenant ce qui venait de se passer, se retirèrent pleins de honte, sans avoir pu effectuer leur projet ; car aucun ennemi ne peut rien contre l'homme qui a mis son espérance en Dieu. Justinien étant venu quelques jours après, se jeta aux pieds de l'empereur, lui apportant quinze cents pièces d'or, comme prix de son pardon. Celui-ci, avec ses habitudes ordinaires de bonté, le reçut, et le fit demeurer dans son palais ; mais l'impératrice Sophie, oubliant les promesses qu'elle avait faites à Tibère, essaya de lui tendre des piéges ; et comme il s'était rendu à sa maison des champs, pour y jouir pendant trente jours, selon l'usage des empereurs, des plaisirs de la vendange, Sophie, ayant fait appeler en secret Justinien, voulut l'élever à l'empire. Tibère, l'ayant appris, revint en toute hâte à Constantinople, et ayant fait prendre l'impératrice, la dépouilla de tous ses trésors, ne lui laissant que ses aliments quotidiens : il lui ôta tous ses serviteurs, lui en donna d'autres dont il était sûr, et défendit qu'aucun des anciens put avoir accès auprès d'elle. Après avoir réprimandé Justinien, il lui accorda cependant ensuite une telle affection qu'il lui promit sa fille pour son fils, et demanda en retour pour son fils la fille de Justinien ; mais la chose n'eut pas lieu. Tibère vainquit l'armée des Perses, et revint victorieux avec une masse de butin capable, à ce qu'il paraissait, d'assouvir les désirs de l'homme ; vingt éléphants furent pris et amenés à l'empereur.
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31. De insidiis Brittanorum. |
Brittani eo anno valde infesti circa urbem fuere Namneticam atque Redonicam. Qui inmensam auferentes praedam, agros pervadunt, vineas a fructibus vacuant et captivus adducunt. Ad quos cum Filex episcopus legationem misisset, emendare promittentes, nihil de promissis implire voluerunt.
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Les Bretons infestèrent cruellement les environs de Nantes et de Rennes ; ils enlevèrent une immense quantité de butin, ravagèrent les champs, dépouillèrent les vignes de leurs fruits et emmenèrent beaucoup de captifs. L'évêque Félix leur ayant fait parler par des envoyés, ils promirent de s'amender, mais ne voulurent accomplir aucune de leurs promesses.
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32. De basilica sancti Dionisii iniuriata per mulierem. |
Apud Parisius autem mulier quaedam ruit in crimine, adserentibus multis, quasi quod, relicto viro, cum alio misceretur. Igitur parentes illius accesserunt ad patrem, dicentes: 'Aut idoneam redde filiam tuam, aut certe moriatur, ne stuprum hoc generi nostro notam infligat'. 'Novi', inquit pater, 'ego filiam meam bene idoneam; nec est verum verbum hoc, quod mali homines proloquuntur. Tamen ne crimen consurgat ulterius, innocentem eam faciam sacramento'. Et illi: 'Si', inquiunt, 'est innoxia, super tumulum hoc beati Dionisi martyris sacramentis adfirma'. 'Faciam', inquit pater. Tunc inito placito ad basilicam martyris sancti conveniunt; elevatisque pater manibus super altarium, iuravitque, filiam non esse culpabilem. E contrario vero periurasse eum, alii a parte viri pronuntiant. His ergo altercantibus, evaginatis gladiis in se invicem proruunt atque ante ipsum altarium se trucidantur. Erant enim maiores natu et primi apud Chilpericum regem. Saucianturque multi gladiis, respergitur sancta humano cruore basilica, ostia iaculis fodiuntur et ensibus, atque usque ad ipsum sepulcrum tela iniqua desaeviunt. Quod dum vix mitigatur, locus officium perdidit, donec ista omnia ad regis notitiam pervenirent. Hi vero properantes ad praesentiam principis, non recipiuntur in gratia; sed et ad episcopum loci illius remissi, iussum est, ut, si de hoc facinus culpabiles non inveniebantur, sociarentur communioni. Tunc ab episcopo Ragnimodo, qui Parisiacae ecclesiae praeerat, componentes quae male gesserant, in communione ecclesiastica sunt recepti. Mulier vero non post multis diebus, cum ad iudicium vocaretur, laqueo vitam finivit.
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Une femme à Paris fut accusée ; plusieurs assuraient qu'elle délaissait son mari et s'approchait d'un autre homme ; les parents du mari, allèrent trouver le père et lui dirent : Range ta fille à une meilleure conduite, ou certainement elle mourra, afin que sa honte n'inflige pas de déshonneur à notre race. - Tu sais, dit le père, que ma fille se conduit bien et que ce que disent des hommes méchants n'est point véritable ; cependant, pour qu'on ne la calomnie pas de nouveau, je ferai serment de son innocence. Et eux lui dirent : Si elle est innocente, affirme-le par serment sur le tombeau de saint Denis martyr. - Je le ferai, dit le père. Alors au jour fixé, ils se réunirent à la basilique du saint martyr, et le père, les mains levées sur l'autel, jura que sa fille n'était point coupable. Ceux qui étaient du parti du mari soutinrent contre lui qu'il se parjurait ; il s'éleva donc une altercation et les épées furent tirées ; ils se jetèrent les uns sur les autres et se tuèrent jusque élevant l'autel. C'étaient des gens de la plus haute naissance et des premiers auprès du roi Chilpéric. Beaucoup furent frappés de l'épée, et la sainte basilique fut arrosée du sang humain ; les portes furent percées de coups d'épée ou de javelot et des traits impies insultèrent jusques au saint tombeau. On eut grand'peine à apaiser le tumulte, et l'église fut interdite jusqu'à ce que le roi fit instruit de ce qui s'était passé. Les auteurs de cette violence se rendirent devant le prince qui ne les reçut pas en grâce, mais ordonna qu'ils fussent remis à l'évêque du lieu, afin que, s'il les trouvait coupables de ce méfait, il les exclût, comme il le devait, de la communion. Ceux donc qui avaient fait le mal, ayant composé avec Ragnemode qui gouvernait l'Église de Paris, furent reçus à la communion ecclésiastique. Peu de jours après, la femme fut mise eu jugement et finit ses jours dans un lacs.
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33. De prodigiis. |
Anno quinto Childeberthi regis Arvernorum regionem diluvia magna praessirunt, ita ut per dies 12 non cessaret a pluvia, tantaque inundatione Limane est infusum, ut multos, ne simentem iacerent, prohiberet. Flumina quoque Leger Flavarisque, quem Elacrem vocitant, vel reliqui torrentes decurrentes in eum ita intumuerunt, ut terminus, quos numquam excesserant, praeterirent. Quae grande de pecoribus excidium, de culturis detrimentum, de aedificiis fecere naufragium. Pari modo Rhodanus cum Arare coniunctus, ripas excidens, grave damnum populis intulit, murus Lugdunensis civitatis aliqua ex parte subvertit. Quiescentibus vero pluviis, arbores denuo floruerunt; erat enim mensis Septembris. In Toronico vero eo anno mane, priusquam dies inlucescerit, fulgor per caelum cucurrisse visus est et ad orientis plagam caecidisse. Sed et sonitus tamquam diruentes arbores per totam terram illam auditus est; quod ideo non est de arbore aestimandum, quia in quinquaginta aut amplius milia est auditum. Ipso anno graviter urbis Burdegalensis a terrae motu concussa est, moeniaque civitatis in discrimine eversionis extetirunt; atque ita omnes populus metu mortis exterritus est, ut, si non fugiret, potaret se cum urbe dehiscere. Unde et multi ad civitatis alias transierunt. Qui tremor ad vicinas civitatis porrectus est et usque Spaniam attigit, sed non tam valide. Tamen de Pirineis montibus inmense lapides sunt commoti, qui pecora hominisque prostraverunt. Nam et vicus Burdegalensis incendium divinitus ortum exussit, ita ut subito conpraehensi igni tam domus quam areae cum annonis incendio cremarentur, nullum paenitus incitamentum habens ignis alieni, forsitan iussione divina. Nam et Aurilianensis civitas grave incendio conflagravit, in tantum ut ditioribus nihil paenitus remaneret; et si aliquis ab igne quicquam eripuit, ab insistentibus furibus est dereptum. Apud terminum Carnotenum verus de effracto pane sangues effluxit. Graviter tunc et Beturica civitas a grandine verberata est.
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La cinquième année du roi Childebert, le pays d'Auvergne fut accablé d'un grand déluge d'eau, tellement que la pluie ne cessa de tomber pendant douze jours, et celui de Limoges fut inondé de telle sorte que beaucoup de gens furent dans l'impossibilité de semer. Les rivières de Loire et de Flavaris, qu'ils appellent l'Allier, ainsi que les autres courants qui viennent s'y jeter, se gonflèrent à ce point qu'elles sortirent des limites qu'elles n'avaient jamais franchies ; ce qui causa la perte de beaucoup de troupeaux, un grand dommage dans l'agriculture, et renversa beaucoup d'édifices. Le Rhône, qui se joint à la Saône, sortit de même de ses rivages, au grand dommage des peuples, et renversa une partie des murs de la ville de Lyon. Mais les pluies ayant cessé, les arbres fleurirent une seconde fois, quoiqu'on fût alors au mois de septembre. A Tours, cette même année, on vit un matin, avant la naissance du jour, un feu qui parcourut le ciel et disparut à l'horizon oriental, et on entendit dans tout le pays un bruit semblable à celui d'un arbre qui tombe ; mais ce ne pouvait être celui d'un arbre, car if se fit ouïr dans un espace de cinquante milles ou davantage. Cette même année, la ville de Bordeaux fut violemment ébranlée par un tremblement de terre. Les murs de la ville furent en danger de tomber ; tout le peuple, effrayé de la crainte de la mort, crut que, s'il ne prenait la fuite, il allait être englouti avec la ville : en sorte que beaucoup passèrent en d'autres cités. La commotion se fit sentir dans les pays voisins, et atteignit jusqu'en Espagne, mais non pas aussi forte. Cependant des pierres immenses se détachèrent des monts Pyrénées, et écrasèrent des troupeaux et des hommes. La main de Dieu alluma, dans les bourgs du territoire de Bordeaux, un incendie qui, embrasant soudainement les maisons et les champs, dévora toutes les récoltes, sans que le feu eût été suscité en aucune manière, si ce n'est peut-être par la volonté divine. Un cruel incendie ravagea aussi la ville d'Orléans, en telle sorte qu'il ne resta absolument rien aux plus riches ; et si quelqu'un d'eux arrachait aux flammes une partie de ce qu'il possédait, cela lui était enlevé par les voleurs attachés à sa poursuite. Dans le territoire de Chartres, du vrai sang coula du pain rompu à l'autel, et la ville de Bourges fut frappée d'une affreuse grêle.
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34. De desenteriae morbo et filiis Chilperici mortuis. |
Sed haec prodigia gravissima lues est subsecuta. Nam et discordantibus reges et iterum bellum civile parantibus, desentericus morbus paene Gallias totas praeoccupavit. Erat enim his qui patiebantur valida cum vomitu febris renumque nimius dolor; caput grave vel cervix. Ea vero quae ex ore proiciebantur colore croceo aut certe viridia erant. A multis autem adserebatur veninum occultum esse, - rusticiores vero coralis hoc pusulas nominabant - quod non est incredibile, quia missae in scapulis sive cruribus ventosae, procedentibus erumpentibusque visicis, decursa saniae, multi liberabantur. Sed et herbae, quae venenis medentur, potui sumptae, plerisque praesidia contulerunt. Et quidem primum haec infirmetas a mense Augusto initiata, parvulus aduliscentes arripuit lectoque subegit. Perdedemus dulcis et caros nobis infantulos, quos aut gremiis fovimus aut ulnis baiolavimus aut propria manu, ministratis cibis, ipsos studio sagatiore nutrivimus. Sed, abstersis lacrimis, cum beato Iob dicimus: Dominus dedit, Dominus abstulit; quomodo Domino placuit, ita factum est. Sit nomen eius benedictum in saecula. Igitur in his diebus Chilpericus rex graviter egrotavit. Quo convaliscente, filius eius iunior, necdum aqua et Spiritu sancto renatus, aegrotare coepit. Quem in extremis videntis, baptismo abluerunt. Quo parumper melius agente, frater eius senior nomen Chlodoberthus ab hoc morbo correpitur; ipsumque in discrimine mortis Fredegundis mater cernens, sero penetens, ait ad regem: 'Diu nos male agentes pietas divina sustentat; nam sepe nos febribus et aliis malis corripuit, et emendatio non successit. Ecce! iam perdimus filios. Ecce! iam eos lacrimae pauperum, lamenta viduarum, suspiria orfanorum interimunt, nec spes remanet cui aliquid congregemus. Thesaurizamus, nescientes, cui congregemus ea. Ecce thesauri remanent a possessore vacui, rapinis ac maledictionibus pleni! Numquid non exundabant prumptuaria vino? Numquid non horrea replebantur frumento? Numquid non erant thesauri referti auro, argento, lapidibus praeciosis, monilibus vel reliquis imperialibus ornamentis? Ecce quod pulchrius habebamus perdimus! Nunc, si placet, venite; incendamus omnes discriptionis iniquas, sufficiatque fisco nostro, quod sufficit patri regique Chlothario'. Haec effata regina, pugnis verberans pectus, iussit libros exhibere, qui de civitatibus suis per Marcum venerant, proiectosque in igne, iterum ad rege conversa: 'Quid tu', inquid, 'moraris? Fac quod vidis a me fieri, ut, etsi dulces natos perdimus, vel poenam perpetuam evadamus'. Tunc rex, conpunctus corde, tradedit omnes libros discriptionum igne; conflagratusque, misit qui futuras prohiberent discriptionis. Post haec infantulus iunior, dum nimio labore tabescit, extinguetur. Quem cum maximo merore deducentes a villa Brinnaco Parisius, ad basilicam sancti Dionisi sepelire mandaverunt. Chlodoberthum vero conponentes in feretro, Sessionas ad basilicam sancti Medardi duxerunt, proicientesque eo ad sanctum sepulchrum, voverunt vota pro eo; sed media nocte anilus iam et tenuis spiritum exalavit. Quem in basilica sanctorum Crispini atque Crispiniani martirum sepelierunt. Magnus quoque hic planctus omni populo fuit; nam viri lugentes mulieresque lucubribus vestimentis induti, ut solet in coniugum exsequiis fieri, ita hoc funus sunt prosecuti. Multa postea Chilpericus rex eclesiis sive basilicis vel pauperibus est largitus.
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Ces prodiges furent suivis d'une cruelle contagion. Au moment où les rois en discorde se préparaient encore à la guerre civile, toute la Gaule fut envahie de la dysenterie : ceux qu'elle attaquait étaient saisis d'une forte fièvre, avec des vomissements et de grandes douleurs dans les reins ; leur tête et leur cou étaient appesantis ; ce qu'ils vomissaient était couleur de safran ou même vert. Plusieurs assuraient que c'était un poison secret ; les paysans l'appelaient le feu de Saint-Antoine. Ce qui n'est pas impossible à croire, c'est que lorsqu'on mettait des ventouses aux épaules et aux jambes, et qu'ensuite des cloches s'en étaient élevées et venaient à s'ouvrir, il en sortait un sang corrompu, et beaucoup étaient guéris par ce moyen. Mais plusieurs obtinrent la guérison par des breuvages composés des herbes connues pour remédier aux poisons. Cette maladie, commencée dans le mois d'août, attaqua d'abord les enfants, et les fit périr : nous perdîmes nos doux et chers petits enfants que nous avions caressés dans notre sein, balancés dans nos bras, que nous avions nourris avec le soin le plus attentif, leur donnant leurs aliments de notre propre main. Cependant nous essuyâmes nos larmes, et dîmes avec le bienheureux Job : Le Seigneur m'avait tout donné , le Seigneur m'a tout ôté ; il n'est arrivé que ce qui lui a plu : que le nom du Seigneur soit béni ! En ces jours-là, le roi Chilpéric tomba grièvement malade ; et lorsqu'il commençait à entrer en convalescence, le plus jeune de ses fils, qui n'était pas encore régénéré par l'eau ni le Saint-Esprit, tomba malade à son tour. Le voyant à l'extrémité, on le lava dans les eaux du baptême. Peu de temps après, il se trouva mieux ; mais son frère aîné, nommé Chlodebert, fut pris de la maladie. Sa mère Frédégonde, le voyant en danger de mort, fut saisie de contrition, et dit au roi : Voilà longtemps que la miséricorde divine supporte nos mauvaises actions ; elle nous a souvent frappés de fièvres et autres maux , et nous ne nous sommes pas amendés. Voilà que nous avons déjà perdu des fils ; voilà que les larmes des pauvres, les gémissements des veuves, les soupirs des orphelins vont causer la mort de ceux-ci, et il ne nous reste plus d'espérance d'amasser pour personne ; nous thésaurisons, et nous ne savons plus pour qui. Voila que nos trésors demeureront dénués de possesseurs, pleins de rapine et de malédiction. Est-ce que nos celliers ne regorgent pas de vin ? Est-ce que le froment ne remplit pas nos greniers ? Nos trésors n'étaient-ils pas combles d'or, d'argent, de pierres précieuses, de colliers et d'autres ornements impériaux ! Et voilà que nous avons perdu ce que nous avions de plus beau. Maintenant, si tu y consens, viens, et brûlons ces injustes registres ; qu'il nous suffise, pour notre fisc, de ce qui suffisait à ton père le roi et Clotaire. Après avoir dit ces paroles, en se frappant la poitrine de ses poings, la reine se fit donner les registres que Marc lui avait apportés des cités qui lui appartenaient. Les ayant jetés dans le feu, elle se tourna vers le roi, et lui dit : Qui t'arrête ? Fais ce que tu me vois faire, afin que si nous perdons nos chers enfants, nous échappions du moins aux peines éternelles. Le roi, touché de repentir, jeta au feu tous les registres de l'impôt, et les ayant brûlés, envoya partout défendre à l'avenir de lever ces impôts. Après cela, le plus jeune de leurs petits enfants mourut accablé d'une grande langueur. Ils le portèrent avec beaucoup de douleur de leur maison de Braine à Paris, et le firent ensevelir dans la basilique de Saint-Denis. On arrangea Chlodebert sur un brancard, et on le conduisit à Soissons, à la basilique de Saint Médard. Ils le présentèrent au saint tombeau, et firent un' voeu pour lui ; mais, déjà épuisé et manquant d'haleine, il rendit l'esprit au milieu de la nuit. Ils l'ensevelirent dans la basilique de saint Crépin et saint Crépinien, martyrs. Il y eut un grand gémissement dans tout le peuple : les hommes suivirent ses obsèques en deuil, et les femmes couvertes de vêtements lugubres, comme elles ont coutume de les porter aux funérailles de leurs maris. Après cela, le roi Chilpéric fit de grandes largesses aux églises et aux pauvres.
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35. De Austrigilde regina. |
His diebus Austrigildis Guntchramni principis regina ab hoc morbo consumpta est; sed priusquam nequam spiritum exalaret, cernens, quod evadere non posset, alta trahens suspiria, voluit leti sui habire participes, agens, ut in exsequiis eius aliorum funera plangerentur. Fertur enim Herodiano more regem petisse, dicens: 'Adhuc spes vivendi fuerat, si non inter iniquorum medicorum manus interissem; nam potionis ab illis acceptae mihi vi abstulerunt vitam et fecerunt me hanc lucem velociter perdere. Et ideo, ne inulta mors mea praetereat, quaeso et cum sacramenti interpositione coniuro, ut cum ab hac luce discessero, statim ipse gladio trucidentur; ut, sicut ego amplius vivere non queo, ita nec ille post meum obitum glorientur, sed sit unus dolus nostris pariter ac eorum amicis'. Haec effata, infilicem animam tradidit. Rex vero, peracto ex more iusticio, oppressus iniquae coniugis iuramento, implevit praeceptum iniquitatis. Nam duos medicos, qui ei studium adhibuerant, gladio ferire praecepit; quod non sine peccato facto fuisse, multorum censit prudentia.
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En ces jours-là, Austréchilde, femme du roi Gontran, succomba sous la maladie ; mais, avant d'exhaler son âme méchante, voyant qu'elle ne pouvait échapper, elle poussa un profond soupir, et voulant avoir des compagnons de sa mort, fit en sorte qu'à ses obsèques on pleurât encore pour d'autres funérailles ; car on raconte que, semblable à Hérode, elle fit cette prière au roi : J'avais, lui dit-elle, l'espérance de vivre encore si je n'avais pas péri de la main de mes indignes médecins ; car les médicaments que j'ai reçus d'eux m'ont enlevé la vie par force, et me font perdre la lumière plus tôt que je n'aurais dû : ainsi donc, afin que ma mort ne demeure pas sans vengeance, lorsque j'aurai été enlevée au jour, je vous demande et veut que vous me promettiez avec serment de les faire périr par le glaive ; et si je ne puis vivre plus longtemps, que du moins, après ma mort, ils ne demeurent pas pour s'en glorifier, mais que leurs amis ressentent une douleur pareille à celle des nôtres. Après ces paroles, elle rendit son âme malheureuse. Lorsque ses obsèques eurent été célébrées selon la coutume, le roi, sous le joug du serment qu'avait exigé de lui sa cruelle épouse, accomplit cet ordre d'iniquité, et ordonna que les deux médecins qui lui avaient donné des soins fussent mis à mort par le glaive ; ce que dans leur sagesse, beaucoup de gens ont pensé qu'il n'avait pu faire sans péché.
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36. De Eraclio episcopo et Nanthino comite. |
Hac itaque aegritudine et Nanthinus Equolisinensis comes exinanitus interiit. Sed quae contra sacerdotes vel ecclesias Dei egerit, altius repetenda sunt. Denique Maracharius, avunculus eius, diu in ipsa urbe usus est comitatum. Quo officio completo, ecclesiae sociatur, clericusque factus, ordinatur episcopus. Qui multum vigilanter vel ecclesias vel ecclesiae domos et erigens et componens, septimo sacerdotii anno, iniecto ab inimicis in capite piscis veneno, simpliciter accipiens, crudeliter enecatur. Sed non diu multam eius mortem pertulit divina clementia; nam Frontonius, cuius consilio hoc scelus est perpetratum, adsumto confestim episcopatu, uno in eo degens anno, praecurrente iudicio Dei, interiit. Cuius post obitum Heraclius Burdigalensis presbiter, qui quondam legatus Childeberti senioris fuerat, episcopus ordinatur. Nanthinus vero ob requirendam avunculi sui mortem comitatum in ipsa urbe expetiit. Quo accepto, multas episcopo iniurias inrogavit. Aiebat enim: 'Homicidas illos, qui avunculum meum interfecerunt, tecum retines; sed et presbiteros huic noxae admixtos ad convivium recipes. Deinde inimicitia increscente, paulatim coepit villas ecclesiae, quas Maracharius testamento scripto reliquerat, violenter invadere, adserens, non debere ecclesiam eius facultatem adipisci, a cuius clericis testator fuerat interfectus. Post ista vero, iam aliquibus ex laicis interfectis, addidit, ut adpraehensum presbiterum alligaret ac contu perfoderet. Cui adhuc viventi, retortis post tergum manibus, adpenso ad stipitem, elicere quaerebat, si in hac causa fuisset admixtus. Sed cum ille negaret, profluente cruore de vulnere, reddidit spiritum. Qua de causa commotus episcopus, iussit, eum ab ecclesiae foribus prohiberi. Convenientibus autem apud civitatem Sanctonas sacerdotibus, deprecabatur Nanthinus, ut pacem episcopi mereretur, promittens se omnes ecclesiae res, quas sine ratione abstulerat, redditurum atque humilem exhibere se sacerdoti. At ille fratrum iussionibus obaudire procurans, cuncta quae petebantur indulsit; causam tamen presbiteri omnipotenti Deo commendans, comitem in caritate recepit. Qui post ista regressus urbem, domos illas quas male pervaserat spoliat, elidit ac dissicit, dicens: 'Etsi hoc ab ecclesia recipitur, vel desertum inveniatur'. Qua de causa iterum motus episcopus, eum a communione suspendit. Quae dum aguntur, impletum beatus pontifex vitae cursum migravit ad Dominum. Nanthinus quoque ab aliquibus episcopis, intercedentibus praemiis atque adolationibus, communicatur. Post paucos vero menses a supradicto morbo corripitur; qui nimia exustus febre, clamabat, dicens: 'Heu, heu! Ab Eraclio antistiti exuror, ab illo crucior, ab illo ad iudicium vocor. Cognosco facinus; reminiscor, me iniuste iniurias intulisse pontifici; mortem deprecor, ne diutius crucier hoc tormento'. Haec cum maxima in febre clamaret, deficiente robore corporis, infelicem animam fudit, indubia relinquens vestigia, hoc ei ad ultionem beati antistitis evenisse. Nam exanime corpus ita nigredinem duxit, ut putares eum prunis superpositum fuisse combustum. Ergo omnes haec obstupescant, admirentur et metuant, ne inferant iniurias sacerdotibus! quia ultor est Dominus servorum suorum sperantibus in se.
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Nantin, comte d'Angoulême, mourut épuisé par cette maladie; mais je dois rapporter ici plus en détail ce qu'il avait fait contre les prêtres et contre l'Église. Marachaire, son oncle, avait été longtemps comte de cette ville. Le temps de ses fonctions écoulé, il entra dans l'Église, fut fait clerc et ordonné évêque. Il s'occupa avec activité d'élever et d'arranger des églises et des presbytères ; mais la septième année de son sacerdoce, ses ennemis ayant glissé du poison dans une tête de poisson, il la prit sans se méfier de rien, et mourut cruellement. Mais la miséricorde divine ne souffrit pas longtemps que sa mort demeurât sans vengeance. Fronton, par le conseil duquel avait été commis ce crime, étant immédiatement arrivé à l'épiscopat, mourut dans l'année atteint par le jugement de Dieu. Après sa mort, Héraclius, prêtre à Bordeaux, autrefois envoyé de Childebert l'ancien, fut sacré évêque. Nantin demanda d'être nommé comte dans cette ville pour poursuivre la mort de son oncle ; l'ayant obtenu, il fit subir à l'évêque beaucoup d'injures, et lui disait : Tu retiens près de toi les homicides qui ont fait mourir mon oncle; tu reçois à ta table des prêtres complices de ce crime. L'inimitié s'accroissant entre eux, il commença peu à peu à envahir par violence les domaines que Marachaire avait laissés à l'Église par son testament, soutenant que ces biens ne devaient pas revenir à une église dont les clercs avaient fait périr le testateur. Ensuite après avoir mis à mort quelques laïques, il ordonna, de plus, de saisir un prêtre, et l'ayant fait lier, le perça d'un coup de lance ; et comme il vivait encore, il lui fit attacher les mains derrière le dos ; on le suspendit à un poteau, et là il chercha à lui faire avouer s'il avait eu part à cette affaire. Tandis que le prêtre le niait, le sang sortit avec abondance de sa blessure, et il rendit l'esprit. L'évêque irrité ordonna qu'on interdît au comte les portes de l'église. Les évêques s'étant assemblés dans la ville de Saintes, Nantin demanda que l'évêque lui accordât la paix, promettant de rendre tous les biens de l'église dont il s'était emparé sans en avoir le droit, et de se montrer humble envers les évêques. Héraclius, voulant coder aux injonctions de ses confrères, accorda tout ce qu'il désirait de lui, et, recommandant la cause des prêtres au Dieu tout-puissant, consentit de se réunir au comte par les liens de la charité. Celui-ci, revenu à la ville, dépouilla, abattit et rasa les maisons qu'il avait injustement envahies, disant : Si l'Église reprend ces biens, qu'au moins elle les retrouve dévastés. L'évêque, irrité de nouveau par cette conduite, lui refusa la communion. Pendant que tout cela se passait, le bienheureux pontife, qui avait accompli le cours de sa vie, alla rejoindre Dieu. Nantin intercéda auprès des autres évêques par des présents et des flatteries, et il en obtint la communion ; mais, peu de mois après, saisi de la maladie dont j'ai parlé, il se sentit brûler par une grande fièvre, et il s'écriait, disant : Hélas ! hélas ! l'évêque Héraclius me brûle, il me tourmente, il m'appelle en jugement ; je connais mon crime, je me rappelle les injustes outrages que j'ai fait éprouver au pontife. J'implore la mort pour ne pas souffrir plus longtemps un pareil tourment. Et, tandis qu'il s'écriait ainsi dans la violence de sa fièvre, la force défaillit à son corps, et il rendit son âme malheureuse, laissant après lui des signes certains que cela lui était arrivé en vengeance du saint évêque, car son cadavre devint si noir qu'on aurait cru qu'il avait été brûlé par des charbons ardents. Que tous donc s'émerveillent, admirent et craignent de faire injure aux évêques ! car Dieu venge ses serviteurs qui espèrent en lui.
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37. De Martino Calliciense episcopo. |
Hoc tempore et beatus Martinus Galliciensis episcopus obiit, magnum populo illi faciens planctum. Nam hic Pannoniae ortus fuit, et exinde ad visitanda loca sancta in Oriente properans, in tantum se litteris inbuit, ut nulli secundus suis temporibus haberetur. Exinde Gallitiam venit, ubi, cum beati Martini reliquiae portarentur, episcopus ordinatur. In quo sacerdotio impletis plus minus triginta annis, plenus virtutibus migravit ad Dominum. Versiculos, qui super ostium sunt a parte meridiana in basilica sancti Martini, ipse composuit.
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En ce temps mourut le bienheureux Martin, évêque de Galice. Le peuple le pleura beaucoup. Il était né en Pannonie, et, passant de là dans l'Orient, pour visiter les lieux saints, il s'était tellement adonné à l'étude des lettres que de son temps aucun ne fut égal à lui. Il vint de là en Galice, où, ayant porté des reliques de saint Martin, il fut sacré évêque. Il accomplit dans le pontificat environ trente années, et, plein de vertus, alla ensuite trouver le Seigneur. C'est lui qui a composé les vers qu'on voit sur la porte méridionale de la basilique de saint Martin.
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38. De persecutione christianorum in Spaniis. |
Magna eo anno in Hispaniis christianis persecutio fuit, multique exiliis dati, facultatibus privati, fame decocti, carcere mancipati, verberibus adfecti ac diversis suppliciis trucidati sunt. Caput quoque huius sceleris Goisuintha fuit, quam post Athanachilde regis conubium rex Leuvichildus acceperat; sed quae Dei servis notam humilitatis inflixerat, prosequente ultione divina, ipsa quoque est omnibus populis facta notabilis. Nam unum oculum nubs alba contegens, lumen, quod mens non habebat, pepulit a palphebris. Erant autem Leuvichildo regi ex alia uxore duo filii, quorum senior Sigyberthi, iunior Chilperici regis filiam disponsaverat. Sed Ingundis, Sigyberthi regis filiam, cum magno apparato in Hispaniis directa, ab avia Goisuintha cum gaudio magno suscepitur. Quam nec passa est in relegione catholica diu commorare; sed ut rebaptizaretur in Arriana herese, blandis coepit sermonibus inlecere. Sed illa viriliter reluctans, coepit dicere: 'Sufficit satis me ab originale peccato baptismo salutare semel abluta fuisse et sanctam Trinitatem in una aequalitate esse confessam. Haec me credere ex corde toto confiteor nec umquam ab hac fide ibo retrorsum'. Haec illa audiens, iracundiae furore succensa, adpraehensam per comam capitis puellam in terram conlidit, et diu calcibus verberatam ac sanguine cruentatam iussit spoliari et piscinae inmergi; sed, ut adserunt multi, numquam animum suum a fide nostra reflexit. Leuvichildus autem dedit eis unam de civitatibus, in qua resedentes regnarent. Ad quam cum abissent, coepit Ingundis praedicare viro suo, ut, relicta heresis fallacia, catholicae legis veritatem agnuscerit. Quod ille diu refutans, tandem commotus ad eius praedicationem, conversus est ad legem catholicam ac, dum crismaretur, Iohannis est vocitatus. Quod cum Leuvichildus audisset, coepit causas querere, qualiter eum perderet. Ille vero haec intellegens, ad partem se imperatoris iungit, legans cum praefectum eius amicitias, qui tunc Hispaniam inpugnabat. Leuvichildus autem dirixit ad eum nuntius, dicens: 'Veni ad me, quia extant causae, quas conferamus simul'. Et ille: 'Non ibo, quia infensus es mihi, pro eo quod sim catholicus'. At ille, datis praefecto imperatoris triginta milibus solidorum, ut se ab eius solacio revocaret, commotu exercitu, contra eum venit. Herminigildus vero, vocatis Grecis, contra patrem egreditur, relicta in urbe coniuge sua. Cumque Leuvichildus ex adverso veniret, relictus a solacio, cum viderit nihil se praevalere posse, eclesiam, qui erat propinquam, expetiit, dicens: 'Non veniat super me pater meus; nefas est enim, aut patrem a filio aut filium a patre interfici'. Haec audiens Leuvichildus, misit ad eum fratrem eius; qui, data sacramenta ne humiliaretur, ait: 'Tu ipse accede et prosternere pedibus patris nostri, et omnia indulget tibi'. At ille poposcit vocare patrem suum; quo ingrediente, prostravit se ad pedes illius. Ille vero adpraehensum osculavit eum et blandis sermonibus delinitum duxit ad castra, oblitusque sacramenti, innuit suis et adpraehensum spoliavit eum ab indumentis suis induitque illum veste vile; regressusque ad urbem Tolidum, ab latispueris eius, misit eum in exilio cum uno tantum puerolo.
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Il y eut cette année en Espagne une grande persécution des Chrétiens ; plusieurs furent envoyés en exil, privés de leurs biens, épuisés par la faim, enfermés dans les prisons, battus de verges et mis à mort par divers supplices. Ces crimes étaient dirigés surtout par Gonsuinthe, que le roi Leuvigild avait épousée après la mort d'Athanagild. Mais la vengeance divine, sur ceux qui avaient infligé ces humiliations aux serviteurs de Dieu, se manifesta aux yeux de tous les peuples ; car un nuage blanc se répandit sur un des yeux de Gonsuinthe, et priva ses paupières de la lumière qui manquait à son esprit. Le roi Leuvigild avait déjà d'une autre femme deux fils, dont l'aîné avait été fiancé à la fille du roi Sigebert, le plus jeune à celle du roi Chilpéric. Ingonde, fille du roi Sigebert, avait été conduite en Espagne avec un grand appareil, et reçue très joyeusement par son aïeule Gonsuinthe. Mais celle-ci ne souffrit pas longtemps qu'elle demeurât dans la religion catholique, et commença, par de douces paroles, à vouloir lui persuader de se faire baptiser dans l'église arienne ; mais elle, s'y refusant avec un mâle courage , commença à dire : Il me suffit d'avoir été lavée une fois du péché originel par un baptême salutaire, et d'avoir confessé la sainte Trinité, égale à un seul Dieu. Je déclare que j'y crois de tout mon coeur, et jamais je ne renoncerai à ma foi. A ces paroles, Gonsuinthe, enflammée d'une colère furieuse, prit la jeune fille par les cheveux, et l'ayant jetée à terre, la foula longtemps sous ses pieds, et, couverte de sang, ordonna qu'elle fût dépouillée et plongée dans la piscine ; mais beaucoup assurent que son esprit ne s'est jamais détaché de notre foi. Leuvigild donna à son fils et à sa belle-fille une de ses cités pour y régner et y résider. Lorsqu'ils y furent, Ingonde commença à prêcher son mari pour le détacher des erreurs de l'hérésie et l'engager à reconnaître les vérités de la loi catholique : il s'y refusa longtemps ; cependant enfin, touché de ses prédications, il se convertit à la loi catholique, et reçut à la confirmation le nom de Jean. Leuvigild l'ayant appris commença à chercher des moyens de le perdre ; mais lui , instruit de ses desseins, se joignit au parti de l'empereur , et se lia d'amitié avec le préfet impérial qui attaquait alors l'Espagne. Leuvigild lui envoya des messagers pour lui dire : Viens à moi, car il est nécessaire que nous conférions ensemble. Mais lui répondit : Je n'irai point, car tu es irrité contre moi parce que je suis catholique. Le roi, ayant donné au préfet de l'empereur trente mille sous d'or pour qu'il retirât ses secours à son fils, marcha contre lui avec une armée. Herménegild, ayant réclamé l'aide des Grecs, sortit pour aller contre son père, laissant sa femme dans la ville. Leuvigild s'étant avancé contre lui, il fut abandonné de ses auxiliaires, et voyant qu'il ne pouvait vaincre, se réfugia dans une église voisine, disant : Que mon père ne marche pas sur moi, car il n'est pas permis à un père de tuer son fils, à un fils de tuer son père. Leuvigild l'ayant su , lui envoya son frère, qui lui fît seraient que son père ne le dépouillerait pas de ses dignités, et lui dit : Viens toi-même te prosterner aux pieds de notre père, et il te pardonnera tout. Mais lui demanda que son père vînt lui-même le chercher ; et, quand il fut venu, se prosterna à ses pieds. Le roi le prit et l'embrassa, et, le flattant par de douces paroles, l'emmena dans son camp ; et alors, oubliant son serment, il fit un signe aux siens, qui, l'ayant pris, le dépouillèrent de ses vêtements et le vêtirent d'habits ignobles ; et de retour à Tolède, le roi lui ôta ses serviteurs ; il l'envoya en exil sans autre personne qu'un enfant pour le servir.
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39. De interitu Chlodovechi. |
Igitur post mortem filiorum Chilpericus rex mense Octobrio in Cothiam silvam plenus luctu cum coniuge resedebat. Tunc Chlodovechum, filium suum, Brinnacum, faciente regina, transmisit, ut scilicet et ipse ab hoc interitu deperiret. Graviter ibi his diebus morbus ille, qui fratres interficerat, seviebat; sed nihil ibidem incommodi pertulit. Ipsi enim rex Calam Parisiacae civitatis villam advenit. Post paucus vero dies Chlodovechum ad se venire praecepit; cui qualis interitus fuerit, dicere non pigebit. Igitur cum in supradicta villam apud patrem habitaret, coepit inmaturae iactare vel dicere: 'Ecce, mortuos fratres meus, ad me restitit omne regnum; mihi universae Galliae subicientur, imperiumque universum mihi fata largita sunt! Ecce inimicis in manu positis inferam quaecumque placuerit!' Sed et de noverca sua Fredegunde regina non condecibilia detractabat. Quae illa audiens, pavore nimio terrebatur. Post dies vero aliquot adveniens quidam ait reginae: 'Ut urbata de filiis sedeas, dolum id Chlodovechi est operatum. Nam ipsi concupiscens unius ancillarum tuarum filia, maleficiis tuos per matrem eius filios interficit, ideoque moneo, ne speres de te melius, cum tibi spes per quam regnare debueras sit ablata' . Tunc regina timore perterrita, furore succensa, nova orbitate conpuncta, adpraehensam puellam, in qua oculus iniecerat Chlodovechus, graviter verberatam, incidi comam capitis eius iussit ac scisso sode inpositam defigi ante metatum praecipit Chlodovechi. Matrem quoque puellae relegatam et turmentis diu cruciatam, elicuit ab ea professione, quae hos sermones veros esse firmaret. Regi exim haec et alia huiuscemodi insinuans, vindictam de Chlodovechum poposcit. Tunc rex in venatione directus, eum praecepit arcessire secretius. Quo adveniente, ex iussu regis adpraehensus in manicis a Desiderio atque Bobone ducibus, nudatur armis et vestibus, ac vili indumento contectus, reginae vinctus adducitur. Ad illa in custodia eum retinere praecepit, elecere ab eo cupiens, si haec ita ut audierat se haberent, vel cuius consilium usus fuerit, aut cuius haec instinctu fecisset, vel cum quibus maximae amicitias conlegasset. At ille reliqua denegans, amicitias multorum detexit. Denique post triduum regina vinctum iussit eum transire Matronam fluvium et in villa cui Nocito nomen est custodire. In qua custodia cultro percussus interiit ipsoque in loco sepultus est. Interea advenerunt nuntii ad regem, qui dicerent, quod ipse se ictu proprio perfodisset, et adhuc ipsum cultrum, de quo se perculit, in loco stare vulneris adfirmabant. Quibus verbis rex Chilpericus inlusus, nec flevit, quem ipse, ut ita dicam, morte tradiderat instigante regina. Servientes quoque illius per diversa dispersi sunt. Mater autem eius crudele morte negata; soror ipsius in monasterio delusa a pueris reginae transmittitur, in quo nunc, veste mutata, consistit; opesque eorum omnes reginae dilatae sunt. Mulier, quae super Chlodovechum locuta fuerat, diiudicatur incendio concremare. Quae cum duceretur, reclamare coepit misera, se mendacia protulisse; sed nihil proficientibus verbis, legatam ad stipitem, vivens exuritur flammis. Thesaurarius Chlodovechi a Chuppani stabuli comite de Biturigo retractus, vinctus reginae transmissus est, diversis cruciatibus exponendus; sed eum regina et a suppliciis et a vinculis iussit absolvi liberumque, nobis obtenentibus [ad regi], abire permisit.
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Chilpéric, après la mort de ses fils, rempli de tristesse, résidait au mois d'octobre avec sa femme dans la forêt de Villers-Cotterêts. Alors, par les insinuations de la reine, il envoya à Braine son fils Clovis, pour qu'il y pérît de la maladie, car le mal qui avait tué ses frères régnait là avec fureur. Cependant il n'en reçut aucune incommodité. Le roi se rendit à sa maison de Chelles, dans le territoire de Paris. Peu de jours après, il fit venir à lui Clovis, dont il ne sera point hors de propos de raconter ici la mort. Comme il habitait à Chelles avec son frère, il commença à se vanter avant le temps, et à dire : Voilà que mes frères sont morts et que tout le royaume me demeure. Les Gaules tout entières me sont soumises, et les destinées m'ont accordé l'empire universel. Voilà mes ennemis tombés entre mes mains, et j'en ferai ce qu'il me plaira. Et en même temps il diffamait sa belle-mère, la reine Frédégonde, en paroles inconvenantes. Celle-ci, l'ayant su, fut saisie d'une grande frayeur. Dans les jours suivants, quelqu'un vint et dit à la reine : Tu demeures privée de tes fils, et cela est arrivé par les trames de Clovis ; car, amoureux de la fille d'une de tes servantes, il a employé les maléfices de la mère à faire périr tes fils. Je t'avertis donc de ne pas espérer pour toi un meilleur sort, car ce qui te donnait l'espoir de régner t'a été enlevé. Alors la reine, pénétrée de crainte, enflammée de colère, aigrie par une perte récente, fit saisir la jeune fille sur qui Clovis avait jeté les yeux, et, l'ayant fait cruellement fustiger, ordonna qu'on lui coupa les cheveux, et les fit suspendre à un pieu devant le logis de Clovis. La mère de la jeune fille fut aussi liée et livrée à de longs tourments, et on la força de déclarer véritables les choses qui avaient été dites. Frédégonde, par ce moyen et d'autres de même nature, persuada Chilpéric et lui demanda vengeance de Clovis. Alors, le roi étant allé à la chasse, ordonna qu'on le fit venir secrètement auprès de lui. Lorsqu'il fut arrivé, les ducs Didier et Bobon, l'ayant pris par l'ordre du roi, lui lièrent les mains ; on le dépouilla de ses armes et de ses habits, on le couvrit de vêtements vils, et on le conduisit garrotté à la reine ; elle ordonna qu'il fût gardé, espérant l'obliger à lui déclarer la vérité sur les choses qu'on lui avait dites, et savoir à l'instigation de qui il avait agi, et avec qui il était particulièrement lié d'amitié. Il nia tout, mais découvrit beaucoup des amitiés qu'il avait formées. Trois jours après la reine ordonna qu'on le conduisît lié de l'autre côté de la rivière de Marne, et qu'il fut gardé dans une maison appelée Nogent ; là, il fut frappé d'un couteau, mourut et fut enterré sur le lieu même. Cependant il vint au roi des messagers qui lui dirent qu'il s'était percé lui-même, affirmant que le couteau dont il s'était frappé était encore dans la blessure. Le roi Chilpéric, trompé par ces paroles, ne pleura point celui que, comme je l'ai dit, il avait livré à la mort par l'instigation de la reine. Ses domestiques furent dispersés en divers lieux ; sa mère périt par une mort cruelle. Sa' soeur, après que les serviteurs de la reine en eurent abusé, fut envoyée dans un monastère, où elle prit l'habit et demeura. Toutes leurs richesses furent portées à la reine. La femme qui avait parlé contre Clovis fut condamnée à être brûlée. Comme on la conduisait au supplice, la malheureuse commença à réclamer et à déclarer qu'elle avait menti. Mais, ses paroles n'ayant servi de rien, elle fut liée au poteau et brûlée toute vive. Le trésorier de Clovis, tiré de Bourges par Cuppan, comte des écuries, fut envoyé à la reine garrotté pour être livré à divers tourments. Mais la reine ordonna qu'il fut délivré de ses liens et exempté du supplice, et, à notre intercession, elle lui rendit la liberté.
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40. De Elafio et Eunio episcopis. |
Post haec Elafius Catalaunensis episcopus propter causas Brunichildis reginae in Hispaniis in legatione directus, correptus a febre nimia, spiritum exalavit, et exinde delatus mortuus, ad civitatem suam sepultus est. Eonius quoque episcopus, quem ligatum Brittanorum supra meminimus, ad civitatem suam regredi non permissus, ut Andecavus pasceretur de publico, a rege praeceptum est. Qui Parisius adveniens, dum die dominica sacrosancta sollemnia celebraret, emissa cum hinnitu vocem, terrae conruit. Erumpente vero ab ore eius et naribus sanguinem, inter manus deportatus est, sed convaluit. Nimio enim vino deditus erat et plerumque ita deformiter inebriabatur, ut gressum facere non valeret.
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Ensuite Élaph, évêque de Châlons, envoyé ambassadeur en Espagne pour les affaires de la reine Brunehault, fut pris d'une forte fièvre, et rendit l'esprit. On rapporta son corps, qui fut enseveli dans son diocèse. L'évêque Éon, envoyé des Bretons, comme nous l'avons déjà dit, n'eut pas la permission de retourner à sa ville épiscopale, et fut envoyé par le roi à Angers, pour y être nourri aux dépens du public. Étant venu à Paris, comme il y célébrait la sainte solennité du jour du Seigneur, il tomba à terre en poussant une sorte de hennissement ; le sang lui sortit par la bouche et les narines, et il fut emporté sur les bras. Cependant il guérit. Il était très adonné au vin, et s'enivrait quelquefois d'une manière si hideuse qu'il ne pouvait plus se soutenir sur ses jambes.
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41. De legatis Calliciensibus ac prodigiis. |
Mirus rex Galliciensis legatos ad Guntchramnum regem dirixit. Cumque per Pectavum terminum praeterirent, quod tunc Chilpericus rex tenebat, nuntiata sunt ei. At ille sub custodia sibi eos exhibere praecepit et Parisius custodire. Eo tempore apud Pectavensem civitatem lopus ex silvis veniens, per portam ingressus est; clausisque portis, infra murus ipsius urbis obpressus, occisus est. Adserebant enim quidam et caelum ardentem se vidisse. Leger fluvius maior ab anno superiore fuit, postquam ei Cares torrens adiunxit. Ventus auster nimium violente cucurrit, ita ut silvas prosterneret, domus erueret, saepes efferret ipsosque hominis ad internitionem usque volutaret. Erat enim spatium eius in latitudine quasi iugera septem, longitudo autem non potuit aestimare. Nam et galli plauso cantu in initio noctis saepe dederunt. Luna cumtenebricata est, et comitis stilla apparuit. Gravis autem lues in populo subsecuta est. Legati autem Sueborum post annum demissi, ad propria redierunt.
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Mirus, roi de Galice, envoya des messagers au roi Gontran. Comme ils passaient par le territoire de Poitiers, que tenait alors le roi Chilpéric, il eut avis de leur passage, et ordonna qu'on les prît, qu'on les lui amenât et qu'ils fussent gardés à Paris. En ce temps-là, un loup sortant de la forêt vint dans la ville de Poitiers où il entra par une des portes ; mais les portes ayant été fermées, on vint à bout de lui, et on le tua dans les murs de la ville. Quelques-uns assurèrent qu'on avait vu le ciel ardent ; le fleuve de la Loire grossit plus que l'année précédente ; le torrent du Cher vint s'y réunir ; le vent du midi souffla sur le pays avec tant de violence qu'il renversa les forêts, abattit les maisons, arracha les haies, et fit périr des hommes même enlevés dans un tourbillon qui parcourut en largeur un espace de près de sept arpents. On n'a pu savoir ni estimer jusqu'où s'était prolongé son passage. Les coqs célébrèrent souvent par leurs chants le commencement de la nuit. La lune fut obscurcie, et l'étoile qu'on appelle comète apparut dans le ciel. Il vint ensuite une grande contagion parmi le peuple. Les envoyés des Suèves, relâchés au bout d'une année, retournèrent dans leur pays.
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42. De Maurilione Cadurcorum episcopo. |
Maurilio Cadurcensis urbis episcopus graviter aegrotabat ab humore podagrico; sed super hos dolores, quos ipse humor commovit, magnos sibi cruciatus addebat; nam saepe candentem ferrum tibiis ac pedibus defigebat, quo facilius cruciatum sibi amplius adderit. Sed cum episcopatum eius multi expeterent, ipse Ursicinum, qui quondam referendarius Ultrogotho reginae fuerat, elegit; quem, dum adhuc viveret, benedici deprecans, migravit a saeculo. Fuit autem valde elemosinarius, in scripturis ecclesiasticis valde instructus, ita ut seriem diversarum generationum, quae in libris Veteris Testamenti describitur, quod a multis difficile retinetur, hic plerumque memoriter recensiret. Fuit etiam et in iudiciis iustus ac defendens pauperes ecclesiae suae de manu malorum iudicum iuxta illud Iob: Conservavi egenum de manu potentis, et inopi, cui non erat adiutor, auxiliatus sum. Os viduae benedixit me, cum essem oculus caecorum, pes clodorum et invalidorum pater.
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Maurille, évêque de la ville de Cahors, était cruellement tourmenté d'une humeur de goutte. Mais aux douleurs qu'élève cette maladie, il en joignait encore de plus grandes, car souvent il appliquait à ses pieds et à ses jambes un fer ardent, pour ajouter aux tourments qu'il soufrait. Comme beaucoup demandaient son épiscopat, il choisit lui-même Ursicin, autrefois, référendaire de la reine Ultrogothe ; et ayant prié qu'il fût consacré avant sa mort, il sortit ensuite de ce monde. Il était très aumônier, très versé dans les saintes Écritures, si bien qu'il récita plusieurs fois de mémoire les diverses générations contenues dans les livres de l'ancien Testament, et que beaucoup retiennent avec peine. Il fut aussi très juste dans ses jugements, défendit les pauvres de son église de l'atteinte des mauvais juges, selon ces paroles de Job : J'avais délivré le pauvre qui criait, et l'orphelin qui n'avait personne pour le secourir ; je remplissais de consolation le 'coeur de la veuve. J'ai été l'oeil de l'aveugle, le pied des boiteux, et le père des pauvres.
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43. De altercatione cum heretico. |
Leuvichildus vero rex Agilanem legatum ad Chilpericum mittit, virum nulli ingenii aut dispositiones ratione conperitum, sed tantum voluntatem in catholica lege perversum. Quem cum via Toronus detulisset, lacessire nos de fide et inpugnare eclesiastica dogmata coepit. 'Iniqua', inquid, 'fuit antiquorum episcoporum lata sententia, quae aequalem adseruit Filium Patri; vel qualiter', inquid, 'poterit esse Patri aequalis in potestate, qui ait: Pater maior me est? Non est ergo aequum, ut ei similis estimetur, cui se minorem dicit, cui tristitia mortis ingemit, cui postremo moriens spiritum, quasi nulla praeditus potestate, commendat. Unde patet, eum et aetate et potestate paterna minorem'. Ad haec ego interrogo, si crederit, Iesum Christum filium Dei esse, si eundemque esse Dei sapientiam, si lumen, si veritatem, si vitam, si iustitiam fateretur. Qui ait: 'Credo, haec omnia esse filium Dei'. Et ego: 'Dic ergo mihi, quando Pater sine sapientia, quando sine lumine, quando sine vita, quando sine veritatem, quando sine iustitia fuerit. Sicut enim Pater sine istis esse non potuit, ita et sine Filio esse non potuit. Quae maximae ad dominice nominis mistirium coaptantur. Sed nec Pater esset utique, si filium non haberet. Quod autem eum dixisse ais: Pater maior me est, scias, eum hoc ex adsumptae carnis humilitate dixisse, ut cognuscas, non potestate, sed humilitate fuisse redemptum. Nam tu qui dicis: Pater maior me est, oportit te meminere, quod alibi ait: Ego et Pater unum sumus. Nam et mortis timor et commendatio spiritus ad infirmitatem corporis est referenda, ut, sicut verus Deus, ita et verus homo credatur'. Et ille: 'Cuius quis implet voluntatem, eius et iunior est; semper filius minor est patri, quia ille facit voluntatem patris, nec pater illius voluntatem facere non probatur'. Ad haec ego: 'Intellegi, quia Pater in Filio et Filius in Patre in una semper Deitate subsistit. Nam ut cognuscas, Patrem Fili facere voluntatem, si in te fides euangelica manet, audi, quid ipse Iesus deus noster, cum ad resuscitandum venit Lazarum, ait: Pater, gratias ago tibi, quoniam audisti me. Et ego sciebam, quia semper me audis; sed propter turbam, qui circumstat, dixi, ut credant, quia tu me misisti. Sed et cum ad passionem venit, ait: Pater, clarifica me claritatem quam habui apud temet ipsum, priusquam mundus fierit. Cui Pater de caelo respondit: Et clarificavi et iterum clarificabo. Aequalis est ergo Filius in Deitati, non minor; sed neque aliquid minus habens. Nam si Deum confiteris, necesse est, integrum fatiares et nihil egentem; si verum integrum esse negas, Deum esse non credis'. Et ille: 'Ex adsumptum hominem coepit Dei filius vocitari; nam erat quando non erat'. Et ego: 'Audi David dicentem ex persona Patris: Ex utero ante lucifero genui te. Et Iohannis euangelista ait: In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Hoc ergo Verbum caro factum est et habitabit in nobis, per quem facta sunt omnia. Nam vos caecati veneno persuasionis, nihil dignum de Deo sentitis'. Et ille: 'Numquid et Spiritum sanctum Deum dicitis aut aequalem Patri Filioque decernitis ? ' Cui ego: 'Una in tribus est voluntas, potestas, operatio; unus Deus in trinitate et trinus in unitate. Tres personae, sed unum regnum, una maiestas, una potentia omnipotentiaque' . Et ille: 'Spiritum sanctum, quem aequalem Patri profertis ac Filio, utrisque minor accipitur, quia et a Filio promissus et a Patre legitur missus. Nemo enim promittit, nisi quod suae dominationis subsistit, et nemo mittit nisi inferiorem sibi, sicut ipse ait in euangelio: Nisi ego abiero, Paraclitus ille non veniet; si autem abiero, mittam illum ad vos'. Ad haec ego respondi: 'Bene Filius ante passionem ait, quia, nisi ille ad Patrem victor remeaverit ac proprio sanguine redempto mundo dignum Deo ex homine praeparet habitaculum, non potest Spiritus sanctus, idem Deus, in pectore fanatico et originalis criminis labi infectum discendere. Spiritus enim sanctus, ait Salomon, fugiet fictum. Tu autem, si spem aliquam resurrectionis habis, noli loqui adversus Spiritum sanctum, quia iuxta sententia Domini: In Spiritu sancto blasphemante non remittitur neque in hoc saeculo neque in futuro'. Et ille: 'Deus est qui mittit, non est Deus qui mittitur'. Ad haec ego interrogo, si crediderit doctrinam Petri Paulique apostolorum. Respondentem autem eo: 'Credo', adiaci: 'Cum arguerit Petrus apostolus Annaniam pro fraude fundi, vide, quid dicat: Quid tibi visum est mentire Spiritui sancto? Non es enim mentitus hominibus, sed Deo. Et Paulus, cum gratiarum spiritalium distinguerit gradus: Haec omnia, inquid, operatur unus adque idem Spiritus, dividens unicuique prout vult. Qui enim quod voluerit facit, in nullius redegitur potestate. Nam vos, ut superius dixi, nihil recte de Trinitate sancta sentitis, et quam iniqua sit huius sectae perversitas, ipsius auctoris vestri, id est Arrii, expraessit interitus'. Ad haec ille respondit: 'Legem, quam non colis, blasphemare noli; nos vero quae creditis etsi non credimus, non tamen blasphemamus, quia non deputatur crimine, si et illa et illa colantur. Sic enim vulgato sermone dicimus, non esse noxium, si inter gentilium aras et Dei eclesiam quis transiens utraque veneretur'. Cuius ego stultitiam cernens, aio: 'Ut video, et gentilium defensorem et hereticorum adsertorem te esse manifestas, cum et eclesiastica dogmata maculas et paganorum spurcitias praedicas adorari. Satius', inquio, 'faciebas, si ea te armaret fides, quam Abraham ad ilicem, Isac in ariete, Iacob in lapide, Moyses vidit in sente; quam Aaron portavit in logio, David exultavit in timphano, Salomon praedicavit in intellectu; quam omnes patriarchae, prophetae sive lex ipsa vel oraculis caecinit vel sacrificiis figuravit; quam et nunc praesens suffragatur Martinus noster vel possidit in pectore vel ostendit in opere, ut et tu conversus credens inseparabilem Trinitatem, et acceptam a nobis benedictionem purgatoque a malae credulitatis veneno pectore, delerentur iniquitatis tuae'. At ille furore commotus et nescio quid quasi insanus frendens, ait: 'Ante anima ab huius corporis vinculis emicet, quam ab ullo relegionis vestrae sacerdote benedictione accipiam'. Et ego: 'Nec nostram Dominus relegionem sive fidem ita tepiscere faciat, ut distribuamus sanctum eius canibus ac praetiosarum margaritarum sacra porcis squalentibus exponamus'. Ad haec ille, relicta altercatione, surrexit et abiit. Sed post haec, cum in Hispaniis reversus fuisset, in infirmitate debilitatus, ad nostram relegionem, necessitate cogente, conversus est.
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Le roi Leuvigild envoya en ambassade vers Chilpéric Agilan , homme sans esprit et nullement habile à lier des raisonnements, mais seulement ennemi obstiné de la loi catholique. En passant par Tours, il commença à nous attaquer sur notre foi, et à combattre les dogmes de l'Église : Ce fut, dit-il, une sentence impie que celle par laquelle les anciens évêques déclarèrent le Fils égal au Père ; car comment, dit-il, pourrait-il être égal à son père celui qui dit : Mon père est plus grand que moi ? Il n'est donc pas juste qu'il soit regardé comme semblable à son père, auquel il se dit inférieur, à qui il se plaint de la tristesse de sa mort, à qui au dernier moment il recommande en mourant son esprit, comme ne possédant par lui-même aucune puissance ; d'où il est clair qu'il est moindre que son père d'âge et de pouvoir. A cela, je lui demandai s'il croyait Jésus-Christ fils de Dieu, s'il avouait qu'il était la science de Dieu, sa lumière, sa vérité, sa vie, sa justice. Il me dit : Je crois que le fils de Dieu est tout cela ; et, moi je lui répondis : Dis-moi donc en quel temps le père a été sans science, en quel temps sans lumière, sans vie, sans vérité, sans justice ; le père ne pouvant être sans ces choses, il en résulte qu'il n'a pu exister sans son fils : ce qui s'adapte très bien au mystère du nom du Seigneur ; car le père ne peut pas être ainsi s'il n'a pas de fils. Quand tu objectes qu'il a dit : mon père est plus grand que moi, sache qu'il a dit ces paroles selon l'humilité de la chair qu'il avait revêtue, afin de te faire connaître que tu n'étais pas racheté par sa puissance, mais par son humilité ; car toi , qui allègues ces paroles, mon père est plus grand que moi, tu dois te souvenir qu'il a dit ailleurs : mon père et moi nous sommes une même chose ; et lorsqu'il craint la mort et qu'il recommande à Dieu son esprit, cela doit se rapporter à l'infirmité de la chair, et cela s'est fait afin que, comme on le croit vrai Dieu, on le crût aussi homme véritable. Et lui me dit : On est inférieur à celui dont on accomplit la volonté. Le fils est toujours inférieur à son père, parce qu'il fait la volonté du père, et qu'on ne voit point son père faire sa volonté. A quoi je lui répondis : Comprends que le père existe dans le fils et le fils dans le père en une même divinité, toujours égale. Car, afin que tu saches que le père fait la volonté du fils, s'il reste encore en toi quelque foi évangélique, écoute ce qu'a dit Jésus notre Dieu, lorsqu'il est venu ressusciter Lazare : Mon père, dit-il, je vous rends grâce de ce que vous m'avez exaucé. Pour moi, je savais que vous m'exaucez toujours mais je dis ceci pour le peuple qui m'environne, afin qu'il croie que c'est vous qui n'avez envoyé. Et lorsqu'il arriva au moment de sa passion, il dit : Mon père, glorifiez-moi donc aussi maintenant en vous-même, de cette gloire que j'ai eue en vous avant que le monde fût. Et le père répondit du ciel : Je t'ai déjà, glorifié et je te glorifierai encore. Le fils est donc égal au père en dignité, et non pas moindre, puisqu'il n'a en lui rien de moindre. Si tu confesses Dieu, il faut nécessairement que tu le confesses entier, et que rien ne lui manque. Si tu nies qu'il soit entier, tu ne crois pas qu'il soit Dieu ; et lui me dit : C'est du moment qu'il se fut fait homme qu'il commença à être appelé fils de Dieu ; car il fut un temps où il ne l'était pas, et je répondis : Écoute David lorsqu'il dit, parlant au nom du Père : Je vous ai engendré de mon sein avant l'étoile du jour, et Jean l'évangéliste dit : Au commencement était le verbe, et le verbe était avec Dieu, et le verbe était Dieu, et ensuite : Et le verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous, et toutes choses ont été faites par lui. Mais, aveuglés du poison de votre opinion, vous ne pensez sur Dieu rien qui soit digne de lui ; et il me dit : Ne dites-vous pas aussi que le Saint-Esprit est Dieu, et ne le regardez-vous pas comme égal au père et au fils ? A quoi je répondis: Il n'est en eux trois qu'une seule volonté, une seule puissance, une seule action. Un seul Dieu, un dans la trinité et trine dans l'unité. Ce sont trois personnes, mais un seuil royaume, une seule majesté, une seule puissance et toute-puissance. Et lui me dit : L'Esprit saint que tu élèves au même rang que le Père et le Fils doit être regardé comme moindre que tous deux, car nous lisons qu'il a été promis par le fils et envoyé par le père, et personne ne promet que ce qu'il a sous sa domination, et personne n'envoie que ce qui lui est inférieur, comme il le dit lui-même dans l'Évangile : Si je ne m'en vais point, le consolateur ne viendra point à vous ; mais si je m'en vais , je vous l'enverrai, et je répondis à cela : Le fils a bien pu dire avant sa passion que s'il ne retournait pas vainqueur vers son père, et après avoir racheté le monde par son propre sang, afin de préparer dans l'homme une habitation digne de Dieu, le Saint-Esprit qui est Dieu lui-même, ne pourrait descendre dans un sein fanatique, et souillé de la tache du péché originel : car l'esprit saint, dit Salomon, fuit le déguisement ; et toi-même, si tu as quelque espoir de résurrection, ne parle pas contre le Saint-Esprit ; car le Seigneur a dit : Si quelqu'un a parlé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera remis ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir ; et lui me dit : C'est celui qui envoie qui est Dieu et non celui qui est envoyé. Sur cela, je lui demandai s'il croyait à la doctrine des apôtres Pierre et Paul, et comme il me répondit, j'y crois , j'ajoutai : Lorsque l'apôtre Pierre reprit Ananie, à cause du mensonge qu'il avait fruit à l'égard de son bien, vois ce qu'il lui dit : Comment Satan a-t-il tenté votre 'coeur pour vous porter à mentir au Saint-Esprit ? Ce n'est pas aux hommes que vous avez menti, mais à Dieu. Et Paul, lorsqu'il distingue les degrés de la grâce spirituelle, dit : C'est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun les dons qu'il lui plait. Celui qui fait ce qu'il veut n'est en la puissance de personne. Mais comme je le disais tout à l'heure, vous n'avez, pas une pensée droite sur la sainte Trinité, et la mort d'Arius, dont vous suivez l'opinion, montre assez l'impie perversité de sa secte. Alors il me répondit : Ne blasphème pas la loi que tu n'adores point ; mous ne blasphémons pas ce que vous croyez, bien que nous ne le croyions pas, et ne regardons pas à crime d'adorer l'un et l'autre ; car nous disons proverbialement à celui qui passe entre un temple des Gentils et une église de Dieu : ce n'est point une faute de les révérer l'un et l'autre. Apercevant alors sa sottise, je lui dis : A ce que je vois, tu te déclares défenseur des Gentils et partisan des hérétiques ; car en même temps que tu corromps les dogmes de l'Église, tu reconnais qu'on peut adorer les abominations des Païens ; tu ferais bien mieux, lui dis-je, de t'armer de la vérité qu'Abraham reconnut auprès du chêne, Isaac dans un bélier, Jacob sur la pierre, Moïse dans un buisson, qu'Aaron porta figurée sur son rational, que David célébra au son du tympanon, que Salomon annonça selon l'esprit, qu'ont chantée tous les patriarches, tous les prophètes, la loi elle-même et les oracles ; que notre confesseur Martin, ici présent, a possédée dans son 'coeur, manifestée dans ses oeuvres ; et alors converti à la foi d'une trinité inséparable, et recevant de nous la communion, ton 'coeur serait purgé du poison d'une croyance perverse, et tes iniquités seraient effacées. Mais lui, transporté de fureur, et je ne sais pourquoi, irrité presque jusqu'à la franchise, me dit : Que mon âme se détache des liens de ce corps, avant que j'accepte la communion d'aucun prêtre de votre religion ; et moi : Que Dieu ne permette pas que notre religion et notre foi puissent s'attiédir de telle sorte que nous dispensions les saints mystères aux chiens, et exposions devant de sales pourceaux la sainteté de ces précieuses perles. Alors, terminant la dispute, il se leva et s'en alla. Mais, peu de temps après, de retour en Espagne, se voyant affaibli par la maladie, la nécessité le contraignit de se convertir à notre religion.
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44. De his quae Chilpericus scripsit. |
Per idem tempus Chilpericus rex scripsit indicolum, ut sancta Trinitas non in personarum distinctione, sed tantum Deus nominaretur, adserens indignum esse, ut Deus persona sicut homo carneus nominetur; adfirmans etiam, ipsum esse Patrem, qui est Filius, idemque ipsum esse Spiritum sanctum, qui Pater et Filius. 'Sic', inquid, 'prophetis ac patriarchis apparuit, sic eum ipsa lex nuntiavit'. Cumque haec mihi recitare iussisset, ait: 'Sic', inquid, 'volo, ut tu vel reliqui doctores eclesiarum credatis'. Cui ego respondi: 'Hac credulitate relicta, pie rex, hoc te oportit sequi, quod nobis post apostolus alii doctores eclesiae reliquerunt, quod Elarius Eusebiusque docuerunt, quod et in baptismo es confessus'. Tunc iratus rex ait: 'Manifestum est mihi in hac causa Elarium Eusebiumque validos inimicos habere'. Cui ego respondi: 'Observare te convenit, neque Deum neque sanctos eius habere offensos. Nam scias, quia in persona aliter Pater, aliter Filius, aliter Spiritus sanctus. Non Pater adsumpsit carnem neque Spiritus sanctus, sed Filius, ut, qui erat Dei filius, ipse ad redemptionem hominis filius haberetur et virginis. Non Pater passus neque Spiritus sanctus, sed Filius, ut, qui carnem adsumpserat in mundo, ipse offerritur pro mundo. De personis vero quod ais non corporaliter, sed spiritaliter sentiendum est. In his ergo tribus personis una gloria, una aeternitas, una potestas'. At ille commotus ait: 'Sapientioribus a te haec pandam, qui mihi consentiant'. Et ego: 'Numquam erit sapiens, sed stultus, qui haec quae proponis sequi voluerit'. Ad haec ille frendens siluit. Non post multos vero dies adveniente Salvio Albigense episcopo, haec ei praecepit recensire, depraecans, ut sibi consentaneus fieret. Quod ille audiens, ita respuit, ut, si cartam, in qua haec scripta tenebantur, potuisset attingere, in frustra discerperit. Et sic rex ab hac intentione quievit. Scripsit alios libros idem rex versibus, quasi Sedulium secutus; sed versiculi illi nulla paenitus metricae conveniunt ratione. Addit autem et litteras litteris nostris, id est w, sicut Graeci habent, ae, the, uui, quarum caracteres hi sunt: Et misit epistulas in universis civitatibus regni sui, ut sic pueri docerentur ac libri antiquitus scripti, planati pomice, rescriberentur.
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En ce même temps, le roi Chilpéric écrivit un petit traité portant qu'on ne devait pas désigner la sainte Trinité en faisant la distinction des personnes, mais seulement là nommer par le nom de Dieu, affirmant qu'il était indigne de Dieu qu'on lui attribuât la qualification de personne, comme à un homme fait de chair, soutenant aussi que le Père était le même que le Fils, et le Saint-Esprit le même que le Père et le Fils. C'est ainsi, disait-il, qu'il s'est montré aux prophètes et aux patriarches , et c'est ainsi que l'a annoncé la loi elle-même. Et lorsqu'il ordonna que cela me fût lu, il me dit : Je veux que toi et les autres docteurs de l'Église le croyiez ainsi. Je lui répondis : Quitte cette erreur, roi très pieux ; il te convient de suivre les doctrines qui nous ont été laissées, après les apôtres, par les autres docteurs de l'Église, qu'ont enseignées Hilaire et Eusèbe, et que toi-même as confirmées à ton baptême. Alors le roi irrité dit : Il m'est évident que dans cette affaire Hilaire et Eusèbe sont mes ennemis déclarés. A quoi je répondis : Il te faut prendre garde de n'offenser ni Dieu ni ses Saints ; car tu sais qu'à les considérer dans leur personne, autre est le Père, autre le Fils, autre est le Saint-Esprit. Ce n'est point le Père qui s'est fait chair, non plus que le Saint-Esprit ; c'est le Fils. Celui qui était fils de Dieu, pour racheter les hommes, s'est fait fils aussi d'une Vierge. Ce n'est pas le Père qui a souffert la Passion, ce n'est pas l'Esprit saint, c'est le Fils, afin que celui qui s'était fait chair en ce monde fût offert pour le monde. Ce n'est point corporellement, mais spirituellement, que s'entendent les personnes dont tu parles. Il n'est donc en ces trois personnes qu'une seule gloire, une seule éternité, une seule puissance. " Il me dit en colère : Il faut que je le montre à de plus sages que toi qui seront de mon avis. Et moi je lui dis : Ce ne sera pas un sage, mais un fou, que celui qui voudra adopter ce que tu proposes. Furieux de ces paroles, il ne me dit plus rien. Peu de jours après, vint Sauve, évêque d'Albi. Il ordonna qu'on lui lût cet écrit, le priant d'en être d'accord. Sauve, l'ayant entendu, le repoussa à tel point que, s'il eût pu saisir le papier qui contenait ces choses, il l'eût déchiré en morceaux ; en sorte que le roi abandonna son projet. Le roi écrivit aussi des livres de vers à la façon de Sédule ; mais ils n'étaient pas du tout composés selon les règles métriques. Il ajouta aussi plusieurs lettres à notre alphabet, savoir, le ω, des Grecs, le ae, the, uui qu'il figura de la manière que voici : ω, ψ, Ζ, Δ ; il envoya des ordres dans toutes les cités de son royaume pour qu'on enseignât les enfants de cette manière, et pour que les livres anciennement écrits fussent effacés à la pierre ponce, et réécrits de nouveau.
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45. De obitu Agroeculae episcopi. |
Agroecula enim Cabillonnensis episcopus hoc obiit tempore; fuitque homo valde elegans ac prudens, genere senaturio. Multa in civitate illa aedificia fecit, domus composuit, ecclesiam fabricavit, quam colomnis fulcivit, variavit marmore, mosevo depixit. Magnae autem abstinentiae fuit; nam numquam prandium usus est, nisi tantum cenam, ad quam sic temporive resedebat, ut sole stante consurgeret. Humanitatis exiguae, facundiae vero magnae erat. Obiit autem episcopatus anno quadragisimo octavo, evi autem octogisimo tertio. Cui Flavus, referendarius Gunthramni regis, successit.
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En ce temps, mourut Agricola, évêque de Châlons, homme sage et d'un esprit poli, de race sénatoriale. Il éleva dans sa cité beaucoup d'édifices, arrangea des maisons, érigea une église qu'il soutint de colonnes, et orna de marbres variés et de peintures en mosaïque. Ce fut un homme d'une grande abstinence, ne faisant jamais d'autre repas que le souper, et il y demeurait si peu de temps qu'il se levait de table avant le coucher du soleil. Il était petit de stature, mais d'une très grande éloquence. Il mourut la quarante-huitième année de son épiscopat, la quatre-vingt-troisième de son âge. Il eut pour successeur Flavius, référendaire du roi Gontran.
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46. De obitu Dalmatii episcopi. |
Eo tempore et Dalmatius Rutenae civitatis episcopus migravit a saeculo, vir in omni sanctitate praecelsus, abstinens vel a cibis vel a concupiscentiis carnis, valde elymosinarius et cunctis humanus, in oratione et vigiliis satis stabilis. Ecclesiam construxit, sed dum eam ad emendationem saepius distruit, inconpositam dereliquit. Post cuius obitum multi, ut fit, episcopatum petibant. Transobadus vero presbiter, qui quondam archidiaconus eius fuerat, maxime in hoc intendibat, fidus, quod filium suum cum Gogone, qui tunc regis erat nutricius, commendaverat. Condidirat autem episcopus testamentum, in quo regis exenium quid post eius obitum accepiret indecabat, adiurans terribilibus sacramentis, ut in ecclesia illa non ordinaritur extraneus, non cupidus, non coniugali vinculo nexus, sed ab his omnibus expeditus, qui in solis tantum dominicis laudibus degebat, substitueritur. Transobadus autem presbiter epulum in ipsa urbe clericis praeparat. Resedentibus autem illis, unus praesbiterorum coepit antestitem memoratum inpudicis blasphemare sermonibus et usque ad hoc erupit, ut eum delerum et fatuum nominaret. Haec eo dicente, pincerna poculum oblaturus advenit. At ille acceptum dum ori proximat, tremire coepit, laxatumque de manu calicem, super alium, qui sibi erat proximus, caput reclinans, reddidit spiritum, ablatusque ab opulo ad sepulchrum, humo contectus est. Post haec relicto testamento antestitis in praesentia Childeberthi regis ac procerum eius, Theodosius, qui tunc archediaconatum urbis illius potiebatur, episcopus ordinatus est.
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Au même temps, sortit aussi de ce monde Dalmate, évêque de la cité de Rodez, homme éminent en toute sainteté, portant son abstinence et sur la nourriture et sur les désirs de la chair, aumônier, humain pour tous, assidu à l'oraison et aux veillés. Il construisit une église, mais, comme il l'avait souvent fait abattre pour plus de perfection, il la laissa incomplète. Après sa mort, beaucoup de gens, comme de coutume, briguèrent son siége ; mais le prêtre Transobade, autrefois son archidiacre, y avait de grandes prétentions, se fiant à la recommandation de son fils, Gogon, alors gouverneur du roi. Cependant l'évêque avait fait un testament, dans lequel il indiquait au roi qui il devait choisir après sa mort, le conjurant, au nom des choses les plus terribles, de ne pas mettre dans cette église un étranger, ni un homme adonné à la cupidité, ou enchaîné dans les liens du mariage, mais de lui donner pour successeur un homme libre de toutes ces pensées, et qui, ne s'appliquât qu'aux louanges du Seigneur. Le prêtre Transobade donna en cette ville un festin aux clercs : pendant qu'ils étaient à table, un des prêtres commença à blâmer avec des paroles impudentes l'évêque dont j'ai parlé, et s'emporta à ce point de l'appeler sot et insensé. Comme il disait ces mots, le sommelier s'approcha, lui apportant à boire ; et lui, prenant le vin, comme il l'approchait de ses lèvres, commença à trembler ; il lui échappa de la main, et laissant tomber sa tête sur celui qui était proche de lui , il rendit l'esprit. Porté du festin au tombeau, il fut mis en terre. Après cela, le testament de l'évêque ayant été lu en présence du roi Childebert et de ses grands, Théodose, alors archidiacre de la ville, fut sacré évêque.
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47. De comitatu Eunomii. |
Audiens autem Chilpericus omnia mala, quae faciebat Leudastis ecclesiis Toronicis vel omni populo, Ansovaldum illuc dirigit. Qui veniens ad festivitatem sancti Martini, data nobis populo optionem, Eunomius in comitatum erigitur. Denique Leudastis cernens se remotum, ad Chilpericum dirigit, dicens: 'Usque nunc, o piissime rex, custodivi civitatem Turonicam; nunc autem, me ab actione remoto, vide, qualiter custodiatur. Nam noveris, quia Gregorius episcopus eam ad filium Sygiberthi tradere distinat'. Quod audiens rex, ait: 'Nequaquam, sed quia remotus es, ideo haec adponis'. Et ille: 'Maiora', inquit, 'de te ait episcopus; dicit enim, reginam tuam in adulterio cum episcopo Berthramno misceri'. Tunc iratus rex, caesum pugnis et calcibus, oneratum ferro recludi praecepit in carcere.
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Chilpéric ayant appris tout le mal que commettait Leudaste dans l'église de Tours, et celui qu'il faisait à tout le peuple, y envoya Ansovald, qui, venant à l'époque de la fête de Saint-Martin, après avoir consulté le choix du peuple et le nôtre, éleva Eunome à la place de comte. Leudaste, se voyant donc éloigné, alla vers Chilpéric , et lui dit : Jusqu'à présent, ô roi très pieux, j'ai gardé la ville de Tours, et maintenant que je suis écarté de mes fonctions, prends garde de quelle manière elle sera gardée ; car tu sauras que l'évêque Grégoire a dessein de la livrer au fils de Sigebert. Le roi, l'ayant entendu, lui dit : Point du tout, mais parce qu'on t'a destitué, tu inventes ces choses. Et alors Leudaste lui dit : L'évêque dit encore bien autre chose de toi ; il dit que ta femme se livre en adultère à l'évêque Bertrand. Alors le roi irrité, le frappant des pieds et des poings, ordonna qu'il fût chargé de fers, et renfermé dans une prison.
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48. De malitia Leudastis. |
Sed quia liber finem postulat, narrare aliquid de eius actionibus libet; sed prius videtur genus ac patriam moresque ordiri. Gracina Pictavensis insula vocitatur, in qua a fiscalis vinitoris servo Leuchadio nomine nascitur. Exinde ad servitium arcessitus, culinae regiae deputatur. Sed quia lippis erat in adolescentia oculis, quibus fumi acerbitas non congruebat, amotus a pistillo, promovitur ad cophinum. Sed dum inter firmentatas massas se delectari consimulat, servitium fugam iniens dereliquit. Cumque bis aut tertio reductus a fugae lapsu teneri non possit, auris unius incisione multatur. Dehinc cum notam inflictam corpori occulere nulla auctoritate valeret, ad Marcoveifam reginam, quam Chariberthus rex nimium diligens in loco sororis toro adsciverat, fugit. Quae libenter eum colligens, provocat equorumque meliorum deputat esse custodem. Hinc iam obsessus vanitate ac superbiae deditus, comitatum ambit stabulorum; quo accepto, cunctos despicit ac postponit, inflatur vanitate, luxuria dissolvitur, cupiditate succenditur et in causis patronae alumnus proprius huc illucque defertur. Cuius post obitum refertus praedis, locum ipsum cum rege Charibertho, oblatis muneribus, tenere coepit. Post haec, peccatis populi ingruentibus, comes Turonus destinatur ibique se amplius honoris gloriosi supercilio iactitat, ibique se exhibet rapacem praedis, turgidum rixis, adulteriis lutulentum. Ubi seminando discordias et inferendo calumnias non modicos thesauros adgregavit. Post obitum vero Chariberthi, cum in Sigiberthi sorte civitas illa venisset, transeunte eo ad Chilpericum, omnia quae inique adgregaverat a fidelibus nominati regis direpta sunt. Pervadente igitur Chilperico rege per Theodobertum, filium suum, urbem Turonicam, cum iam ego Turonus advenissem, mihi a Theodobertho strenue commendatur, ut scilicet comitatum, quem prius habuerat, potiretur. Multum se nobis humilem subditumque reddebat, iurans saepius super sepulchrum sancti antistitis, numquam se contra rationis ordinem esse venturum seque mihi tam in causis propriis quam in ecclesiae necessitatibus in omnibus esse fidelem. Timebat enim, quod postea evenit, ne urbem illam iterum rex Sigiberthus in suo dominio revocaret. Quo defuncto, succedente iterum Chilperico in regno, iste in comitatum accedit. Adveniente autem Turonus Merovecho, omnes res eius usquequaque diripuit. Sed hic, dum Sigiberthus duos annos Turonus tenuit, hic in Brittaniis latuit. Qui, adsumpto, ut diximus, comitatu, in tali levitate elatus est, ut in domo ecclesiae cum toracibus atque loricis, praecinctus pharetra et contum manu gerens, capite galeato ingrederetur, de nullo securus, quia omnibus erat adversus. Iam si in iudicio cum senioribus vel laicis vel clericis resedisset et vidisset hominem iustitiam prosequentem, protinus agebatur in furias, ructabat convicia in civibus; presbiteros manicis iubebat extrahi, milites fustibus verberari, tantamque utebatur crudelitatem, ut vix referri possit. Discedente autem Merovecho, qui res eius diripuerat, nobis calumniator existit, adserens fallaciter Merovechum nostro usum consilio, ut res eius auferret. Sed post inlata damna iterat iterum sacramenta pallamque sepulchri beati Martini fideiussorem donat, se nobis numquam adversaturum.
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Comme ce livre demande à prendre fin, il convient de raconter ici quelques-unes des actions de Leudaste, mais en commençant par faire connaître sa naissance, sa patrie et son caractère. Il naquit dans une île du Poitou, nommée l'Isle de Ré, d'un nommé Léocade, serviteur chargé des vignes du fisc. On le fit venir pour le service royal, et il fut placé dans les cuisines de la reine ; mais, comme il avait, dans sa jeunesse, les yeux chassieux, et que l'âcreté de la fumée leur était contraire, on le fit passer du pilon au pétrin ; mais, quoiqu'il parût se plaire au travail de la pâte fermentée, il prit la fuite et quitta le service. Ramené deux ou trois fois, comme on ne pouvait l'empêcher de s'enfuir, on le condamna à avoir une oreille coupée : alors, comme il n'était aucun crédit capable de cacher le signe d'infamie dont il avait été marqué en son corps, il s'enfuit chez la reine Mircovéfe, que le roi Charibert , épris d'un grand amour pour elle, avait appelée à son lit à la place de sa' soeur. Elle le reçut volontiers, et l'éleva aux fonctions de gardien de ses meilleurs chevaux. Tourmenté de vanité et livré à l'orgueil, il brigua la place de comte des écuries, et l'ayant obtenue, il méprisa et dédaigna tout le monde, s'enfla de vanité, se livra à la dissolution, s'abandonna à la cupidité, et, favori de sa maîtresse, il s'entremit de côté et d'autre dans ses affaires. Après sa mort, engraissé de butin, il obtint par ses présents, du roi Charibert, d'occuper auprès de lui les mêmes fonctions ; ensuite, en punition des péchés accumulés du peuple, il fut nommé comte de Tours. Là, il s'enorgueillit de sa dignité avec une fierté encore plus insolente, se montra âpre au pillage, hautain dans les disputes, souillé d'adultère, et par son activité à semer la discorde et à porter des accusations calomnieuses, il amassa des trésors considérables. Après la mort de Charibert, cette ville étant tombée dans la part de Sigebert, Leudaste passa à Chilpéric et tout ce qu'il avait amassé injustement lui fut enlevé par les fidèles de Sigebert. Le roi Chilpéric ayant envahi la ville de Tours par les mains de son fils Théodebert, lorsque j'arrivai à Tours, Théodebert me recommanda fortement que les fonctions de comte fussent remises à celui qui les avait possédées autrefois. Il se montrait envers moi humble et soumis, jurant souvent sur le tombeau du saint évêque qu'il ne ferait jamais rien contre les lois de la raison et qu'il me serait fidèle en toutes choses, tant sur ce qui regarderait mes propres affaires que sur les besoins de l'Église, car il craignait, ce qui arriva ensuite, que la ville ne retournât sous la domination du roi Sigebert. Celui-ci étant mort et Chilpéric lui ayant succédé, Leudaste rentra dans les fonctions de comte. Mérovée étant venu à Tours, lui enleva tout ce qu'il possédait. Pendant les deux années où Sigebert avait tenu la ville de Tours, il s'était tenu caché en Bretagne ; mais mis en possession, comme nous l'avons dit, de la place de comte, la tête lui tourna tellement d'insolence qu'il entrait dans la maison épiscopale couvert de sa cuirasse et de son corselet, ceint d'un carquois, la lance à la main et le casque sur la tête, ne se fiant à personne, parce qu'il était ennemi de tous. S'il siégeait comme juge avec les principaux du pays, soit laïques, soit clercs, et qu'il vît un homme soutenir son droit, aussitôt il entrait en furie, et vomissait des injures contre les citoyens ; il faisait entraîner les prêtres les mains liées, frappait les soldats de verges et commettait tant de cruautés qu'à peine pourrait-on les raconter. Après le départ de Mérovée qui lui avait enlevé son bien, il se porta calomniateur contre nous, soutenant faussement que c'était par notre conseil que Mérovée s'était emparé de ce qu'il possédait. Mais, après nous avoir causé plusieurs dommages, il nous renouvela ses serments et jura par la couverture du sépulcre de saint Martin qu'il ne s'élèverait plus contre nous.
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49. De insidiis, quas nobis fecit. |
Sed quia longum est per ordinem prosequi periurias vel reliqua mala eius, veniamus ad illud, qualiter me voluit iniquis ac nefariis calumniis supplantare, vel qualiter in eum ultio divina descendit, ut illud adimpleretur: Omnis subplantans subplantabitur; et iterum: Qui fodit foveam, incidit in ea. Igitur post multa mala quae in me meisque intulit, post multas direptiones rerum ecclesiasticarum, adiuncto sibi Riculfo presbitero simili malitia perverso, ad hoc erupit, ut diceret, me crimen in Fredegundem reginam dixisse; adserens, si archidiaconus meus Plato aut Galienus amicus noster subdirentur poenae, convincerent me utique haec locutum. Tunc rex iratus, ut supra diximus, iussit eum pugnis calcibusque caesum oneratumque catenis recludi in carcerem. Nam Riculfum clericum se habere dicebat, per quem haec locutus fuisset. Hic vero Riculfus subdiaconus, simili levitate perfacilis, ante hoc anno consilio cum Leudaste de hac causa habito, causas offensionis requirit, quibus scilicet me offenso ad Leudastem transiret; nanctisque tandem, ipsum adivit, ac per menses quattuor dolos omnes ac muscipulas praeparatas, ad me cum ipso Leudaste revertitur, deprecans, ut eum debeam recipere excusatum. Feci, fateor, et occultum hostem publice in domo suscepi. Discedente vero Leudaste, ipse se pedibus meis sternit, dicens: 'Nisi succurras velociter, periturus sum. Ecce, instigante Leudaste, locutus sum quod loqui non debui! Nunc vero aliis me regnis emitte; quod nisi feceris, a regalibus conprehensus, mortales poenas sum lueturus'. Cui ego aio: 'Si quid incongruum rationi effatus es, sermo tuus in caput tuum erit; nam ego altero te regno non mittam, ne suspectus habear coram rege'. Post ista Leudastis extitit accusator eius, dicens, se sermones iam dictos a Riculfo audisse subdiacono. At ille iterum vinctus, relaxato Leudaste, custodiae deputatur, dicens, Galienum eadem die et Platonem archidiaconem fuisse praesentes, cum haec est episcopus elocutus. Sed Riculfus presbiter, qui iam promissionem de episcopatu a Leudaste habebat, in tantum elatus fuerat, ut magi Simonis superbia aequaretur. Qui tertio aut eo amplius mihi sacramentum super sepulchrum sancti Martini dederat, in die sexta paschae in tantum me conviciis et sputis egit, ut vix manibus temperaret, fidus scilicet doli quem praeparaverat. In crastina autem die, id est sabbati in ipsa pascha, venit Leudastis in urbe Turonica, adsimilansque aliud negotii agere, adprehensis Platonem archidiaconem et Galienum in vincla conectit, catenatosque ac exutos veste iubet eos ad reginam deduci. Haec ego audiens, dum in domo ecclesiae residerem, mestus turbatusque ingressus oratorium, Davitici carminis sumo librum, ut scilicet apertus aliquem consolationis versiculum daret. In quo ita repertum est: Eduxit eos in spe, et non timuerunt; et inimicos eorum operuit mare. Interea ingressi in fluvium super pontem, qui duabus lintribus tenebatur, navis illa, quae Leudastem vehebat, dimergitur, et nisi natandi fuisset adminiculo liberatus, cum sociis forsitan interisset. Navis vero alia quae huic innexa erat, quae et vinctos vehebat, super aquas Dei auxilio elevatur. Igitur deducti ad regem qui vincti fuerant, incusantur instanter, ut capitali sententia finirentur. Sed rex recogitans, absolutos a vinculo libera custodia reservat inlaesos. Ad civitatem vero Turonus Berulfus dux cum Eunomio comite fabulam fingit, quod Gunthramnus rex capere vellet Turonicam civitatem, et idcirco, ne aliqua neglegentia accederet, oportere, ait, urbem custodia consignari. Ponunt portis dolose custodes, qui civitatem tueri adsimilantes, me utique custodirent. Mittunt etiam qui mihi consilium ministrarent, ut ad occultum, adsumptis melioribus rebus ecclesiae, Arverno fuga secederem; sed non acquievi. Igitur rex, arcessitis regni sui episcopis, causam diligenter iussit exquiri. Cumque Riculfus clericus saepius discuteretur occulte et contra me vel meos multas fallacias promulgaret, Modestus quidam faber lignarius ait ad eum: 'O infelix, qui contra episcopum tuum tam contumaciter ista meditaris! Satius tibi erat silere, et, petita venia episcopi, gratiam inpetraris'. Ad haec ille clamare coepit voce magna ac dicere: 'En ipse, qui mihi silentium indicit, ne prosequar veritatem! En reginae inimicum, qui causam criminis eius non sinet inquiri!' Nuntiantur protinus haec reginae. Adprehenditur Modestus, torquetur, flagellatur, et in vincla compactus, custodiae deputatur. Cumque inter duos custodes catenis et cippo teneretur vinctus, media nocte, dormientibus custodibus, orationem fudit ad Dominum, ut dignaretur eius potentia miserum visitare, et qui innocens conligatus fuerat, visitatione Martini praesulis ac Medardi absolveretur. Mox, disruptis vinculis, confracto cippo, reserato ostio, sancti Medardi basilicam, nocte nobis vigilantibus, introiit. Congregati igitur apud Brinnacum villam episcopi, in unam domum resedere iussi sunt. Dehinc adveniente rege, data omnibus salutatione ac benedictione accepta, resedit. Tunc Berthramnus Burdegalensis civitatis episcopus, cui hoc cum regina crimen inpactum fuerat, causam proponit meque interpellat, dicens, a me sibi ac reginae crimen obiectum. Negavi ego in veritate haec locutum, et audisse quidem haec alios, nam non excogitasse. Nam foris domum rumor in populo magnus erat, dicentium: 'Cur haec super sacerdotem Dei obiciuntur? Cur talia rex prosequitur? Numquid potuit episcopus talia dicere vel de servo? Heu, heu, domine Deus, largire auxilium servo tuo!' Rex autem dicebat: 'Crimen uxoris meae meum habetur obprobrium. Si ergo censitis, ut super episcopum testes adhibeantur, ecce adsunt! Certe, si videtur, ut haec non fiant et in fidem episcopi committantur, dicite; libenter audiam quae iubetis'. Mirati sunt omnes regis vel prudentiam vel patientiam simul. Tunc cunctis dicentibus: 'Non potest persona inferior super sacerdotem credi', restitit ad hoc causa, ut, dictis missis in tribus altaribus, me de his verbis exuerem sacramento. Et licet canonibus essent contraria, pro causa tamen regis impleta sunt. Sed nec hoc sileo, quod Rigunthis regina, condolens doloribus meis, ieiunium cum omni domo sua celebravit, quousque puer nuntiaret, me omnia sic implesse, ut fuerant instituta. Igitur regressi sacerdotes ad regem aiunt: 'Impleta sunt omnia ab episcopo quae imperata sunt. O rex, quid nunc ad te, nisi ut cum Berthramno accusatore fratris communione priveris?' Et ille: 'Non', inquid, 'ego nisi audita narravi'. Quaerentibus illis, quis hoc dixerit, respondit, se haec a Leudaste audisse. Ille autem secundum infirmitatem vel consilii vel propositionis suae iam fugam inierat. Tunc placuit omnibus sacerdotibus, ut sator scandali, infitiator reginae, accusator episcopi, ab omnibus arceretur ecclesiis, eo quod se ab audientia subtraxisset. Unde et epistolam subscriptam aliis episcopis qui non adfuerant transmiserunt. Et sic unusquisque in loco suo regressus est. Leudastis vero haec audiens, basilicam sancti Petri Parisius expetiit. Sed cum audisset edictum regis, ut in suo regno a nullo colligeretur, et praesertim quod filius eius, quem domi reliquerat, obisset, Turonus occulte veniens, quae melius habuit in Biturigo transposuit. Prosequentibus vero regalibus pueris, ipse per fugam labitur. Capta quoque uxore eius, in pago Tornacensi exilio recluditur. At Riculfus clericus ad interficiendum deputatur. Pro cuius vita vix obtinui, tamen de tormentis excusare non potui. Nam nulla res, nullum metallum tanta verbera potuit sustinere, sicut hic miserrimus. Nam ab hora tertia diei, revinctis postergum manibus, suspensus ad arborem dependebat; ad horam vero nonam depositus, extensus ad trocleas, caedebatur fustibus, virgis ac loris duplicibus, et non ab uno vel duobus, sed quanti accedere circa miseros potuerunt artus, toti caesores erant. Cum autem iam in discrimine esset, tunc aperuit veritatem et archana doli publice patefecit. Dicebat enim ob hoc reginae crimen obiectum, ut, eiecta de regno, interfectis fratribus et patre, Chlodovechus regnum acciperet, Leudastis ducatum, Riculfus vero presbiter, qui iam a tempore beati Eufronii episcopi amicus erat Chlodovechi, episcopatum Turonicum ambiret, huic Riculfo clerico archidiaconatu promisso. Nos vero cum Dei gratia Turonus reversi, invenimus ecclesiam conturbatam per Riculfum presbiterum. Nam hic sub Eufronio episcopo de pauperibus provocatus, archidiaconus ordinatus est. Exinde ad presbiterium admotus, recessit ad propria. Semper elatus, inflatus, praesumptiosus; nam, me adhuc commorante cum rege, hic, quasi iam esset episcopus, in domo ecclesiae ingreditur impudenter, argentum describit ecclesiae reliquasque res sub sua redegit potestate. Maiores clericos muneribus ditat, largitur vineas, prata distribuit; minoribus vero fustibus plagisque multis etiam manu propria adfecit, dicens: 'Recognoscite dominum vestrum, qui victoriam de inimicis obtinuit, cuius ingenium Turonicam urbem ab Arvernis populis emundavit'; ignorans miser, quod praeter quinque episcopos reliqui omnes, qui sacerdotium Turonicum susceperunt, parentum nostrorum prosapiae sunt coniuncti. Illud saepe suis familiaribus dicere erat solitus, hominem prudentem non aliter nisi in periuriis quis decipere possit. Sed cum me reverso adhuc despiceret nec ad salutationem meam, sicut reliqui cives fecerant, adveniret, sed magis me interficere minitaret, cum consilio provincialium eum in monasterio removeri praecipio. Cumque ibidem artius distringeretur, intercedentibus Felicis episcopi missis, qui memoratae causae fautor extiterat, circumventum periuriis abbatem, fuga labitur et usque ad Felicem accedit episcopum, eumque ille ambienter collegit, quem execrare debuerat. Leudastis vero in Biturigo pergens, omnes thesauros quos de spoliis pauperum detraxerat secum tulit. Nec multo post, inruentibus Biturigis cum iudice loci super eum, omne aurum argentumque vel quod secum detulerat abstulerunt, nihilque ei nisi quod super se habuit relinquentes; ipsamque abstulissent vitam, nisi fuga fuisset elapsus. Resumptis dehinc viribus, cum aliquibus Turonicis iterum inruit super praedones suos, interfectoque uno, aliqua de rebus ipsis recepit et in Turonico revertitur. Audiens haec Berulfus dux, misit pueros suos cum armorum apparatu, ut apprehenderent eum. Ille vero cernens, se iam iamque capi, relictis rebus, basilicam sancti Hilarii Pictavensis expetiit. Berulfus vero dux res captas regi transmisit. Leudastis enim egrediebatur de basilica, et inruens in domibus diversorum, praedas publice exercebat. Sed et in adulteriis saepe in ipsam sanctam porticum deprehensus est. Commota autem regina, quod scilicet locus Deo sacratus taliter pollueretur, iussit eum a basilica sancta eici. Qui eiectus, ad hospites suos iterum in Biturigo expetiit, deprecans, se occuli ab eis.
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Mais comme il serait trop long de rendre compte par ordre de ses parjures et de ses autres méfaits, venons à raconter la manière dont il voulut me supplanter par d'iniques et odieuses calomnies, et comment la vengeance divine tomba sur lui, afin que ces paroles fussent accomplies : Quiconque veut supplanter sera supplanté, et ces autres, celui qui creuse la fosse tombera dedans. Après donc m'avoir fait souffrir beaucoup de choses fâcheuses, après avoir enlevé beaucoup des biens de l'Église, il s'adjoignit le prêtre Riculphe, aussi pervers et aussi méchant que lui, et alla jusqu'à ce point de dire que j'avais accusé la reine Frédégonde, affirmant que si on mettait à la torture mon archidiacre Platon, ou Gallien mon ami, ils me convaincraient des paroles qu'on m'imputait. Alors le roi, irrité comme je l'ai dit, après l'avoir frappé des pieds et des poings, ordonna qu'il fût chargé de chaînes et renfermé dans une prison. Il disait que ces choses lui avaient été rapportées par le clerc Riculphe. Ce Riculphe, sous-diacre, léger et inconséquent comme lui, s'était concerté depuis un an sur cette affaire avec Leudaste, cherchant une occasion de m'offenser, et ayant intention, quand il y serait parvenu, de passer du côté de Leudaste. L'ayant donc trouvée il alla vers Leudaste, et après m'avoir préparé pendant quatre mois toutes sortes de tromperies et de piéges, il revint à moi, de même que Leudaste, et me pria de le recevoir en grâce. Je le fis, je l'avoue, et reçus ouvertement dans ma maison un ennemi caché. Lorsque Leudaste s'en fut allé, Riculphe se jeta à mes pieds disant : Si tu ne me secours promptement, je suis en danger de périr. Voilà qu'à l'instigation de Leudaste, j'ai dit ce que je ne devais pas dire ; envoie-moi donc en d'autres royaumes, car si tu ne le fais pas, je serai pris par les gens du roi, et livré aux derniers supplices. " Je lui dis : Si tu as dit quelque chose qui ne convenait pas, que tes paroles retombent sur ta tête, car je ne te renverrai pas dans un autre royaume, de peur de devenir suspect au roi. Ensuite Leudaste se porta son accusateur, disant que le sous-diacre Riculphe avait entendu les discours dont j'ai parlé. Celui-ci fut donc chargé de liens et Leudaste relâché ; on se contenta de le garder, et il disait que Gallien et l'archidiacre Platon avaient été présents le jour ou l'évêque avait parlé ainsi. Mais Riculphe le prêtre, qui avait déjà reçu de Leudaste la promesse de l'épiscopat, en était tellement enflé qu'il égalait en orgueil Simon le magicien. Il m'avait fait serment trois fois ou plus, sur le tombeau de saint Martin ; et cependant le sixième jour de Pâques, il m'accabla de tant d'injures et d'outrages qu'à grand'peine put-il se retenir de porter les mains sur moi, tant il se confiait dans les piéges qu'il m'avait apprêtés. Le lendemain, c'est-à-dire le samedi de Pâques, Leudaste vint dans la ville de Tours, feignant de s'y rendre pour d'autres affaires, et s'étant saisi de Gallien et de l'archidiacre Platon, il les fit charger de fers et ordonna qu'il fussent conduits à la reine enchaînés et dépouillés de leur vêtement. Lorsque j'appris ces choses, j'étais, triste de 'coeur, dans la maison épiscopale ; j'entrai plein de trouble dans mon oratoire, j'y pris le livre des psaumes de David afin de trouver en l'ouvrant quelque verset qui m'apportât de la consolation. J'y trouvai ceci : Il les mena pleins d'espérance et leur ôta toute crainte, leurs ennemis ayant été couverts par la mer. Cependant Leudaste, ayant commencé à traverser le fleuve sur un pont formé de deux bateaux attachés l'un à l'autre, celui sur lequel se trouvait Leudaste plongea dans la rivière ; s'il ne se fût sauvé en nageant, il courait risque de périr avec ses compagnons. Mais l'autre bateau, attaché à celui-là et sur lequel étaient les prisonniers enchaînés, fut, à l'aide de Dieu, élevé au-dessus. Ils furent conduits au roi toujours enchaînés, et Leudaste les accusa fortement, demandant qu'ils subissent la peine capitale ; mais le roi, après y avoir pensé, les fit délivrer de leurs liens, et les ayant seulement remis à la garde de ses officiers de justice, ne leur fit aucun mal. Le duc Bérulphe et le comte Eunome feignirent à Tours que la ville était en danger d'être prise par le roi Gontran, et afin, dirent-ils, qu'il n'arrive rien faute de précautions, il convient de mettre des gardes à la ville. Ils mirent donc, sous ce prétexte, des gardes aux portes, qui sous couleur de défendre la ville, s'assurèrent en effet de moi. Ils m'envoyèrent aussi des gens qui me conseillèrent de prendre secrètement ce qu'il y avait de meilleur dans le trésor de l'église et de m'enfuir en Auvergne, mais je n'y voulus point consentir. Le roi donc ayant mandé les évêques de son royaume, ordonna que cette affaire fût examinée avec soin. Le clerc Riculphe était souvent interrogé en secret, et comme il disait contre moi beaucoup de choses fausses, un certain Modeste, ouvrier en bois, lui dit : Malheureux qui complotes avec tant d'obstination contre ton évêque, il valait bien mieux pour toi te taire, lui demander pardon et obtenir de lui ta grâce. Alors il commença à s'écrier à haute voix et à dire : En voilà un qui me conseille le silence, afin que je ne poursuive pas la découverte de la vérité : voilà un ennemi de la reine, qui ne veut pas qu'on informe contre ceux qui l'ont accusée. On alla sur-le-champ rapporter cela à la reine. Modeste fut saisi, appliqué à la torture, flagellé et remis garrotté dans les mains des gardes. Tandis qu'au milieu de la nuit, il était entre deux gardes, enchaîné et retenu dans les ceps, ses gardiens s'étant endormis, il adressa à Dieu une oraison, le priant qu'il daignât, dans sa puissance, visiter un malheureux ; et saint Martin, évêque, vint avec saint Médard délier celui qu'on avait enchaîné sans qu'il l'eût mérité. Aussitôt il brisa ses liens, rompit les ceps, et, ayant ouvert la porte, entra dans la basilique de Saint-Médard où nous étions à veiller pendant la nuit. Les évêques, assemblés à Braine, y furent réunis dans une même maison. Le roi étant venu leur donna à tous le salut, et ayant reçu la bénédiction s'assit avec eux ; alors l'évêque Bertrand, évêque de la ville de Bordeaux, impliqué dans l'accusation portée contre la reine, exposa l'affaire et m'interpella, disant que j'avais porté une accusation contre lui et la reine. Je niai en toute vérité avoir dit ces choses, ajoutant que je ne savais point que d'autres les eussent entendues. Le peuple était autour de la maison, faisant un grand bruit et disant : Pourquoi impute-t-on de telles choses à l'évêque de Dieu ? Pourquoi le roi poursuit-il une telle affaire ? Un évêque aurait-il jamais pu dire de telles choses, même d'un esclave ? Hélas, hélas ! Seigneur Dieu, prête secours à ton serviteur. Le roi disait : Cependant l'accusation portée contre ma femme est pour moi un opprobre. Si vous jugez à propos qu'on produise des témoins contre l'évêque, les voilà ici ; mais s'il vous paraît que cela ne doive pas se faire et qu'il faille s'en remettre à la foi de l'évêque, dites, et je me conformerai volontiers à ce que vous ordonnerez. Tous admirèrent la patience et la prudence du roi, et se réunirent à dire : Un inférieur ne peut être cru sur le compte d'un évêque. L'affaire se borna à cela qu'ayant dit des messes sur trois autels, je me purgeai par serment des paroles qu'on m'imputait, et quoique ces choses fussent contraires aux canons, elles se firent cependant en considération du roi. Mais je ne dois pas passer ici sous silence que la reine Rigonthe, partageant mes douleurs, jeûna avec toute sa maison, jusqu'à ce que je lui eusse fait annoncer par un serviteur que j'avais accompli tout ce qui m'avait été imposé. Ainsi donc les évêques étant retournés vers le roi, lui dirent : Ô roi, toutes les choses ordonnées à l'évêque sont accomplies. Que reste-t-il à faire si ce n'est de te priver de la communion, ainsi que Bertrand accusateur d'un de ses frères ? Et lui répondit : Je n'ai rapporté que ce que j'avais entendu dire. Eux lui ayant demandé qui lui avait dit ces choses, il répondit qu'il les avait apprises de Leudaste. Mais celui-ci, par défaut de sagesse ou de courage, avait déjà pris la fuite. Alors tous les évêques le condamnèrent comme semeur de mensonges, calomniateur de la reine, accusateur d'un évêque, à être exclus de toutes les églises pour s'être soustrait à leur jugement ; et on envoya des lettres aux évêques qui n'avaient pas été présents, pour leur faire fart de cette résolution ; après chacun s'en retourna chez soi. Leudaste, ayant appris ce qui s'était fait, voulut se réfugier dans la basilique de Saint-Pierre de Paris ; mais instruit de l'édit par lequel le roi défendait qu'il fût reçu de personne dans son royaume, et comme son fils qu'il avait laissé dans sa maison venait de mourir, il se rendit secrètement à Tours, et fit passer à Bourges ce qu'il avait de meilleur. Poursuivi des serviteurs du roi, il s'échappa par la fuite ; sa femme ayant été prise, fut envoyée en exil dans le diocèse de Tournai ; le clerc Riculphe fut condamné à mort ; j'eus grand'peine à obtenir sa vie, et ne pus l'exempter des tourments. Je ne crois pas qu'aucune chose inanimée, aucun métal eût pu résister à tous les coups que supporta ce pauvre misérable. A la troisième heure on le suspendit à un arbre, les mains liées derrière le dos ; on le détacha à la neuvième, et on l'étendit sur des roues, où il faut frappé à coups de bâton, de verges, de courroies mises en double ; et cela non pas seulement par un ou deux hommes, mais tant qu'il en pouvait approcher de ses misérables membres, tous le frappaient. Tandis qu'il était dans ces tourments, il découvrit la vérité, et déclara publiquement tout le secret de sa fourberie. Il dit qu'on avait accusé la reine afin de la faire chasser du trône, et que Clovis, après avoir tué ses frères, pût entrer en possession du royaume de son père, et que Leudaste en eût le gouvernement. Le prêtre Riculphe qui, déjà du temps du bienheureux évêque Euphronius, était ami de Clovis, aurait demandé l'évêché de Tours, et l'archidiaconat avait été promis à Riculphe le clerc. Revenu à Tours par la grâce de Dieu, nous y trouvâmes l'église mise en grand désordre par Riculphe le prêtre. Tiré sous l'évêque Euphronius de la classe des pauvres, il avait été ordonné archidiacre ; de là élevé à la prêtrise, il revint à son naturel : toujours hautain, bouffi d'orgueil, présomptueux. Tandis que j'étais avec le roi, il entra impudemment dans la maison épiscopale, comme s'il eût été déjà évêque ; il fit l'inventaire de l'argenterie de l'église, s'empara de tout le reste, fit des présents aux principaux clercs, leur distribua des vignes, des prés ; aux moindres il donna de sa propre main des coups de bâton, et leur lit souffrir beaucoup de maux, leur disant : Reconnaissez votre maître qui a obtenu la victoire sur ses ennemis, et par son esprit a nettoyé la ville de Tours des natifs de l'Auvergne. Il ne savait pas, ce misérable, qu'excepté cinq, tous les évêques qui avaient occupé le siège de Tours, étaient alliés de parenté à notre famille ; il avait coutume de dire à ses familiers qu'un homme prudent rie peut être trompé que par des parjures. Comme, à mon retour, il continua à me témoigner du mépris et ne vint pas me saluer comme le firent les autres citoyens, mais qu'il menaçait encore plus haut de me tuer, j'ordonnai, d'accord avec le conseil provincial, qu'il fût envoyé dans un monastère. Tandis qu'il y était étroitement renfermé, il survint des gens envoyés par l'évêque Félix qui avait été un des fauteurs du procès dont je viens de parler ; et l'abbé s'étant laissé tromper par des parjures, Riculphe s'enfuit, et alla trouver Félix, qui l'accueillit avec empressement, au lieu qu'il aurait dû l'avoir pour exécrable. Leudaste, se rendant à Bourges, y emporta avec lui tous les trésors qu'il avait amassés des dépouilles des pauvres, mais peu de temps après, les gens de Bourges, ayant à leur tête le juge du lieu, se précipitèrent dans sa demeure, et lui enlevèrent son or, son argent et tout ce qu'il avait apporté avec lui, ne lui laissant que l'habit qu'il avait sur le corps ; ils l'auraient même tué s'il ne se fût sauvé par la fuite. Mais ayant repris courage, il se mit à la tête de quelques gens de Tours, et tombant à son tour sur ces voleurs, il en tua un, reprit ce qu'ils lui avaient enlevé et revint à Tours. Le duc Bérulphe l'ayant appris, envoya des serviteurs armés pour se saisir de lui. Voyant qu'il allait être pris, il abandonna ses effets et se réfugia dans la basilique de Saint-Hilaire de Poitiers. Le duc Bérulphe prit ses effets et les envoya au roi, mais Leudaste sortait de la basilique, et faisait des irruptions dans plusieurs maisons, se livrant publiquement au pillage. On le surprit souvent en adultère dans l'enceinte des saints portiques. La reine, irritée de ce qu'il souillait de cette manière la maison sacrée du Seigneur, ordonna qu'il fût chassé de la basilique du saint. Ayant été chassé, il retourna chez ses hôtes de Bourges, les suppliant de le cacher.
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50. Quae beatus Salvius de Chilperico praedixit. |
Et licet de beati Salvii episcopi conlocutione superius memorare debueram, sed quia mentem excessit, esse sacrilegum non arbitror, si in posterum scribatur. Igitur cum, vale post sinodum memoratam regi iam dicta, ad propria redire vellimus, non ante discidere placuit, nisi hunc virum, libatis osculis, linquerimus. Quem quesitum in atrio Brinnacinsis domus repperi. Cui dixi, quia iam eram ad propriam rediturus. Tunc remoti paululum, dum hinc inde sermocinaremur, ait mihi: 'Videsne super hoc tectum quae ego suspicio?' Cui ego: 'Video enim supertegulum, quod nuper rex poni praecepit'. Et illi: 'Aliud', inquid, 'non aspicis?' Cui ego: 'Nihil aliud video'. Suspicabar enim, quod aliquid ioculariter loqueretur. Et adiaci: 'Si tu aliquid magis cernis, enarra'. At ille, alta trahens suspiria, ait: 'Video ego evaginatum irae divinae gladio super domum hanc dependentem'. Verumtamen non fefellit dictio sacerdotem; nam post dies viginti duo filii regis, quos superius mortuos scripsimus, obierunt.
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J'aurais dû rapporter plus haut ma conversation avec le bienheureux évêque Sauve ; mais puisque je l'avais oublié, ce ne sera pas, je crois, un sacrilège d'en compte après d'autres choses. Après le synode dont j'ai parlé, j'avais déjà dit adieu au roi, et me préparais à m'en retourner chez moi ; mais ne voulant pas m'en aller sans avoir dit adieu à Sauve et l'avoir embrassé, j'allai le chercher, et le trouvai dans la cour de la maison de Braine ; je lui dis que j'allais retourner chez moi, et nous étant éloignés un peu pour causer, il me dit : Ne vois-tu pas au-dessus de ce toit ce que j'y aperçois ? - J'y vois, lui dis je, un second petit bâtiment que le roi a dernièrement fait élever au-dessus ; et lui dit : N'y vois-tu pas autre chose ? - Je n'y vois, lui dis je, rien autre chose. Supposant qu'il parlait ainsi par manière de jeu, j'ajoutai : Si tu vois quelque chose de plus dis-le-moi. Et lui, poussant un profond soupir, me dit : Je vois le glaive de la colère divine tiré et suspendu sur cette maison. Et véritablement les paroles de l'évêque ne furent pas menteuses, car, vingt jours après, moururent, comme nous l'avons dit, les deux fils du roi.
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Sources: Julien Quiret pour l'Arbre Celtique
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