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Histoire des Francs - Livre VI |
GREGORII TURONENSIS
HISTORIA FRANCORUM
LIBER SEXTUS
1. Quod Childeberthus ad Chilpericum transiit, et de fuga Mummoli.
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Anno igitur sexto regni sui Childeberthus rex, reiectam pacem Gunthchramni regis, cum Chilperico coniunctus est. Non post multum tempus Gogo moritur; in cuius locum Wandelenus subrogatur. Mummolus a regno Guntchramni fuga dilabitur et se infra murorum Avennicorum monitione concludit. Apud Lugdunum sinodus episcoporum coniungitur, diversarum causarum altercationis incidens neglegentioresque iudicio damnans. Sinodus ad regem revertitur, multa de fuga Mummoli ducis, nonnulla de discordiis tractans.
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La sixième année de son règne, le roi Childebert ayant rompu sa paix avec Gontran, s'allia avec Chilpéric. Gogon mourut peu de temps après et Wandelin fût mis à sa place. Mummole s'enfuit du royaume de Gontran et alla s'enfermer dans les remparts d'Avignon. Un synode d'évêques fut assemblé à Lyon ; il discuta et termina diverses affaires et condamna ceux qui avaient le plus gravement manqué à leurs devoirs. Le synode revint vers le roi et s'occupa beaucoup de l'affaire du duc Mummole, et de plusieurs des querelles qui régnaient alors.
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2. De legatis Chilperici ab Oriente reversis.
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Interea legati Chilperici regis, qui ante triennium ad Tiberium imperatorem abierant, regressi sunt non sine grave damno atque labore. Nam cum Massiliensim portum propter regum discordias adire ausi non essent, Agathae urbem, quae in Gothorum regno sita est, advenerunt. Sed priusquam litus attingerent, navis acta vento, inpulsa terris in frustra minuitur. Legati vero cum pueris se in pericolo cernentes, arreptis tabulis, vix ripae relati sunt, multis puerorum amissis; sed plurimi evaserunt. Res autem, quas unda litoris invexerat, incolae rapuerunt; ex quibus quae melius fuit recipientes, ad Chilpericum regem retulerunt. Multa tamen ex his Agathensis secum retenuerunt. Tunc ego Novigentum villa ad occursum regis abieram; ibique nobis rex missurium magnum, quod ex auro gemmisque fabricaverat in quinquagenta librarum pondere, ostendit, dicens: 'Ego haec ad exornandam atque nobilitandam Francorum gentem feci. Sed et plurima adhuc, si vita comis fuerit, faciam'. Aureus etiam singularum librarum pondere, quos imperatur misit, ostendit, habentes ab una parte iconicam imperatoris pictam et scriptum in circulo: Tiberii Constantini perpetui Augusti ; ab alia vero parte habentes quadrigam et ascensorem contenentesque scriptum: Gloria Romanorum . Multa enim et alia ornamenta, quae a legatis sunt exhibita, ostendit.
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Cependant les envoyés du roi Chilpéric, partis trois ans auparavant pour aller vers l'empereur Tibère, revinrent non sans avoir souffert beaucoup de maux et de fatigues ; car n'ayant pas osé, à cause de la division qui était entre les rois, aborder au port de Marseille, ils débarquèrent à la ville d'Agde située dans le royaume des Goths ; mais avant qu'ils eussent atteint le rivage, leur navire, agité par les vents, fut jeté contre terre et brisé en pièces. Les envoyés se voyant en danger, ainsi que leurs serviteurs, s'attachèrent à des planches et arrivèrent ainsi à grand'peine sur le rivage. Beaucoup de leurs serviteurs périrent, mais plusieurs se sauvèrent. Les gens du pays s'emparèrent de ceux de leurs effets que les vagues avaient rejetés sur la rive. Ils en recouvrèrent cependant ce qu'il y avait de meilleur et l'apportèrent au roi Chilpéric. Mais les gens d'Agde leur retinrent beaucoup de choses. J'allai en ce temps voir le roi à sa maison de Nogent. Il me montra un grand bassin d'or, orné de pierres précieuses, qu'il avait fait faire, et qui pesait cinquante livres, et il me dit : J'ai fait faire cela pour honorer la nation des Francs et lui donner de l'éclat, et si la vie continue à m'accompagner, je ferai encore beaucoup d'autres choses. Et me montra aussi des pièces d'or, chacune du poids d'une livre, que lui avait envoyées l'empereur, et qui portaient d'un côté l'image de l'empereur, autour de laquelle était écrit : Tiberii. Constanfini. Perpetui. Augusti. De l'autre côté était un char à quatre chevaux sur lequel était monté un homme ; on y voyait écrits ces mots : Gloria. Romanorum (Gloire des Romains). Il me montra aussi beaucoup d'autres choses précieuses apportées par ses envoyés.
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3. De legatis Childeberthi ad Chilpericum.
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Denique cum apud eandem villam commoraretur, Egidius Remensis episcopus cum primis Childeberthi proceribus in legationem ad Chilpericum regem venit; ibique conlocutione facta, ut, ablato Gunthchramni regis regno, hi se coniungere debeant in pace, ait Chilpericus rex: 'Filii mihi, peccatis increscentibus, non remanserunt, nec mihi nunc alius superest heres nisi fratris mei Sygiberthi filius, id est Childeberthus rex, ideoque in omnibus quae laborare potuero hic heres existat; tantum dum advixero liceat mihi sine scrupulo aut disceptatione cuncta tenere'. At illi gratias agentes, pactionibus subscriptis, ea quae locuti fuerant firmaverunt et ad Childeberthum cum magnis muneribus sunt regressi. Quibus discedentibus, Chilpericus rex Leudovaldum episcopum cum primis regni sui dirixit. Qui, data susceptaque de pace sacramenta pactionibusque firmatis, munerati regressi sunt.
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Tandis que j'étais à Nogent, Aegidius, évêque de Reims, vint avec les premiers de la cour de Childebert en ambassade vers le roi Chilpéric. Ils convinrent ensemble de chasser de son royaume le roi Gontran, et de s'unir par une alliance ; ensuite le roi Chilpéric dit : Mes péchés se sont accumulés et il ne m'est pas demeuré de fils, ni aucun héritier qui puisse me survivre, si ce n'est le fils de mon frère Sigebert, c'est-à-dire le roi Childebert ; il héritera donc de tout ce que je pourrai amasser par mes travaux, pourvu seulement que, tant que je vivrai, je puisse jouir de tout sans crainte et sans dispute. Eux le remercièrent, et ayant signé les traités, confirmèrent ce qu'ils avaient dit, et retournèrent vers Childebert avec de grands présents. Ceux-ci partis, le roi Chilpéric envoya l'évêque Leudovald et les principaux de son royaume qui reçurent et prêtèrent serment, ratifièrent les traités et revinrent avec des présents.
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4. Qualiter Lupus a regno Childeberthi fugatus est.
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Lupus vero dux Campanensis, cum iam diu a diversis fategaretur et spoliaretur assiduae et praesertim ab Ursione et Berthefredo, ad extremum conventione facta ut occideretur, commoverunt exercitum contra eum. Quod cernens Brunichildis regina, condolens fidelis sui insecutiones iniustas, praecingens se viriliter, inrupit medios hostium cuneos, dicens: 'Nolite, o viri, nolite malum hoc facere, nolite persequere innocentem; nolite pro uno hominem committere proelium, quo solatium regionis intereat'. Haec illa loquente, respondit Ursio: 'Recede a nobis, o mulier. Sufficiat tibi sub viro tenuisse regnum; nunc autem filius tuus regnat, regnumque eius non tua, sed nostra tuitione salvatur. Tu vero recede a nobis, ne te ungulae equorum nostrorum cum terra confodiant'. Haec et alia cum diutissime inter se protulissent, obtenuit reginae industria, ne pugnarent. Tamen ab illo loco discedentes, inruerunt in domibus Lupi, et derepto omne praesidio, fingentes se illud in thesauro regis recondere, suis eum domibus intulerunt, intendentes Lupo minas atque dicentes: 'Vivus virtute nostrae non evadit'. At ille cernens se in discrimine, tutatam infra urbis Lugduni Clavati murus coniugem suam, ad Guntchramnum regem confugit. A quo benigne susceptus, cum eo latuit, expectans, ut Childeberthus ad legitimam perveniret aetatem.
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Loup, duc de Champagne, était depuis longtemps tourmenté et dépouillé sans relâche par ses ennemis, Ursion et principalement Bertfried. Enfin, étant convenus de le tuer, ils firent marcher une armée contre lui. Ce que voyant la reine Brunehault, affligée de l'injuste persécution qu'on faisait subir à un de ses fidèles, elle s'arma d'un courage mâle et se précipita entre les deux troupes, disant: Gardez-vous, ô hommes, gardez-vous de commettre cette mauvaise action. Gardez-vous de persécuter l'innocence ; gardez-vous, à cause d'un seul homme, de livrer un combat qui détruira tout le bien-être du pays. " Ursion répondit à ces paroles : Éloigne-toi de nous , ô femme ; qu'il te suffise d'avoir régné du temps de ton mari. C'est maintenant ton fils qui règne ; c'est notre appui et non le tien qui sauvera le royaume. Eloigne-toi donc de nous, de peur que les pieds de nos chevaux ne t'écrasent contre la terre. Ces discours et beaucoup d'autres se prolongèrent longtemps entre eux ; enfin, la reine, par son habileté, parvint à empêcher qu'ils ne combattissent mais, en partant de ce lieu, ils entrèrent de force dans la maison de Loup, enlevèrent tout son argent, sous prétexte de le remettre au trésor du roi, et l'emportèrent dans leurs maisons, proférant des menaces contre Loup, et disant : Il ne s'échappera pas vivant de nos mains. Voyant son danger, il mit sa femme en sûreté dans les murs de la ville de Laon, et s'enfuit vers le roi Gontran qui le reçut avec bienveillance, et il demeura caché près de lui, en attendant que Childebert parvînt à l'âge de régner.
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5. Altercatio cum Iudaeo.
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Igitur Chilpericus rex, cum adhuc apud supradictam villam moraretur, inpedimenta movere praecipiens, Parisius venire disponet. Ad quem cum iam vale dicturus acciderem, Iudaeus quidam Priscus nomen, qui ei ad species quoemendas familiaris erat, advenit. Cuius caesariem rex blande adpraehensa manu, ait ad me, dicens: 'Veni, sacerdus Dei, et inponi manum super eum'. Illo quoque renitenti, ait rex: 'O mens dura et generatio semper incredula, quae non intellegit Dei filium sibi prophetarum vocibus repromissum, non intellegit eclesiastica mystiria in suis sacrificiis figurata'. Haec eo dicente, Iudaeus ait: 'Deus non egit coniugium neque prole ditatur neque ullum consortem regni habere patitur, qui per Moysen ait: Videte, videte, quia ego sum Dominus, et absque me non est Deus. Ego occidam et ego vivere faciam; percutiam, et ego sanabo'. Ad haec rex ait: 'Deus ab spiritali utero Filium genuit sempiternum, non aetati iuniori, non potestati minori, de quo ipse ait: Ex utero ante lucifero genui te. Hunc ergo ante saecula natum in novissimis saeculis mundo misit sanatorem, sicut ait propheta tuus: Misit Verbum suum, et sanavit eos. Quod autem ais, quia ipse non generit, audi prophetam tuum dicentem ex voce dominica: Numquid ego, qui alius parere facio, ipse non paream? Haec enim de populo, qui in eum per fidem renascitur, ait'. Ad haec Iudaeus respondit: 'Numquid Deus homo fieri potuit aut de mulieri nasci, verberibus subdi, morte damnare?' Ad haec rege tacentem, in medio me ingerens, dixi: 'Ut Deus, Dei filius, homo fierit, non suae, sed nostrae necessitatis extetit causa. Nam captivum peccato homine et diaboli servitute subiectum redemere non potuerat, nisi hominem adsumpsisset. Ego vero non de euangeliis et apostolo, quae non credis, sed de tuis libris testimonia praebens, proprio te mucrune confodiam, sicut quondam David Goliam legitur trucidasse. Igitur quod Deus homo futurus esset, audi prophetam tuum: Et Deus, inquid, et homo, et quis cognovit eum? Et alibi: Hic Deus noster, et non repotabitur alius praeter eum; qui invenit omnem viam scientiae et dedit illam Iacob puero suo et Israhel dilecto suo. Post haec in terris visus est et cum hominibus conversatus est. Quod autem de virgine nascitur, audi similiter prophetam tuum dicentem: Ecce virgo in utero concipiet et pariet filium, et vocabitur nomen eius Emmanuhel, quod est interpraetatum: Nobiscum Deus. Quod verberibus subdi, quod clavis adfigi deberit et aliis quoque iniuriis vel subiacere vel adfici, alius propheta ait: Foderunt manus meas et pedes meos; diviserunt sibi vestimenta mea, et citera. Et iterum: Dederunt in esca mea fel, et in siti mea potaverunt me aceto. Et quod per ipsum crucis patibulum labentem mundum et diaboli dicione subiectum restituerit in regno suo, idem David ait: Dominus regnavit a ligno. Non quod antea non regnaverit apud Patrem, sed super populum, quem a diabuli servituti liberaverat, rudem regnum accepit'. Iudaeos ad haec respondit: 'Quae Deo fuit necessitas, ut ista pateretur?' Cui ego: 'Iam dixi tibi, Deus hominem creavit innoxium, sed astu serpentis circumscriptus, praevaricatur praecepti factus est; et ideo a side paradisi eiectus, mundanis laboribus deputatus est. Qui mortem unigeniti Dei Christi Deo reconciliatus est Patri'. Iudaeos dixit: 'Non poterat Deus mittere prophetas aut apostulos, qui eum ad viam revocarent salutis, nisi ipse humiliatus fuisset in carne?' Ad haec ego: 'A principio genus semper diliquit humanum, quem numquam terruit nec submersio diluvii nec incendium Sodomae nec plagae Aegypti nec miraculum maris Iordanisque divisi; qui semper legi Dei restitit, prophetis non crededit, et non solum non crededit, verum etiam ipsos praedicatores paenitentiae interemit. Ideo nisi ipse eum discendisset redemere, haec explere non potuerat alter. Cuius nos nativitati renati, baptismo abluti, vulnere curati, resurrectione erecti, ascensione glorificati sumus. Quod autem morbis nostris medere venturus erat, propheta tuus ait: Livore eius sanati sumus; et alibi: Ipse peccata nostra portabit et orabit pro transgressoribus; et iterum: Sicut oves ad occisionem ductus est; et quasi agnus coram tundente se sine voce, sic non aperuit os suum. In humiliatione iudicium eius sublatum est. Generationem eius quis enarravit? Dominus exercituum nomen eius. De hoc et Iacob ille, de cuius te iactas venisse generationem, in illa filii sui Iudae benedictione, quasi ad ipsum Christum, filium Dei, loquens, ait: Adorabunt te filii patris tui. Catulus leonis Iuda. De germine, fili mi, ascendisti. Recubans dormisti quasi leo, quasi catulus leonis. Qui suscitavit eum? Pulchriores oculi eius vino et dentes eius lacte candidiores. Quis, inquid, suscitabit eum? Et licet ipse dixerit: Potestatem habeo ponendi animam meam, et potestatem habeo iterum sumendi eam, tamen Paulus apostulus ait: Qui non credederit, quod Deus illum suscitavit a mortuis, salvus esse non poterit'. Haec et alia nobis dicentibus, numquam conpunctus est miser ad credendum. Tunc rex, silenti illo, cum viderit eum his sermonibus non conpungi, ad me conversus, postulat, ut, accepta benedictione, discederit. Ait enim: 'Dicam', inquid, 'tibi, o sacerdus, quod Iacob dixit ad angelum, qui ei loquebatur: Non demittam te, nisi benedixeris mihi'. Et haec dicens, aquam manibus porregi iubet. Quibus ablutis, facta oratione, accepto pane, gratias Deo agentes, et ipsi accepimus et regi porreximus; austoque mero, vale dicentes discessimus. Rex vero, ascenso equite, Parisius est regressus cum coniuge et filia vel omni familia sua.
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De Nogent où il était, comme je l'ai dit, le roi Chilpéric ordonna qu'on fît partir les bagages, et se disposa à venir à Paris. Comme j'étais allé pour lui dire adieu, il vint un certain Juif, nommé Priscus, familier avec le roi qui s'en servait pour acheter des joyaux d'or et d'argent. Le roi l'ayant pris doucement par les cheveux, s'adressa à moi, disant : Viens, prêtre de Dieu, et impose-lui les mains. L'autre résistant, le roi dit : Ô esprit dur, race toujours incrédule, qui ne comprends pas le fils de Dieu que lui a promis la voix de ses prophètes, qui ne comprends pas les mystères de l'Église figurés dans ces sacrifices ! Alors le Juif lui dit : Dieu n'a pas besoin de se marier ; il ne s'enrichit point de postérité, et ne souffre point de compagnons de sa puissance ; il a dit par la bouche de Moïse : Considérez que je suis le Dieu unique, qu'il n'y en a point d'autre que moi seul : c'est moi qui fais mourir, et c'est moi qui fais vivre ; c'est moi qui blesse, et c'est moi qui guéris. Le roi dit : Dieu a engendré spirituellement, dès l'éternité, un fils qui n'est pas plus jeune d'âge que lui, pas moindre en puissance, et à qui il a dit : Je vous ai engendré de mon sein avant l'étoile du jour. Celui donc qui était né avant les siècles a été envoyé dans les derniers siècles du monde pour le guérir, comme dit ton prophète ; il envoya sa parole, et il les guérit. Et quand tu prétends qu'il n'engendre pas, écoute ton prophète, parlant au nom du Seigneur : Moi qui fais, dit-il, enfanter les autres, n'enfanterai-je point aussi moi-même ? par où il entend le peuple régénéré en lui par la foi. Le Juif lui répondit : Est-ce que Dieu peut être fait homme, naître d'une femme, être frappé de verges, et condamné à mort ? Le roi gardant le silence, j'intervins dans la discussion, et je dis : Si le fils de Dieu s'est fait homme, ce n'est pas pour lui , mais pour nous ; car il ne pouvait racheter l'homme du péché et de l'esclavage du diable, auxquels il était soumis, s'il ne se fût revêtu de l'humanité. Je ne prendrai pas mes témoignages des Évangiles et des apôtres, auxquels tu ne crois pas, mais de tes livres mêmes, afin de te percer de ta propre épée, comme on lit qu'autrefois David a tué Goliath. Apprends donc d'un de tes prophètes que Dieu devait se faire homme ; Dieu est homme, dit-il, et qui ne le connaît pas ? Et ailleurs : C'est lui qui est notre Dieu, et nul autre ne subsistera devant lui? C'est lui qui a trouvé toutes les voies de la vraie science, et qui l'a donnée à Jacob, son serviteur, et à Israël, son bien-aimé ; après cela il a été vu sur la terre, et il a conversé avec les hommes. Et sur ce qu'il est né d'une vierge, écoute aussi ton prophète, lorsqu'il dit : une vierge concevra, et elle enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous. Et, par rapport à ce qu'il devait être frappé de verges, attaché avec des clous, et soumis à d'autres injures, un autre prophète a dit : Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont partagé entre eux mes habits. Et encore : ils m'ont donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire. Et parlant de la croix à laquelle il devait être attaché pour sauver le monde, et le délivrer de la domination du diable, pour le ramener sous sa puissance, David a dit encore : Dieu régnera par le bois ; non qu'il n'eût régné auparavant avec son père, mais parce qu'il a pris, par le bois, la souveraineté sur son peuple qu'il avait délivré de la servitude du diable. " Le Juif répondit : Qui obligeait Dieu à souffrir ces choses ? A quoi je répliquai : Je t'ai déjà dit que Dieu avait créé l'homme innocent, mais que, trompé par la malice du serpent, il avait prévariqué contre ses ordres ; en sorte que, rejeté du Paradis, il avait été condamné aux travaux de ce monde, et qu'ensuite, par sa mort, le Christ, fils unique de Dieu, l'avait réconcilié avec son Père. - Dieu, dit le Juif, ne pouvait-il envoyer des apôtres qui ramenassent l'homme dans la voie du salut, sans se rabaisser lui-même jusqu'à être fait chair ? Et je lui dis : Le genre humain a toujours péché dès le commencement, sans s'être jamais laissé épouvanter ni par l'inondation du déluge, ni par l'incendie de Sodome, ni par les plaies d'Égypte, ni par les miracles qui ont ouvert les eaux de la mer, et du Jourdain. Toujours il a résisté à la loi de Dieu, a refusé de croire aux prophètes ; et non seulement il n'y a pas cru, mais il les a mis à mort quand ils lui prêchaient la pénitence : ainsi donc, si Dieu lui-même n'était descendu pour les racheter, aucun autre ne pouvait accomplir la rédemption. Nous avons été régénérés par sa naissance, lavés par son baptême, guéris par ses blessures, relevés par sa résurrection, glorifiés par son ascension ; et pour nous faire entendre qu'il devait venir nous guérir de nos maladies, un de tes prophètes a dit : nous avons été guéris par ses meurtrissures. Et ailleurs : Il a porté les péchés de plusieurs, et il a prié pour les violateurs de la loi. Et encore : Il sera mené à la mort, comme une brebis qu'on va égorger ; il demeurera dans le silence, sans ouvrir la bouche, comme un agneau est muet devant celui qui le tond. Il est mort au milieu des douleurs, ayant été condamné par des juges. Qui racontera sa génération ? Son nom est le " Seigneur des armées. Jacob, de qui tu te vantes de sortir, dit en bénissant son fils Juda, comme s'il parlait au Christ, fils de Dieu : Les enfants de votre frère vous adoreront. Juda est un jeune lion. Vous vous êtes levé, mon fils, pour ravir la proie ; en vous reposant, vous vous êtes couché comme un lion et une lionne. Qui osera le réveiller ? Ses yeux sont plus beaux que le vin, et ses dents plus blanches que le lait. Qui osera le réveiller ? Et quoique lui-même ait dit : J'ai le pouvoir de quitter ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre, Paul l'apôtre a dit : Si vous croyez de 'coeur que Dieu a ressuscité Jésus d'entre les morts , vous serez sauvé. Nous lui dîmes ces choses et plusieurs autres, sans que ce malheureux prît être touché de la foi. Comme il se taisait, le roi, voyant que ces paroles ne faisaient point d'effet sur lui, se retourna vers moi, et demanda qu'avant son départ je lui donnasse la bénédiction, disant : Je te dirai, ô évêque, ce que dit Jacob à l'ange avec lequel il s'entretenait : Je ne vous laisserai point aller que vous ne m'ayez béni. En parlant ainsi, il ordonna qu'on lui apportât de l'eau, et s'étant lavé les mains, il fit sa prière et prit le pain, rendant grâces à Dieu. Nous le reçûmes, le présentâmes au roi, et, après avoir bu le vin, nous nous séparâmes en nous disant adieu. Le roi monta à cheval, et s'en alla à Paris avec sa femme, sa fille et toute sa maison.
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6. De sancto Hospicio reclauso et abstinentia vel miraculis eius.
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Fuit autem apud urbem Nicensim eo tempore Hospicius reclausus magnae abstinentiae, qui constrictus catenis ad purum corpus ferreis, induto desuper cilicio, nihil aliud quam purum panem cum paucis dactalis comedebat. In diebus autem quadraginsimae de radicibus herbarum Aegyptiarum, quas heremitae utuntur, exhibentibus sibi negotiatoribus, alibatur. Et primum quidem ius in quo coxerant auriens, ipsas sumebat in posterum. Magnas enim per eum Dominus virtutes dignatus est operare. Nam quodam tempore, revelante sibi Spiritu sancto, adventum Langobardorum in Galleis hoc modo praedixit: 'Venient', inquid, 'Langobardi in Galleis et devastabunt civitates septem, eo quod increverit malitia eorum in conspectu Domini, quia nullus est intellegens, nullus est qui faciat bonum, quo ira Dei placetur. Est enim omnes populus infidelis, periuriis deditus, furtis obnoxius, in homicidiis prumptus, ad quibus nullus iustitiae fructus ullatenus gliscit. Non decimae dantur, non pauper alitur, non tegitur nudus, non peregrinus hospitio recipitur aut cibo sufficiente sacietur. Ideo haec plaga supervenit. Nunc autem dico vobis: Congerete omnem substantiam vestram infra murorum septa, ne a Langobardis deripiatui, et vos ipsos in locis firmissimis cummonite'. Haec eo loquente, omnes obstupefacti et vale dicentes, cum magna admiratione ad propria sunt regressi. Monachis quoque dixit: 'Abscidite et vos a loco, auferentes vobiscum quae habetis. Ecce enim adpropinquat gens quam praedixi!' Dicentibus autem illis: 'Non relinquemus te, sanctissime pater', ait: 'Nolite timere pro me; futurum est enim, ut inferant mihi iniurias, sed non nocebunt usque ad mortem'. Discedentibus autem monachis, venit gens illa; et dum cuncta quae repperit vastat, pervenit ad locum ubi sanctus Dei reclausus erat. At ille per fenestram turris ostendit se eis. Ille vero circumeuntes turrem, aditum, per quem ingrederentur ad eum, invenire non poterant. Tunc duo ascendentes, detexerunt tectum, et videntes eum vinctum catenis indutumque cilicio, dicunt: 'Hic malefactor est et homicidium fecit, ideo in his legaminibus vinctus tenitur'. Vocatumque interpraetem, sciscitantur ab eo, quid male ficerit, ut tale supplitio artaretur. At ille fatetur, se homicidam esse omnesque criminis reum. Tunc unus, extracto gladio, ut caput eius libraret, dextera in ipso ictu suspensa diriguit, nec eam ad se potuit revocare. Tunc gladium laxans, terrae deiecit. Haec videntes socii eius, clamorem in caelo dederunt, flagitantes a sancto, ut, quid agere poterent, clementer insinuaret. Ipse vero inposito salutis signo brachium sanitati restituit. Ille autem in eodem loco conversus, tonsorato capite, fidelissimus monachus nunc habetur. Duo vero duces, qui eum audierunt, incolomes patriae redditi sunt; qui vero contempserunt praeceptum eius, miserabiliter in ipsa provintia sunt defuncti. Multi autem ex ipsis a daemoniis correpti, clamabant: 'Cur nos, sancte beatissime, sic crucias et incendis? ' Sed inpositam eis manum, mundabat eos. Post haec homo erat Andecavensis incola, qui per nimiam febrem eloquium pariter auditumque perdederat; et cum febrae convaluisset, surdus permanebat ac mutus. Igitur diaconus ex provintia illa Romam directus est, ut beatorum apostolorum pignora vel reliquorum sanctorum, qui urbem illam muniunt, exhiberet. Quod cum ad parentes infirmi illius pervenisset, rogant, ut eum sibi comitem iteneris sumere dignaretur, confisi, quod, si beatissimorum apostolorum adiret sepulchra, protinus possit adsequi medicinam. Euntibus autem illis, venerunt ad locum, ubi beatus Hospicius habitabat. Quo salutato ac deoscolato, causas iteneris diaconus pandit ac proficisci se Romam indecat seque his qui sancto viro de naucleris amici essent commendare deposcit. Cumque ibi adhuc moraretur, sensit vir beatus per spiritum Domini adesse virtutem; et ait diacono: 'Infirmum, qui comes tui nunc est iteneris, rogo ut meis conspectibus repraesentis'. At ille nihil moratus, velociter ad metatum vadit invenitque infirmum febre plenum, qui per nutum aures suas dare tinnitum indecabat; adpraehensumque ducit ad sanctum Dei. At ille adpraehensa manu caesariem, adtraxit capud illius in finestram, adsumptumque oleum benedictione sanctificatum, tenens manu sinistram linguam eius, ori verticique capitis infudit, dicens: 'In nomine domini mei Iesu Christi aperiantur aures tuae, reseretque os tuum virtus illa, qui quondam ab homine surdo et muto noxium eiecit daemonium'. Et haec dicens, interrogat nomen. Ille vero clara voce ait: 'Sic dicor'. Cum haec vidisset diaconus, ait: 'Gratias tibi inmensas refero, Christi, qui talia per servum tuum dignaris ostendere. Quaerebam Petrum, quaerebam Paulum Laurentiumque vel reliquos, qui Romam proprio cruore inlustrant; hic omnes repperi, hic cunctos inveni'. Haec eo cum maximo fletu et admiratione dicente, vir Dei omni intentione vanam vitans gloriam, ait: 'Sile, sile, dilectissime frater, non haec ego facio, sed ille qui mundum ex nihilo condedit, qui, pro nobis hominem suscipiens, caecis visum, surdis auditum, mutis praestat eloquium; qui leprosis cutem pristinam, mortuis vitam et omnibus infirmis adfluentem medicinam indulget'. Tunc diaconus gaudens et vale dicens, abscessit cum comitibus suis. Quibus discedentibus, homo quidam Dominicus, - sic enim erat viro nomen - a nativitate caecus, advenit ad istius miraculi virtutem probandam. Qui dum in monastirio duobus aut tribus mensibus resederet, oratione ac ieiuniis vacans, tandem vocat eum ad se vir Dei et ait: 'Vis recipere visum?' Cui ille ait: 'Voluntas', inquid, 'mea erat ignota cognuscere. Nam quae sit lux ignoro. Unum tantum scio, quod ab omnibus conlaudatur; ego autem ab inicio aetatis meae usque nunc videre non merui'. Tunc cum oleo benedicto super oculus eius crucem sanctam faciens, ait: 'In nomine Iesu Christi redemptores nostri aperiantur oculi tui'. Et statim aperti sunt oculi eius, et erat admirans cernensque magnalia Dei, quae in hoc mundo videbat. Dehinc mulier quaedam, quae, ut ipsa declamabat, tria habens daemonia, ad eum adducta est. Quam cum tactu sacro benedixisset atque ex oleo sancto crucem fronte eius inposuisset, eiectis daemonibus, purgata discessit. Sed et aliam puellam, ab spiritu inmundo vexatam, benedictione sanavit. Cum autem iam dies obitus eius adpropinquaret, vocavit ad se praepositum monastirii, dicens: 'Exibe ferramentum et inrumpe parietem et mitte nuntius ad episcopum civitatis, ut veniat ad me sepeliendum. Die enim tertia ab hoc egredior mundo et vado in requiem distinatam, quam mihi Dominus repromisit'. Haec eo dicente, misit praepositus ad episcopum civitatis Nicensis, qui ei haec nuntiarent. Post haec Crescens quidam venit ad fenestram, et videns eum catenis vinctum, vermibus plenum, ait: 'O domine mi, qualiter tam valida turmenta tollerare tam fortiter potes?' Cui ille ait: 'Confortat me ille, pro cuius nomine haec patior. Dico autem tibi, quia iam absolvor ab his vinculis et vado in requiem meam'. Adveniente autem die tertia, deposuit catenas, quibus vinctus erat, prostravit se in orationem; et cum diutissime cum lacrimis orasset, conlocans se super scamnum, extensis pedibus elevatisque ad caelum manibus, gratias agens Deo, tradedit spiritum. Et statim omnes vermes ille, qui sanctos artos perforabant, evanuerunt. Adveniens autem Austadius episcopus, beatum corpus studiosissime sepulturae mandavit. Haec omnia ab ipsius ore cognovi, quem superius mutum et surdum ab eo sanatum exposui. Qui multa mihi et alia de eius virtutibus narravit, sed prohibuit me res illa loqui, quia audivi vitam ipsius a multis fuisse conscriptam.
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Il y avait en ce temps dans la ville de Nice un reclus, nommé Hospitius, homme d'une grande abstinence, qui serrait son corps à nu dans des chaînes de fer, portait par dessus un cilice, et ne mangeait rien autre chose que du pain et quelques dattes. Dans les jours du carême il se nourrissait de la racine d'une herbe d'Égypte à l'usage des ermites de ce pays et que lui apportaient les négociants. Il buvait d'abord le jus dans lequel il l'avait fait cuire et la mangeait ensuite. Dieu daigna opérer par lui de grands miracles. Car en ce temps l'Esprit saint lui ayant révélé l'arrivée des Lombards dans les Gaules, il la prédit en ces termes : Les Lombards viendront dans les Gaules et dévasteront sept cités, parce que leurs méchancetés se sont accumulées devant les yeux du Seigneur, que personne n'entend, personne ne recherche Dieu, personne ne fait de bonnes oeuvres pour apaiser la colère de Dieu. Car tout ce peuple est infidèle, adonné au parjure, livré au vol, prompt à l'homicide, et ne produisant aucun des fruits de justice. On ne paye pas les dîmes, on ne nourrit pas les pauvres, on ne couvre point ceux qui sont nus, on ne donne pas l'hospitalité aux voyageurs, on ne fournit point à leur faim des aliments suffisants ; de là est survenue cette plaie. Je vous le dis donc, rassemblez tout ce que vous possédez dans l'enceinte des murs, afin que les Lombards ne vous l'enlèvent pas, et songez à vous défendre vous-même dans des lieux très forts. Lorsqu'il eut dit ces paroles, tous demeurèrent stupéfaits, et, lui disant adieu, s'en retournèrent chez eux avec une grande admiration. Il dit aussi aux moines : Partez de ce lieu et emportez avec vous tout ce que vous avez, car voilà que s'approchent les peuples que je vous ai prédits. Et comme ils lui disaient : Très saint père, nous ne t'abandonnerons pas, il leur répondit : Ne craignez rien pour moi, car il arrivera qu'ils me feront souffrir des injures, mais ne me maltraiteront pas jusqu'à la mort. Les moines s'étant éloignés, les Lombards arrivèrent, et, dévastant tout ce qu'ils trouvaient, parvinrent au lieu où était reclus le saint de Dieu. Il se montra à eux par la fenêtre de sa tour. Eux, entourant la tour, cherchèrent une porte pour arriver jusqu'à lui et ne purent la trouver ; alors deux d'entre eux montèrent sur le toit et le découvrirent, et, voyant le reclus entouré de chaînes et vêtu d'un cilice, ils dirent : C'est un malfaiteur ; il a commis quelque meurtre, c'est pourquoi il est lié de ces chaînes. Et, ayant appelé un interprète, ils lui demandèrent quel mal il avait fait pour être condamné à un tel supplice. Lui s'avoua homicide et coupable de tous les crimes. Alors un d'eux tira son épée pour la faire tomber sur sa tête ; mais le bras qui voulait porter le coup se roidit et demeura suspendu sans que l'homme pût le retirer à lui, et, lâchant son épée, il la laissa tomber à terre. Ce que voyant ses camarades, ils poussèrent de grands cris vers le ciel, priant le saint de leur indiquer avec bonté ce qu'ils avaient à faire, et, ayant imposé au Lombard le signe du salut, il rendit le mouvement à son bras. Celui-ci, converti sur le lieu même, se fit tonsurer, et est maintenant un moine très fidèle. Deux des chefs des Lombards qui écoutèrent les paroles du saint revinrent sans aucun mal dans leur patrie ; ceux qui méprisèrent ses préceptes moururent misérablement dans le pays. Plusieurs d'entre eux, saisis par les démons, s'écriaient : Pourquoi, homme saint et bienheureux, nous tourmenter et nous brûler ainsi ? Mais, leur imposant les mains, il les guérissait. Il y eut ensuite un habitant d'Angers à qui une grande fièvre avait fait perdre la parole et l'ouïe, et qui, guéri de sa fièvre, était demeuré sourd et muet. Un diacre de cette province ayant été envoyé à Rome pour y chercher des reliques des bienheureux apôtres et des autres saints qui en ont fourni cette ville, lorsqu'il arriva au lieu qu'habitaient les parents du malade, ils le prièrent de vouloir bien prendre celui-ci pour compagnon de son voyage, dans la confiance que, s'il arrivait au sépulcre des bienheureux apôtres, il pourrait être immédiatement guéri. Dans leur route ils vinrent à l'endroit qu'habitait le bienheureux Hospitius. Le diacre, après l'avoir salué et embrassé, lui déclara la cause de son voyage, lui dit qu'il allait à Rome, et pria le saint homme de le recommander à des mariniers de ses amis. Pendant qu'ils demeuraient en ce lieu, le saint homme sentit l'esprit du Seigneur lui communiquer sa vertu, et dit au diacre : Je te prie de m'amener le malade qui t'accompagne dans ton voyage. Et sans aucun délai le diacre s'étant rendu à son logis trouva son malade avec la fièvre, et, faisant connaître par signes qu'il éprouvait un tintement dans les oreilles, il le prit et le conduisit au saint de Dieu. Celui-ci, le prenant par les cheveux, lui attira la tête dans sa fenêtre, prit de l'huile sanctifiée par la bénédiction, et, lui tenant la langue de la main gauche, lui versa cette huile dans la bouche et sur le sommet de la tête, disant : Au nom de mon Seigneur Jésus-Christ, que tes oreilles soient ouvertes, que ta langue se délie par cette puissance qui délivra autrefois un sourd-muet de la méchanceté des démons ; et, disant cela, il demanda à cet homme son nom, celui-ci répondit à haute voix : Je m'appelle un tel. Ce qu'ayant vu le diacre, il dit : Je te rends des grâces infinies, ô Jésus-Christ, qui as daigné manifester de telles choses par ton serviteur. J'allais chercher Pierre, j'allais chercher Paul, j'allais chercher Laurent et les autres qui ont illustré Rome de leur sang : ici je les ai tous trouvés, ici je les vois tous. Comme il disait ces paroles avec beaucoup de larmes et d'admiration, l'homme de Dieu, qui évitait de toutes ses forces la vaine gloire, lui dit : Tais-toi, tais-toi, très cher frère, ce n'est pas moi qui ai fait ces choses, mais celui qui a formé le monde de rien, et qui, pour nous s'étant fait homme, a donné la vue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, la parole aux muets, qui a rendu aux lépreux leur peau naturelle, aux morts la vie, et accordé à tous les infirmes une abondante guérison. Alors le diacre, plein de joie, lui ayant dit adieu, s'en alla avec son compagnon. Après leur départ, un certain Dominique (tel était son nom), aveugle de naissance, vint pour éprouver la vertu des miracles du saint. Après qu'il eut demeuré deux ou trois mois dans le monastère, adonné au jeûne et à l'oraison, l'homme de Dieu l'appela vers lui et lui dit : Veux-tu recouvrer la vue ? Je voudrais, dit-il, connaître une chose inconnue, car je ne sais pas ce que c'est que la lumière ; je sais seulement que tous célèbrent ses louanges, mais, depuis le commencement de ma vie jusqu'à présent, je n'ai pas eu le bonheur de voir. Alors le reclus, faisant sur ses yeux, avec de l'huile bénite, le signe de la sainte croix, dit : Au nom de Jésus-Christ notre Rédempteur, que tes yeux soient ouverts ! et sur-le-champ ses yeux furent ouverts. Et il admirait, il contemplait les grandes oeuvres de Dieu que le monde présentait à sa vue. On amena aussi à Hospitius une femme qui, comme elle le disait elle-même avec de grands cris, était possédée de trois démons. L'ayant bénie par un saint attouchement, et lui ayant fait sur le front le signe de la croix avec de l'huile sainte, il la renvoya délivrée de ses démons ; il guérit aussi par sa bénédiction une jeune fille tourmentée de l'esprit immonde. Le jour de sa mort approchant, il appela à lui le supérieur du monastère, disant : Apporte des ferrements pour ouvrir la muraille, et envoie des messagers à l'évêque de la cité pour qu'il vienne m'ensevelir, car dans trois jours je quitterai ce monde, et j'irai au repos qui m'attend et qui m'a été promis de Dieu. Lorsqu'il eut dit ces paroles, le supérieur du monastère envoya à l'évêque de Nice des gens pour l'en instruire. Après cela, un certain Crescens vint à la fenêtre ; et le voyant lié de chaînes et rempli de vers, lui dit : Ô mon seigneur ! comment peux-tu supporter avec tant de courage un si rigoureux tourment ? " Il lui répondit : Celui pour la gloire de qui je souffre ces choses me donne de la force. Mais je te le dis, mes liens se relâchent, et je vais au lieu du repos. Le troisième jour venu, il détacha ses chaînes, se prosterna en oraison ; et après avoir prié longtemps avec larmes, se plaça sur un banc, étendit les jambes ; et levant les mains vers le ciel, rendit grâces à Dieu et lui remit son esprit ; et aussitôt disparurent tous les vers qui déchiraient ses saints membres. L'évêque Austadius étant arrivé fit ensevelir avec beaucoup de soin ce bienheureux corps. J'ai appris toutes ces choses de la bouche du sourd-muet qu'il avait guéri, ainsi que je l'ai rapporté, et qui me raconta de lui beaucoup d'autres miracles. Il me défendit d'en parler ; mais j'ai appris que la vie d'Hospitius avait été écrite par beaucoup d'autres.
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7. De transitu Ferreoli Ucecensis episcopi.
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Eo tempore Ferreolus Ucecensis episcopus, magnae vir sanctitatis, obiit, plenus sapientia et intellectu; qui libros aliquos epistolarum, quasi Sidonium secutus, conposuit. Post cuius obitum Albinus ex praefecto per Dinamium rectorem Provinciae extra regis consilium suscepit episcopatum; quem non amplius quam tribus utens mensibus, cum ad hoc causa restitisset, ut removeretur, defunctus est. Iovinus iterum, qui quondam Provinciae rector fuerat, regium de episcopatum praeceptum accipit. Sed praevenit eum Marcellus diaconus, Felicis senatoris filius. Qui, convocatis conprovincialibus, per consilium Dinami episcopus ordinatus est. Sed et ipse inpulsatus deinceps a Iovino, ut removeretur, conclusus in civitate, virtute se defensare nitebatur; sed cum non valeret, muneribus vicit.
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En ce temps mourut Ferréole, évêque d'Uzès, homme d'une grande sainteté, plein de sagesse et d'intelligence, qui avait composé quelques livres d'épîtres à la manière de Sidoine. Après sa mort, par le moyen de Dynamius, gouverneur de cette province, Albin, ex-préfet, obtint l'épiscopat sans le consentement du roi ; et tandis que l'affaire de son renvoi s'agitait encore, il mourut après une jouissance de trois mois. Jovin, qui avait été autrefois gouverneur de la province, fut, par les ordres da roi, élevé à cet épiscopat; mais il fut prévenu par le diacre Marcel, fils du sénateur Félix, qui, ayant convoqué le clergé de la province, fut sacré évêque par le conseil de Dynamius. Jovin voulant ensuite le chasser par force, Marcel se renferma dans la ville et tâcha de se défendre par le courage. Mais n'étant pas assez fort, il obtint la victoire par des présents.
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8. De Eparchio reclauso Aecolinensis urbis.
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Obiit et Eparchius reclausus Ecolesinensis, vir magnificae sanctitatis, per quem Deus multa miracula ostendit; de quibus, relictis plurimis, pauca perstringam. Petrocoricae urbis incola fuit; sed post conversionem clericus factus, Ecolesinam veniens, cellulam sibi aedificavit. In qua, collectis paucis monachis, in oratione morabatur assidue; et si ei aliquid auri argentique offerebatur, aut in necessitatibus pauperum aut in redemptione captivorum distribuebat. Panes in cellula illa, eo vivente, coctus numquam fuit, sed a devotis, cum necessitas exegisset, inferebatur. Magnam enim catervam populorum de oblationibus devotorum redemit; pusularum malarum venenum crucis signum saepe compressit, daemonas de obsessis corporibus oratione abegit et iudicibus plerumque, ut culpabilibus ignoscerent, dulcedine profusa imperavit potius quam rogavit. Nam ita erat dulcis alloquio, ut ei negare non possent, cum fuisset indulgentiam deprecatus. Quodam vero tempore, dum pro furtum quis ad adpendendum deduceretur, qui et in alia multa scelera, tam in furtis quam in homicidiis, accusabatur ab incolis criminosus, et haec ei nuntiata fuissent, misit monachum suum ad deprecandum iudici, ut scilicet culpabilis ille vitae concederetur. Sed insultante vulgo atque vociferante, quod, si hic dimitteretur, neque regioni neque iudici possit esse consultum, dimitti non potuit. Interea extenditur ad trocleas, virgis ac fustibus caeditur et patibulo condemnatur. Cumque mestus monachus abbati renuntiasset: 'Vade', inquid, 'a longe, quia scito, quod, quem homo reddere noluit, Dominus suo munere redonabit. Tu vero, cum eum cadere videris, protinus adprehensum adducito in monasterium'. Monacho vero iussa complente, ille prosternitur in oratione et tam diu in lacrimis ad Deum fudit preces, quoadusque, disruptum obice cum catenis, terrae restitueretur adpensus. Tunc monachus adprehensum eum abbatis conspectibus incolomem repraesentat. At ille gratias Deo agens, comitem arcessiri iubet, dicens: 'Semper me benigno animo solitus eras audire, fili dilectissime; et cur hodie induratus hominem, pro cuius vita rogaveram, non laxasti?' Et ille: 'Libenter te', inquid, 'audio, sancte sacerdos; sed, insurgente vulgo, aliud facere non potui, timens super me seditionem moveri'. Et ille: 'Tu', inquid 'me non audisti; Deus autem audire me dignatus est, et quem tu tradidisti morti, ille vitae restituit. En', inquid, 'coram te adstat sanus!' Haec eo dicente, prosternitur ad pedes comitis stupentis, quod videbat vivere quem in mortis interitu reliquisset. Haec ego ab ipsius comitis ore cognovi. Sed et alia multa fecit, quae insequi longum putavi. Post XLIIII vero annos reclusionis suae parumper febre pulsatus tradidit spiritum; protractusque a cellula, sepulturae mandatus est. Magnus autem conventus, ut diximus, de redemptis in eius processit exsequiis.
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Alors mourut aussi à Angoulême le reclus Éparque, homme d'une éclatante sainteté, par le moyen duquel Dieu manifesta un grand nombre de miracles, desquels je passerai plusieurs sous silence, et me contenterai d'en raconter quelques-uns. Il était natif de la ville de Périgueux ; mais s'étant mis en religion, il fut fait clerc, et vint à Angoulême où il se bâtit une cellule, et ayant rassemblé un petit nombre de moines, il se livrait assidûment à l'oraison ; si on lui apportait de l'or ou de l'argent, il l'employait, soit aux besoins des pauvres, soit à la rédemption des captifs. Tant qu'il vécut, jamais dans son couvent on ne fit cuire de pain, mais les dévots lui en apportaient autant qu'il en avait besoin. Il racheta de leurs offrandes une grande multitude de captifs, réprima souvent par le signe de la croix le venin du feu Saint-Antoine, fit sortir par ses oraisons les démons du corps des possédés, et plusieurs fois le charme de sa parole fut pour les juges, non pas une prière, mais plutôt un ordre qui les forçait d'absoudre les coupables ; car il avait un si doux langage que lorsqu'il leur demandait de pardonner, il leur était impossible de refuser. On avait, en ce temps, condamné à être pendu pour vol, un homme que les habitants du pays accusaient violemment de plusieurs autres crimes, tant vols qu'homicides. Lorsque Éparque le sut, il envoya un de ses moines prier le juge de lui accorder la vie de ce criminel. Mais le peuple se mit en colère, et cria que si on délivrait cet homme, ni le juge, ni le pays ne s'en trouveraient bien, en sorte qu'il ne put le délivrer. L'homme fut donc étendu sur des roues, frappé à coups de verges et de bâton, et condamné au gibet. Comme le moine vint fort triste rendre cette réponse à son abbé ; Va, lui dit celui-ci, et regarde de loin ; car je sais que Dieu me donnera en présent celui que l'homme n'a pas voulu me rendre, et quand tu le verras tomber, prends-le et conduis-le de suite au monastère. Le moine ayant fait ce qui lui était ordonné, Éparque se prosterna en oraison, et pria Dieu avec larmes jusqu'à ce que le poteau et les chaînes s'étant rompus, le pendu tomba à terre. Alors le moine l'ayant pris, l'amena à l'abbé sans aucun mal. Celui-ci, rendant grâce à Dieu, envoya chercher le comte, et lui dit : Tu avais coutume, mon très cher fils, de m'entendre d'une âme bénigne ; pourquoi aujourd'hui t'es-tu obstiné à ne pas relâcher un homme dont je te demandais la vie ? - Je t'écoute toujours volontiers, saint prêtre, lui dit le comte ; mais le peuple s'est soulevé, et je n'ai pu faire autrement dans la crainte qu'il ne se révoltât contre moi. - Quand tu ne m'écoutais pas, dit le reclus, Dieu a daigné m'écouter, et a rendu à la vie celui que tu avais envoyé à la mort. Le voilà, dit-il, plein de santé en ta présence. Comme il disait ces mots, le comte se prosterna à ses pieds, stupéfait de voir en vie celui qu'il avait laissé au point de la mort. Cela m'a été raconté par la bouche même du comte. Éparque a fait beaucoup d'autres miracles qu'il serait trop long de rapporter. Après quarante-quatre ans de réclusion, il fut pris d'une petite fièvre et rendit l'esprit. Il fut tiré de sa cellule et envoyé à la sépulture. Ses obsèques furent suivies d'une troupe nombreuse de gens qu'il avait rachetés.
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9. De Domnolo Cinomannorum episcopo.
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Domnolus vero Cinomannorum episcopus aegrotare coepit. Tempore enim Chlothari regis apud Parisius ad basilicam sancti Laurenti gregi monasteriali praefuerat. Sed quoniam, Childeberto seniore vivente, semper Chlothario regi fidelis extitit et nuntius illius ad speculandum missus crebrius occulebat, praestolabatur rex locum, in quo pontificatus honorem acciperet. Migrante autem Avenniensis civitatis pontifice, istum illuc dare deliberaverat. Sed beatus Domnolus haec audiens, ad basilicam sancti Martini antistitis, ubi tunc Chlotharius rex ad orationem venerat, accessit, et nocte tota in vigiliis excubans, per priores qui aderant regi suggessionem intulit, ut non quasi captivus ab eius elongaretur aspectu, nec permitteret, simplicitatem illius inter senatores sophisticos ac iudices philosophicos fatigari, adserens, hunc locum humilitatis sibi esse potius quam honoris. Ad haec rex annuens, migrante Innocentio Cinomannorum episcopo, ipsum ecclesiae illi antistitem destinavit. Iam adsumpto episcopatu, talem se tantumque praebuit, ut in summae sanctitatis culmen evectus debili usum gressuum, caeco restituerit visum. Qui post XXII episcopati annos, dum se cerneret morbo regio calculoque gravissime fatigari, Theodulfum abbatem in loco suo praeelegit. Cuius assensum rex praebuit voluntatem, sed non multum post tempus, mutata sententia, in Badegisilum domus regiae maiorem transfertur electio. Qui tonsoratus, gradus quos clerici sortiuntur ascendens, post quadraginta diebus, migrante sacerdote, successit.
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Domnole, évêque du Mans, tomba malade du temps du roi Clotaire ; il avait gouverné un couvent de moines à la basilique de Saint-Laurent de Paris ; et comme durant la vie de Childebert l'ancien, il était toujours demeuré fidèle au roi Clotaire, et avait souvent caché des messagers qu'il envoyait pour épier ce qui se passait, le roi cherchait un lieu où il pût l'élever aux honneurs du pontificat. Le pontife de la cité d'Avignon étant sorti de ce monde, le roi forma le projet de le nommer à sa place ; mais le bienheureux Domnole l'ayant appris, se rendit à la basilique de Saint-Martin Évêque, où le roi Clotaire était venu faire l'oraison, et, ayant employé, sans se coucher, toute la nuit en veille, il fit demander au roi, par les grands qui se trouvaient présents, de ne pas l'éloigner de sa présence comme un captif, et de ne pas exposer sa simplicité aux peines qu'elle aurait à souffrir parmi des sénateurs sophistes et des juges philosophes, l'assurant que ce siége serait pour lui un lieu d'humiliation plutôt que d'honneur. Le roi ayant consenti à ce qu'il désirait, lorsque Innocent, évêque du Mans, passa de ce monde en l'autre, il lui donna le siège de cet évêque. Domnole, arrivé à l'épiscopat, déploya tant et de tels mérites qu'arrivé au comble de la plus haute sainteté, il rendit au boiteux l'usage de ses jambes, à l'aveugle celui de la vue. Après vingt-deux ans d'épiscopat, se voyant cruellement tourmenté de la jaunisse et de la pierre, il choisit pour successeur l'abbé Théodulphe. Le roi confirma ce choix par son consentement. Mais peu de temps après ayant changé d'avis, il nomma à la place Badégésile, maire du palais royal, qui, ayant été tonsuré, passa par les degrés de la cléricature, et, quarante jours après, l'évêque étant sorti de ce monde, il lui succéda.
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10. De basilica sancti Martini effracta.
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His diebus basilica sancti Martini a furibus effracta fuit. Qui ponentes ad fenestram absidae cancellum, quod super tumulum cuiusdam defuncti erat, ascendentes per eum, effracta vitrea, sunt ingressi; auferentesque multum auri argentique vel palleorum olosericorum, abierunt, non metuentes super sanctum sepulchrum pedem ponere, ubi vix vel os applicare praesumimus. Sed virtus sancti voluit hanc temeritatem etiam cum iudicio manifestare terribili. Nam hi, perpetrato scelere, ad Burdegalensim civitatem venientes, orto scandalo, unus alterum interemit; sicque patefacto opere, furtum repertum est, ac de hospitale eorum argentum comminutum vel pallea sunt extracta. Quod cum regi Chilperico nuntiatum fuisset, iussit eos alligari vinculis et suo conspectui praesentari. Tunc ego metuens, ne ob illius causam homines morerentur, qui vivens in corpore pro perditorum vita saepius deprecatus est, epistolam regi precationis transmisi, ne, nostris non accusantibus, ad quos persecutio pertinebat, hi interficerentur. Quod ille benigne suscipiens, vitae restituit. Species vero, quae dissipatae fuerant, studiosissime componens, loco sancto reddi praecepit.
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En ces jours-là, des voleurs entrèrent par effraction dans la basilique de Saint-Martin, plaçant contre la fenêtre de la chapelle un treillage qu'ils trouvèrent sur un tombeau, et montant par-là ils pénétrèrent en brisant les vitres. Ils emportèrent beaucoup d'or et d'argent, des voiles de soie, et ne craignirent pas, en s'en allant, de poser le pied sur le saint sépulcre où nous osons à peine appliquer notre bouche. Mais la puissance du saint voulut faire éclater par un jugement terrible le châtiment de cette témérité. Car ceux qui avaient commis ce crime s'étant rendus à Bordeaux, il s'éleva entre eux une querelle, et l'un d'eux en tua un autre. Le fait s'étant découvert par ce moyen, on retrouva ce qui avait été volé, et on prit dans leurs maisons l'argenterie mise en morceaux et les voiles de soie. La chose ayant été annoncée au roi Chilpéric, il ordonna qu'ils fussent enchaînés et conduits en sa présence ; mais alors craignant que des hommes ne mourussent à cause de celui qui, durant sa vie corporelle, avait souvent prié en faveur de ceux qu'on voulait mettre à mort, j'envoyai au roi une lettre de prières pour qu'il ne fit pas mourir ces hommes, puisqu'ils n'étaient pas accusés par nous à qui en appartenait la poursuite. Il reçut favorablement ma demande et leur accorda la vie. Il fit soigneusement remettre en état l'argenterie qui avait été brisée, et ordonna qu'elle fût replacée dans le lieu saint.
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11. De Theodoro episcopo et Dinamio.
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Apud Massiliense vero urbe Dinamius rector Provinciae graviter insidiari Theodoro episcopo coepit. At ille ad regem properare disponens, conprehensus ab eo, in medium civitatis tenetur, et graviter iniuriatus, tandem laxatus est. Clerici autem Massiliensis dolum cum Dinamio moliebantur, ut ab episcopatum eiceretur. Sed dum ad regem Childebertum ambularet, cum Iovino ex praefectum a Gunthramno rege deteneri iubetur. Quod audientes Massiliensis clerici, gaudio magno repleti, quod iam detineretur, iam deputaretur exilio, quod iam in hoc res perstitisset, ut numquam Massilia reverteretur, domos ecclesiae adprehendunt, ministeria describunt, regesturia reserant, prumptuaria expoliant omnesque res ecclesiae, tamquam si iam mortuus esset episcopus, pervadunt, diversa crimina de pontifice proloquentes, quae falsa Christo auspice deprehendi. Childebertus vero, postquam cum Chilperico pacificatus est, legatos ad Gunthramnum regem mittit, ut medietatem Massiliae, quam ei post obitum patris sui dederat, reddere deberet. Quod si nollet, noverit, se multa perditurum pro partis istius retentatione. Sed ille cum haec reddere nollet, vias claudi praecepit, ut nulli per regnum eius transeundi aditus panderetur. Haec cernens Childebertus, Gundulfum ex domestico duce facto, de genere senatorio, Massiliam dirigit. Qui cum non auderet ambulare iam per Guntchramni regnum, Turonus venit. Quem benigne susceptum recognosco matris meae avunculum esse, retentumque mecum quinque diebus, inpositisque necessariis, abire permisi. Ille vero progressus, Massiliam ingredi, obsistente Dinamio, non valebat. Sed nec episcopus, qui iam tunc cum Gundulfo iunxerat, in ecclesia sua recipiebatur. Dinamius autem una cum clericis portas obserat urbis, insultans pariter ac utrumque despiciens, episcopum scilicet et Gundulfum. Tandem ad colloquium ducis adscitus, in basilicam beati Stephani, quae urbe est proxima, venit. Ostiarii enim custodiebant aedis ingressum, ut, introeunte Dinamio, valvae protinus clauderentur. Quo facto, exclusae armatorum turbae post Dinamium ingredi nequiverunt. Quo non intellegente, dum diversa inter se super altarium conferunt, recedentes ab altario, salutatorium ingrediuntur. Introeunte cum his Dinamio nudumque iam a suorum solatio terribiliter increpant; fugatisque satellitibus, qui cum armis, eo abducto, circumstrepebant, seniores civium ad se dux una cum episcopo collegit, ut civitatem ingrederetur. Tunc Dinamius haec omnia cernens, veniam petens, datis duci multis muneribus, reddita etiam sacramenta, se fidelem episcopo deinceps regique futurum, suis induitur indumentis. Tunc reseratis tam portarum quam sacrarum aedium valvas, ingrediuntur utrique civitatem, dux scilicet et episcopus, cum signis et laudibus diversisque honorum vexillis. Clerici autem, qui sceleri huic mixti fuerant, quorum caput Anastasius abba et Proculus presbiter erant, infra Dinami tecta confugiunt, petentes ab eo opem refugii, a quo fuerant incitati. Multi tamen eorum per idoneos fideiussores dimissi, ad regem iussi sunt ambulare. Interea Gundulfus, subiugatam civitatem in Childeberthi regis dicione restitutoque in loco suo antistite, ad regem Childeberthum regressus est. Sed Dinamius inmemor fidei, quam Childeberto regi promiserat, ad Guntchramnum regem nuntios dirigit, dicens, quod partem sibi debitam civitatis per episcopum perderet nec umquam Massiliensem urbem suo potiretur dominio, nisi hic evellatur ab ea. At ille ira commotus, iubet contra fas religionis, ut pontifex summi Dei artatus vinculis sibi exhiberetur, dicens: 'Trudatur exilio inimicus regni nostri, ne nobis nocere amplius valeat'. Sed cum episcopus de his suspectus esset nec facile posset ab urbe erui, advenit festivitas dedicationis oratorii ruris suburbani. Cumque ad haec festa, egressus civitatem, properaret, subito armati cum magno fremitu ab occultis insidiis scatentes, sanctum vallant antistitem; deiectumque ab equo, fugant omnes comites eius, servientes alligant, clericos caedunt, ipsumque super miserabilem inponentes caballum, nullum de suis seque permittentes, ad regis deducunt praesentiam. Cumque per Aquensim praeterirent urbem, Pientius episcopus loci, condolens fratri, datis clericis ad solatium inpositisque necessariis, abire permisit. Dum haec agerentur, clerici iterum Massiliensis domus ecclesiae reserant, archana rimantur et alia discribunt, alia suis domibus inferunt. Episcopus vero ad regem deductus nec culpabilis inventus, ad civitatem suam redire permissus, cum grandi est a civibus laude susceptus. Ex hoc enim gravis inimicitia inter Guntchramnum regem et Childeberthum nepotem suum exoritur, disruptumque foedus, sibi invicem insidiabantur.
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L'évêque Théodore de Marseille commença à se trouver cruellement exposé aux embûches de Dynamius gouverneur de la province ; et comme il se disposait à aller trouver le roi, le gouverneur le saisit au milieu de la cité, le retint, lui fit subir beaucoup d'outrages ; après quoi cependant il le relâcha. Le clergé de Marseille s'unissait à Dynamius pour machiner contre l'évêque des fourberies, afin de le dépouiller de l'épiscopat, et comme il se rendait auprès du roi Childebert, le roi Gontran ordonna de le retenir avec l'ex-préfet Jovin. Le clergé de Marseille l'ayant appris fut rempli d'une grande joie de le savoir déjà emprisonné, déjà condamné à l'exil ; et pour que les choses demeurassent en cet état, et qu'il ne revînt jamais à Marseille, ils s'emparèrent de la maison épiscopale, firent l'inventaire des ornements destinés au service de l'autel, ouvrirent les portes, dépouillèrent les celliers et se saisirent, comme si l'évêque était mort, de tout ce qui appartenait l'église, portant contre le pontife diverses accusations, qui, grâce à Jésus-Christ, ont été reconnues fausses. Childebert ayant fait la paix avec Chilpéric, adressa des envoyés au roi Gontran pour qu'il lui remit la moitié de Marseille qu'il lui avait donnée après la mort de son père, lui faisant savoir que, s'il s'y refusait, ce refus lui coûterait cher ; mais celui-ci, ne voulant pas la rendre, fit fermer les routes de son royaume, afin qu'aucun n'y pût trouver passage pour le traverser. Ce que voyant Childebert, il envoya à Marseille Gondulphe homme de naissance sénatoriale, et que de domestique il avait fait duc. Comme il n'osait pas traverser le royaume de Gontran, il vint à Tours. Je le reçus avec amitié et le reconnus pour un oncle de ma mère ; je le retins cinq jours avec moi, et lui ayant donné ce dont il avait besoin je le laissai aller ; il continua sa route, mais Dynamius ne permit pas qu'il pût entrer clans Marseille, ni que l'évêque qui venait avec Gondulphe fût reçu dans sa cathédrale. D'accord avec le clergé, il avait fait fermer les portes de la ville et de là il insultait avec mépris l'évêque et Gondulphe. Cependant, étant sorti pour conférer avec le duc, il se rendit à la basilique de saint Etienne située prés de la ville ; les portiers qui en gardaient l'entrée eurent soin de fermer la porte aussitôt que Dynamius y eut été introduit, en sorte que la troupe de gens armés qui le suivait demeura dehors sans pouvoir entrer. Celui-ci, n'en sachant rien, après avoir conféré de diverses choses sur l'autel avec ceux qu'il était venu trouver, s'en éloigna, ainsi qu'eux, et ils entrèrent dans la sacristie. Lorsqu'ils y furent entrés avec Dynamius, alors dépourvu du secours des siens, ils tombèrent sur lui d'une terrible manière, et ayant mis en fuite les satellites qui, voyant qu'on le retenait, faisaient retentir leurs armes autour de la porte, le duc Gondulphe réunit les principaux citoyens autour de l'évêque, afin qu'il entrât avec eux dans la ville. Dynamius voyant tout ce qui venait de se passer demanda pardon, fit au duc beaucoup de présents et prêta serment d'être à l'avenir fidèle à l'évêque et au roi. Après quoi on lui rendit ses vêtements. Alors s'ouvrirent les portes de la ville et celles des édifices sacrés ; le duc et l'évêque entrèrent dans la cité, au milieu des acclamations et des signes de joie, et précédés de divers drapeaux en signe d'honneur. Les clercs impliqués dans le crime, et à la tête desquels se trouvaient l'abbé Anastase et le prêtre Procule, se réfugièrent dans la maison de Dynamius, demandant à celui qui les avait excités, de leur prêter le secours d'un asile. Plusieurs d'entre eux, renvoyés sous caution, redirent l'ordre d'aller trouver le roi. Cependant Gondulphe, ayant remis la ville sous la puissance du roi Childebert et rétabli l'évêque dans son siége, retourna vers le roi. Mais Dynamius, oubliant la fidélité qu'il avait promise au roi Childebert, envoya des messagers au roi Gontran pour lui clive que l'évêque lui ferait perdre la portion de la cité qui lui appartenait et que jamais, à moins de le chasser de la ville de Marseille, il ne pourrait la soumettre à sa puissance. Alors, ému de colère, Gontran ordonna, malgré le respect dû à la religion, que le pontife du Dieu tout-puissant lui fût amené chargé de liens, disant : Que l'ennemi de notre royaume soit envoyé en exil, afin qu'il ne puisse nous nuire plus longtemps. Et comme l'évêque se tenait sur ses gardes et qu'il n'était pas aisé, de l'enlever de la ville, arriva le jour où se fêtait la dédicace d'un oratoire rural situe prés de la ville. L'évêque était sorti pour se rendre à cette fête, lorsqu'en route il fut attaqué subitement par des hommes armés qui, se précipitant avec grand bruit hors d'une embuscade où ils s'étaient cachés, l'entourèrent, le jetèrent à bas de son cheval, mirent en fuite tous ceux qui l'accompagnaient, lièrent ses serviteurs, battirent ses clercs, et le mettant lui-même sur un misérable cheval, sans permettre à aucun des siens de le suivre, l'emmenèrent pour le conduire en la présence du roi. Comme ils traversaient la ville d'Aix, Pientius, évêque de ce lieu, plein de compassion pour son fière, lui donna des clercs pour l'assister et ne le laissa partir qu'après lui avoir fourni ce dont il avait besoin. Pendant que ces choses se passaient, les clercs de Marseille ouvrirent la maison épiscopale ; forcèrent les coffres, firent l'inventaire de plusieurs des objets qu'ils trouvèrent, et en emportèrent d'autres dans leurs maisons. Mais l'évêque ayant été conduit devant le roi, celui-ci ne le trouva point coupable et lui permit de retourner dans sa ville, où il frit reçu avec de grandes acclamations des citoyens. De là naquirent de grandes inimitiés entre le roi Gontran et son neveu Childebert, et leur alliance rompue, ils cherchaient mutuellement à se tendre des piéges.
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12. De exercitu contra Biturigas commoto.
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Igitur Chilpericus rex cernens has discordias inter fratrem ac nepotem suum pullulare, Desiderium ducem evocat iobetque, ut aliquid nequitiae inferat fratri. At ille, commoto exercitu, Ragnovaldo duce fugato, Petrogoricum pervadit, exactaque sacramenta, Aginnum pergit. Haec audiens uxor Ragnovaldi, quod scilicet, fugato viro suo, haec civitates in potestate regis Chilperici redegerentur, basilicam sancti marthiris Caprasi expetiit. Sed extracta exinde et spoliata a facultate ac solatio famolorum, datis fideiussoribus, Tholosae diregitur, ibique iterum in basilica sancti Saturnini ingressa resedebat. Desiderius vero cunctas civitates, quae in parte illa ad regem Gunthchramnum aspiciebant, abstulit et dicionibus regis Chilperici subegit. Berulfus vero dux, cum Bitorigus musitare, quod Toronicum terminum ingrederentur, audisset, exercitum commovet et se in ipsos fines statuit. Graviter tunc pagi Isiodorensis ac Berravensis urbis Toronicae devastati sunt. Sed et postea crudiliter, qui in hac obsidione adesse non poterant, sunt damnati. Bladastis vero dux in Vasconiam abiit maximamquae partem exercitus sui amisit.
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Le roi Chilpéric, voyant s'élever cette discorde entre son frère et son neveu, appela à lui le duc Didier et lui ordonna de faire quelque méchanceté à son fière. Didier fit marcher une armée, mit en fuite le duc Ragnovald, prit Périgueux, et après s'être fait prêter serment, il marcha vers Agen. La femme de Rarnovald ayant appris que son mari avait été mis en fuite, et que la ville était tombée au pouvoir du roi Chilpéric, se réfugia dans la basilique du saint martyr Caprasius ; mais elle en fut tirée, dépouillée de tout ce qu'elle possédait, privée du secours de ses serviteurs, et envoyée à Toulouse après avoir donné caution. Didier s'empara de toutes les villes qui dans ces cantons obéissaient au roi Gontran, et les soumit à la puissance du roi Chilpéric. Le duc Bérulphe, ayant appris que les habitants de Bourges parlaient tout bas entre eux de faire une irruption dans le territoire de Tours, fit marcher une armée et s'établit sur ce territoire. Alors les bourgs d'Isure et de Baron appartenant à la ville furent rudement ravagés, et l'on punit ensuite cruellement ceux qui n'avaient, pas pris part à cette expédition. Le duc Bladaste marcha en Gascogne et y perdit la plus grande partie de son armée.
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13. De Lupo et Ambrosio Turonicis civibus interfectis.
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Lupus urbis Turonicae civis, cum, uxore perdita ac liberis, clericatum expeteret, a fratre Ambrosio prohibitus est, timens, ne heredem institueret Dei ecclesiam, si ei coniungeretur. Rursumque illi uxorem providit et diem, in quo ad disponsalia donanda coniungerent, malesuadus frater indicit. Dehinc ad Cainonensem castrum, ubi hospitium habebant, pariter advenerunt. Sed uxor Ambrosii, cum esset adultera et alium in amore lupanario, exoso marito, diligeret, insidias viro tetendit. Cumque hi germani pariter epulantes et nocte usque ad ebrietatem vino maduissent, in uno strato pariter quieverunt. Tunc moechus uxoris Ambrosii nocte veniens, quiescentibus cunctis et vino depressis, accensis igne paleis, ut videret quid ageret, extracto gladio, Ambrosium in capite librat, ita ut descendens per oculos gladius cervical capitis amputaret. In quo ictu expergefactus Lupus et se in sanguinem volutari decernens, exclamat voce magna, dicens: 'Heu, heu, succurrite, frater meus interfectus est!' Moechus vero, qui iam perpetrato scelere discedebat, haec audiens, regressus ad lectum, Lupum adiit. Quo repugnante, multis plagis laceratum oppressit et mortali ictu sauciatum semivivum reliquid. Sed nullus de familia sensit. Mane autem facto, stupebant omnes de tanto scelere. Lupus tamen adhuc vivens nanctus, sicut actum fuerat referens, spiritum exalavit. Sed nec longum meretrix lugendi sumpsit spatium; sed paucis diebus interpositis, coniuncta moecho, discessit.
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Loup, citoyen de la ville de Tours, ayant perdu sa femme et ses enfants, voulut entrer dans la cléricature. Son frère Ambroise l'en empêcha, craignant, s'il épousait l'Église de Dieu, qu'il ne l'instituât son héritière : il eut soin de le pourvoir promptement d'une femme. Cédant aux malheureuses suggestions de son frère, Loup atteignit le jour où il devait se lier par les fiançailles. Tous deux se rendirent au château de Chinon, où ils avaient une maison ; mais la femme d'Ambroise, qui vivait en adultère, et, détestant son mari, en aimait un autre d'un amour impudique, tendit des piéges à Ambroise. Les deux frères, après s'être livrés ensemble aux plaisirs d'un festin, et remplis de vin jusqu'à l'ivresse, la nuit venue, se couchèrent dans un même lit : alors l'adultère de la femme d'Ambroise vint pendant la nuit, au moment où tous dormaient, accablés par le vin, et ayant allumé un feu de paille pour voir ce qu'ils faisaient, il tira son épée, et en frappa la tête d'Ambroise de telle sorte que le fer, descendant à travers les yeux, lui emporta le sommet de la tête. Loup, éveillé par ce coup, et se voyant nager dans le sang, jeta de grands cris en disant : Hélas ! hélas ! au secours ! on a tué mon frère. L'adultère, qui s'éloignait déjà après avoir commis son crime, entendant ces cris, revint vers le lit, alla à Loup. Celui-ci résistant, il le vainquit, après l'avoir déchiré d'un grand nombre de blessures, et rayant frappé d'un coup mortel, le laissa à demi-mort. Cependant personne de la maison n'entendit rien de ce qui se passait, et, le matin arrivé, tous demeurèrent consternés d'un si grand crime. Loup, qu'on trouva encore en vie, rapporta ce qui était arrivé, puis rendit l'esprit. L'impudique veuve ne donna pas beaucoup de temps aux larmes ; mais, peu de jours après, elle s'en alla, unie à son adultère.
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14. De portentis quae apparuerunt.
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Anno igitur septimo Childeberthi regis, qui erat Chilperici et Gunthchramni vicensimus et primus, mense Ianuario pluviae, coruscationes atque tonitrua gravia fuerunt; flores in arboribus ostensi sunt. Stilla, quem comitem superius nominavi, apparuit, ita ut in circuitu eius magna nigrido esset; et illa, tamquam se in foramen aliquod posita, ita inter tenebras relucebat, scintillans spargensque comas. Prodebat autem ex ea radius mirae magnitudinis, qui tamquam fumus magnus incendii apparebat a longe. Visa est autem a partem Occidentis in ora noctis prima. In die autem sanctum paschae apud Sessionas civitatem caelum ardere visum est, ita ut duo apparerent incendia; et unum erat maior, aliud vero minor. Post duarum vero horarum spatio coniuncta sunt simul, factamque pharum magnam, evanuerunt. In Parisiaco vero terminum verus sanguis ex nube defluxit et super vestimenta multorum hominum caecidit et ita tabe maculavit, ut ipsi propria indumenta horrentes abnuerunt. Tribus enim locis in termino civitatis illius hoc prodigium apparuit. In Silvanectinse vero terreturio hominis cuiusdam domus, cum ille mane surgerit, sanguine respersa ab intus apparuit. Magna tamen eo anno lues in populo fuit; valitudinis variae, milinae cum pusulis et vissicis, quae multum populum adficerunt mortem. Multi tamen, adhibentes studium, evaserunt. Audivimus enim eo anno in Narbonensem urbem inguinarium morbum graviter desevire, ita ut nullum esset spatium, cum homo correptus fuisset ab eo.
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La septième année du roi Childebert, qui était la vingt et unième de Chilpéric et de Gontran, on eut, dans le mois de janvier, des pluies, des éclairs et de violents tonnerres ; on vit des fleurs sur les arbres. Il apparut dans le ciel une étoile à laquelle j'ai donné plus haut le nom de comète. Le ciel, tout autour, était profondément obscur, en sorte que, placée comme dans un creux, elle reluisait au milieu des ténèbres, scintillait, et étalait sa chevelure : il en partait un rayon d'une grandeur merveilleuse, qui paraissait au loin comme la fumée d'un grand incendie ; on la vit à l'occident, à la première heure de la nuit. On vit aussi dans la ville de Soissons, le saint jour de Pâques, le ciel ardent, comme s'il eût été embrasé de deux incendies : il y en avait un plus grand, et l'autre moindre. Au bout de deux heures, ils se réunirent, et, après avoir formé comme une grande flamme, ils disparurent. Dans le territoire de Paris, il tomba des nuages une pluie de sang véritable : beaucoup de gens la reçurent en leurs vêtements, et elle les souilla de telles taches qu'ils s'en dépouillèrent avec horreur. Le même prodige se manifesta en trois endroits du territoire de cette cité. Dans celui de Senlis, un homme, en se levant le matin, trouva l'intérieur de sa maison arrosé de sang. Il y eut cette année une grande mortalité parmi le peuple : diverses maladies très dangereuses, et accompagnées de pustules et d'ampoules, causèrent la mort d'une grande quantité de gens ; beaucoup cependant y échappèrent à force de soins. Nous apprîmes que cette année la peste s'était cruellement fait sentir dans la ville de Narbonne, en telle sorte qu'il n'y avait aucun répit pour celui qui en était saisi.
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15. De obitu Felicis episcopi.
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Felix vero episcopus Namneticae civitatis in hac valitudine corruens, graviter aegrotare coepit. Tunc vocatis ad se episcopis, qui propinqui erant, supplicat, ut consensum, quem in Burgundione nepote suo fecerat, suis subscriptionibus roborarent. Quod cum factum fuisset, eum ad me dirigunt. Erat tunc temporis Burgundio quasi annorum XXV. Qui veniens rogat, ut, accedens usque Namnetas, episcopum eum in locum avunculi, qui adhuc superstes erat, tonsoratum consecrare deberem. Quod ego abnui, quia canonibus non congruere cognovi. Consilium tamen praebui, dicens: 'Habemus scriptum in canonibus, fili, non posse quemquam ad episcopatum accedere, nisi prius ecclesiasticus gradus regulariter sortiatur. Tu ergo, dilectissime, revertere illuc et pete, ut ipse te qui elegit debeat tonsorare. Cumque presbiterii honorem acciperis, ad ecclesiam adsiduus esto; et cum eum Deus migrare voluerit, tunc tu facile episcopale gradum ascendes'. At ille regressus, consilium acceptum adimplere dissimulavit, eo quod Felix episcopus ab incommodo levius agere videretur. Sed postquam febris discessit, tibiae eius ab humore pusulas emerserunt. Tunc cantaredarum cataplasmam nimium validam ponens, conputrescentibus tibiis, anno episcopatus sui XXXIII, aetate septuagenaria vitam finivit. Cui Nonnichius consobrinus, rege ordinante, successit.
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Félix , évêque de la cité de Nantes, attaqué de la contagion, commença à se sentir grièvement malade. Alors, ayant appelé à lui les évêques du voisinage, il les supplia de se réunir pour confirmer, par sa signature, le choix qu'il avait fait de son neveu Bourguignon pour lui succéder. Ils le firent, et m'envoyèrent Bourguignon. Il avait alors près de vingt-cinq ans. Il vint me prier d'aller à Nantes, et, après l'avoir tonsuré, de le sacrer évêque à la place de son oncle qui vivait encore. Je le refusai, parce que je savais la chose contraire aux canons ; mais je lui donnai un conseil, et lui dis : Il est écrit dans les canons, mon fils, que personne ne pourra parvenir à l'épiscopat, sans avoir d'abord régulièrement passé par les degrés de la hiérarchie ecclésiastique. Retourne donc, mon très cher fils, et demande à celui qui t'a élu de te tonsurer. Quand tu seras parvenu aux honneurs de la prêtrise, sois assidu à l'église, et lorsque Dieu voudra le retirer de ce monde, tu t'élèveras sans peine au rang d'évêque. Mais lui s'en retourna, et négligea de suivre le conseil que je lui avais donné, parce que l'évêque Félix paraissait moins souffrir de sa maladie. Mais lorsque la fièvre l'eut quitté, l'humeur sortit de ses jambes en pustules ; et, comme il y mit un très violent cataplasme de cantharides, ses jambes tombèrent en pourriture, et il finit sa vie à l'âge de soixante-dix ans, la trente-troisième année de son épiscopat. Nonnychius, son cousin, lui succéda par l'ordre du roi.
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16. Quod Pappolenus uxorem suam recepit.
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Audiens autem Pappolenus eius obitum, neptem illius, de qua separatus fuerat, recepit. Ante hoc autem tempus disponsatam eam habuerat; sed dissimolante de nuptiis Filici episcopo, hic cum magna cohortem veniens, ab oraturio puellam abstraxit et in basilica beati Albini confugit. Tunc Filex episcopus ira commotus, circumventam puellam dolis a marito separavit, mutataque veste, apud Vasatensem urbem in monastirio posuit. Sed illa occultos pueros nuntius dirigit, ut scilicet eam ereptam a loco, in quo posita erat, acciperet. Quod ille non abnuens, adsumptam de monastirio puellam suo coniugio copolavit, regalibusque munitus praeceptionibus, timere parentum distulit moenas.
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Pappolène, ayant appris la mort de Félix, reprit sa nièce, de qui il avait été séparé. Il lui avait été fiancé autrefois ; mais l'évêque Félix, reculant à accomplir le mariage, Pappolène était venu avec une grosse troupe, avait enlevé la jeune fille de son oratoire, et s'était réfugié dans la basilique de Saint-Albin. Alors l'évoque Félix, ému de colère, était parvenu, à force d'artifices, à séparer la jeune fille de son mari, et lui ayant fait prendre l'habit dans la ville de Bazas, il la mit dans un monastère : mais elle envoya secrètement des messagers à son mari pour qu'il vînt la reprendre, en l'enlevant du lieu où elle était renfermée. Celui-ci, qui le voulait bien, la retira du monastère, s'unit à elle en mariage, et s'étant muni des ordres du roi, cessa de craindre les menaces de ses parents.
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17. De Iudaeis per Chilpericum regem conversis.
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Rex vero Chilpericus multos Iudaeorum eo anno baptizare praecipit, ex quibus pluris excipit a sancto lavacro. Nonnulli tamen eorum, corpore tantum, non corde abluti, ad ipsam quam prius perfidiam habuerant, Deo mentiti, regressi sunt, ita ut et sabbatum observare et diem dominicum honorare vidiantur. Priscus vero ad cognuscendam veritatem nulla penitus potuit ratione deflecti. Tunc iratus rex iussit eum custodiae mancipare, scilicet ut, quem credere voluntariae non poterat, audire et credere faceret vel invitum. Sed ille, datis quibusdam muneribus, spatium postulat, donec filius eius Massiliensim Hebraeam accipiat; pollicitur dolosae, se deinceps quae rex iusserat impleturum. Interea oritur intentio inter illum et Pathiren ex Iudaeo conversum, qui iam regis filius erat ex lavacro. Cumque die sabbati Priscus praecinctus orario, nullum in manu ferens ferramentum, Moysaicas legis quasi impleturus, secretiora conpetiret, subito Pathir adveniens, ipsumque gladio cum sociis qui aderant iugulavit. Quibus interfectis, ad basilecam sancti Iuliani cum pueris suis, qui ad propinquam plateam erat, confugit. Cumque ibidem resederent, audiunt, quod rex, dominum vitae cessum, famolos tamquam malefactores a basileca tractos iuberet interfici. Tunc unus ex his, evaginato gladio, domino iam fugato, socios suos interficit, ipse postmodum cum gladio de basileca egressus; sed inruente super se populo, crudiliter interfectus est. Pathir autem, accepta licentia, ad regnum Guntchramni, unde venerat, est regressus; sed non post multos dies a parentibus Prisci interfectus est.
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cccLe roi Chilpéric fit baptiser cette année-là beaucoup de Juifs, et en tint plusieurs sur les fonts de baptême. Cependant il y en eut beaucoup dont l'eau du baptême lava seulement le corps, et non pas le 'coeur, et qui, menteurs envers Dieu, retournèrent à leur infidélité première ; en sorte qu'on les voyait à la fois observer le sabbat, et honorer le jour du Seigneur. Aucun argument ne put engager Priscus à reconnaître la vérité. Alors le roi irrité ordonna qu'il fût gardé, afin que ce qu'il ne consentait pas à croire volontairement, on le lui fit au moins croire, malgré lui ; mais Priscus, au moyen de quelques présents, obtint qu'on lui donnât du temps, jusqu'à ce que son fils eût épousé une Juive de Marseille, promettant faussement d'accomplir ensuite ce que lui avait ordonné le roi. Dans l'intervalle, il s'éleva une querelle entre lui et Phatir, Juif converti, que le roi avait tenu sur les fonts de baptême. Le jour du sabbat, Priscus, s'étant ceint les reins, et ne tenant aucun instrument de fer à la main, s'était retiré dans un lieu secret pour y accomplir la loi de Moïse. Phatir survint tout à coup, et le tua à coups d'épée, ainsi que ceux qui étaient avec lui. Après les avoir tués, il s'enfuit dans la basilique de Saint-Julien, avec ses serviteurs qui étaient dans une rue voisine. Pendant qu'ils y demeuraient renfermés, ils apprirent que le roi avait ordonné que, laissant la vie au maître, on tirât les serviteurs de la basilique, et qu'on les fit périr comme des malfaiteurs. Alors l'un d'eux tira son épée, et son maître ayant déjà pris la fuite, il tua ses camarades, et sortit de la basilique l'épée à la main ; mais le peuple, se jetant sur lui, le tua cruellement. Phatir eut la permission de retourner dans le royaume de Gontran, d'où il était venu ; mais peu de jours après il fut tué par les parents de Priscus.
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18. De legatis Chilperici regis ab Hispania reversis.
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Igitur legati Chilperici regis, id est Ansovaldus et Domegiselus, qui ad conspiciendam dotem in Hispaniis fuerant missi, regressi sunt. His diebus Leuvichildus rex in exercitu contra Herminichildum, filium suum, resedebat, cui et Meritam civitatem abstulit. Nam hic qualiter cum ducibus imperatoris Tiberii fuerit coniunctus, iam superius exposuimus. Nam et legatis haec causa innexuit moras, ut tardius regredirentur. Quibus visus, ego sollicitus eram, qualiter in ipsis christianis, qui pauci in eo loco remanserant, fides Christi ferveret. Cui haec Ansovaldus respondit: 'Christiani, qui nunc apud Hispanias conmorantur, catholicam fidem integre servant. Sed rex novo nunc ingenio eam nititur exturbare, dum dolose et ad sepulchra martirum et in eclesiis relegionis nostrae orare confingit. Dicit enim : Manefeste cognovi, esse Christum filium Dei aequalem Patri; sed Spiritum sanctum Deum penitus esse non credo, eo quod in nullis legatur codicibus Deus esse".' Heu, heu, quam iniquam sententiam, quam venenosum sensum, quam prava mente! Et ubi est illud quod Dominus ait: Spiritus Deus est; et illud Petri, quod Annaniam ait: Quod tibi visum est temptare Spiritum sanctum? Non es hominibus mentitus, sed Deo. Ubi est et illud quod Paulus, mistica dona commemorans ait: Haec enim operatur unus atque idem Spiritus, dividens unicuique, prout vult? Qui enim operatur quod vult, nulli cognuscetur esse subiectus. Accedente autem Ansovaldo ad Chilpericum regem, legatio Hispaniorum est subsecuta, quae de Chilperico ad Childeberthum accedens, in Hispaniis est regressa.
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Ansovald et Domegésile, envoyés en Espagne par le roi Chilpéric, pour y prendre connaissance de la dot de sa fille, revinrent de leur mission. En ces jours-là, le roi Leuvigild était à la tête de son armée, en guerre contre son fils Erménégild, à qui il prit la ville de Mérida. Nous avons déjà fait connaître comment Erménégild s'était allié avec les généraux de l'empereur Tibère. Les envoyés, retardés par cette cause, furent plus longtemps à revenir. Quand je les vis, je m'empressai de leur demander si le peu de Chrétiens demeurés en ce lieu étaient encore fervents dans la foi du Christ. A quoi Ansovald me répondit . Les Chrétiens qui habitent l'Espagne conservent la pureté de la foi catholique ; mais le roi s'efforce de les troubler par une nouvelle ruse : il feint artificieusement de prier aux sépulcres des martyrs et dans les églises de notre religion ; car, dit-il, j'ai connu " clairement que le Christ, fils de Dieu, est égal à son Père ; mais je ne crois point du tout que le Saint-Esprit soit Dieu, car cela ne se trouve dans aucune des divines Écritures. - Bon Dieu, bon Dieu ! quel précepte impie ! quelle doctrine empoisonnée ! quelle opinion perverse ! Où Dieu a-t-il dit : Dieu est Esprit ? Où donc voit-on que Pierre a dit à Ananie : comment vous êtes-vous ainsi accordés ensemble pour tenter l'esprit du Seigneur ? ce n'est pas aux hommes que vous avez menti, mais à Dieu ? Où donc Paul, rappelant les dons mystiques du Seigneur, a-t-il dit : C'est un seul et même esprit qui, après toutes ces choses, distribue à chacun ses dons selon qu'il lui plaît. On sait bien que celui qui agit selon sa volonté n'est assujetti à personne. Ansovald, s'étant rendu vers le roi Chilpéric, y fut suivi d'une ambassade espagnole qui passa de Chilpéric à Childebert, et puis retourna en Espagne.
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19. De hominibus Chilperici regis apud Urbiam fluvium.
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Apud pontem vero Urbiensim civitatis Parisiacae Chilpericus rex custodes posuerat, ut insidiatores de regno fratris sui, ne nocerent aliquid arcerentur. Quod Asclipius ex duce praecognito, nocte inruens, interfecit omnes pagumque ponte proximum graviter depopulatus est. Cumque haec regi Chilperico nuntiatum fuisset, misit nuntios comitibus ducibusque vel reliquos agentibus, ut, collecto exercitu, in regno germani sui inruerent. Sed prohibitus est consilio bonorum, ne faceret, dicentibus sibi: 'Illi perverse aegerunt, tu vero sapienter age. Mitte fratri nuntios, et si iniuriam tuam emendare voluerit, nihil mali geris; si vero noluerit, tractabis deinceps, quid sequaris'. Et sic ratione accepta, prohibetu exercitu, legationem fratri dirigit. Sed ille cuncta emendans, fratris quaesivit integrae caritatem.
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Le roi Chilpéric avait mis des gardes au pont sur l'Orge, dans le territoire de la cité de Paris, afin d'empêcher que du royaume de son frère, on ne vînt par surprise causer du dommage à ses sujets. Le duc Asclépius en ayant été instruit vint de nuit les attaquer, les tua tous, et ravagea cruellement les environs du pont. Lorsque le roi Chilpéric eut appris cette nouvelle, il envoya des messagers à ses comtes, à ses ducs et à ses autres agents, pour qu'ils rassemblassent une armée, et fissent irruption dans le royaume de son frère. Mais les gens de bien lui conseillèrent de n'en rien faire, lui disant : Ils ont agi méchamment, mais tu dois agir sagement. Envois des messagers à ton frère, et s'il veut réparer l'injure qu'il t'a faite, tu ne chercheras point à lui causer de mal. S'il ne le veut pas, tu verras alors ce que tu auras à faire. Il se rendit à leurs raisons, et défendant à son armée de marcher, fit partir des envoyés pour aller trouver son frère ; et celui-ci, réparant ce qui s'était fait, chercha à regagner entièrement l'amitié de son frère.
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20. De obito Chrodini ducis.
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Eo anno Chrodinus obiit, vir magnifice bonitatis et pietatis, aelimosinarius valde pauperumque refector, profluus ditatur eclesiarum, clericorum nutritur. Nam sepe a novo fundans villas, ponens vinias, aedificans domus, culturas eregens, vocatis episcopis, quorum erat parva facultas, dato epulo, ipsas domus cum culturibuss et culturis, cum argento, parastromatibus, utensilibus, ministris et famolis benigne distribuebat, dicens: 'Sint haec aeclesiae data, ut, dum de his pauperes reficiuntur, mihi veniam obteneant apud Deum'. Multa enim et alia bona de hoc viro audivimus, quae insequi longum est. Transiit autem aetate septuagenaria.
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Cette année mourut Chrodin, homme très éminent en vertus et en piété, très aumônier, nourrissant les pauvres, libéral à enrichir les églises et à sustenter le clergé. Il établit beaucoup de nouvelles métairies, planta des vignes, bâtit des maisons, mit des pays en culture, et appelant à lui les évêques doués de peu de biens, leur donnait avec bonté des repas, des maisons avec des champs et des cultivateurs, de l'argent, des tentures, des ustensiles, des agents et des serviteurs, disant : Il faut que ces choses soient données aux églises, afin qu'elles s'en servent pour le soulagement de leurs pauvres, et m'obtiennent ainsi le pardon de Dieu. Nous avons su encore de cet homme beaucoup d'autres bonnes oeuvres qu'il serait trop long d'exposer. Il mourut à l'âge de soixante-dix ans.
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21. De signis ostensis.
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Haec in hoc anno iteratis signa apparuerunt: luna eclypsim passa est; infra Toronicum territurium verus de fracto pane sanguis effluxit; muri urbis Sessionicae conruerunt; apud Andecavam urbem terra tremuit; infra muros vero Burdegalensis oppidi ingressi lupi canes deforaverunt, nequaquam hominem metuentes; per caelum ignis discurrere visus est. Sed et Vasatensis civitas incendio concremata est, ita ut eclesiae vel domus aeclesiasticae vastarentur. Ministerium tamen omne ereptum fuisse cognovimus.
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Il parut encore cette année de nouveaux signes. Il y eut une éclipse de lune. Dans le territoire de Tours, à l'effraction du pain on en vit couler du vrai sang. Les murs de la ville de Soissons furent renversés. Prés d'Angers la terre trembla, et des loups entrés dans les murs de la ville de Bordeaux y mangèrent des chiens sans marquer aucune crainte des hommes. On vit des feux parcourir le ciel. La ville de Bazas fut consumée par un incendie qui dévasta l'église et la maison épiscopale. Nous apprîmes aussi qu'on y avait enlevé tout ce qui appartenait au service de l'autel.
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22. De Cartherio episcopo.
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Igitur pervasis Chilpericus rex civitatibus fratris sui novos comites ordinat et cuncta iubet sibi urbium tributa deferri. Quod ita impletum fuisse cognovimus. His diebus adprehensi sunt duo homines a Nunnichio Lemovicinae urbis comite, deferentes ex nomine Charteri Petrogoricae urbis episcopi litteras, quae multa inproperia loquebantur in regem; in quibus inter reliqua erat insertum, quasi quereretur sacerdos, se a paradiso ad inferos descendisse, scilicet quod a regno Guntchramni in Chilperici fuerit dicionibus commutatus. Has litteras cum his hominibus iam dictus comes sub ardua custodia regi direxit. Rex vero patienter propter episcopum mittit, qui eum suo conspectui praesentarent, discussurus utique, si vera essent quae ei opponebantur, an non. Adveniente vero episcopo, rex homines illos cum litteris repraesentat. Interrogat sacerdoti, si ab eo directae fuerint. Negat ille a se directas. Interrogantur vero homines, a quo eas acceperint. Frontonium diaconum proferunt. Interrogatur de diacono sacerdos. Respondit, sibi eum esse praecipuum inimicum, nec dubitari debere, ipsius esse nequitias, qui contra eum saepius causas commovisset iniquas. Adducitur diaconus sine mora; interrogatur a rege; confitetur super episcopum, dicens: 'Ego hanc epistolam episcopo iubente dictavi'. Proclamante vero episcopo et dicente, quod saepius hic ingenia quaereret, qualiter eum ab episcopatu deiceret, rex misericordia motus, commendans Deo causam suam, cessit utrisque, deprecans clementer episcopum pro diacono, et supplicans, ut pro se sacerdos oraret. Et sic cum honore urbi remissus est. Post duos vero menses Nonnichius comes, qui hoc scandalum seminavit, sanguine percussus interiit, resque eius, quia absque liberis erat, diversis a rege concessae sunt.
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Le roi Chilpéric, ayant envahi les villes de son frère, nomma de nouveaux comtes, et leur ordonna de lui apporter tous les tributs des villes. La chose, ainsi que nous l'avons appris, fut faite comme il l'avait ordonné. En ces jours-là Nonnichius, comte de la ville de Limoges, prit deux hommes porteurs de lettres venant, disaient-ils, de Charterius, évêque de la ville de Périgueux, et dans lesquelles le roi était fort maltraité. On y disait, entre autres choses, que l'évêque se plaignait d'être descendu du Paradis en Enfer, lorsqu'il avait passé de la domination du roi Gontran sous la puissance du roi Chilpéric. Le comte fit passer au roi sous sûre garde ces hommes et leurs lettres. Le roi, avec beaucoup de patience, envoya vers l'évêque des gens chargés de l'amener en sa présence, enfin d'examiner si les choses dont on l'accusait étaient ou non véritables. L'évêque étant arrivé, le roi lui présenta les hommes et les lettres, et lui demanda si c'était lui qui les avait envoyés. L'évêque le nia. Les hommes ayant été interrogés sur celui de qui ils les tenaient, nommèrent le diacre Fronton. L'évêque, interrogé sur son diacre, répondit que celui-ci était son grand ennemi, et qu'il n'était pas douteux que ce ne fut une méchanceté de sa part, car il lui avait souvent fait de mauvaises affaires ; mais le diacre fut amené sans retard, et interrogé par le roi, il chargea son évêque, disant : J'ai dicté cette lettre par l'ordre de l'évêque. Mais l'évêque se récria, disant que celui-ci cherchait souvent par des artifices à le faire dépouiller de son évêché. Le roi se laissant émouvoir à la clémence, et remettant sa cause entre les mains de Dieu, les relâcha tous deux, pria l'évêque de pardonner à son diacre, et le supplia de prier Dieu pour lui. Il fut donc renvoyé avec honneur dans son église, et deux mois après le comte Nonnichius, auteur de ce scandale, mourut frappé d'une attaque d'apoplexie. Comme il n'avait pas d'enfants, ses biens frirent concédés par le roi à diverses personnes.
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23. Quod Chilperico rege filius natus est.
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Dehinc Chilperico regi post multa funera filiorum filius nascitur. Ex hoc iubet rex omnes custodias relaxari, vinctos absolvi conpositionesque neglegentum fisco debitas praecipit omnino non exigi. Sed magnum deinceps dolum hic intulit infans.
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Après, que le roi Chilpéric eut mis au tombeau beaucoup d'enfants, il lui naquit un fils. Le roi, en réjouissance, ordonna de mettre en liberté tous ceux qui étaient gardés, de délivrer de leurs liens ceux qui étaient enchaînés, et de ne point exiger les sommes qu'on avait négligé de payer à son fisc ; mais cet enfant donna lieu par la suite à une grande perfidie.
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24. Item de insidiis Theudori episcopi et de Gundovaldo.
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Nova iterum contra Theodorum episcopum bella consurgunt. Nam Gundovaldus, qui se filium Chlothari regis esse dicebat, de Constantinopoli veniens, Massilia est advectus. De cuius origine quaedam strictim libuit memorare. Hic cum natus esset in Galliis et diligenti cura nutritus, ut regum istorum mos est, crinium flagellis per terga dimissis, litteris eruditus, Childebertho rege a matre repraesentatur, dicente ea: 'Ecce', inquid, nepotem tuum, Chlothari regis filium; et quia invisus habetur patri, suscipe eum, quia caro tua est'. Quem ille, eo quod ei fili non essent, accipiens, retenibat secum. Nuntiantur haec regi Chlothario, misitquae fratri nuntius, dicens: 'Dimitte puerum, ut veniat ad me'. Ne moratus ille iuvenem fratri direxit. Quo viso, Chlotharius iussit tundi comam capitis eius, dicens: 'Hunc ego non generavi'. Igitur post Chlothari regis obitum a Charibertho rege susceptus est. Quem Sigyberthus arcessitum iterum amputavit comam capitis eius et misit eum in Agripinensim civitatem, quae nunc Colonia dicitur. Ille quoque ab eo loco dilapsus, dimissis iterum capillis, ad Narsitem abiit, qui tunc Aetaliae praeerat. Ibi accepta uxore, filios procreavit et ad Constantinopolim accessit. Inde, ut ferunt, post multa tempora a quodam invitatus, ut veniret in Galliis, Massilia adpulsus, a Theodoro episcopo susceptus est. Ab eodem etiam acceptis aequitibus, Mummolo duci coniunctus est. Erat autem tunc Mummolus in civitate Avennica, sicut supra iam diximus Gunthchramnus vero dux adpraehensum Theodorum episcopum in custodia pro hac causa detrusit, repotans, cur hominem extraneum intromisissit in Galliis voluissetque Francorum regnum imperialibus per haec subdere ditionibus. At ille epistolam, ut aiunt, manu maiorum Childeberthi regis subscriptam protulit, dicens: 'Nihil per me feci, nisi quae mihi a domnis nostris et senioribus imperata sunt'. Custodiebatur igitur sacerdus in cellula nec permittebatur eclesiae propinquare. Quadam vero nocte, dum adtentius oraret ad Dominum, refulsit cellula nimio splendore, ita ut comes, qui erat custus eius, ingente pavore terreretur; visusque est super eum lucis inmense globus per duarum horarum spatium. Mane autem facto, narrabat haec comes ille citeris, qui cum eo erant. Post haec autem ductus est ad Gunthchramnum regem cum Epyfanio episcopo, qui tunc a Langobardus fugiens Massilia morabatur, scilicet quod et ipse conscius huius causae fuisset. Discussio igitur a rege, in nullo inventi sunt crimine. Rex tamen iussit eos sub custodia degere, in qua post multa supplicia Epyfanius episcopus obiit. Gundovaldus vero in insola maris secessit, expectans eventum rei. Gunthchramnus vero dux cum duce Gunthchramni regis res Gundovaldi divisit et sicum Arverno detulit inmensum, ut ferunt, argenti pondus et auri vel reliquarum rerum.
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La guerre recommença contre l'évêque Théodore. Gondovald, qui se disait fils du roi Clotaire, était arrivé à Marseille venant de Constantinople. Il faut ici exposer en peu de mots quelle était son origine. Né dans les Gaules, il avait été élevé avec soin, instruit dans les lettres, et, selon la coutume des rois de ce pays, portait les boucles de ses cheveux flottantes sur ses épaules ; il fut présenté au roi Childebert par sa mère, qui lui dit : Voilà ton neveu, le fils du roi Clotaire : comme son père le hait, prends-le avec toi, car il est de ta chair. Celui-ci qui n'avait pas de fils le prit et le garda avec lui. Cette nouvelle avant été annoncée au roi Clotaire, il envoya des messagers à son frère, pour lui dire : Envoie ce jeune homme pour qu'il vienne vers moi. Son frère le lui envoya sans retard. Clotaire l'ayant vu ordonna qu'on lui coupât la chevelure, disant : Il n'est pas né de moi. Après la mort de Clotaire, le roi Charibert le reçut ; mais Sigebert l'ayant fait venir, coupa de nouveau sa chevelure et l'envoya dans la ville d'Agrippine, maintenant appelée Cologne. Ses cheveux étant revenus, il s'échappa de ce lieu et se rendit près de Narsès, qui gouvernait alors l'Italie. Là, il prit une femme, engendra des fils et se rendit à Constantinople. De là, à ce qu'on rapporte, il fut longtemps après invité par quelqu'un à revenir dans les Gaules, et débarquant à Marseille, il fut reçu par l'évêque Théodore qui lui donna des chevaux, et il alla rejoindre le duc Mummole. Mummole occupait alors, comme nous l'avons dit, la cité d'Avignon ; mais à cause de cela le duc Gontran se saisit de l'évêque Théodore et le fit garder, l'accusant d'avoir introduit un étranger dans les Gaules, et de vouloir par ce moyen soumettre le royaume des Francs à la domination de l'empereur. Mais Théodore produisit, dit-on, une lettre signée de la main des grands du roi Childebert, et il dit : Je n'ai rien fait par moi-même, mais seulement ce qui nous a été commandé par nos maîtres et seigneurs. L'évêque était gardé dans sa cellule, et on ne lui permettait pas d'approcher de l'église. Une certaine nuit, tandis qu'il priait Dieu avec beaucoup d'application, sa cellule resplendit d'une grande lumière, en sorte que le comte qui le gardait fut consterné d'une terrible frayeur. On vit au-dessus de sa tête, pendant deux heures, un globe de la plus vive lumière. Le matin arrivé, le comte fit récit de la chose à ceux qui se trouvaient avec lui. Après cela Théodore fut conduit vers le roi Gontran avec l'évêque Épiphane, qui fuyant les Lombards était venu demeurer à Marseille, et qu'on accusait de complicité dans cette affaire. Le roi les ayant examinés ne les trouva coupables d'aucun crime. Cependant il ordonna de continuer à les garder, et dans cet état l'évêque Épiphane mourut après beaucoup de tourments. Gondovald se réfugia dans une île de la mer, pour y attendre l'événement. Le duc Gontran Boson partagea avec un des ducs du roi Gontran les trésors de Gondovald, et emporta, dit-on, avec lui en Auvergne une immense quantité d'or, d'argent et d'autres choses.
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25. De signis.
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Anno octavo Childeberthi regis pridiae Kal. Februarias, cum die dominico apud urbem Toronicam ad matutinus signum conmutum fuisset et populus surgens ad eclesiam conveniret, caelo nubilo, cum pluvia globus magnus ignis de caelo dilapsus, in spatio multo cucurrit in aera, qui tantam lucem dedit, ut tamquam media diae omnia cernerentur. Quo iterum in nube suscepto, nox successit. Aquae vero extra solitu invaluerunt; nam tantum inundatione Sygona Matronaque circa Parisius intulerunt, ut inter civitatem et basilicam sancti Laurenti naufragia saepe contingerent.
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La huitième année du roi Childebert, le 31 janvier, au moment où dans la ville de Tours, on venait, le jour du Seigneur, de donner le signal des Matines, et lorsque le peuple se levait pour se réunir dans la cathédrale, le ciel étant couvert de nuages, il en tomba avec la pluie un grand globe de feu, qui parcourut dans les airs un long espace, et donna tant de lumière qu'on distinguait toutes choses comme en plein jour. Après quoi il rentra dans le nuage, et l'obscurité succéda à la clarté. Les eaux grossirent au-delà de la coutume, et causèrent autour de Paris une telle inondation de la Seine et de la Marne, que beaucoup de bateaux périrent entre la Cité et la basilique Saint-Laurent.
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26. De Guntchramno et Mummolo.
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Gunthchramnus quoque dux Arvernum cum supradictis thesauris reversus, ad Childeberthum regem abiit. Cumque exinde regrederetur cum uxore et filiabus, a Gunthchramnum regem conpraehensus retenebatur, dicente sibi regem: 'Tua invitatio Gundovaldum adduxit in Galliis, et ob hoc ante hos annus abisti Constantinopoli'. Cui illi: 'Mummolus', inquid, 'dux tuus ipse suscepit eum et in Avennionem secum retenuit. Nunc autem permitte me, ut adducam ipsum tibi, et tunc inmunis ero ab his quae repotantur mihi'. Cui rex ait: 'Non permittam te abire, nisi dignas luas poenas pro his quae commisisti'. At ille cernens se mortem propinquam, ait: 'Ecce filium meum! Suscipe illum, et sit obses pro his quae promitto domino meo rege; et nisi Mummolum adducam tibi, perdam parvolum meum'. Tunc rex permisit eum abire, retentum secum eius infantulo. At ille, adsumptos secum Arvernis atque Villavis, Avennione abiit. Sed asto Mummoli navis in Rodano infirmae paratae sunt; ascendentesque simpliciter, ut in medio amnis venerunt, impletis navibus mergebantur. Tunc in periculo positi, alii natando evaserunt, nonnulli vero, arreptis ipsarum navium tabulis, attigerunt litus. Plerique autem, quorum minor fuit astutia, in amne dimersi sunt. Gunthchramnus vero dux advenit Avennione. Providerat enim Mummolus, postquam intra murus urbis illius est ingressus, ut quia pars parva resedebat, quae non vallabatur a Rhodano, ut, eductam ex eo partem, locus ille totus ex hoc alluvio muneretur; in quo loco fossas magnae profunditudinis fodit, praeparatusque dolos aqua decurrens operuit. Tunc, adveniente Gunthchramno, ait ex muro Mummolus: 'Si fides est integra, veniat ille ab una parte ripae et ego ex alia, et quod voluerit eloquatur'. Quod cum convenisset, ait Gunthchramnus econtra, - hoc enim brachium fluminis inter utrumque erat positum-: 'Si licit', inquid, 'vadam, quia sunt aliqua quae inter nos secretius conferantur'. Cui ille: 'Veni', ait, 'ne timeas'. Ingressus cum uno amicorum suorum - et erat luricae pondere adgravatus - ilico amicus ille, ut foveam amnis attigit, sub aquis dimersus nusquam conparuit. Gunthchramnus vero cum demergeretur atque portaretur ab unda veloci, unus de adstantibus, porrectam manu eius astam, eum litori reddidit. Et tunc, inlatis sibi convitiis, ipse vel Mummolus discesserunt. Obsedente quoque Gunthchramno ipsam urbem cum exercitu Gunthchramni regis, nuntiata sunt haec Childebertho. At ille ira commotus, cur haec non iussus ageret, Gundulfum superius dictum illuc direxit. Qui, amota obsidione, Mummolum Arvernus adduxit. Sed post paucos dies Avennione regressus est.
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Le duc Gontran étant retourné, comme je l'ai dit, en Auvergne avec ses trésors, alla vers le roi Childebert ; et, lorsqu'il en revenait avec sa femme et ses filles, le roi Gontran le prit et le retint, disant : C'est sur ton invitation que Gondovald est venu dans les Gaules, et tu étais allé jadis à Constantinople dans cette vue ; le duc Gontran répondit : C'est ton duc Mummole qui l'a reçu et l'a retenu dans Avignon. Permets que je t'amène Mummole, et alors je serai disculpé des choses dont on m'accuse. Le roi lui dit : Je ne te permettrai pas de t'en aller sans que tu aies subi la peine que tu mérites pour le crime que tu as commis. Lui, se voyant prés de la mort, dit : Voilà mon fils, prends-le, et qu'il te serve d'otage pour ce que je promets au roi mon Seigneur, et si je ne t'amène pas Mummole, que je perde mon enfant. Alors le roi lui permit de s'en aller et retint son petit enfant. Gontran prit avec lui des gens d'Auvergne et du Velay, et s'en alla à Avignon ; mais Mummole avait artificieusement fait préparer sur le Rhône de mauvaises barques. Ils y montèrent sans se douter de rien, et lorsqu'ils arrivèrent au milieu du fleuve, les barques chargées s'engloutirent. Dans ce péril les uns s'échappèrent en nageant, plusieurs s'étant saisis des planches mêmes des barques furent ainsi portés sur le rivage, d'autres moins avisés périrent dans le fleuve. Le duc Gontran arriva cependant à Avignon. Mummole, depuis qu'il était entré dans cette ville, avait en soin de détourner une partie des eaux du Rhône pour la défense de cette petite portion de la ville qui n'était pas enfermée par le fleuve ; il avait fait creuser en ce lieu des fossés d'une grande profondeur, et pour tendre un piége à l'ennemi avait fait recouvrir cette eau. Gontran étant arrivé , Mummole dit de dessus le mur : S'il agit de bonne foi, qu'il vienne d'un côté du rivage et moi de l'autre, et me dise de là ce qu'il a à me dire. Mais lorsqu'ils furent arrives chacun de son côté, le bras du fleuve se trouvant entre eux deux, Gontran lui dit : Si tu le permets, j'irai à toi, parce qu'il y a des choses dont nous devons conférer plus secrètement ; à quoi Mummole répondit : Viens et ne crains rien. Gontran s'avança avec un de ses amis, qui était chargé du poids d'une cuirasse. Lorsqu'ils arrivèrent sur le fossé dans lequel on avait fait entrer l'eau du fleuve, l'ami fut englouti dans l'eau et ne reparût plus. Gontran plongea aussi, et la rapidité du courant l'emportait ; mais un de ceux qui étaient présents lui tendit la lance qu'il tenait à la main, et le ramena au rivage. Alors, après s'être dit mutuellement beaucoup d'injures, Mummole et lui s'en allèrent chacun de son côté. Tandis que Gontran assiégeait cette ville avec l'armée du roi Gontran, Childebert, apprenant ces nouvelles, fut ému de colère de ce que cela s'était fait sans son ordre, et il envoya Gondulphe, dont j'ai parlé plus haut, qui fit lever le siége et conduisit Mummole en Auvergne ; mais peu de jours après il revint à Avignon.
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27. Quod Chilpericus rex Parisius est ingressus.
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Chilpericus rex pridie quam pascha celebraretur, Parisius abiit. Et ut maledictum, quod in pactione sua vel fratrum suorum conscriptum erat, ut nullus eorum Parisius sine alterius voluntate ingrederetur, carere possit, reliquias sanctorum multorum praecidentibus, urbem ingressus est diesque paschae cum multa iocunditate tenuit filiumque suum baptismo tradedit, quem Ragnemodus ipsius urbis sacerdus de lavacro sancto suscepit ipsumque Theodoricum vocitare praecepit.
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Le roi Chilpéric alla à Paris la veille de la fête de Pâques, et, pour éviter les malédictions prononcées dans le traité qu'il avait fait avec ses frères contre celui qui entrerait à Paris sans le consentement des autres, il y entra précédé des reliques d'un grand nombre de saints. Il y célébra très joyeusement les fêtes de Pâques, et y fit baptiser son fils, que Ragnemode, évêque de cette ville tint sur les fonts de baptême. Il lui fit donner le nom de Théodoric.
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28. De Marco refrendario.
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Marcus quoque refrendarius, cui supra meminimus, post congregatus de iniquis discriptionibus thesauros, subito latere dolore detentus, capud totundit, atque paenetentiam accipiens, spiritum exalavit, resque eius fisco conlatae sunt. Nam magni ibidem thesauri ex auro argentoque et multarum specierum reperti sunt, nihil exinde secum aliud portans nisi animae detrimentum.
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Le référendaire Marc, dont nous avons parlé plus haut, après avoir amassé de grands trésors par les injustes contributions levées sur le peuple, se sentant saisi subitement d'une douleur de côté, se tondit les cheveux, fit pénitence et rendit l'esprit. Ses biens furent portés au fisc, on lui trouva de grands trésors d'or et d'argent et beaucoup et joyaux, dont il n'emporta rien que le préjudice qu'il avait fait à son âme.
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29. De puellis monasterii Pictavensis.
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Legati de Hispaniis reversi nihil certi renuntiaverunt, eo quod Leuvichildus contra filium suum seniorem in exercitu resederet. In monastirio autem beatae Radegunde puella quaedam nomen Disciola, quae beati Salvii Albigensis episcopi neptis erat, obiit hoc modo. Cum egrotare coepisset et ei assiduae sorores aliae deservirent, venit dies ille, quo migraret a corpore, et circa horam nonam ait sororibus: 'Ecce iam leviorem me sentio; ecce nihil doleo! Nunc autem non est necesse sollicitudine vestrae, ut mihi curae aliquid inpendatis; sed potius discedite a me, quo facilius sopore relaxer'. Haec audientes sorores eius, recesserunt parumper cellola, et post paulolum advenerunt. Denique stantibus illis coram ea, expectabant, quid ab illa elocutionis audirent. Ipsa autem, expansis manibus, benedictionem a nescio quo afflagitans, ait: 'Benedic', inquid, 'mihi, sanctae ac famulae Dei excelsi; ecce enim iam tertio fatigaris hodiae mei causa! Et cur, sanctae, pro infirma muliercula crebras iniurias sustenis?' Interrogantibus vero illis, ad quem haec verba proferret, penitus non est effata. Tunc facto modico intervallo, emisit voce magna cum riso; et sic tradedit spiritum. Et ecce quidam inerguminus, qui tunc ad beati Crucis gloriam mundandus advenerat, adreptam manibus caesariem, conlisit se in terram, dicens: 'Heu, heu, heu nobis, qui tale damno perpessi sumus! Vel licuisset prius causas inquirere, et sic de potestate nostra fuisset ablata haec anima'. Inquirentibus vero his qui aderant, quod esset hoc verbum, quod loquebatur, respondit: 'Ecce anima puellae Michahel angelus suscepit, et ipsi eam ad caelos evexit. Princeps vero noster, quem vos diabolum nominatis, nihil in ea participatur'. Post haec corpus aquis ablutum ita candore niveo refulgebat, ut nullum lenteum repperire abbatissa potuisset in prumptu, quod corpore candidior cerneretur; induta tamen lenteis mundis, sepulturae mandata est. Nam et alia puella huius monastirii visum vidit, quod sororibus retulit. Potabat, inquid, se iter aliquod conficere; et erat ei votum, ut ad fontem vivum gradiens perveniret. Cumque viam nesciret, vir quidam se obviam obtulit, dicens: 'Si', inquid, 'vis ad fontem vivum accedere, ego ero praevius iteneris tui'. At illa gratias agens, sequebatur praecedentem. Quibus ambolantibus, pervenerunt ad fontem magnum, cuius aquae tamquam aurum splendebant, herbae vero in modum diversarum gemmarum vernante luce radiabant. Et ait vir ad eam: 'Ecce fonte vivo, quem multo labore quaesisti! Satiare nunc ab eius fluentis, ut fiat tibi fons aquae vivae salientis in vitam aeternam'. Cumque illa avide ex his aquis auriret, ecce ab alia parte veniebat abbatissa et, denudatam puellam, induit eam vestem regia, quae tanta luce auroque et munilibus refulgebat, ut vix possit intendi, dicente sibi abbatissa: 'Sponsus enim tuus mittit tibi haec munera'. Haec cum puella vidisset, conpuncta est corde, et post dies paucus rogavit abbatissam, ut sibi in qua inclauderetur cellolam praepararet. At illa velociter perfectam, ait: 'Ecce', inquid, 'cellolam! Quid nunc desideras?' Puella vero petiit, ut recludi permitteretur. Quod cum ei praestitum fuisset, congregatis virginibus cum magno psallentio, accensis lampadibus, tenente sibi beata Radegunde manu, ad locum usque perducitur. Et sic vale faciens omnibus et osculans singulas quasque, reclausa est; structoque aditu, per quem ingressa fuerat, ibi nunc oratione ac lectione vacat.
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Les envoyés qui étaient allés en Espagne revinrent sans en rapporter rien de positif, parce que Leuvigild était toujours en guerre contre son fils aîné. Dans le monastère de Sainte-Radegonde une jeune fille, nommée Ditiola, nièce de saint Sauve, évêque d'Albi, mourut de la manière que je vais dire. Elle était tombée malade, et les autres' soeurs la servaient assidûment. Lorsque arriva le jour où elle devait se séparer de son corps, vers la neuvième heure, elle dit aux soeurs : Voilà que je me sens mieux ; je n'éprouve plus aucune douleur, je n'ai plus besoin que vous vous empressiez autour de moi et demeuriez à me soigner ; allez-vous-en pour que je puisse plus aisément me laisser aller au sommeil. A ces paroles, les' soeurs quittèrent pour un instant sa cellule et revinrent peu de temps après ; elles demeuraient debout devant elle, attendant qu'elle leur parlât, lorsque étendant les mains et demandant à je ne sais qui sa bénédiction, elle dit : Bénis-moi, ô saint et serviteur du Dieu Très-Haut ! Voilà aujourd'hui la troisième fois que tu souffres pour l'amour de moi ; pourquoi, ô saint ! supportes-tu, en faveur d'une pauvre femme malade, des injures si multipliées ? On lui demanda à qui elle adressait ces paroles ;mais elle ne répondit rien, et, après un court intervalle, elle poussa un grand éclat de rire et rendit l'esprit. Et voilà qu'un possédé, qui était venu à l'exaltation de la sainte croix pour en obtenir sa guérison, se prit à s'arracher les cheveux, et, se jetant à terre, disait : Malheur ! malheur, malheur à nous qui avons souffert un tel dommage ! S'il nous avait été du moins permis de plaider d'abord notre cause et de savoir pourquoi cette âme nous a été enlevée ! Ceux qui étaient présents lui ayant demandé ce qu'il voulait dire, il répondit : Voilà que l'ange Michel a pris l'âme de cette fille et l'a conduite au ciel, et notre prince, que vous appelez le Diable, n'en a pas eu la moindre part. Le corps, lorsqu'il eut été lavé, parut éclatant d'un blanc de neige, en sorte que l'abbesse ne put trouver sous sa main aucun linceul qui le surpassât en blancheur. Cependant, après l'avoir enveloppé dans des linceuls propres, on le porta à la sépulture. Une autre fille de ce monastère eut une vision, qu'elle raconta aux' soeurs. Il lui sembla, dit-elle, qu'elle était en voyage parce qu'elle avait fait' voeu de se rendre à pied à une fontaine d'eau vive ; comme elle n'en savait pas la route, elle rencontra devant elle un homme qui lui dit : Si tu veux arriver à la fontaine d'eau vive, je marcherai devant toi pour t'en montrer le chemin. Elle lui rendit grâces et suivit cet homme, qui marcha devant elle. Marchant ainsi, ils arrivèrent à une grande fontaine dont les eaux brillaient comme de l'or, et dont les herbes, semblables à toutes sortes de pierres précieuses, rayonnaient de toute la lumière du printemps. L'homme lui dit : Voilà la fontaine d'eau vire que tu as cherchée avec tant de travail. Désaltère-toi à son courant, afin qu'il surgisse pour toi une fontaine d'eau vive dans la vie éternelle. Comme elle buvait avidement de cette eau, voilà qu'elle vit de l'autre côté venir l'abbesse qui, l'ayant dépouillée de ses vêtements, la couvrit d'habits royaux, brillant de tant d'éclat d'or et de pierres précieuses qu'à peine serait-il possible de le comprendre. L'abbesse lui disait : Ton fiancé t'envoie ces présents. Cette vision toucha le 'coeur de la religieuse, et, peu de jours après, elle pria l'abbesse de lui faire préparer une cellule pour y vivre en réclusion. La cellule fut très promptement préparée. L'abbesse lui dit : Voilà la cellule, maintenant que désires-tu ? La religieuse lui demanda qu'il lui fût permis de s'y renfermer. La chose lui ayant été accordée, elle y fut conduite par les vierges rassemblées, avec des chants et des flambeaux allumés, et sainte Radegonde qui la tenait par la main. Elle dit adieu à toutes, et les ayant embrassées l'une après l'autre, elle fut recluse dans la cellule ; on boucha la porte par où elle y était entrée, et là elle vaque à l'oraison et à la lecture.
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30. De obitu Tiberii imperatores.
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Hoc anno Tiberius imperator migravit a saeculo, magnum luctum relinquens populis de obito suo. Erat enim summe bonitatis, in aelimosinis prumptus, in iudiciis iustus, in iudicando cautissimus; nullum dispiciens, sed omnes in bona voluntate conplectens. Omnes diligens, ipse quoque diligebatur ab omnibus. Hic cum egrotare coepisset et se iam vivere disperaret, vocavit Sophiam agustam, dicens: 'Ecce! iam impleto sentio tempus vitae meae; nunc consilio tuo elegam, qui rei publicae praeesse debeat. Oportit enim strinuum elegi, quae praesit huic potestati'. At illa Mauricium quendam elegit, dicens: 'Valde strinuus et sacax vir isti. Nam et sepius contra inimicos rei publicae demicans, victurias obtenuit'. Haec enim dicebat, ut, isto transeunte, huius coniugio necteretur. Sed Tiberius, postquam consensum cognovit agustae de huius electione, iussit exornare filiam suam ornamentis imperialibus, et vocato Mauritio, ait: 'Ecce! cum consensu Sophiae agustae ad imperium elegeris; in quo ut firmior sis, filiam meam tradam tibi'. Et accedentem puella, tradedit eam pater Mauritio, dicens: 'Sit tibi imperium meum cum hac puella concessum. Utire eum felix, memor semper, ut aequitate et iustitiam delecteris' . At ille, acceptam puellam, duxit eam ad domum suam; et transacta solemnitate nuptiarum, Tiberius obiit. Igitur caelebrato iustitio, Mauricius indutus diademate et purpora, ad circum processit, adclamatisque sibi laudibus, largita populo munera, in imperio confirmatur.
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Cette année-là sortit de ce monde l'empereur Tibère, laissant parmi tout son peuple un grand deuil de sa mort. Il était éminent en bonté, toujours prêt à l'aumône, juste dans ses arrêts, très prudent à juger, ne méprisant personne, et embrassant tous les hommes dans sa bienveillance ; et comme il les chérissait tous, il était chéri de tous. Lorsqu'il fut tombé malade, il désespéra de sa vie ; il fit appeler l'impératrice Sophie et lui dit : Voilà que je sens que le temps de ma vie est accompli ; je veux choisir, d'accord avec vous, celui qui doit gouverner la république ; il faut élire avec soin l'homme à qui je remettrai ma puissance. Elle choisit un certain Maurice, disant : C'est un homme actif et habile ; il a souvent combattu les ennemis de la république et a obtenu la victoire. Ce qu'elle disait, afin qu'après la mort de Tibère, Maurice s'unît à elle en mariage. Mais Tibère, instruit, du choix qu'avait fait l'impératrice, donna ordre de parer sa fille des ornements impériaux ; et ayant fait appeler Maurice, il lui dit : Voilà que, par le consentement de l'impératrice Sophie, tu viens d'être nommé à l'Empire. Pour t'y affermir, je te donne ma fille. La jeune fille étant arrivée, son père la remit à Maurice, en lui disant : Reçois mon empire avec cette jeune fille ; règne heureusement, et n'oublie jamais l'amour de la justice et de l'équité. Maurice ayant reçu la jeune fille, la conduisit à sa maison ; on célébra la cérémonie du mariage , puis Tibère mourut. Après les vacances d'usage, Maurice, couvert du diadème et de la pourpre, se rendit au Cirque où il fut salué des acclamations du peuple, lui distribua des présents, et fut confirmé dans la possession de l'Empire.
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31. De multis malis, quae Chilpericus rex in civitatibus fratri sui fieri iussit vel ipse fecit.
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Denique Chilpericus rex legatus nepotis sui Childeberthi suscepit, inter quos primus erat Egidius Remensis episcopus. Quibus intromissis ad regem, data suggestione, dixerunt: 'Pacem, quam cum domino nostro, nepote tuo, fecisti, petit a te omnimodis conservare; cum fratri vero tuo pacem habere non potest, quia partem Massiliae ei post mortem abstulit patris fugacesque suos retenet nec eos vult ei remittere. Ideo Childeberthus, nepus tuus, caretatem, quam nunc tecum retenit, integre vult servare'. Et ille: 'In multis', inquid, 'frater meus accessit culpabilis. Nam si ordinem rationis filius meus Childeberthus inquirat, cognuscit protinus, quod huius conludio pater eius est interfectus'. Haec eo dicente, Egidius episcopus ait: 'Si cum nepote tuo coniungeris et ipse coniungitur tibi, commoto exercitu, ultio quae debetur super eum velocius infertur'. Quod cum iuramento firmassent obsedesque inter se dedissent, discesserunt. Igitur fidens in promissis eorum Chilpericus, commoto regni sui exercitum, Parisius venit. Ubi cum resedisset, magnum dispendium rerum incolis intulit. Berulfus vero dux cum Toronicis, Pectavis Andecavisque atque Namneticis ad terminum Bitoricum venit. Desiderius vero et Bladastis cum omni exercitu provintiae sibi commissae ab alia parte Betoricum vallant, multum vastantes per quas venerunt regiones. Chilpericus vero iussit exercitum, qui ad eum accessit, per Parisius transire. Quo transeunte, et ipse transiit atque ad Mecledonensem castrum abiit, cuncta incendio tradens atque devastans. Et licet exercitus nepotis sui ad eum non venisset, tamen duces et legati eius cum ipso erant. Tunc misit nuntius ad supradictus duces, dicens: 'Ingrediemini Beturigum, et accedentes usque ad civitatem, sacramenta fidelitatis exegite de nomine nostro'. Biturigi vero cum quindecim milibus ad Mediolanensim castrum confluunt ibique contra Desiderium ducem confligunt; factaque est ibi stragis magna, ita ut de utroque exercitu amplius quam septim milia caecidissent. Duces quoque cum reliqua parte populi ad civitatem pervenerunt, cuncta deripientes vel devastantes; talisque depopulatio inibi acta est, qualis nec antiquitus est audita fuisse, ut nec domus remaneret nec vinea nec arbores, sed cuncta succiderent, incenderent, debellarent. Nam et ab eclesiis auferentis sacra ministeria, ipsas incendio cremabant. Gunthchramnus vero rex cum exercitu contra fratrem suum advenit, totam spem in Dei iudicio conlocans. Qui die una iam vespere, misso exercitu, maximam partem a germani sui exercitu interficit. Mane autem concurrentibus legatis, pacem fecerunt, pollicentes alter ab alterutrum, ut quicquid sacerdotes vel seniores populi iudicarent, pars parte conponerent, quae terminum legis excesserat; et sic pacifici discesserunt. Chilpericus vero rex, cum exercitu suo a praedis arcere non possit, Rhodomaginsem comitem gladio trucidavit; et sic Parisius rediit, omnem relinquens praedam captivosque relaxans. Ad isti qui Bitoricas obsedebant, accepto mandato, ut reverterentur ad propriam, tantas praedas secum sustulerunt, ut omnes regio illa, unde egressi sunt, valde potaretur evacuata vel de hominibus vel de ipsis pecoribus. Ingressus quoque exercitus Desiderii atque Bladastis per Toronicam, incendia, praedas et homicidia tanta fecerunt, sicut solet contra inimicos fieri; nam et captivus adduxerunt, de quibus spoliatus plurimus postea demiserunt. Subsecutus est morbus pecorum hanc cladem, ita ut vix vel initium remaneret novumque esset, si aliquis aut iuvencum viderit aut cerneret buculam. Sed dum haec agerentur, Childeberthus rex cum exercito suo uno in loco resedebat. Nocte autem quadam commutus exercitus, magnum murmor contra Egidium episcopum et ducibus regis minor populus elevavit ac vociferare coepit et publicae proclamare: 'Tollantur a faciae regis, qui regnum eius venundant, civitates illius dominatione alteri subdunt, populus ipsius principis alterius dicionibus tradunt'. Dum haec et his similia vociferando proferrent, facto mane, adpraehenso armorum apparato, ad tenturium regis properant, scilicet ut adpraehensis episcopum vel senioribus vi obpraemerent, verberibus adficerent, gladiis lacerarent. Quod conperto, sacerdus fugam iniit, ascensoque equitae, ad urbem propria tendit. Ad populus ille cum clamore sequebatur, proiciens post eum lapides evomensque convitia. Fuitque tunc ei haec causa praesidium, quod hi paratus equites non habebant. Attamen lassatis sociorum equis, solus pertendit episcopus, tanto timore perterritus, ut unam caligam de pede elapsam collegare non curaret. Et sic usque civitatem veniens, se infra murorum Rimensium septa conclusit.
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Le roi Chilpéric reçut ensuite des envoyés de son neveu Childebert, à la tête desquels était Aegidius évêque de Reims. Introduits auprès du roi, lorsqu'on leur eut permis de parler, ils dirent : Ton neveu notre seigneur te demande à tout prix de conserver l'alliance que tu as faite avec lui ; il ne peut avoir de paix avec ton frère qui, après la mort de son père, lui a enlevé une partie de Marseille, retient les fugitifs de son royaume, et refuse de les lui remettre entre les mains. Ton neveu Childebert veut donc conserver entière l'affection qui est maintenant entre vous. Et le roi dit : Mon frère s'est rendu coupable en beaucoup de choses, car si mon fils Childebert veut examiner les choses selon la raison, il reconnaîtra bientôt que son père a été tué avec la connivence de Gontran. Lorsqu'il eut ainsi parlé, l'évêque Aegidius lui répondit : Si tu t'allies avec ton neveu, et que ton neveu s'allie avec toi, vous ferez marcher une armée, et aurez bientôt pris de lui la vengeance qui vous est due. S'étant donc liés par des serments, ils se donnèrent mutuellement des otages, et se séparèrent. Chilpéric se fiant donc en leurs promesses fit marcher son armée et vint à Paris, où son séjour causa une grande dépense aux habitants. Le duc Bérulphe avec les gens de Tours, de Poitiers et de Nantes, marcha sur les confins du territoire de Bourges. Didier et Bladaste, à la tête de toutes les troupes des provinces qui leur étaient confiées, l'environnèrent d'un autre côté, et dévastèrent cruellement les pays qu'ils eurent à parcourir. Chilpéric ordonna à l'armée qui venait le joindre, de traverser Paris. Il le traversa lui-même à la tête de cette armée, et marcha vers le château de Melun, livrant tout aux flammes et à la dévastation. L'armée de son neveu n'arrivait point, quoique les chefs et les envoyés de Childebert fussent auprès de Chilpéric ; il envoya des messagers aux ducs Bérulphe, Didier et Bladaste, et leur dit : Entrez dans le territoire de Bourges, et quand vous serez parvenus jusque dans la ville, exigez le serment de fidélité. Les habitants de Bourges se précipitèrent, au nombre de quinze mille, du côté du château Mélian, et là combattirent contre le duc Didier. Il se fit un grand carnage, et il périt plus de sept mille hommes des deux armées. Les ducs avec le reste de leurs gens arrivèrent à la ville, ravageant et dévastant tout, et il se fit alors une telle dépopulation qu'on n'avait ouï rien de pareil dans les anciens temps, et qu'il ne resta ni maisons, ni vignes, ni arbres ; mais ils coupèrent, brûlèrent et détruisirent tout, emportant des églises ce qui appartenait au service divin, et brûlant les églises mêmes. Le roi Gontran marcha contre son frère avec son armée, mettant en la justice de Dieu toute son espérance. Un soir il envoya son armée qui détruisit une partie de celle de son frère ; le matin suivant des envoyés passèrent de l'un à l'autre, et ils firent la paix, se promettant mutuellement que celui qui, d'après le jugement des évêques et des principaux du peuple, serait reconnu avoir dépassé les bornes de la loi, paierait à l'autre une composition, et ils se séparèrent de bon accord. Le roi Chilpéric, ne pouvant empêcher son armée de piller, tua de son épée le comte de Rouen, et ensuite il revint à Paris, chacun laissant le butin qu'il avait fait, et relâchant ses captifs. Ceux qui assiégeaient Bourges ayant reçu l'ordre de retourner chez eux, emportèrent avec eux tant de butin que le pays d'où ils sortirent fut comme qui dirait entièrement vidé d'hommes et de troupeaux. L'armée de Didier et Bladaste entra dans le territoire de Tours, et s'y livra à l'incendie, au pillage, au meurtre, comme on a coutume de le faire en pays ennemi. Ils emmenèrent des captifs, dont ils renvoyèrent ensuite plusieurs après les avoir dépouillés. Cette calamité fut suivie d'une maladie sur le bétail, en sorte qu'il resta à peine une seule bête. C'était une nouvelle lorsque quelqu'un avait vu une jument ou aperçu une génisse. Pendant que cela se passait, le roi Childebert se tenait avec son armée, assemblée en un même lieu. Une nuit l'armée se souleva, les petites gens firent entendre de grands murmures contre l'évêque Aegidius et les chefs du roi, et commencèrent à crier et à dire ouvertement : Otons de devant la face du roi ces hommes qui vendent son royaume, soumettent ses cités à la domination d'un autre, et livrent à une puissance étrangère le peuple et le prince. Tandis qu'ils se livraient à ces clameurs et à d'autres semblables, le matin étant arrivé, ils prirent leurs armes et coururent aux tentes du roi, pour se saisir de l'évêque et des seigneurs, les accabler par la force, les charger de coups, et les mettre en pièces avec leurs épées. L'évêque en ayant été averti, prit la fuite et montant à cheval, se dirigea vers sa ville épiscopale. Le peuple le poursuivit avec de grands cris, jetant après lui des pierres et vomissant des injures. Ce qui le sauva, c'est qu'ils n'avaient pas préparé leurs chevaux. Cependant l'évêque voyant que les chevaux de ses compagnons étaient rendus de fatigue, continua seul son chemin, saisi d'une telle frayeur qu'une de ses bottes étant sortie de son pied, il ne s'arrêta point pour la ramasser, mais arriva ainsi jusqu'à Reims, où il se mit à couvert dans les murs de la ville.
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32. De interitu Leudastis.
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Ante paucus autem mensis Leudastis in Toronico cum praecepto regis advenit, ut uxorem reciperet ibique commoraretur. Sed et nobis epistolam sacerdotum manu subscriptam detulit, ut in communione reciperitur. Sed quoniam litteras reginae non videmus, cuius causa maximae a communione remotus fuerat, ipsum recipere distuli, dicens: 'Cum reginae mandatum suscepero, tunc eum recipere non morabor'. Interea ad eam dirigo; qui mihi scripta remisit, dicens: 'Conpraessa a multis aliud facere non potui, nisi ut eum abire permitterem. Nunc autem rogo, ut pacem tuam non mereatur neque eologias de manu tua suscipiat, donec a nobis quid agi debeat plenius pertractatur'. At ego haec scripta relegens, timui, ne interficeretur; arcessitoque socero eius, haec innotui, obsecrans, ut se cautum redderet, donec reginae animus leneretur. Sed ille consilium meum, quod pro Dei intuitu simpliciter insinuavi, dolose suscipiens, cum adhuc nobis esset inimicus, noluit agere quae mandavi; impletumque est autem illud proverbium, quod quendam senem narrantem audivi: 'Amico inimicoque bonum semper praebe consilium, quia amicus accepit, inimicus spernit'. Spraeto ergo hoc consilio, ad regem dirigit, qui tunc cum exercitu in pago Megledonense degebat; depraecatusque est populum, ut regi praeces funderet, ut eius praesentia mereretur. Depraecante igitur omni populo, rex se videndum ei praebuit. Prostratusque pedibus eius, veniam flagitavit. Cui rex: 'Cautum', inquid, 'te redde paulisper, donec, visa regina, conveniat, qualiter ad eius gratiam revertaris, cui multum inveniris esse culpabilis'. At ille, ut erat incautus et levis, in hoc fidens, quod regis praesentiam meruisset, rege Parisius revertente, die dominico in eclesia sancta reginae pedibus provolvitur, veniam depraecans. At illa frendens et execrans aspectum eius, a se repulit, fusisque lacrimis, ait: 'Et quia non extat de filiis, qui criminis mei causas inquerat, tibi eas, Iesu domine, inquerendas committo'. Prostrataque pedibus regis, adiecit: 'Vae mihi, quae video inimicum meum, et nihil ei praevaleo'. Tunc repulso eo a loco sancto, missarum solemnia celebrata sunt. Igitur regresso rege cum regina de eclesiam sanctam, Leudastis usque ad plateam est prosecutus, inopinans, quid ei accederit; domusque negutiantum circumiens, species rimatur, argentum pensat atque diversa ornamenta prospicit, dicens: 'Haec et haec conparabo, quia multum mihi aurum argentumque residit'. Ista illo dicente, subito advenientes reginae pueri, voluerunt eum vinci catenis. Ille quoque, evaginato gladio, unum verberat; exinde succensi felle, adpraehensis pannis et gladiis, super eum ruunt. Ex quibus unus librans ictum, maximam partem capitis eius a capillis et cute detexit. Cumque per pontem urbis fugiret, elapso inter duos axes, quae ponteo faciunt, pede, effracta oppressus est tibia, legatisque postergum manibus, custodiae mancipatur. Iussitque rex, ut studeretur a medicis, quodadusque ab his ictibus sanatus, diuturno supplicium cruciaretur. Sed cum ad villam fiscalem ductus fuisset et, conputriscentibus plagis, extremam ageret vitam, iussu reginae in terram proiecitur resupinus; posito ad cervicem eius vecte inmenso, ab alio ei gulam verberant. Sicque semper perfidam agens vitam, iusta morte finivit.
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Peu de mois auparavant, Leudaste était venu à Tours, avec la permission du roi, pour y reprendre sa femme et y demeurer. II nous envoya une lettre souscrite par les évêques, pour que nous le reçussions à la communion ; mais comme cette lettre n'était pas accompagnée des ordres de la reine, à cause de laquelle surtout il avait été séparé de la communion, je refusai de le recevoir, disant : Quand j'en aurai l'ordre de la reine, je le recevrai sans retard. J'envoyai donc vers elle, et elle me répondit par écrit en ces mots : Pressée de beaucoup de gens, je n'ai pu faire autrement que de lui permettre d'aller à Tours ; maintenant, je te prie, ne lui accorde pas la paix, et qu'il ne reçoive pas la communion de ta main, jusqu'à ce qu'il ait pleinement accompli ce qu'il nous doit. En lisant cet écrit, je craignis qu'on ne le fit périr ; j'envoyai donc chercher son beau-père, et lui donnai connaissance de cette lettre, le priant que son gendre se conduisît avec prudence, jusqu'à ce qu'il eût adouci l'esprit de la reine ; mais lui, comme il était encore mon ennemi, soupçonnant de l'artifice dans ce conseil que je lui donnais de bonne foi et pour l'amour de Dieu, ne voulut pas agir d'après les avis que je lui faisais donner, et je vis l'accomplissement de ce proverbe que j'avais appris d'un certain vieillard : Donne toujours de bons conseils, soit à ton anti, soit à ton ennemi, car ton ami les suivra, et ton ennemi les méprisera. Méprisant donc celui-ci, il se rendit vers le roi, qui était alors avec son armée dans les environs de Melun, et supplia le peuple d'adresser sa prière au roi pour qu'il voulût le recevoir en sa présence. Le roi donc, prié par tout le peuple, consentit à le voir, et, prosterné à ses pieds, il lui demanda pardon ; mais le roi lui dit : Tiens-toi sur tes gardes encore quelque temps, jusqu'à ce que tu aies vu la reine, et qu'elle t'ait dit les moyens de rentrer en grâce auprès d'elle, envers qui tu t'es rendu bien coupable. Mais lui, imprudent et léger, se fiant sur ce qu'il avait été admis en la présence du roi, lorsque le roi vint à Paris, se rendit un dimanche dans la sainte cathédrale, se jeta aux pieds de la reine, et implora son pardon ; mais elle, frémissant de colère, et détestant sa vue, le repoussa, et versant des larmes, dit : Puisqu'il ne me reste pas de fils qui prenne soin de poursuivre mes injures, c'est à toi, mon Seigneur Jésus , que j'en remets la poursuite. Et se prosternant aux pieds du roi, elle ajouta : Malheur à moi qui vois mon ennemi, et ne puis l'emporter sur lui ! Il fut donc repoussé du lieu saint, et on accomplit les cérémonies de la messe. Le roi étant sorti avec la reine de la sainte cathédrale, Leudaste continua son chemin jusqu'à la place, sans se douter de ce qui allait lui arriver. Il parcourait les maisons des marchands, se faisait montrer des pièces d'argenterie, pesait l'argent, et examinait plusieurs joyaux en disant : J'achèterai ceci et ceci, car il me reste beaucoup d'or et d'argent. Comme il disait cela, survinrent soudainement les serviteurs de la reine qui voulurent le lier de chaînes. Ayant tiré son épée, il en frappa l'un d'eux, ce qui irrita les autres ; en sorte que, prenant leurs boucliers et leurs épées, ils se jetèrent sur lui. Il y en eut un qui d'un coup lui enleva une partie des cheveux et de la peau de la tête. Comme il fuyait à travers le pont de la ville, son pied se prit entre deux des planches du pont ; il eut la jambe cassée, et fut pris : on lui lia les mains derrière le dos, et il fut remis à des gardes. Le roi ordonna qu'il fût soigné par les médecins, afin que, guéri de ses blessures, il pût être livré aux tourments d'un supplice journalier ; mais, comme on le conduisait à une des métairies du fisc, la pourriture se mit dans ses plaies, et il fut bientôt à l'extrémité. Alors, par l'ordre de la reine, on le coucha par terre sur le dos, et lui ayant mis sous la nuque du cou une énorme barre de fer, on le frappa sur la gorge, et il finit ainsi, par une juste mort, une vie tissue de perfidies.
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33. De locustis, morbis prodigiisque.
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Anno nono Childeberthi regis partem Massiliae Gunthchramnus rex ipse nepote suo refudit. Legati principis Chilperici de Hispaniis regressi, nuntiaverunt, provintiam Carpitaniam graviter a locustis fuisse vastatam, ita ut non arbor, non vinea, non silva, non fructus aliqui aut quicquam viride remaneret, qui non a locustis everteretur. Agebant enim, inimicitias illas, quae inter Leuvichildum et filium suum pullulaverant, vehementer augere. Per loca enim lues vastabat, sed maximae apud urbem Narbonensim validius desaeviebat, et iam tertio anno, quod ibidem adpraehenderat et requieverat; populique revertentes a fuga, iterum morbo consumpti sunt. Nam et Albigensis civitas maximae ab hoc inquomodo laborabat. His diebus apparuerunt a parte aquilonis nocte media radii multi fulgore nimio relucentis, qui ad se venientes iterum separabantur, usquequod evanuerunt. Sed et caelum ab ipsa septemtrionali plaga ita resplenduit, ut potaretur aurora producere.
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La neuvième année du roi Childebert, le roi Gontran rendit à son neveu une partie de Marseille. Les envoyés de Chilpéric, revenus d'Espagne, annoncèrent que le royaume de la Manche était cruellement dévasté par les sauterelles, de telle sorte qu'il n'y avait ni arbres, ni vignes, ni forêts, ni fruits, ni aucune verdure, qu'elles n'eussent entièrement détruits ; ils dirent que l'inimitié qui s'était élevée entre Leuvigild et son fils augmentait tous les jours de violence. Une grande contagion régnait aussi dans ces cantons, et dévastait beaucoup de pays ; mais elle faisait rage surtout dans la ville de Narbonne. Il y avait déjà trois ans qu'elle avait pris dans cette ville, puis elle s'apaisait, et alors le peuple qui avait fui, revenant dans la ville, périssait par la maladie. La ville d'Albi était aussi rudement travaillée du môme mal. En ces jours-là, vers le milieu de la nuit, il parut du côté du nord un grand nombre de rayons brillants, d'une grande clarté, qui, se rapprochant et se séparant ensuite, finirent par s'évanouir. On vit aussi dans la partie septentrionale du ciel reluire une telle clarté qu'on la prit pour celle de l'aurore.
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34. De obitu fili Chilperici, quem Theodoricum vocavit.
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Legati iterum ab Hispania venerunt, deferentes munera et placitum accipientes cum Chilperico rege, ut filiam suam secundum convenentiam anteriorem filio regis Leuvichildi tradere deberet in matrimonio. Denique dato placito et omnia pertractata, legatus ille reversus est. Sed Chilperico rege egresso de Parisius, ut in pago Sessionico accederet, novus luctus advenit. Filius enim eius, quem anno superiore sacro baptismate abluerat, a desinteria correptus, spiritum exalavit. Hoc enim fulgor ille, quod superius ex nube dilapsum memoravimus, figuravit. Tunc cum inmenso fletu regressi Parisius, sepelierunt puerum, mittentes post legatum, ut reverteretur, scilicet ut placitum quod posuerat prolongaret, dicente rege: 'Ecce planctum in domo sustineo, et qualiter nuptias filiae celebrabo?' Voluit enim tunc aliam filiam illuc dirigere, quam de Audovera habebat, et eam in monasterium Pictavensi posuerat. Sed illa distulit, resistente praecipue beata Radegunde et dicente: 'Non est enim dignum, ut puella Christo dedicata iterum in saeculi voluptatibus revertatur'.
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Il vint de nouveau des envoyés d'Espagne qui apportèrent des présents, et arrêtèrent avec le roi Chilpéric l'époque où, selon la convention qu'il avait faite précédemment, il donnerait sa fille en mariage au fils du roi Leuvigild. L'époque fixée et toutes choses convenues, l'envoyé reprit sa route. Mais le roi Chilpéric étant sorti de Paris pour se rendre dans le pays de Soissons, il lui survint un nouveau chagrin : son fils, que, l'année précédente, il avait fait régénérer dans les eaux du baptême, fut pris de la dysenterie, et rendit l'esprit. C'était là ce qu'annonçait cette flamme que, comme je l'ai dit plus haut, on avait vu tomber des nuages. Ils revinrent à Paris avec une douleur infinie, ensevelirent leur enfant, et firent courir après l'envoyé, pour qu'il revînt, et prolongeât le terme donné, le roi disant : Voilà que ma maison est remplie de deuil ; comment pourrai-je célébrer les noces de ma fille ? Car il voulait envoyer en Espagne une autre fille qu'il avait eue d'Audovère, et qu'il avait mise dans le monastère de Poitiers ; mais elle s'y refusa principalement à cause de la résistance de sainte Radegonde, qui disait : Il ne convient pas qu'une fille dédiée au Christ retourne aux voluptés du siècle.
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35. De interitu Mummoli praefecti et mulieribus interfectis.
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Dum autem haec agerentur, nuntiantur reginae, puerum, qui mortuus fuerat, maleficiis et incantationibus fuisse subductum ibique Mummolum praefectum, quem iam diu regina invisum habebat, conscium esse. Unde factum est, ut epolante eo in domo sua, quidam de aulicis regis puerum dilectum sibi, qui a desenteria correptus fuerat, lamentaret. Cui praefectus respondit: 'Habetur mihi herba in prumptu, de qua se desentiricus auriat, quamlibet desperatus sit, mox sanatur'. Nuntiatis his reginae, maiore furore succenditur. Interea adpraehensis mulieribus urbis Parisiacae tormentis adplicat ac verberibus cogit fatere quae noverant. At ille confitentur se maleficas esse, et multos occumbere leto se fecisse testatae sunt, addentes illud, quod nulla ratione credi patior: 'Filium', aiunt, 'tuum, o regina, pro Mummoli praefecti vita donavimus'. Tunc regina, tormentis gravioribus mulieribus affectis, alias enegat, alias incendio tradit, alias rotis, ossibus confractis, innectit. Et sic Conpendio villam una cum rege secessit ibique universa regi quae de praefecto audierat revelavit. Rex vero, missis pueris, iussit eum arcessire; discussumque catenis onerant et suppliciis subdunt. Trabi, postergum revinctis manibus, adpenditur et ibi, quid maleficii noverit, interrogatur; sed nihil de his quae superius memoravimus confetetur. Hoc tamen protulit, saepius se inunctionis et potionis, quae ei regis reginaequae gratiam praeberent, ab his mulieribus suscipisse. Depositus igitur de poena, vocat ad se lectorem, dicens: 'Nuntia domino meo regi, quia nihil mali sentio de his quae inlata sunt'. His auditis, rex: 'Verumne est', inquid, 'hunc esse maleficum, se de his nihil est laesus poenis?' Tunc extensum ad trocleas, tam diu loris triplicibus caesus est, quoadusque ipse lassarentur tortures; post haec sudis ungulis manuum pedumque difigunt. Cumque in hoc causa ageretur, ut ad dicidendam cervicem eius gladius inminerit, regina vitam obtenuit; sed non fuit minur morti humilitas subsecuta. Nam inpositus plaustro, ad Burdigalensim urbem, in qua ortus fuerat, ablata omni facultate, transmittitur; in via vero ictuatus sanguine, vix accedere quo iussus est valuit. Sed non post multum tempus spiritum exalavit. Post haec regina, adpraehenso pueroli thesauro, tam vestimenta quam reliquas species, vel ex sirico aut quocumque vellere invenire potuit, igne consumpsit; quod ferunt quattuor plaustra levasse. Aurum vero vel argentum fornace conflatum reposuit, ne aliquid integrum remanerit, quod ei planctum fili in memoriam revocaret.
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Tandis que ces choses se passaient, on vint dire à la reine que l'enfant qui lui était mort avait succombé à des maléfices et à des enchantements, et que le préfet Mummole, que la reine haïssait déjà depuis longtemps , était complice de ce crime. D'où il arriva qu'un homme de la cour du roi, étant à un festin dans la maison de Mummole, se lamentait de ce qu'un enfant qu'il chérissait avait été pris de la dysenterie. Le préfet lui répondit : J'ai une herbe qui, lorsqu'on la fait prendre à celui qui est attaqué de la dysenterie, quelque désespéré qu'il soit, le guérit sur-le-champ. Ces paroles ayant été rapportées à la reine, sa fureur s'en accrut, et ayant fait prendre des femmes de la ville de Paris, elle les livra aux tourments pour les forcer par des coups à déclarer ce qu'elles savaient. Elles avouèrent qu'elles étaient sorcières, et déclarèrent avoir fait mourir beaucoup de gens ; ajoutant, ce que je ne voudrais pas qu'on crût en aucune manière : Nous avons, ô reine, sacrifié la vie de ton fils, pour celle du préfet Mummole. Alors la reine les faisant livrer à des tourments encore plus cruels, fit assommer les unes, brûler les autres, attacher d'autres à des roues qui leur brisaient les os, et se retira avec le roi dans sa maison de Compiègne, où elle lui révéla tout ce qu'elle avait entendu dire du préfet. Le roi envoya des serviteurs ordonner à Mummole de venir le trouver, et après l'avoir interrogé, le fit charger de chaînes et livrer à divers tourments. On le suspendit à un poteau, les mains liées derrière le dos, et là on le questionna sur les maléfices dont il pouvait avoir connaissance ; mais il n'avoua rien de ce que nous avons rapporté plus haut. Cependant il confessa avoir pris souvent, de ces femmes, des onguents et des breuvages dont l'effet devait être de le mettre en grâce auprès du roi et de la reine. Lors donc qu'il fut détaché du poteau, il appela l'exécuteur, et lui dit : Allez annoncer au roi, mon seigneur, que je ne sens aucun mal des tourments qu'on m'a infligés. Le roi ayant entendu ces paroles, dit : Ne faut-il pas, en effet, qu'il soit sorcier pour n'avoir reçu aucun mal de ce qu'on lui a fait souffrir ? Alors on l'étendit sur des roues, et on le frappa de tant de coups de courroies triplées, que les exécuteurs en étaient fatigués ; ensuite on lui entra des bâtons pointus dans les ongles des pieds et des mains, et, comme il était à ce point que l'épée était déjà levée pour lui couper la tête, il obtint de la reine qu'elle lui laissât la vie ; mais on lui fit subir une dégradation non moins cruelle que la mort ; car l'ayant mis dans un chariot, on le renvoya dépouillé de tout ce qu'il possédait à la ville de Bordeaux où il était né. Mais frappé en route d'une attaque d'apoplexie, il put à peine arriver où il lui était ordonné d'aller, et peu de temps après rendit l'esprit. Après quoi, la reine ayant pris le trésor de son enfant, tant les vêtements que les autres effets, les étoffes de soie et tout ce qu'elle put trouver, les fit consumer par le feu. On dit qu'il y en avait quatre chariots. Elle fit jeter l'or et l'argent dans une fournaise embrasée, afin qu'il ne restât rien d'entier qui pût lui rappeler la douleur de la mort de son fils.
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36. De Aetherio episcopo.
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Aetherius vero Lixoensis episcopus, cui supra meminimus, hoc ordine a civitate sua vel expulsus est vel receptus. Clericus quidam extitit ex Cinomannica urbe, luxuriosus nimis amatorque mulierum et gulae ac fornicationis omnique immunditiae valde deditus. Hic mulieri cuidam saepius scorto commixtus, comam capitis totondit, mutatoque virili habitu, secum in alia civitate deduxit, ut suspicio auferetur adulterii, cum inter incognitos devenisset. Erat enim mulier ingenua genere et de bonis orta parentibus. Conperto autem post dies multos propinqui eius quae acta fuerant, ad ulciscendam humilitatem generis sui velocius properant, repertumque clericum vinctum custodiae mancipant, mulierem vero ignem consumunt. Et, sicut cogit auri sacra famis, clericum sub pretio venundari procurant, ea videlicet ratione, ut aut esset qui redimeret, aut certe morti addiceretur obnoxius. Cumque haec Aetherio episcopo delata fuissent, misericordia motus, datis XX aureis, eum ab imminenti exemit interitu. Igitur postquam vitae donatus est, profert se litterarum esse doctorem, promittens sacerdoti, quod, si ei pueros delegaret, perfectos hic in litteris redderet. Gavisus auditu sacerdos, pueros civitatis collegit ipsique delegat ad docendum. Denique cum iam honoraretur a civibus et pontifex ei aliquid terrae vinearumque largitus fuisset ac domum parentum eorum quos erudiebat invitaretur, reversus ad vomitum, unius pueruli matrem immemor anterioris iniuriae concupiscit. Quod cum pudica mulier declarasset, coniuncti parentes eius gravissimis clericum tormentis subdentes, interimere voluerunt. Quem sacerdos iterum misericordia motus castigatum verbis lenibus liberavit honorique restituit. Sed mens laeva numquam ad bonitatem potuit inclinari, sed potius factus est eius inimicus, a quo saepius fuerat de morte redemptus. Coniunctus est enim archidiacono civitatis, et se episcopatu dignum proferens, episcopum molitur occidere. Locatumque clericum, qui eum bipenne percuteret, ipsi ubique discurrunt, musitant, amicitias clam inligant, proferunt praemia, ut, si sacerdos obiret, ipse succederet. Sed misericordia Domini anticipavit eorum miseriam crudelitatemque iniquorum hominum veloci pietate repressit. Die vero, quo sacerdos operarios in agro adgregaverat ad sulcandum, clericus antedictus cum secure prosequitur sacerdotem, nihil de his penitus aliquid scientem. Tandem igitur haec advertens: 'Quid tu', inquid, 'me attentius cum hac bipenne prosequeris?' At ille timore perterritus, ad genua viri provolvitur, dicens: 'Fortis esto, sacerdos Dei. Nam scias me emissum ab archidiacono ac praeceptore, ut te secure percuterem. Quod cum saepius facere voluissem et ictum dextera suspensa librarem, tegebantur tenebris oculi mei, et aures obserabantur, totumque corpus tremore quatiebatur, sed et manus absque virtute erant, et quae optabam implere non poteram; cum vero manus deposuissem, nihil mali sentiebam omnino. Cognovi enim, quoniam tecum est Dominus, eo quod non potui aliquid te nocere'. Haec eo dicente, flevit sacerdos, imponens silentium clerico, reversusque domum, caenae discubuit. Qua exacta, in stratum suum quievit, habens circa lectum suum multos lectulos clericorum. Denique diffisi hi de clerico, per se nefas perficere cogitantes, nova argumenta machinantur, per qua aut eum vi extinguerent aut certe crimen, quo a sacerdotio divelleretur, inponerent. Interea, quiescentibus cunctis, media fere nocte, cubiculum sacerdotis inrumpunt, exclamantes voce magna atque dicentes, vidisse se mulierem a cubiculo egredi ipsamque ob hoc dimisisse, dum ad episcopum festinassent. Et insanie pars haec et consilium diaboli fuit, in tali aetate crimen inponere sacerdoti, qui erat fere LXX annorum. Nec mora, coniuncto secum iterum antedicto clerico, alligatur sacerdos catenis ab eius manibus, de cuius collo saepius vincla discusserat, et arduae custodiae mancipatur ab eo, quem de cenosis carceribus plerumque liberavit. At ille cognoscens, inimicos sibi vehementer invaluisse, Domini misericordiam cum lacrimis in vincla compactus exorat. Mox opprimuntur somno custodes, solutisque divinitus vinclis, de custodia procedit innoxius, noxiorum frequentissimus liberator. Deinde dilapsus, ad regnum Gunthramni regis transiit. Quo discedente, liberius iam coniuncti satellites ad regem Chilpericum properant pro episcopatu petendo, multa crimina de episcopo proloquentes, addentes ista: 'In hoc cognosce, rex gloriosissime, vera esse quae dicimus, quia mortem pro sceleribus timens ad fratris tui transiit regnum'. Quod ille non credens, hos ad civitatem redire iubet. Dum haec agerentur, mesti cives de pastoris absentia, cognoscentes omnia quae de eo acta fuerant per invidia et avaritia perpetrata, adpraehensum cum satellite archidiaconum iniuriae subdentes, ad regem petierunt, ut reciperent sacerdotem suum. At rex legatos fratri suo dirigit, adserens, nihil se criminis in episcopo repperisse. Tunc rex Guntchramnus, ut erat benignus et profluus ad miserandum, multa ei munera contulit, dans etiam epistolas per omnes episcopos regni sui, ut peregrinum aliquid pro Dei intuitu consolarentur. Tunc circumiens civitates, tanta ei a sacerdotibus Dei conlata sunt tam in vestibus quam in auro, ut vix civitati quae meruerat possit inferri; impletumque est illud quod ait apostolus: Quia diligentibus Deum omnia concurrunt in bonum. Nam huic peregrinatio divitias attulit, et exilium opes multas invexit. Post haec regrediens, a civibus cum grandi honore susceptus est, ut prae gaudio flerent et benedicerent Deum, qui tandem eclesiae tantum restituit sacerdotem.
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Aethérius, évêque de Lisieux, dont nous avons parlé, fut expulsé de sa ville, et y rentra de la manière suivante : il y avait un clerc de la ville du Mans abandonné à la luxure, aimant les femmes, et livré à la gourmandise, à la fornication, et à toute espace de vices immondes. Il voyait souvent une certaine prostituée à qui il fit couper les cheveux, lui fit prendre un habit d'homme et l'emmena avec lui dans une autre ville où n'étant pas connu, il pourrait éviter le soupçon d'adultère. C'était une femme de race libre et née d'honnêtes parents. Ses proches ayant découvert longtemps après ce qui s'était passé, voulurent venger la honte de leur famille, et ayant trouvé le clerc, ils l'enchaînèrent, l'enfermèrent et firent brûler la femme. Ensuite, excités par la perverse soif de l'or, ils tâchèrent de vendre le clerc, c'est-à-dire de trouver quelqu'un qui le rachetât ; autrement il était dévoué à une mort certaine. Ces choses ayant été rapportées à Aethérius, ému de compassion, il donna vingt pièces d'or, et le sauva ainsi de la mort qui le menaçait. Après avoir recru la vie de cette manière, le clerc se donna pour docteur dans les lettres, et promit à l'évêque, s'il lui confiait des enfants, de les rendre accomplis dans cette science ; l'évêque joyeux de cette promesse rassembla les enfants de la cité et le chargea de les instruire. II était honoré des citoyens ; le pontife lui avait donné des terres et des vignes, et il était invité dans les maisons des parents dont il instruisait les enfants. Mais revenant à ses anciennes habitudes et oubliant tout ce qu'il avait souffert, il s'éprit de concupiscence pour la mère d'un des enfants qu'il instruisait. Cette femme pudique ayant déclaré la chose à son mari, ses parents assemblés infligèrent au clerc de rudes tourments et voulurent le tuer. L'évêque, de nouveau touché de pitié, le délivra après l'avoir doucement réprimandé, et le rétablit dans ses honneurs ; mais rien ne put jamais tourner vers le bien l'esprit léger de cet homme, et, au lieu de cela, il devint l'ennemi de celui qui l'avait plusieurs fois racheté de la mort. Il s'allia à l'archidiacre de la cité qui, se jugeant digne de l'épiscopat, fit le complot d'assassiner l'évêque. On paya un clerc qui devait le frapper d'une hache, et tous ces gens commençaient déjà à tenir des discours, à parler bas, à lier des intrigues, offrant des récompenses pour engager, si l'évêque mourait, à mettre l'archidiacre à sa place. Mais la miséricorde de Dieu l'emporta sur leur perfidie, et sa bonté se hâta de réprimer la cruauté des méchants. Un jour que l'évêque rassemblait ses ouvriers dans un champ qu'il voulait faire labourer, le clerc dont j'ai parlé le suivait avec une hache, sans qu'il y prit garde aucunement. Cependant, s'en étant aperçu : Pourquoi donc, lui dit-il, me suis-tu si assidûment avec cette hache ? L'autre saisi de frayeur se jeta à ses genoux, disant : Prends courage, ô prêtre de Dieu ; car tu sauras que j'ai été envoyé par l'archidiacre et le précepteur pour te frapper de cette hache. J'ai plusieurs fois voulu le faire, et ma main s'est levée pour frapper le coup ; mais aussitôt mes yeux étaient couverts de ténèbres, mes oreilles cessaient d'entendre, et tout mon corps était ébranlé par un tremblement. Mes mains demeuraient sans force, et je ne pouvais accomplir ce que j'avais projeté ; mais lorsque ensuite j'abaissais le bras, je ne sentais plus aucun mal. J'ai reconnu que Dieu était avec toi, car je n'ai pu te nuire en aucune manière. Lorsqu'il eut dit ces paroles, l'évêque se prit à pleurer et imposa silence au clerc. Puis, retourné à sa maison, il se coucha pour souper. Après quoi il alla se reposer dans son lit, autour duquel était un grand nombre des lits de ses clercs. Ses ennemis s'étant méfiés du clerc qui devait l'assassiner, pensèrent à exécuter par eux-mêmes leur perfidie, et tramèrent un autre artifice, soit pour le faire périr violemment, soit pour le charger d'un crime qui le fit exclure du sacerdoce. Tandis que tout le monde reposait vers le milieu de la nuit, ils se précipitèrent dans la chambre à coucher de l'évêque, poussant de grandes exclamations, et disant qu'ils en avaient vu sortir une femme, et qu'ils l'avaient laissée aller pour courir à l'évêque. C'était certainement par le conseil et l'instigation du diable qu'ils imputaient un tel crime à leur évêque, alors âgé de prés de soixante-dix ans. Sans perdre de temps, et de concert avec le clerc dont j'ai parlé, ils lièrent l'évêque qui vit ses mains chargées de chaînes par celui dont le cou avait été plusieurs fois délivré par lui de ses liens, et il fut condamné à une prison sévère par l'homme qu'il avait souvent tiré de la fange des cachots. Voyant que ses ennemis procédaient contre lui avec cette violence, il implora avec larmes, dans ses chaînes, la miséricorde du Seigneur ; aussitôt ses gardes se sentirent accablés de sommeil, la volonté du Seigneur détacha ses liens et celui qui avait si souvent délivré les méchants, fut délivré sans avoir rien souffert de leur méchanceté ; puis, s'échappant, il passa dans le royaume du roi Gontran. Une fois qu'il fut parti, ceux qui avaient comploté contre lui s'adressèrent plus librement au roi Chilpéric pour lui demander l'épiscopat ; et, accusant l'évêque de beaucoup de crimes, ils ajoutaient : Sache, ô roi très glorieux ! que nos paroles sont véritables ; car, dans la crainte de la mort que lui ont méritée ses crimes, il a passé au royaume de ton frère. Le roi ne les crut point, et leur ordonna de retourner à la ville ; et tandis que cela se passait, les citoyens, affligés de l'absence de leur pasteur, et sachant que tout cela s'était fait par envie et par avarice, se saisirent de l'archidiacre et de son associé, auteurs de cette iniquité, et demandèrent au roi de leur rendre leur évêque. Le roi envoya des messagers à son frère, l'assurant qu'il n'avait trouvé l'évêque coupable d'aucun crime. Le roi Gontran, qui était bon et plein de libéralité envers les malheureux, lui fit beaucoup de présents, et lui donna des lettres pour tous les évêques de son royaume, afin que pour l'amour de Dieu ils eussent soin de l'assister dans son voyage. Alors, parcourant les cités, il en recueillit des prêtres de Dieu tant de choses, soit en vêtements, soit en or, qu'à peine put-il rapporter tout ce qu'il avait reçu, et en lui fut accomplie cette parole de l'apôtre : Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu ; car ce voyage lui apporta beaucoup de richesses, et son exil le mit dans l'opulence. Retournant ensuite vers ses concitoyens, il en fut reçu avec tant d'honneur qu'ils pleuraient de joie et bénissaient Dieu de ce qu'il avait rendu à son église un tel évêque.
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37. De nece Lupenti abbatis Gaballitani.
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Lupentius vero abba basilicae sancti privati martyris urbis Gabalitanae, a Brunichilde regina arcessitus, advenit. Incusatus enim, ut ferunt, fuerat ab Innocentio supradictae urbis comite, quod profanum aliquid effatus de regina fuisset. Sed discussis causis, cum nihil de crimine maiestatis conscius esset inventus, discedere iussus est. Verum ubi via carpere coepit, iterum ab antedicto comite captus et ad Ponticonem villam deductus, multis suppliciis est adfectus; dimissusque iterum, ut rediret, cum super Axonam fluvium tentorium tetendisset, iterum inruit super eum inimicus eius. Quem vi oppressum, amputatum caput in culleum oneratum lapidibus posuit et flumini dedit; reliquum vero corpus vinctum cum saxo inmersit gurgiti. Post dies vero paucos apparuit quibusdam pastoribus, et sic extractum a flumine sepulturae mandatum est. Sed dum necessitates in funere pararentur et ignoraretur, quis esset e populo, praesertim cum caput truncati non inveniretur, subito adveniens aquila levavit culleum a fundere fluminis et ripae deposuit. Admirantesque qui aderant, adpraehensum culleum, dum sollicite, quid contineret, inquirunt, caput truncati repperiunt, et sic cum reliquis artubus est sepultum. Nam ferunt nunc et lumen ibi divinitus apparere; et si infirmus ad hoc tumulum fideliter deprecatus fuerit, accepta sospitate recedit.
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Lupintius, abbé de la basilique de Saint-Privas, martyr, dans la cité du Gévaudan, fut mandé par la reine Brunehault, et vint la trouver. Il était accusé, dit-on, par Innocent, comte de ladite ville, d'avoir parlé de la reine avec irrévérence. Mais l'affaire ayant été examinée, il ne fut trouvé en rien coupable de lèse-majesté, et reçut l'ordre de s'en retourner. Cependant, comme il commençait à se mettre en route, il fut pris par ledit comte et conduit au village de Ponthion, où on lui fit souffrir beaucoup de tourments. Relâché ensuite pour s'en retourner chez lui, comme il avait tendu ses pavillons sur la rivière d'Aisne, son ennemi vint de nouveau tomber sur lui ; et s'en étant rendu maître par la violence, lui coupa la tête, la mit dans un sac rempli de pierres, et la jeta dans la rivière ; il y jeta de même le corps attaché à une pierre. Peu de jours après, ce corps fut vu par un berger qui, l'ayant tiré du fleuve, le mit en sépulture ; mais tandis qu'il préparait les choses nécessaires à ces obsèques, sans que personne pût savoir à qui appartenait ce corps dont on ne trouvait pas la tête, il arriva tout à coup qu'un aigle enleva le sac du fond du fleuve et le déposa sur le rivage. Remplis d'admiration, ceux qui se trouvaient présents prirent le sac ; et s'empressant de chercher ce qu'il contenait, ils y trouvèrent cette tête coupée qu'ils ensevelirent avec le reste des membres. On dit que, par la puissance divine, il parut en ce lieu une grande lumière, et que lorsqu'un malade venait prier a ce tombeau avec dévotion, il s'en retournait guéri.
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38. De obitu Theodosii episcopi et de successore eius.
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Theodosius Rutenorum episcopus, qui sancto Dalmatio successerat, diem obiit. In qua ecclesia in tantum pro episcopatu intentiones et scandala orta convaluerunt, ut paene sacris ministeriorum vasis et omni facultate meliori nudaretur. Verumtamen Transobadus presbiter reiecitur, et Innocentius Gabalitanorum comis eligitur ad episcopatum, opitulante Brunichilde regina. Sed, adsumpto episcopatu, confestim Ursicinum Cadurcinae urbis episcopum lacessire coepit, dicens, quia diocesis Rutinae ecclesiae debitas retineret. Unde factum est, ut, diuturna intentione gliscente, post aliquot annos coniunctus metropolis cum suis provincialibus apud urbem Arvernum resedens iudicium emanaret, scilicet ut parrochias, quas numquam Rutina ecclesia tenuisse recolebatur, reciperet. Quod ita factum est.
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Théodose, évêque de Rodez, qui avait succédé à saint Dalmate, quitta la lumière du jour. Les différends et les querelles qui s'élevèrent dans cette Église pour l'épiscopat en vinrent à ce point qu'elle fut presque entièrement dépouillée des vases sacrés et de tout ce qu'elle possédait de meilleur. Avec l'aide de la reine Brunehault, on fit rejeter le prêtre Transobade, et on élut Innocent, comte du Gévaudan. Dès qu'il fut en possession de l'épiscopat, il commença à tourmenter Ursicin, évêque de la ville de Cahors , disant qu'il retenait des choses qui appartenaient au diocèse de Rodez ; d'où il arriva que leurs discordes journalières allèrent toujours croissant. Quelques années après, le métropolitain, réuni avec ses suffragants dans la cité d'Auvergne, rendit un jugement portant que l'église de Rodez reprendrait les paroisses qu'on se rappelait lui avoir appartenu ; ce qui fut accompli.
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39. De obitu Remedi episcopi et successore eius.
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Remigius Biturigum episcopus obiit. Cuius post transitum gravi incendio pars maxima civitatis cremata est, ibique illa quae hostilitati restiterant perierunt. Post haec Sulpicius in ipsa urbe ad sacerdotium, Guntchramno rege favente, praeelegitur. Nam cum multi munera offerrent, haec rex episcopatum quaerentibus respondisse fertur: 'Non est principatus nostri consuetudo sacerdotium venumdare sub pretio, sed nec vestrum eum praemiis comparare, ne et nos turpis lucri infamio notemur et vos mago Simoni comparamini. Sed iuxta Dei praescientia Sulpicius vobis erit episcopus'. Et sic ad clericatum deductus, episcopatum ecclesiae supradictae suscepit. Est enim vir valde nobilis et de primis senatoribus Galliarum, in litteris bene eruditus rethoricis, in metricis vero artibus nulli secundus. Hic senodum illam, cui supra meminimus, pro parrochiis Cadurcinis fieri commonuit.
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Remi, évêque de Bourges, mourut, et, après sa mort, la plus grande partie de sa ville fut consumée par un grand incendie, et là périt ce qui avait échappé aux calamités de la guerre. Après cela, par la faveur du roi Gontran, Sulpice fut élu évêque de cette ville. On rapporte que beaucoup de gens offrant au roi des présents pour en obtenir l'épiscopat, il leur répondit : Il n'est pas dans l'habitude de notre gouvernement de vendre le sacerdoce, et il ne vous convient pas de l'acheter par des présents, car nous devons craindre d'encourir l'infamie d'un gain honteux, et vous d'être comparés à Simon-le-Magicien ; mais conformément à la prescience de Dieu, Sulpice sera votre évêque ; et ainsi amené au clergé, il monta au siége de cette église. C'est un homme de grande noblesse, des premiers sénateurs de la Gaule, très instruit dans les belles-lettres, sans égal dans l'art des vers. Ce fut lui qui provoqua le synode dont nous avons parlé relativement aux paroisses du diocèse de Cahors.
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40. De altercatione nostra cum heretico.
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Legatus vero Oppila nomen de Hispaniis advenit, multa munera Chilperico rege deferens. Timebat enim rex Hispanorum, ne Childeberthus exercitum ad ulciscendam sororis suae iniuriam commoverit, quia Leuvichildus adpraehensum filium suum Herminichildum, qui sororem Childeberthi regis acciperat, retruserat in custodia, ipsa mulierem cum Grecis relictam. Igitur cum die sancto paschae hic legatus Toronus advenisset, sciscitati sumus, utrum nostrae relegionis esset. Respondit ipse, se hoc credere quod catholici credunt. Exinde procedens nobiscum ad eclesiam, missarum sollemnia tenuit; sed neque pacem cum nostris fecit neque de sacrificiis sacris communicavit. Cognitumque est, mendum esse, quod dixerat se esse catholicum. Nihilhominus ad convivium invitatus adfuit. Cumque ego sollicitus requirirem, quid crederit, respondit: 'Credo Patrem et Filium et Spiritum sanctum unius esse virtutes'. Cui ego respondi: 'Si haec, ut adseris, credis, quae obstetit causa, ut de sacrificiis, quae Deo offerimus, communicare deferris?' Et ille: 'Quia', inquid, 'gloriam non recte responditis; nam iuxta Paulum apostolum nos dicimus : Gloria Deo Patri per Filium"; vos autem dicitis : Gloria Patri et Filio et Spiritu sancto", cum doctores eclesiarum doceant, Patrem per Filium nuntiatum fuisse in mundum, sicut ipse Paulus ait: Regi autem saeculorum inmortali et invisibili, soli Deo honor et gloria in saecula saeculorum, per Iesum Christum dominum nostrum'. Et ego respondi: 'Patrem per Filium adnuntiatum nulli catholicorum esse incognitum, reor; sed sic praedicavit Patrem in saeculo, ut et se virtutibus ostenderit Deum. Deo autem Patri haec necessitas fuit Filium mittendi ad terras, ut ostenderit Deum, ut, quia mundus prophetis et patriarchis atque ipse Latori legis non crediderat, saltim vel Filio crederit. Ideoque necesse est, ut sub significatione personarum gloria detur Deo. Dicimus ergo : Gloria Deo Patri, qui misit Filium; gloria Deo Filio , qui sanguine suo redemit mundum; gloria Deo Spiritui sancto, qui sanctificat hominem iam redemptum". Nam tu, qui dicis : Gloria Patri per Filium", ademis gloriam Filio, quasi ipse non sit gloriosus cum Patre, propter quod eum adnuntiavit in mundum. Nuntiavit, ut diximus, Filius Patrem in mundo; sed multi non crediderunt, dicente Iohanne euangelista: In sua propria venit, et sui eum non reciperunt. Quodquod autem reciperunt eum, dedit eis potestatem filius Dei fieri, his qui credunt in nomine eius. Nam tu, qui Paulo apostolo derogas et sensum eius non intellegis, percipe, quam caute loquitur et iuxta ut recepere quis potest; adverte, qualiter praedicat inter gentes incredulas, ut nullo onus grave videatur inponere, sicut quibusdam dicit: Lac vobis potum dedi, non escam; nondum enim poteratis, sed nec adhuc quidem potestis. Perfectorum est enim solidus cibus. Sed et aliis dicit: Nihil vobis praedicavi nisi Christum, et hunc crucifixum. Nunc autem quid vis, o tu heretice, quia Paulus Christum tantum crucifixum praedicavit, resurrexisse tu dubitas? Adverte potius cautelam eius et vide astutiam, quid aliis dicit, quos robustiores videbat in fide: Et si, inquid, novimus Christum crucifixum, nunc autem iam non novimus. Nega ergo, tu accusatur Pauli, si tantum mente dementia coepit, quia nec crucifixus est. Sed, quaeso, relinque ista et audi consilium meliorem, adhibe culiria oculis lippis et lucem praedicationis apostolicae percipe. Secundum homines enim loquibatur Paulus humilius, ut eos ad celsioris fidei fastigia sublevaret, sicut alibi ait: Omnibus omnia factus sum, ut omnes lucri facerem. Numquid homo mortalis non est daturus gloria Filio, quem ipse Pater non semel, sed bis et tertio glorificavit e caelo ? Absculta, quid de caelis loquitur, cum idem Filius, discendente Spiritu sancto, sub Iohannis manu baptizaretur: Hic est, ait, Filius meus dilectus, in quo bene conplacui. Certe si oppilatas habeas aures, ut ista non audias, crede apostolis, quid in monte audierunt, cum transfiguratus Iesus in gloria loqueretur cum Moysi et Helia; nempe de nubi splendida Pater ait: Hic est Filius meus carissimus, ipsum audite'. Ad haec hereticus respondit: 'Nihil in his testimoniis Pater de gloria loquitur Fili, nisi tantum ipsum Filium monstrat'. Et ego: 'Si enim ista sic recipis, proferam tibi aliud testimonium, in quo Pater reddidit Filium gloriosum. Veniente autem Domino ad passionem, cum ille diceret: Pater, glorifica Filium tuum, ut Filius tuus glorificet te, quid ei respondit Pater e caelo? Nonne ait: Et glorificavi et iterum glorificabo? Ecce enim Pater glorificat eum propria voce, et tu ei gloriam conaris ademere? Voluntatem quidem ostendis, sed potestas nulla subpeditat. Nam qui Pauli apostoli accusatur exsistis, audi ipsum, immo Christum in ipso loquentem: Omnes lingua confiteatur, quia dominus Iesus Christus in gloria est Dei Patris. Quod si nunc communis cum Patre gloria et in ipsa qua nunc Pater est gloria commoratur, qualiter eum tu quasi inglorium exhonoras? Aut cur non erit ei reddenda gloria inter hominis, qui pari gloria cum Patri regnat in caelis ? Confitemur ergo Christum, filium Dei, Deum verum: ideoque quia Deitas una, una erit et gloria'. Post haec, dato selentio, ab altercatione cessatum est. Ille quoque ad Chilpericum regem accedens, oblatis muneribus quae rex Hispanorum miserat, in Hispania est regressus.
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Il vint d'Espagne un envoyé, nommé Oppila, apportant au roi Chilpéric beaucoup de présents. Le roi d'Espagne craignait que Childebert ne fit marcher une armée pour venger l'injure de sa soeur, car Leuvigild ayant pris son fils Erménégild qui avait épousé la' soeur de Childebert, l'avait fait renfermer, et sa femme était demeurée entre les mains des Grecs. Cet envoyé étant donc arrivé à Tours le saint jour de Pâques, nous lui demandâmes s'il était de notre religion ; il répondit qu'il croyait ce que croient les catholiques, et venant avec nous à la cathédrale, assista aux cérémonies de la messe ; mais il ne reçut point de nous la paix et ne participa point au sacrifice. Nous reconnûmes par là qu'il avait fait un mensonge en se disant catholique ; néanmoins je l'invitai à ma table, et lui ayant demandé ce qu'il croyait, il répondit : Je crois le Père, le Fils et le Saint-Esprit unis dans une même puissance. Je lui dis : Si tu crois ce que tu affirmes, quel motif t'a donc empêché de participer au sacrifice que nous avons offert à Dieu ? Et il me dit : Parce que vous ne répondez pas comme vous le devez au gloria, car nous disons, d'après l'apôtre Paul : Gloire à Dieu le Père par le Fils ; et vous dites, Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit ; et de même que les docteurs de l'Église enseignent que le Père a été annoncé dans ce monde par son Fils, Paul dit : Au Roi des siècles, immortel, invisible, à l'unique Dieu soit honneur et gloire dans les siècles des siècles ! Et je lui répondis : Il n'y a pas un catholique, je pense, qui ne sache que le Père a été annoncé par son Fils, mais en même temps qu'il a annoncé son Père sur la terre, il a attesté sa propre divinité par ses miracles. Il a fallu que Dieu le Père envoyât son Fils en ce monde pour lui montrer Dieu en personne, afin que les hommes qui avaient refusé de croire aux patriarches, aux prophètes et à leurs législateurs, crussent au moins à son Fils. Il est donc nécessaire de rendre gloire à Dieu sous le nom des trois personnes, c'est pourquoi nous disons : Gloire à Dieu le Père qui a envoyé son Fils, gloire à Dieu le Fils qui a racheté le monde de son sang, gloire à Dieu le Saint-Esprit qui sanctifie l'homme racheté. Mais toi qui dis : Gloire au Père par le Fils ! tu enlèves au Fils sa gloire, comme s'il ne partageait pas la gloire de son Père parce qu'il a annoncé son Père au monde. Le Fils, comme nous l'avons dit, a annoncé son Père au monde, mais beaucoup ne l'ont pas cru, selon les paroles de saint Jean l'Évangéliste : Il est venu chez soi, et les siens ne l'ont point reçu ; mais il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom. Et toi qui décries l'apôtre Paul, et n'entends pas ses paroles, remarque comme il a parlé prudemment et selon ce que chacun était en état d'entendre. Remarque comme il a prêché parmi les incrédules sans paraître leur imposer aucun fardeau trop difficile à porter, tellement qu'il dit à quelques-uns : Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas capables, et à présent même vous ne l'êtes pas encore. La nourriture solide est pour les parfaits. Et il dit à d'autres : Je n'ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Maintenant veux-tu, ô hérétique, parce que Paul n'a prêché que le Christ crucifié, douter de sa résurrection ? Fais plutôt attention à sa prudence, et vois avec quelle adresse il dit à d'autres plus robustes dans leur foi : si nous avons connu. Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. Nie donc, accusateur de Paul, si ton esprit est capable d'une telle folie, que le Christ ait été crucifié ; mais je te le demande, laisse toutes ces choses, écoute de meilleurs conseils, applique un collyre à tes yeux troublés, et reçois la lumière de la prédication apostolique. Car Paul parlait aux hommes selon ce qu'était chacun, d'une manière moins relevée, afin de les élever ensuite au plus haut faîte de la foi ; et comme il dit ailleurs : je me suis fait tout à tous pour les sauver tous, comment un mortel refusera-t-il la gloire au Fils, que le Père lui-même a glorifié du haut du ciel, non pas une fois, mais deux ou trois fois ? Écoute comme il a parlé du haut des cieux, lorsque le Saint-Esprit descendit sur la tête du Fils, baptisé de la main de Jean : celui-ci est, dit-il, mon fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection. Certainement, si tu as les oreilles assez bouchées pour ne pas entendre cela, tu dois croire du moins ce qu'entendirent les apôtres sur la montagne, lorsque Jésus, transfiguré dans sa gloire, parlait avec Moise et Élie, du haut d'une nuée resplendissante, le Père dit : voici mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis toute mon affection, écoutez-le. L'hérétique répondit à cela : le Père en ceci ne rend nullement témoignage à la gloire du Fils ; il le désigne seulement pour son fils. Et moi je lui dis : Si tu prends les choses de cette manière, je te fournirai un autre témoignage par lequel le Père a glorifié son Fils. Au moment de la Passion de notre Seigneur, lorsqu'il dit : Mon Père glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifié ; qu'est-ce que le père lui a répondu du haut du ciel ? Ne lui a-t-il pas dit : Je l'ai déjà glorifié, et je le glorifierai encore ? Voilà donc que la propre voix du père le glorifie, et toi tu t'efforces de lui enlever sa gloire. Mais ton pouvoir ne répond pas à la volonté que tu montres. Et toi qui te portes accusateur de l'apôtre Paul, écoute-le lorsque Jésus-Christ parle par sa bouche : Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père. Maintenant, s'il participe à la gloire de son Père, s'il habite dans la gloire avec son Père, comment se fait-il que tu veuilles le déshonorer en le privant de sa gloire ? Et comment ne rendra-t-on pas gloire parmi les hommes à celui qui règne dans les cieux, avec une gloire égale à celle de son Père ? Confessons donc le Christ Fils de Dieu pour le vrai Dieu, et reconnaissons que puisqu'ils n'ont qu'une seule divinité, ils n'ont qu'une seule et même gloire. Après cela, je me tus et terminai la discussion. L'envoyé se rendit vers le roi Chilpéric, et après lui avoir offert les présents que lui envoyait le roi d'Espagne, il retourna dans son pays.
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41. Quod Chilpericus rex cum thesauris suis in Camaracense abiit.
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Conperto autem Chilpericus rex, quod Gunthchramnus, frater eius, cum Childebertho, nepote suo, pacem fecerat et civitates, quas violenter invaserat, ei simul vellent auferre, cum omnibus thesauris suis in Camaracense urbe discessit et omnia quae melius habere potuerat secum tulit. Misitque ad duces et comites civitatum nuntius, ut murus conponerent urbium resque suas cum uxoribus et filiis infra murorum monimenta concluderent atque ipsi, si necessitas exigerit, repugnarent viriliter, ne his pars adversa nocerit, illud addens: 'Et si aliquid perdideritis, cum de inimicis ulciscimur, maiora conquiretis', nesciens, patrationem victuriarum in manu Dei consistere. Deinde sepius exercitu commovit et iterum infra terminum requiescere iobet. His diebus ei filius natus fuerat, quem in villa Victuriacense nutrire praecepit, dicens: 'Ne forte, dum publice videtur, aliquid male incurrat et moriatur!'
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Le roi Chilpéric ayant appris que son frère Gontran avait fait la paix avec Childebert son neveu, et qu'ils voulaient se réunir pour lui reprendre les villes qu'il leur avait enlevées de force, se réfugia avec tous ses trésors dans la ville de Cambrai et y emporta avec lui tout ce qu'il avait de meilleur. Il envoya des messagers aux ducs et comtes des cités, pour les engager à réparer les murs des villes, à renfermer leurs effets ainsi que leurs femmes et leurs filles sous l'abri des remparts, et à se défendre courageusement si la nécessité l'exigeait, de manière à ce que l'ennemi ne pût leur faire de mal. Il ajoutait : Et si vous perdez quelque chose, lorsque nous reviendrons à prendre vengeance de nos ennemis, vous en reprendrez davantage. Mais il ne savait pas que la victoire est dans la main de Dieu. A plusieurs fois ensuite, il mit son armée en marche, puis il lui ordonna de se tenir en repos dans ses frontières. Dans ces jours-là il lui était né un fils qu'il fit nourrir dans sa maison de Vitry, de peur, dit-il, que s'il était vu en public, il ne lui arrivât quelque mal et qu'il ne mourût.
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42. Quod Childeberthus in Italia abiit.
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Childeberthus vero rex in Italia abiit. Quod cum audissent Langobardi, timentis, ne ab eius exercitu caederintur, subdedirunt se dicioni eius, multa ei dantes munera ac promittentes se parte eius esse fidelis atque subiectus. Patratisque cum his omnibus quae voluit, rex in Galliis est regressus atque exercitu commovere praecepit, quem in Hispania dirige iussit; sed quievit. Ab imperatore autem Mauricio ante hos annos quinquaginta milia soledorum acceperat, ut Langobardus de Italia extruderit. Audito autem imperator, quod cum his in pace coniunctus est, pecuniam repetibat; sed hic fidus a solatiis nec responsum quidem pro hac re voluit reddere.
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Le roi Childebert alla en Italie, ce qu'apprenant les Lombards, et craignant d'être défaits par son armée, ils se soumirent à sa domination, lui firent beaucoup de présents, et promirent de lui demeurer fidèles et soumis. Le roi ayant obtenu d'eux ce qu'il désirait retourna dans les Gaules, et ordonna de mettre en mouvement une armée qu'il fit marcher en Espagne. Cependant il s'arrêta. L'empereur Maurice lui avait donné, l'année précédente, cinquante mille sols d'or pour chasser les Lombards de l'Italie. Ayant appris qu'il avait fait la paix avec eux, il redemanda son argent, mais le roi, se confiant en ses forces, ne voulut seulement pas lui répondre là dessus.
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43. De Galliciensibus regibus.
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In Gallitia quoque novae res actae sunt, quae de superius memorabuntur. Igitur cum Herminichildus, sicut supra diximus, patri infensus esset et in civitate quadam Hispaniae cum coniuge resediret, de imperatoris solatio fretus atque Mironis Galliciensis regis, patrem ad se cum exercitum venire cognovit consiliumque iniit, qualiter venientem aut repelleret aut negaret, nesciens miser , iudicium sibi inminere divinum, qui contra genitorem, quamlibet hereticum, talia cogitaret. Habitu ergo tractatu, de multis virorum milibus trecentos veros elegit armatus et infra castrum Osser, in cuius eclesia fontes divinitus conplentur, includit, ut scilicet primo impetu ab his pater territus ac lassatus, facilius ab inferiore manu, quae erat plurima, vinceretur. Denique his dolis Leuvichildus rex cognitis, cogitatione maxima fatigatur. 'Si', inquid, 'illuc cum omni exercitu abiero, conglobatis in unum exercitus adversorum iaculis crudilissime sauciatur. Se vero cum paucis vadam, virorum fortium manum nequeo superare. Tamen cum omnibus ibo'. Et accedens ad locum, viros proteruit castrumque conbusit, sicut iam superius memoratum est. Patrata quoque victuria, cognovit, Mironem regem contra se cum exercitu resedere. Quo circumdato, sacramenta exigit, sibi in posterum fore fedilem. Et sic, datis sibi invicem muneribus, unusquisque ad propria est regressus. Sed Miro postquam in patria rediit, non multos post dies conversus ad lectulum, obiit. Infirmatus enim ab aquis Hispaniae fuerat malis aeribusque incommodis. Quo defuncto, filius eius Eurichus Leuvichildi regis amicitias expetiit, dataque, ut pater fecerat, sacramenta, regnum Galliciensim suscepit. Hoc vero anno cognatus eius Audica, qui sororem illius disponsatam habebat, cum exercitu venit; adpraehensumque clericum facit ac diaconatus sibi praesbiterii ei inponi honorem iobet. Ipse quoque acceptam soceri sui uxorem, Galliciensim regnum obtenuit. Leuvichildus vero filium suum Herminichildum coepit et sicum usque Toletum adduxit, condemnans eum exilio; uxorem tamen eius a Grecis erepere non potuit.
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Il se passa en Galice de nouveaux mouvements dont nous allons rendre compte. Erménégild ayant encouru, comme nous l'avons dit, la colère de son père, demeurait avec sa femme dans une ville d'Espagne, comptant sur le secours de l'empereur, et de Miron roi de Galice. Ayant appris que son père venait vers lui avec une armée, il chercha de quelle manière il devait s'y prendre pour le repousser et le tuer, ne sachant pas, le malheureux, que le jugement de Dieu menace celui qui médite de telles choses contre son père, fût-il hérétique. Après y avoir bien pensé, parmi les nombreux milliers d'hommes qui l'accompagnaient , il choisit trois cents hommes d'armes qu'il renferma dans le château d'Osser, dont l'église contient des fontaines qui se remplissent par l'ordre spécial de Dieu. Son projet était de lasser et de rompre ainsi la première impétuosité de son père, afin de le vaincre ensuite plus facilement avec des troupes de moindre valeur, mais plus nombreuses. Le roi Leuvigild connaissant sa ruse se fatiguait la tête à délibérer disant : Si je vais contre lui avec toute mon armée réunie eu un seul corps, elle sera cruellement accablée des traits de l'ennemi ; si je n'y vais qu'avec un petit nombre de soldats, je ne pourrai vaincre cette troupe d'hommes vaillants : ainsi donc j'irai avec tous. " Et, marchant vers le lieu où étaient réunis ces vaillants hommes, il les défit, et brûla le château, comme on l'a déjà raconté. Cette victoire obtenue, il apprit que le roi Miron venait contre lui à la tête d'une armée ; l'ayant environné, il exigea de lui le serment de lui être fidèle à l'avenir. Ils se firent des présents mutuels, après quoi chacun retourna chez soi. Mais Miron retourné dans son pays, se mit au lit peu de jours après, et mourut. Sa maladie était venue des mauvaises eaux et de l'insalubrité de l'air de l'Espagne. Après sa mort son fils Euric sollicita l'amitié du roi Leuvigild, et lui ayant, comme son père, prêté serment, régna sur le royaume de Galice. Mais, dans l'année, son beau-frère Audica, qui était fiancé à sa' soeur, vint avec une armée, le prit, le fit clerc et ordonna qu'on lui imposât les honneurs du diaconat ou de la prêtrise. Puis, ayant pris pour femme la veuve de son père, il obtint le royaume de Galice. Leuvigild prit son fils Erménégild et l'emmena avec lui à Tolède, puis le condamna à l'exil, mais il ne put tirer sa femme des mains des Grecs.
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44. De diversis signis.
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Locustae quoque de Carpitania provintia, quam per quinque vastaverant annos, hoc anno progressae ageremque publicum tenentes, ad aliam se provinciam, quae huic vicina erat provinciae, contulerunt. Quarum spatium in centum quinquaginta extenditur milibus longitudo, latitudo vero in centum milibus terminatur. Hoc anno multa prodigia apparuerunt in Galliis, vastationisque multae fuerunt in populo. Nam mense Ianuario rosae visae sunt; circa solem quoque circulus magnus apparuit, diversis coloribus mixtus, ut solet in illo caelestis iris ambitu, pluvia discendente, monstrari. Proina graviter vineas exussit; tempestas etiam subsecuta vineas segetesque per plurima loca vastavit; residuum quoque grandinis siccitas inmensa consumpsit, exiguusque fructus in aliquibus viniis visus, in aliis vero nullus, ita ut irati contra Deum homines, patifactis aditibus viniarum, pecora vel iumenta intromitterent, noxias sibi immixcentes miseri praeces atque dicentes: 'Numquam in his viniis palmis nascatur in sempeternum!' Arboris vero, quae mense Iulio poma protulerant, mense Septembre fructus alios ediderunt. Morbus pecorum iteratis invaluit, ita ut vix quicquam remaneret.
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Les sauterelles qui depuis cinq ans ravageaient la province de la Manche, passèrent, cette année, en suivant la grande route, dans une autre province voisine de celle-ci. Elles couvraient en longueur un espace de cent cinquante milles, et celui de cent milles en largeur. Cette année parurent dans les Gaules beaucoup de prodiges, et les peuples éprouvèrent de grandes calamités. On vit des roses au mois de janvier, et il parut autour du soleil un grand cercle mêlé de diverses couleurs, semblables à celles que déploie l'arc-en-ciel après la pluie. Une cruelle gelée brûla les vignes, une tempête vint ensuite en divers lieux ravager les vignes et les moissons, et ce qui restait fut consumé par une épouvantable sécheresse. On vit sur quelques vignes un petit nombre de fruits maigres, sur quelques autres point du tout. Si bien que les hommes irrités contre Dieu ouvrirent les entrées des vignes et y introduisirent les brebis et les chevaux, entremêlant de prières, les malheureux, le soin qu'ils prenaient de se nuire à eux-mêmes, et disant : Que jamais durant l'éternité des siècles, ces vignes ne produisent plus de sarments. Les arbres qui avaient donné des fruits au mois de juillet, en donnèrent d'autres au mois de septembre. La maladie revint attaquer les bestiaux avec une nouvelle violence, si bien qu'à peine en demeura-t-il quelques-uns.
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45. De nuptiis Rigunthae, filiae Chilperici.
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Interim advenientibus Kalendis Septembribus, Gothorum magna legatio ad regem Chilpericum accedit. Ipse vero iam regressus Parisius, familias multas de domibus fiscalibus auferre praecepit et in plaustris conponi; multus quoque flentes et nolentes abire in custodia retrudi iussit, ut eos facilius cum filia transmittere possit. Nam ferunt, multos sibi ob hanc amaritudinem vitam laqueo extorsisse, dum de parentibus propriis auferre metuebant. Separabatur autem filius a patre, mater a filia, et cum gravi gemitu ac maledictionibus discedebant; tantusque planctus in urbe Parisiaca erat, ut plancto conpararetur Aegyptio. Multi vero meliores natu, qui vi conpellebantur abire, testamenta condiderunt, resque suas eclesiis depotantes atque petentes, ut, cum in Hispaniis puella introisset, statim testamenta illa, tamquam si iam essent sepulti, reserarentur. Interea legati regis Childeberthi Parisius advenerunt, contestantes Chilperico rege, ut nihil de civitatibus, quas de regno patris sui tenebat, auferret aut de thesauris eius in aliquo filiam muneraret ac non mancipia, non equites, non iuga bovum neque aliquid huiuscemodi de his auderet adtingere. De quibus legatis unum ferunt clam interemptum, sed nescitur a quo; suspicio tamen vertebatur ad regem. Promittens vero Chilpericus rex nihil de his contingere, convocatis melioribus Francis reliquisque fidelibus, nuptias celebravit filiae suae. Traditamque legatis Gothorum, magnus ei thesaurus dedit. Sed et mater eius inmensum pondus auri argentique sive vestimentorum protulit, ita ut videns haec rex nihil sibi remansisse potaret. Quem cernens regina commotum, conversa ad Francus, ita ait: 'Ne potitis, viri, quicquam hic de thesauris anteriorum regum habere; omnia enim quae cernetis de mea proprietate oblata sunt, quia mihi gloriosissimus rex multa largitus est, et ego nonnulla de proprio congregavi labore et de domibus mihi concessis tam de fructibus quam tributis plurima reparavi. Sed et vos plerumque me muneribus vestris ditastis, de quibus sunt ista quae nunc coram videtis; nam hic de thesauris publicis nihil habetur'. Et sic animus regis dilusus est. Nam tanta fuit multitudo rerum, ut aurum argentumque vel reliqua ornamenta quinquaginta plaustra levarent. Franci vero multa munera obtulerunt, alii aurum, alii argentum, nonnulli equites, plerique vestimenta, et unusquisque ut potuit donativum dedit. Iam vero vale faciens puella post lacrimas et oscola, cum de porta egrederetur, uno carrucae effracto axe, omnes 'Mala hora' dixerunt; quod a quibusdam pro auspicio susceptum est. Denique haec de Parisius progressa, octavo ab urbe miliario tenturia figi praecepit. Surgentes enim quinquaginta viri de nocte, adpraehensis centum equitibus optimis totidemque frenis aureis ac duobus catenis magnis, ad Childeberthum regem fuga dilapsi abierunt. Sed et per totum iter cum labi quis potuisset, effugiebat, ferens secum quae arripere potuisset. Apparatus quoque magnus expense de diversis civitatibus in itenere congregatus est; in quo nihil de fisco suo rex dare praecepit, nisi omnia de pauperum coniectures. Sed quoniam suspicio erat regi, ne frater aut nepus aliquas insidias puellae in via pararent, vallatam ab exercitu pergere iussit. Erant autem cum ea viri magnifici Bobo dux, filius Mummolini, cum uxore, quasi paranymphus, Domigysilus et Ansovaldus, maior domus autem Waddo, qui olim Sanctonicum rexerat comitatum; reliquum vero vulgus super quattuor milia erat. Ceteri autem duces et camararii, qui cum ea properaverant, de Pectavo regressi sunt; isti vero iter conficientes, pergebant ut poterant. Per quam via tanta spolia tantaequae praedae factae sunt, ut vix valeant enarrare. Nam hospiciola pauperum spoliabant, vineas devastabant, ita ut incisis codicibus cum uvis auferrent, levantes pecora vel quicquid invenire potuissent, nihil per viam quam gradiebantur relinquentes; impletumque est quod dictum est per Iohel propheta: Residuum locustae comedit erugae, et residuum erucae comedit brucus, et residuum bruci comedit rubigo. Ita et hoc actum est tempore, ut residuum proinae proteriret tempestas et residuum tempestatis exuriret siccitas et residuum siccitatis auferret hostilitas.
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A l'approche du mois de septembre, il arriva au roi Chilpéric une grande ambassade des Goths. Retourné à Paris, il ordonna de prendre un grand nombre de serviteurs appartenant aux maisons royales, et de les mettre dans des chariots ; comme plusieurs pleuraient et ne voulaient pas s'en aller, il les fit tenir prisonniers pour pouvoir plus facilement les obliger de partir avec sa fille. On dit que plusieurs, craignant de se voir enlevés ainsi à leurs parents, de douleur s'arrachèrent la vie au moyen d'un lacs. Le fils était séparé du père, la mère de la fille, et ils s'en allaient avec de profonds gémissements et de grandes malédictions ; on entendait tant de pleurs dans la ville de Paris qu'on les a comparés aux pleurs de l'Égypte. Plusieurs personnes des meilleures familles, contraintes de s'en aller ainsi, firent leur testament, donnèrent leurs biens aux églises, et demandèrent qu'au moment où la fille de Chilpéric entrerait en Espagne, on ouvrît ces testaments, comme si elles étaient déjà dans le tombeau. Cependant il vint à Paris des envoyés du roi Childebert pour avertir le roi Chilpéric de ne donner à sa fille aucune des villes qu'il tenait du royaume du père de Childebert, ni aucune partie de ses trésors, et de ne pas se permettre de toucher aux esclaves, aux chevaux, aux jougs de boeufs, ni à rien de ce qui appartenait à ces propriétés. Un de ces envoyés fut, dit-on, tué secrètement, mais je ne sais par qui. Cependant les soupçons se portèrent sur le roi Chilpéric, ayant promis de ne toucher à aucune de ces choses, convoqua les principaux Francs et ses autres fidèles, et célébra les noces de sa fille. Elle fut remise aux envoyés des Goths, et il lui donna de grands trésors ; mais sa mère y ajouta une telle quantité d'or et d'argent ou de vêtements, que le roi, voyant cela, crut qu'il ne lui restait plus rien. La reine, s'apercevant de son mécontentement, se tourna vers les Francs, et dit : Ne croyez pas, ô Francs, qu'il y ait rien là des trésors des rois précédents. Tout ce que vous voyez est tiré de mes propriétés, car le roi très glorieux a été très libéral envers moi, et j'ai amassé beaucoup de choses par mon labeur, et beaucoup d'autres viennent de ce que j'ai recueilli tant sur les fruits que sur les tributs des maisons qui m'ont été concédées. Vous m'avez fait aussi beaucoup de présents, desquels j'ai composé ce que vous voyez devant vous, car il n'y a rien là des trésors publics. Et ainsi elle trompa l'esprit du roi. Il y avait une telle immensité de choses que, tant en or qu'en argent, et autres choses précieuses, on emmena cinquante chariots. Les Francs apportèrent aussi beaucoup de présents ; les uns de l'or, les autres de l'argent, quelques-uns des chevaux, plusieurs des vêtements ; chacun donna ce qu'il put. La jeune fille ayant dit adieu avec beaucoup de larmes et d'embrassements, lorsqu'elle sortait de la porte, l'essieu d'une des voitures cassa ; tous se dirent alors à la malheure, ce que quelques-uns prirent pour un augure. Étant ensuite partie de Paris, elle ordonna de dresser ses tentes à huit milles de la ville. Durant la nuit, cinquante hommes de sa suite se levèrent, prirent les cent meilleurs chevaux, tous les freins d'or, deux grandes chaînes, et s'enfuirent vers le roi Childebert. Durant tout le chemin, tous ceux qui pouvaient s'échapper prenaient la fuite, emportant avec eux tout ce qu'il leur était possible d'attraper. On reçut aussi durant la route ce cortège avec un grand appareil, aux dépens des diverses cités. Le roi avait ordonné que là dessus on ne payât rien de son fisc ; tout fut fourni par une contribution extraordinaire des pauvres gens. Comme le roi craignait que son frère ou son neveu ne tendissent en route quelque embûche à sa fille, il avait ordonné qu'elle marchât environnée d'une armée. Avec elle étaient des hommes du premier rang, le duc Bobon, fils de Mummolène, avec sa femme, pour lui servir de paranynphe ; Domégesile, Ansevald, le maire du palais Waddon, autrefois comte de Saintes, le reste de la troupe, composé d'hommes du commun était au nombre de plus de quatre mille. Les autres chefs et camériers qui, voyageaient avec elle la quittèrent à Poitiers. Ses compagnons de route allaient tant qu'ils pouvaient, et ils firent en chemin tant de butin, se livrèrent à tant de pillages qu'on pourrait à grand'peine le raconter. Ils dépouillaient les cabanes des pauvres , ravageaient les vignes, emportaient les sarments avec les raisin, enlevaient les troupeaux en tout ce qu'ils pouvaient trouver, et ne laissaient rien dans les lieu qu'ils traversaient, accomplissant ce qui a été dit par le prophète Joël : La sauterelle a mangé les restes de la chenille, le ver les restes de la sauterelle , et la nielle les restes du ver. Ce fût ainsi que les choses se passèrent alors. Les restes de la gelée furent détruits par les tempêtes, le reste des tempêtes fut brûlé par la sécheresse ; et ce qu'avait laissé la sécheresse enlevé par les gens de guerre.
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46. De interitu Chilperici regis.
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His itaque cum haec praeda pergentibus, Chilpericus, Nero nostri temporis et Herodis, ad villam Calensim, quae distat ab urbe Parisiaca quasi centum stadiis, accedit ibique venationes exercit. Quadam vero die regressus de venatione iam sub obscura nocte, dum de equo susceperitur et unam manu super scapulam pueri reteniret, adveniens quidam eum cultro percutit sub ascellam iteratoque ictu ventrem eius perforat; statimque profluente cupia sanguinis tam per os quam per aditum vulneris, iniquum fudit spiritum. Quam vero malitiam gesserit, superior lectio docet. Nam regiones plurimas sepius devastavit atque succendit; de quibus nihil doloris, sed letitia magis habebat, sicut quondam Nero, cum inter incendia palatii tragidias decantaret. Persaepe hominis pro facultatibus eorum iniuste punivit. In cuius tempore pauci quodammodo episcopatum clerici meruerunt. Erat enim gulae deditus, cuius deus venter fuit. Nullumque sibi adserebat esse prudentiorem. Conficitque duos libros, quasi Sidulium meditatus, quorum versiculi debilis nullis pedibus subsistere possunt, in quibus, dum non intellegebat, pro longis sillabas breves posuit et pro breves longas statuebat, et alia opuscula vel ymnus sive missas, quae nulla ratione suscipi possunt. Causas pauperum exosas habebat. Sacerdotes Domini assiduae blasphemabat, nec aliunde magis, dum secricius esset, exercebat ridicola vel iocos quam de eclesiarum episcopis. Illum ferebat levem, alium superbum, illum habundantem, istum luxoriosum; illum adserebat elatum, hunc tumidum, nullum plus odio quam eclesias habens. Aiebat enim plerumque: 'Ecce pauper remansit fiscus noster, ecce divitiae nostrae ad eclesias sunt translatae; nulli penitus nisi soli episcopi regnant; periet honor noster et translatus est ad episcopus civitatum'. Haec agens, adsiduae testamenta, quae in eclesias conscripta erant, plerumque disrupit, ipsasque patris sui praeceptiones, potans, quod non remanerit qui voluntatem eius servaret, saepe calcavit. Iam de libidine atque luxoria non potest repperire in cogitatione, quod non perpetrasset in opere, novaquae semper ad ledendum populum ingenia perquaerebat; nam, si quos hoc tempore culpabilis repperisset, oculos eis iobebat erui. Et in praeceptionibus, quas ad iudicis pro suis utilitatibus dirigebat, haec addebat : 'Si quis praecepta nostra contempserit, oculorum avulsione multetur'. Nullum umquam pure dilexit, a nullo dilectus est, ideoque, cum spiritum exalasset, omnes eum reliquerunt sui. Mallulfus autem Silvanectensis episcopus, qui iam tertia die in tenturio resedebat et ipsum videre non poterat, ut eum interemptum audivit, advenit; ablutumque vestimentis melioribus induit, noctem in hymnis deductam, in nave levavit et in basilica sancti Vincenti, quae est Parisius, sepelivit, Fredegunde regina in ecclesia derelicta.
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Tandis que ceux-ci continuaient leur route avec leur butin, Chilpéric, le Néron, l'Hérode de notre temps, se rendit à sa maison de Chelles, éloignée de la ville de Paris d'environ soixante stades. Là, il se livrait à l'exercice de la chasse ; mais un jour qu'il revenait de chasser, et qu'il faisait déjà nuit, comme il descendait de cheval, s'appuyant d'une main sur l'épaule d'un de ses serviteurs, un homme s'approcha, le frappa d'un couteau sous l'aisselle, et, réitérant son coup, lui perça le ventre : aussitôt, rendant le sang en abondance, tant par la bouche que par ses blessures, il rendit son âme inique. On a vu, par ce qui précède, tout le mal qu'il avait fait, et qu'il brûla et dévasta souvent plusieurs contrées, sans en ressentir aucune douleur, mais plutôt une grande joie ; semblable à Néron, lorsque autrefois il chantait des tragédies au milieu de l'incendie des palais. Souvent il punit injustement des hommes pour avoir leur bien. Peu de clercs, de son temps, parvinrent à l'épiscopat. Il était adonné à sa bouche, et faisait son Dieu de son ventre, affirmant qu'il n'y avait pas d'homme plus sage que lui. Il a fait deux livres de vers, prétendant imiter Sédule ; mais ces vers ne peuvent se soutenir sur leurs faibles pieds, et faute de s'y entendre, il y a mis des syllabes brèves à la place des longues, et des longues où il faudrait des brèves. Il a fait d'autres opuscules, comme des hymnes et des messes qu'on ne peut admettre en aucune manière. Il était l'ennemi des intérêts des pauvres, et blasphémait assidûment contre les prêtres du Seigneur. Les évêques des églises étaient, lorsqu'il se trouvait en particulier, le principal sujet de ses dérisions et de ses plaisanteries : il appelait celui-ci inconséquent, cet autre orgueilleux, celui-là verbeux, tel autre luxurieux ; il disait : celui-ci est rempli de vanité, cet autre bouffi d'arrogance, car rien ne lui était plus odieux que l'Église ; il disait souvent : Voilà que notre fisc demeure pauvre, que nos richesses sont transférées aux églises ; personne ne règne, si ce n'est les évêques ; notre dignité périt, et est transportée aux évêques des cités. Et parlant ainsi, il violait sans cesse les testaments souscrits au profit des églises, et foulait souvent aux pieds jusqu'aux ordres de son père, pensant qu'il ne restait personne pour l'obliger d'accomplir ses volontés. L'imagination ne peut fournir aucune sorte de débauche et de luxure qu'il n'accomplît en réalité. Il cherchait sans cesse de nouveaux moyens de léser le peuple ; aux gens qu'il trouvait coupables, il faisait arracher les yeux ; et dans les ordres qu'il envoyait aux juges pour ses affaires, il ajoutait : Si quelqu'un méprise nos commandements, qu'il soit condamné à avoir les yeux arrachés. Comme il n'aimait véritablement personne, personne ne l'aimait, et dés qu'il eut rendu l'esprit, tous les siens l'abandonnèrent. Mallulphe, évêque de Senlis, qui avait déjà passé trois jours sous la tente, sans pouvoir parvenir à le voir, ayant appris sa mort, vint laver son corps, le couvrit des meilleurs vêtements, et ayant passé la nuit à chanter des hymnes, le mit sur une barque, et, alla l'ensevelir à Paris dans la basilique de Saint-Vincent, laissant la reine Frédégonde dans la cathédrale de cette cité.
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Sources: Julien Quiret pour l'Arbre Celtique
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