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Vous êtes dans Encyclopédie de l'Arbre Celtique > Celtes en Italie (Gaule Cisalpine) / expédition contre Rome [-390 / -386] / prise de Rome [-390 / -387]
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Encyclopédie Celtique

La prise de Rome [-390 / -387]

La prise de Rome (entre 390 et 387 av. J.-C.)

Immédiatement après la victoire gauloise remportée sur les bords de l'Allia, un vent de panique s'empara des Romains. Les restes de leur armée, d'abord éparpillés en toutes directions, trouvèrent refuge à Veii (Isola Farnese, Rome), laissant Rome sans défense. Après avoir pris le temps de piller le camp romain, de prélever la tête des morts et de fêter leur victoire, ignorant que Rome se trouvaient dés lors sans défense, les Gaulois stationnèrent un temps entre cette ville et l'Anio, perdant ainsi un temps précieux (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XX ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 39).

Des Romains se réfugient au Capitole et à la citadelle, les autres fuient la ville

L'arrivée d'éclaireurs gaulois aux pieds des remparts de Rome, fit craindre aux Romains l'imminence de la prise de la ville par l'armée gauloise. Les débris de l'armée romaine ayant fui à Veii, les habitants de Rome comprirent rapidement qu'il leur serait impossible de défendre à eux-seuls l'enceinte de la ville. Face à cette situation désespérée, plusieurs décisions furent prises de manière à ce que la cité puisse survivre à la dévastation :

Seules deux positions furent défendues ; le Capitole et la colline de l'Arx (la "citadelle"), deux mamelons d'une éminence étroite et aisée à fortifier. Des vivres et des armes y furent amassés, et y furent retranchés les femmes, enfants, les personnes aptes à porter les armes et les sénateurs, soit au total 1000 personnes (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115 ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XX ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 39-40).

Les retranchements des défenseurs du Capitole et de la citadelle étaient étroits et les vivres peu importants. Les vieillards qui ne purent quitter la ville furent abandonnés à leur sort. Afin que cette situation cruelle ne découragea par les défenseurs du Capitole, ni les plébéiens prenant la fuite, les anciens magistrats curules, les vieux consulaires et vieux triomphateurs déclarèrent vouloir partager leur sort. Revêtus de vêtements d'apparat ou de tenues sacrées, ils se vouèrent en sacrifice au Forum, ou assis assis sous le vestibule de leur maison (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115 ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXI ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 39-41).

La plèbe, inapte au combat franchit le Tibre pour gagner la colline du Janicule, depuis laquelle elle se répandit dans les campagnes et les villes voisines de l'ouest de Rome, principalement la cité étrusque de Caere (Cerveteri, Latium), sous la conduite du tribun de la plèbe Lucius Albinus (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXI ; Strabon, Géographie, V, 2, 3 ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 40).

Le flamine de Quirinus et les vestales tentèrent par tous les moyens de dissimuler les objets du culte public, notamment dans deux grands tonneaux, sous le temple de Quirinus. Ce qui ne pouvait pas être caché, et notamment le feu sacré, fut emporté par les vestales à Caere, avec le cortège du tribun de la plèbe Lucius Albinus (Festus Grammaticus, De la signification des mots, III ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXI ; Strabon, Géographie, V, 2, 3 ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 39-40).

Les Gaulois entrent dans Rome et saccagent la ville

Après trois jours de pillages, de festivités et d'hésitations, les troupes de Brennus entrèrent dans Rome, sans défense, par la porte Colline. Les troupes gauloises se répandirent dans la ville. Après avoir sécurisé les environs du Capitole avec un corps de troupes, ils s'avancèrent à travers les rues désertes et gagnèrent le Forum, pillant sur leur route les maisons laissées à l'abandon. Les maisons des plébéiens avaient leurs portes fermées, tandis que celles des patriciens avaient été laissées ouvertes, et sous le vestibule de celles-ci étaient assis les anciens magistrats curules. Les Gaulois demeurèrent immobiles en voyant ces vieillards revêtus de leurs tenues sacrées, qui semblaient ne ressentir aucune crainte en leur présence. Un Gaulois interrompit ce moment singulier en touchant à la longue barbe du consulaire Marcus ou Manius Papirius (1), qui en réponse, frappa la tête du Gaulois avec son scipio (bâton d'ivoire). Blessé, le Gaulois sortit alors son épée et châtia le vieillard insolent. Cet incident donna le signal d'un vaste massacre. Les vieillards et les personnes restées dans Rome furent pourchassées et tuées, tandis que la ville fut pillée de fond en comble pendant plusieurs jours, avant d'être incendiée. Vainement, les Gaulois crurent que les Romains quitteraient leurs retranchements pour protéger leurs bien, mais il n'en fut rien (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115 ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXII ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 42).

Le siège du Capitole et de la citadelle

Pendant que la ville était en proie aux massacres, aux pillages et aux destructions, les Romains réfugiés derrière leurs retranchements du Capitole et de la citadelle tenaient bon. Les Gaulois formèrent une tortue et lancèrent un vaste assaut contre la citadelle, depuis le Forum. Ils furent arrêtés à mi-pente par les défenseurs et finalement repoussés. Les Gaulois renoncèrent donc à attaquer les retranchements romains frontalement et privilégièrent le siège de ce positions, s'exposant ainsi à de nouvelles difficultés. En effet, le pillage et l'incendie ont détruit les réserves de blé que comptaient la ville, tandis que les blés des campagnes environnantes avaient été fauchés et transportés à Veii (Tite-Live, Histoire romaine, V, 43).

Le siège s'éternisant, les ressources venaient à manquer, si bien que les Gaulois scindèrent leur armée en deux corps :

Le premier corps tint Rome et poursuivit le siège du Capitole et de la citadelle. Cette période ne fut marquée par aucun événement notable, sinon l'exploit d'un des défenseurs du Capitole. En effet, le prêtre Gaius Fabius Dorso (2) parvint audacieusement à s'extraire des retranchements romains, puis à franchir les rangs gaulois, pour effectuer le sacrifice annuel dédié à la tribu des Fabii sur le mont Quirinal, avant de reprendre sa place auprès des assiégés (Appien, Celtique, VI ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 46). Cette légende fut certainement construite de manière à rehausser le prestige des Fabii, dont trois membres furent responsables de l'expédition gauloise sur Rome.

Le second corps dut lancer des expéditions en dehors de la ville en vue de piller les environs et approvisionner les troupes (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXIII ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 43). Au cours de leurs expéditions, les Gaulois s'aventurèrent jusqu'à Ardea (Ardée, Latium), où leur imprudence fut durement sanctionnée par les Ardéens, conduits par Marcus Furius Camillus. La victoire des Ardéens fut rapidement communiquée à toutes les cités de la régions, notamment à Veii, où de nombreux Romains avaient trouvé refuge et s'étaient donnés Quintus Caedicius pour commandant. Ces cités députèrent, afin de convaincre Marcus Furius Camillus de prendre le commandement des opérations contre les Gaulois, ce qu'il refusa dans un premier temps (Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragment 59). Celui-ci accepta finalement cette charge qu'à la seule condition que les Romains assiégés au Capitole acceptent de ratifier leur choix, conformément aux lois. La périlleuse mission consistant à rejoindre les assiégés afin qu'ils purent ratifier cette décision fut confiée à Pontius Cominius (3). Il parvint une première fois à franchir les rangs gaulois, pour gravir la pente du Capitole, et une seconde fois pour rapporter la délibération du Sénat, offrant une seconde dictature à Marcus Furius Camillus (Appien, Celtique, IV-V ; Claudius Quadrigarius - cité par Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 2 - ; Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 6-7 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 116 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXIV-XXV ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 46).

Les traces laissées au sol par Pontius Cominius, lors de ses deux passages, furent repérées par les Gaulois, laissant présager de l'existence d'un accès possible au Capitole. Selon d'autres versions, des roches offraient un accès facile au sommet du Capitole, depuis un secteur voisin du temple de Carmentis. Les plus aguerris empruntèrent donc ce même chemin de manière à surprendre les défenseurs du Capitole nuitamment. Ceux-ci parvinrent à grimper jusqu'à la terrasse du Capitole, sans éveiller les soupçons des sentinelles assoupies. Contre toute attente, ce furent les oies sacrées du temple de Junon, épargnées par des assiégés malgré la disette, qui sonnèrent l'alerte. Les Romains, à la tête desquels se trouvait le consulaire Marcus Manlius, parvinrent à repousser l'assaut héroïquement, en précipitant dans le vide les Gaulois ou en les accablant de divers projectiles (Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 7-8 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 116 ; Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragments 60 ; 63 ; Festus Grammaticus, De la signification des mots, XI ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVI-XXVII ; Pseudo-Aurelius Victor, Des hommes illustres de la ville de Rome, XXIV ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 47 ; Virgile, Énéide, VIII, v.652-662). D'après Denys d'Halicarnasse et Tite-Live, les assiégés célébrèrent ce succès de Marcus Manlius, tandis que le tribun militaire Quintus Sulpicius Longus fit mettre à mort l'une des sentinelles ayant manqué de vigilance, en la précipitant du haut de la roche Tarpéienne (4).

Après plus de six mois de siège du Capitole, les Gaulois se trouvaient confrontés à de profondes difficultés. Mis en échec par les défenseurs du Capitole, ils ne parvenaient plus à approvisionner leurs troupes, étaient menacés par les épidémies et incapables de reconnaître les mouvements opérés par les troupes de Marcus Furius Camillus. Les Romains assiégés se trouvant également dans une situation désespérée, du fait de la famine. Le tribun militaire Quintus Sulpicius Longus fut donc dépêché par le Sénat pour parlementer avec Brennus (Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVIII ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 48). Suivant une tradition alternative rapportée par le seul Polybe, ce furent les Gaulois qui furent contraints de négocier une solution rapide à ce conflit, du fait que leur territoire subissait alors les attaques des Vénètes (Histoire générale, II, 18).

Les Gaulois quittent Rome contre le versement d'une rançon

À l'issue de la rencontre entre Quintus Sulpicius Longus (5) et Brennus, il fut convenu que les Gaulois quitteraient Rome et le territoire romain dés la réception d'une rançon s'élevant à mille livres pesant d'or (6) (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 116 ; Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 14 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVIII ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 48 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables, V, 6, 8). Les serments des deux partis prononcés, les Romains apportèrent l'or afin que celui-ci ne soit pesé. Selon Plutarque, les Gaulois cherchèrent à tromper les Romains en utilisant des poids faussés, puis en faisant pression sur la plateau de la balance. Les Romains s'en aperçurent et s'en indignèrent, ce à quoi Brennus répondit, en ajoutant au-dessus des poids son épée et son baudrier, tout en s'exclamant Vae uictis ! "Malheur aux vaincus !" (Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 9 ; Festus Grammaticus, De la signification des mots, XIX ; Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 ; Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVIII ; Tite-Live, Histoire romaine, V, 48).


Notes :

(1) Παπειρίῳ Μανίῳ "Manius Papirius" pour Plutarque, Marcus Papirius pour Tite-Live. Il est fort probable que cet homme n'ait été autre que Marcus Papirius Mugillanus, tribun militaire à pouvoirs consulaires en 418 et 416 av. J.-C., puis consul en 411 av. J.-C.

(2) Dion Cassius mentionne le même homme et le même événement, mais dénomme ce dernier Καίσων Φάβιος "Fabius Caeson" (Histoire romaine, VII, fragment 58).

(3) Appien relate le même événement, mais dénomme ce héros Καιδίκιος "Caedicius" (Celtique, IV-V). L'auteur le confond ici avec Quintus Caedicius, commandant de l'armée romaine à Veii.

(4) Marcus Manlius, alors surnommé Capitolinus en souvenir de son exploit, fut à son tour précipité du haut de la roche Tarpéienne en 384 av. J.-C., pour avoir brigué la monarchie et détourné une partie de l'or gaulois (Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragment 63 ; Festus Grammaticus, De la signification des mots, XIX ; Pseudo-Aurelius Victor, Des hommes illustres de la ville de Rome, XXIV). Cette tragique ironie, faisant du lieu de l'exécution de Marcus Manlius Capitolinus, le lieu-même de son exploit, est régulièrement considéré comme une construction littéraire tardive.

(5) Tite-Live et Plutarque évoquent Quintus Sulpicius Longus, tandis que Festus Grammaticus évoque un certain Appius Claudius (De la signification des mots, XIX).

(6) La livre romaine (libra) valait entre 327 et 325 g selon les estimations. Les Gaulois exigeaient donc une rançon de 327 et 325 kg d'or. Denys d'Halicarnasse évoque quant à lui un poids double, puisqu'il indique que la rançon s'élevait à 25 talents. Un talent (τάλαντον) équivalant à 25,86 kg, les 25 talents mentionnés représentaient un poids de 646,5 kg (Antiquités romaines, XIII, 9). L'explication à ce doublement de la rançon se trouve visiblement dans un passage de Pline (Histoire naturelle, XXXIII, 14) et se rapporte en fait à un épisode ultérieur. Cf. l'article de B. Poulle (2014) consacré au doublement de cette rançon.

Sources textuelles anciennes

Appien, Celtique, IV : "Il (Caedicius) s'engage à passer au milieu des ennemis pour porter une lettre au Capitole."

Appien, Celtique, V : "Caedicius, apportant à Camille le décret du Sénat qui l'investissait du pouvoir consulaire, l'engage à ne pas garder rancune à sa patrie pour le mal qu'on lui a fait. Mais Camille l'arrêtant au milieu de son discours : " Je n'aurais pas, dit-il, prié [les dieux] de me faire regretter des Romains, si j'avais pu m'attendre à ce que telle serait la cause de leurs regrets. Maintenant j'adresse [à ces mêmes dieux] une plus juste prière : - Puissé-je rendre à ma patrie des services aussi grands que le malheur où elle est tombée ! "."

Appien, Celtique, VI : "Les Celtes, n'ayant pu par aucun moyen attaquer la citadelle, se tinrent tranquilles, comptant bien réduire les assiégés par la famine. Sur ces entrefaites, descendait du Capitole un prêtre nommé Dorson qui avait à faire, à ce moment de l'année, un sacrifice dans le temple de Vesta. Il passa avec les objets sacrés au travers des ennemis étonnés par son audace ou remplis de respect par sa piété, son air de majesté sacrée. Et ce prêtre qui, pour accomplir un devoir sacré, avait bravé le danger, dut son salut à ces cérémonies sacrées ; et il en fut ainsi, à ce que dit Cassius de Rome."

Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 2 : "Dans ces deux phrases, le pluriel a de l'élégance. - " Cominius qua ascenderat, descendit atque verba Gallis dedit, (Cominius descendit par où il était monté, et trompa les Gaulois) ". L'auteur dit : " Verba Cominium dedisse Gallis ", que Cominius en imposa aux Gaulois, bien que Cominius ne dît mot à personne. Les Gaulois, qui assiégeaient le Capitole, ne l'avaient vu ni monter ni descendre ; mais ici " verba dedit " est pour " latuit atque obrepsit ", il se déroba à la vigilance et se glissa furtivement."

Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 6 : "Les dieux exaucèrent ses prières : peu après la ville fut prise par les Celtes, à l'exception du Capitole. Les plus illustres citoyens s'étaient réfugiés dans cette citadelle, - le reste de la population, en s'enfuyant, s'était dispersé dans les villes de l'Italie - et ils y étaient assiégés par les Celtes. Alors ceux des Romains qui s'étaient réfugiés dans la ville des Véientans créèrent stratopédarque un certain Caedicius, par lequel Camille, quoique absent, fut proclamé général-dictateur avec plein pouvoir pour faire la guerre et la paix. [Ce même Caedicius], comme chef d'une députation, invita Camille à se réconcilier avec sa patrie, en considérant les malheurs où elle était plongée et qui lui imposaient la nécessité de recourir à celui qu'elle avait offensé. Camille, l'interrompant, lui dit : " Je n'ai pas besoin de cette invitation, Caedicius : moi-même, si vous ne m'aviez prévenu en me demandant de prendre part à vos affaires, j'étais tout prêt, avec cette armée que vous voyez ici présente, à me rendre auprès de vous Mais, vous, dieux et génies, qui avez les yeux ouverts sur la vie des hommes, je vous ai bien de la reconnaissance pour les honneurs que vous m'avez déjà accordés ; quant à l'avenir, je souhaite que mon retour soit bon et heureux pour ma patrie. S'il était possible à un homme de prévoir les événements à venir, je n'aurais jamais souhaité que ma patrie, jetée en de telles infortunes, eût besoin de moi : j'aurais mille fois mieux aimé que ma vie désormais fût misérable et dégradée, plutôt que de voir Rome en butte à la cruauté d'hommes barbares, et n'ayant d'autre espoir de salut qu'en moi ". Après avoir ainsi parlé, il prit avec lui les troupes, et tout à coup s'étant montré aux Celtes, il les mit en fuite ; puis étant tombé sur eux en cette débandade et ce désarroi, il les égorgea comme des moutons."

Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 7 : "Les [Romains] réfugiés dans le Capitole y étaient encore assiégés, quand un jeune homme, envoyé par les Romains de la ville des Véientans à ceux qui étaient dans le Capitole, échappa aux Celtes de garde sur ce point, monta [à la citadelle], et, après avoir dit ce qu'il fallait, s'en retourna à la faveur de la nuit. Le jour venu, un des Celtes, ayant vu ses traces, en parla au roi. Celui-ci convoqua les plus braves [des siens] et leur indiqua l'endroit par où le Romain avait monté ; puis, leur demandant de faire voir la même audace et d'essayer de monter jusqu'à la citadelle, il promit à ceux qui y arriveraient de grandes récompenses. Il s'en offrit un bon nombre, et le roi recommanda aux gardes un profond silence, afin que les Romains, les croyant endormis, se livrassent eux-mêmes au sommeil. Déjà les premiers étaient montés et ils recevaient ceux qui venaient ensuite, afin que, se trouvant plus nombreux, ils pussent égorger les troupes de garde et s'emparer du fort : pas un des hommes ne s'aperçut de rien ; mais des oies sacrées que l'on nourrissait dans le temple de Hêra, criant en même temps et allant au-devant des barbares, dénoncèrent le danger. De là trouble et clameurs ; on accourt de toutes parts ; on appelle aux armes : mais les Celtes déjà plus nombreux s'avançaient à l'intérieur."

Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 8 : "Alors un de ceux qui avaient eu le pouvoir consulaire, Marcus Mallius, ayant saisi ses armes et faisant face aux barbares, voit celui qui était monté le premier prêt à lui porter à la tête un coup d'épée ; il le devance, le frappe au bras et le lui coupe à partir du coude. Et avant que celui qui était à côté ait pu en venir aux mains, de son bouclier qu'il tient droit, il le heurte, le culbute et, une fois qu'il l'a abattu, il l'égorgé : les autres se troublent, et tandis qu'il les force à reculer, il tue les uns et, poursuivant les autres, il les fait rouler sur la pente escarpée du rocher. Pour ce haut fait, Mallius reçut des Romains qui occupaient le Capitole une récompense appropriée aux circonstances, la ration de vin et de blé assignée à chaque homme pour sa nourriture d'un jour. Quant à ceux qui avaient failli à bien garder le lieu par où avaient monté les Celtes, on se demanda ce qu'il leur fallait faire, et le sénat prononça contre eux tous la peine de mort : mais le peuple fut plus clément et se contenta du châtiment de leur chef. Afin de bien faire voir aux barbares sa mort, les mains liées derrière le dos, on le leur jeta du haut du rocher. L'effet de cette punition fut tel qu'il n'y eut plus de négligence chez les hommes de garde ; ils se tinrent désormais bien éveillés toutes les nuits, et les Celtes, renonçant à s'emparer du fort par ruse ou par surprise, entrèrent en pourparlers au sujet de la rançon que les Romains auraient à payer aux barbares pour reprendre leur ville."

Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, XIII, 9 : "Après l'échange des ratifications, les Romains avaient apporté l'or, - 25 talents pesant, - que devaient recevoir les Celtes ; la balance était prête, quand le Celte arriva, apportant un poids trop lourd : puis, comme les Romains se plaignaient de cette injustice, tant s'en fallut qu'il fît une juste pesée, que, ôtant son sabre avec le fourreau et le baudrier, il jeta le tout dans la balance. Au trésorier qui lui demandait ce que cela voulait dire, il répondit en propres termes : " Malheur aux vaincus ! ". Comme on n'avait pu, grâce à la cupidité du Celte, faire le poids convenu, et qu'il s'en fallait du tiers, les Romains se retirèrent, demandant du temps pour ramasser ce qui manquait. Mais tandis qu'ils subissaient cette insolence des Barbares, ils ne savaient pas ce qui se faisait à l'armée et les dispositions prises, comme nous l'avons dit, par Caedicius et Camille."

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 115 : "La plus grande partie de ceux qui avaient échappé à la déroute se sauva dans la ville de Véies, dont ils venaient de s'emparer et qui avait été récemment reconstruite dans une position très forte ; c'est là qu'ils se remirent de leurs fatigues. Un petit nombre de ceux qui étaient parvenus à se sauver à la nage, vinrent, dépouillés de leurs armes, jusqu'à Rome et y apportèrent la nouvelle de la destruction de l'armée. Les habitants qui restaient dans la ville, instruits d'un si grand désastre, furent tous fort alarmés. Car, après la perte de toute la jeunesse, ils se sentaient dans l'impossibilité de résister à l'ennemi ; d'un autre côté, il était très dangereux de fuir avec les femmes et les enfants, l'ennemi étant si proche. Cependant un grand nombre de citoyens se réfugièrent dans les villes du voisinage, emportant avec eux tous les biens de leurs maisons. Mais les chefs de la cité, exhortant la multitude à prendre courage, ordonnèrent de porter promptement dans le Capitole les denrées et toute sorte de provisions. Cet ordre exécuté, la citadelle et le Capitole se remplirent, outre les provisions, d'argent, d'or, de vêtements précieux, en sorte que toutes les richesses de la ville étaient entassées en un seul endroit. Ils employèrent ainsi trois jours aux transports de leurs biens et à la fortification du Capitole. Les Celtes passèrent le premier jour à couper les têtes aux morts, selon la coutume de leur nation, et deux autres jours ils furent occupés à rapprocher leur camp de la ville. Comme ils voyaient les murs déserts et qu'ils entendaient les grands cris poussés par ceux qui transportaient les richesses au Capitole, les ennemis s'imaginèrent que les Romains leur avaient dressé une embuscade. Enfin, lorsque le quatrième jour ils apprirent la vérité, ils enfoncèrent les portes, entrèrent dans la ville et la détruisirent à l'exception de quelques maisons situées sur le mont Palatin. Ils livrèrent ensuite des assauts journaliers aux points fortifiés ; mais ces attaques ne firent aucun mal considérable, tandis qu'ils perdirent beaucoup de monde ; néanmoins ils ne se désistèrent pas de leur entreprise, persuadés que, s'ils ne pouvaient pas emporter la citadelle de force, les Romains seraient vaincus par le temps et le manque de vivres."

Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 116 : "Pendant que les Romains étaient réduits à ces extrémités, les Tyrrhéniens, leurs voisins, envahirent avec une armée compacte le territoire des Romains qu'ils ravagèrent ; ils firent un grand nombre de prisonniers et amassèrent beaucoup de butin. Mais les Romains qui s'étaient réfugiés à Véies tombèrent à l'improviste sur les Tyrrhéniens, les mirent en fuite, leur enlevèrent leur butin et s'emparèrent de leur camp. S'étant ainsi mis en possession d'un grand nombre d'armes, ils les distribuèrent à ceux qui en manquaient et armèrent les troupes tirées de la campagne ; car ils voulaient délivrer ceux qui s'étaient réfugiés dans le Capitole assiégé. Mais ils ne savaient point comment leur faire connaître le secours qu'ils leur apportaient, car les Celtes avaient complètement enveloppé, par leur nombreuse armée, les assiégés, lorsqu'un certain Cominius Pontius s'offrit pour ranimer le courage de ceux qui étaient renfermés dans le Capitole. Il se mit seul en route, profita de la nuit pour traverser le fleuve à la nage et parvint sans être aperçu au pied d'un rocher très escarpé du Capitole. Il réussit à grand'peine à le gravir et annonça aux assiégés le rassemblement qui s'était fait à Véies pour leur porter secours, ainsi que le projet d'attendre le moment favorable pour attaquer les Celtes. Il descendit ensuite du rocher, plongea dans le Tibre qu'il traversa à la nage et revint à Véies. Mais les Celtes, ayant remarqué la trace récente de celui qui avait gravi le rocher, résolurent de profiter de la nuit pour monter à leur tour sur le même rocher. Vers minuit, au moment où les gardes, rassurés par la difficulté de l'accès du Capitole, se relâchèrent de leur vigilance, quelques Celtes parvinrent jusqu'au sommet du rocher. Les gardes ne les avaient point aperçus ; mais les oies sacrées de Junon, nourries dans le Capitole, élevèrent de grands cris à la vue des Celtes qui gravissaient le rocher. Éveillés par ce bruit, tous les postes accoururent sur le point menacé ; mais, saisis de frayeur, ils n'osèrent s'avancer. Cependant Marcus Manlius, citoyen illustre, accourut à la défense du poste : il coupa lui-même avec son épée la main du Celte qui allait le premier atteindre le sommet du rocher, et, lui donnant un coup de bouclier sur la poitrine, le fit rouler du haut du Capitole. Il en fit autant à un second qui voulait également monter, et tous les autres prirent la fuite. Mais comme le rocher était très escarpé, ils se tuèrent tous dans leur chute. Les Romains envoyèrent ensuite aux Celtes des parlementaires pour traiter de la paix. Les Celtes consentirent à sortir de la ville et à quitter le territoire romain en recevant mille livres pesant d'or. Comme les maisons étaient détruites et qu'un grand nombre de citoyens avaient péri, les Romains promirent à tous ceux qui voulaient s'établir dans la ville de construire une habitation dans le lieu qu'il leur plairait, et de leur fournir des briques aux dépens du trésor public ; ces briques sont encore aujourd'hui connues sous le nom de briques de l'État. Mais chacun bâtissant selon son caprice, il arriva que les rues de la ville furent étroites et tortueuses ; voilà pourquoi Rome, agrandie par la suite, ne put avoir de rues droites. Quelques écrivains rapportent aussi que les femmes qui, pour racheter la patrie, avaient apporté leurs ornements d'or, reçurent comme un honneur public la permission de se faire conduire dans la ville sur des chariots."

Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragment 58 : "Les Romains, renfermés et assiégés dans le Capitole, n'avaient d'espoir de salut que dans les dieux. Ils se montrèrent si fidèles à leur culte, même dans ce danger extrême, que les pontifes ayant eu à célébrer un sacrifice dans un lieu déterminé de Rome, Fabius Caeson appelé à remplir cet office pieux descendit du Capitole dans la ville, revêtu de ses ornements, comme dans les temps ordinaires. Il traversa l'armée ennemie, fit le sacrifice, et rentra, le même jour dans le Capitole. J'admire les barbares, qui, par respect pour les dieux ou par déférence pour la vertu de Caeson, épargnèrent ses jours ; mais j'admire bien davantage Caeson lui-même pour deux motifs : il osa s'avancer seul au milieu des ennemis, et loin de chercher comme il l'aurait pu, une retraite sûre, il aima mieux rentrer dans le Capitole et s'exposer volontairement à un danger manifeste. Cependant il savait que les Romains n'oseraient pas abandonner la seule place qui leur restait sur le sol de la patrie, et il ne pouvait se dissimuler que s'ils voulaient fuir, ils trouveraient un obstacle dans le grand nombre des assiégeants."

Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragment 59 : "Pressé de prendre en main le commandement de l'armée, Camille refusa. Exilé, il ne pouvait l'accepter en respectant les lois qu'il observa toujours avec une religieuse fidélité. Aussi, dominé par le sentiment du devoir, au moment même où sa patrie courait un si grand danger, regarda-t-il comme indigne de lui de laisser à la postérité un exemple de leur violation."

Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragment 60 : "Rome était au pouvoir des Gaulois, et ses habitants avaient cherché un asile dans le Capitole. Camille, alors en exil, leur écrivit qu'il était prêt à attaquer les barbares. L'émissaire, chargé de la lettre, pénétra dans la forteresse ; mais les Gaulois avaient observé la trace de ses pas, et ils se seraient probablement emparés du Capitole, si les oies sacrées qu'on y nourrissait n'avaient annoncé leur irruption par des cris. Elles arrachèrent au sommeil les Romains renfermés dans la citadelle et les firent courir aux armes."

Dion Cassius, Histoire romaine, VII, fragment 63 : "Le peuple condamna M. Capitolinus : sa maison fut rasée et son patrimoine vendu aux enchères ; son nom et ses images furent effacés et détruits partout où ils se trouvaient. De nos jours, les mêmes peines, sauf la destruction des maisons, sont infligées à ceux qui conspirent contre l'État. On décréta aussi qu'aucun patricien n'aurait sa demeure au Capitole où il avait habité, et les membres de sa famille décidèrent que nul d'entre eux ne prendrait le prénom de Marcus que Capitolinus avait porté. Pour s'être montré si différent de lui-même dans sa conduite, il vit sa fortune subir le plus grand changement. Guerrier accompli mais incapable de se modérer en temps de paix, il s'empara, pour établir la tyrannie, du Capitole qu'il avait sauvé. Patricien, il périt par la main d'un mercenaire ; réputé grand capitaine, il fut arrêté comme un esclave et précipité du rocher d'où il avait renversé les Gaulois."

Festus Grammaticus, De la signification des mots, XI : "M. MANLIUS. Il fut défendu de donner ce nom à aucun membre d'une famille patricienne après ce Manlius qui chassa les Gaulois du Capitole, parce qu'il s'efforça d'arriver à la royauté, et fut mis à mort pour ce crime."

Festus Grammaticus, De la signification des mots, XI : "MANLIA GENS. Un décret défendait à la famille patricienne Manlia de donner le nom de Marcus à aucun de ses membres, parce que M. Manlius, qui avait défendu le Capitole contre les Gaulois, avait été condamné et mis à mort pour avoir aspiré à la royauté."

Festus Grammaticus, De la signification des mots, XI : "MATRONIS AURUM REDDITUM. Lorsqu'on lit cette expression dans un auteur, elle semble signifier que les matrones donnèrent l'or de leurs bijoux pour délivrer le Capitole des Gaulois Sénonais, et que cet or leur fut ensuite rendu par le peuple romain."

Festus Grammaticus, De la signification des mots, XI (notes) : "MATRONIS AURUM REDDITUM. Caton dit : " Cela semble signifier que l'on rendit aux matrones l'or avec lequel le peuple romain avait fait une coupe, qui fut envoyée à Apollon, à Delphes : comme le témoigne une table qui indique le fait : cet or avait été donné par les matrones aux dépens de leur toilette, afin que l'on pût s'acquitter du voeu fait à Apollon. Selon quelques-uns, il faut plutôt entendre cette expression de ce qu'autrefois les matrones contribuèrent de leur or à délivrer le Capitole des Gaulois Sénonais. Cet or leur fut rendu dans la suite par le peuple romain "."

Festus Grammaticus, De la signification des mots, XIX : "VAE VICTIS ! On croit que cette exclamation a passé en proverbe, lorsqu'après la prise de Rome par les Gaulois Senonais, comme on pesait l'or qu'on devait leur donner d'après les conventions et les traités pour obtenir leur retraite, et comme Appius Claudius se plaignait de ce que les barbares employaient de faux poids, Brennus, roi des Gaulois, ajouta son glaive aux poids et s'écria : " Vae victis ! ". Ensuite, Furius Camille l'ayant poursuivi, cerné, et taillé ses troupes en pièces, et Brennus s'étant plaint de ce que cela se faisait contre les traités, Camille, dit-on , lui répondit par la même exclamation."

Florus, Abrégé de l'Histoire romaine, I, 13 : "Les Gaulois, après la déroute de notre armée, approchaient déjà des murs de la ville. Elle était sans défense. C'est alors, ou jamais, qu'éclata le courage romain. D'abord les vieillards qui avaient été élevés aux premiers honneurs se rassemblèrent dans le Forum. Là, tandis que le pontife prononcait les solennelles imprécations, ils se dévouèrent aux dieux Mânes ; et, de retour dans leurs demeures, revêtus de la robe magistrale et des ornements les plus pompeux, ils se placèrent sur leurs chaises curules, voulant, lorsque viendrait l'ennemi, mourir dans toute leur dignité. Les pontifes et les flamines enlèvent tout ce que les temples renferment de plus révéré; ils en cachent une partie dans des tonneaux qu'ils enfouissent sous terre, et, chargeant le reste sur des chariots, ils le transportent loin de la ville. Les vierges attachées an sacerdoce de Vesta accompagnent, pieds nus, la fuite des objets sacrés. On dit cependant que ce cortége fugitif fut recueilli par un plébéien, Lucius Albinus, qui fit descendre de son chariot sa femme et ses enfants, pour y placer les prêtresses; tant il est vrai que, même dans les dernières extrémités, la religion publique l'emportait alors sur les affections particulières. Quant à la jeunesse, qui, on le sait, se composait à peine de mille hommes, elle se retrancha, sous la conduite de Manlius, dans la citadelle du mont Capitolin ; et là, comme en présence de Jupiter, ils le conjurèrent " puisqu'ils s'étaient réunis pour défendre son temple, d'accorder à leur valeur l'appui de sa diviriité ". Cependant les Gaulois arrivent ; la ville était ouverte ; ils pénètrent en tremblant d'abord, de peur de quelque embûche secrète ; bientôt, ne voyant qu'une solitude, ils s'élancent avec des cris aussi terribles que leur impétuosité, et se répandent de tous côtés dans les maisons ouvertes. Assis sur leurs chaises curules et revêtus de la prétexte, les vieillards leur semblent des dieux et des génies, et ils se prosternent devant eux ; bientôt, reconnaissant que ce sont des hommes, qui d'ailleurs ne daignent pas leur répondre, ils les immolent avec cruauté, embrasent les maisons ; et, la flamme et le fer à la main, ils mettent la ville au niveau du sol. Pendant six mois, qui le croirait ? Les Barbares restèrent comme suspendus autour d'un seul roc, faisant le jour, la nuit même, de nombreuses tentatives pour l'emporter. Une nuit enfin qu'ils y pénétraient, Manlius, éveillé par les cris d'une oie, les rejeta du haut du rocher; et, afin de leur ôter tout espoir par une apparente confiance, il lança, malgré l'extrême disette, des pains par dessus les murs de la citadelle. Il fit même, dans un jour consacré, sortir du Capitole, à travers les gardes ennemis, le pontife Fabius, qui avait un sacrifice solennel à faire sur le mont Quirinal. Fabius revint sans blessure au milieu des traits des ennemis, sous la protection divine et il annonça que les dieux étaient propices. Fatigués enfin de la longueur du siège, les Barbares nous vendent leur retraite au prix de mille livres d'or ; ils ont même l'insolence d'ajouter encore à de faux poids celui d'une épée ; puis, comme ils répétaient dans leur orgueil : " Malheur aux vaincus l "."

Pline, Histoire naturelle, XXXIII, 14 : "A Rome il n'y eut pendant longtemps que très peu d'or. Le fait est qu'après la prise de la ville par les Gaulois, lorsqu'on traita de l'achat de la paix, on ne put ramasser que mille livres pesant d'or. Je n'ignore pas que sous le troisième consulat de Pompée il se perdit deux mille livres pesant d'or qui étaient dans le trône de Jupiter Capitolin, et qui y avaient été déposées par Camille ; d'où on a généralement inféré que la rançon de la ville avait été de la même somme. Mais cet excédant de mille livres provenait du butin fait sur les Gaulois, grossi de l'or dont ils avaient dépouillé les temples de la portion de Rome occupée par eux. On sait d'ailleurs que les Gaulois étaient dans l'usage de porter de l'or sur eux dans les combats, témoin l'histoire de Torquatus. Il est donc évident que ce qui fut pris sur les Gaulois et ce qu'ils avaient enlevé aux temples ne fit que doubler la somme de la rançon ; et c'est ce que l'augure entendait lorsqu'il répondit que Jupiter Capitolin avait rendu le double. Ajoutons en passant, puisqu'il est question d'anneaux, que l'officier préposé à la garde de Jupiter Capitolin ayant été arrêté brisa dans sa bouche le chaton de son anneau, et expira sur-le-champ, faisant disparaître le seul témoin du vol. Ainsi donc, l'an de Rome 364, lors de la prise de la ville, il s'y trouvait au plus deux mille livres d'or ; et cependant le cens y avait déjà compté cent cinquante-deux mille cinq cent soixante-treize têtes libres."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XX : "Si les Gaulois, aussitôt après le combat, s'étaient mis à la poursuite des fuyards, rien ne pouvait sauver Rome d'une ruine entière, ni ses habitants d'un massacre général : car les fuyards, en s'y précipitant, remplirent tous les esprits d'une frayeur extrême, et répandirent, par toute la ville, le trouble et l'épouvante. Mais les barbares, à ce moment, ne pouvaient croire que leur victoire fût si complète : et d'ailleurs, dans les premiers transports de leur joie, ils ne pensèrent qu'à faire bonne chère et à partager les dépouilles du camp des Romains, laissant ainsi à la populace, qui s'enfuyait de la ville, la facilité de se retirer, et à ceux qui restèrent le temps de reprendre courage et de pourvoir à leur défense. Ceux-ci n'entreprirent point de sauver toute la ville : ils se bornèrent à remplir le Capitole de toutes sortes d'armes, et à le fortifier de retranchements. Leur premier soin fut d'y transporter les objets consacrés au culte. Les Vestales, en s'enfuyant de la ville, avaient emporté le feu de Vesta, et les choses sacrées dont la garde leur était connue. Toutefois, quelques-uns prétendent qu'elles n'ont d'autre soin que de veiller sur le feu perpétuel."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXI : "Suivant d'autres, qui se prétendent mieux informés, il y a, dans le temple, deux tonneaux de médiocre grandeur : l'un est ouvert et vide, l'autre plein et fermé : et ces deux tonneaux, les vierges consacrées ont seules la liberté de les voir. D'autres, enfin, taxent d'erreur ces derniers : seulement, à les en croire, les Vestales, en ce jour de terreur, auraient enfermé dans deux tonneaux la plupart des choses sacrées, et elles auraient enterré les deux tonneaux sous le temple de Quirinus, dans l'endroit qu'on appelle encore aujourd'hui les Barils ; puis après, elles auraient pris avec elles ce qu'il y avait de plus saint et de plus révéré, dans les choses de la religion, et elles se seraient enfuies le long dit Tibre. A ce moment, un plébéien, nommé Lucius Albinus, s'éloignait de Rome avec les autres fugitifs, emmenant sur un chariot ses enfants en bas âge, sa femme, et les ustensiles nécessaires. Dès qu'il aperçut ces vierges, portant dans leurs bras les choses saintes, marcher seules et sans aide, et déjà accablées par la fatigue, il fit descendre sa femme et ses enfants, ôta du chariot tous les ustensiles, et y fit monter les Vestales, afin qu'elles pussent gagner quelqu'une des villes grecques. Cette piété d'Albinus, et l'hommage qu'il rendit à la divinité, dans une circonstance si périlleuse, ne m'ont point semblé indignes d'être transmis au souvenir des hommes. Mais les prêtres des autres dieux, et les vieillards qui avaient été consuls, ou qui avaient obtenu le triomphe, ne purent se résoudre à quitter Rome. Ils se revêtirent chacun de ses habits sacrés et tout resplendissants, et ils se vouèrent en sacrifice pour leur patrie, par une prière dont ils répétaient les termes, après le grand-pontife Fabius : et ensuite ils s'assirent, dans le Forum, sur leurs sièges d'ivoire, attendant le sort que les dieux leur réservaient."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXII : "Trois jours après la bataille, Brennus arriva devant Rome, avec son armée. Quand il vit les portes et les murailles sans gardes, il soupçonna d'abord quelque ruse, et il craignit une embuscade, ne pouvant croire que les Romains eussent pris le parti désespéré d'abandonner leur ville. Il s'assura bientôt que rien n'était plus vrai : et il poussa son cheval par la porte Colline. Il avait pris Rome un peu plus de trois cent soixante années après sa fondation, si toutefois on peut croire qu'il se soit conservé une connaissance exacte de ces temps anciens, lorsque l'on considère cette confusion chronologique qui laisse dans une complète incertitude te date d'autres événements plus récents. [...] Brennus, maître de Rome, fit environner le Capitale par un corps de troupes, et il descendit vers le Forum. Là, il fut saisi d'admiration, à l'aspect de ces vieillards magnifiquement vêtus, assis dans un profond silence, et qui restèrent immobiles à l'approche des ennemis, sans changer de visage ni de couleur, sans donner le moindre signe de crainte, et se regardant les uns les autres, tranquillement appuyés sur leurs bâtons. Ce spectacle extraordinaire frappa tellement les Gaulois, qu'ils n'osèrent, pendant longtemps, ni les approcher ni les toucher, les prenant pour des êtres divins. Enfin, l'un d'eux se hasarda d'approcher de Manius Papirius, lui passa doucement la main sous le menton, et lui prit la barbe, qui était fort longue. Papirius frappe le Gaulois d'un coup de bâton à la tête, et le blesse : le barbare tire son épée, et tue Papirius. Alors les Gaulois se jettent sur les autres vieillards, et les massacrent tous : puis ils font main basse sur tout ce qui s'offrait à eux. Ils passèrent plusieurs jours à piller, à saccager la ville, et ils finirent par y mettre le feu et la renverser de fond en comble, furieux de voir ceux qui étaient dans le Capitole résister aux sommations qui leur étaient faites. Ils passèrent plusieurs jours à piller, à saccager la ville, et ils finirent par y mettre le feu et la renverser de fond en comble, furieux de voir ceux qui étaient dans le Capitole résister aux sommations qui leur étaient faites. En effet, ceux-ci défendaient avec vigueur leurs retranchements ; ils avaient même blessé plusieurs ennemis. Aussi les Gaulois ruinèrent-ils la ville, et égorgèrent tout ce qui tomba sous leurs mains, hommes et femmes, vieillards et enfants."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXIII : "Le siège traînait en longueur ; et les Gaulois commençaient à manquer de vivres. Ils partagèrent donc leur armée : les uns restèrent, pour continuer le blocus du Capitole ; les autres se répandirent de tous côtés, fourrageant par la campagne, et pillant les bourgs des environs. Ils n'allaient pas tous ensemble : ils marchaient dispersés çà et là, par compagnies et par bandes, enhardis qu'ils étaient par leurs succès, et se croyant dans une parfaite sécurité. La troupe la plus nombreuse et la mieux disciplinée se porta du côté de la ville d'Ardée, où s'était retiré Camille. Il y vivait étranger aux affaires, et dans une condition privée ; mais, à ce moment, il conçut un grand projet, dont le succès ne lui paraissait pas impossible. Ce qui occupait sa pensée, ce n'était pas le soin de sa sûreté personnelle : il voulait, non point dérober sa tête aux ennemis, mais tâcher de les surprendre et de les repousser. Il voyait que les Ardéates, assez forts quant au nombre, étaient découragés par l'inexpérience et la lâcheté de leurs généraux."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXIV : "La renommée porta rapidement le bruit de cette victoire dans toutes les villes voisines : et Camille vit accourir près de lui une foule d'hommes, qui ne demandaient qu'à combattre sous ses ordres. Il y vint notamment tous les Romains qui étaient à Véies, où ils avaient trouvé un asile après le désastre d'Allia. " Quel général la Fortune a enlevé à Rome ! s'étaient-ils dit entre eux avec une expression de regret. Camille illustre par ses exploits la ville d'Ardée : et la ville qui vit naître et qui a nourri ce grand homme est perdue sans ressourcé. Et nous, faute d'un chef qui nous conduire, renfermés dans des murailles étrangères, nous restons là sans bouger, et nous trahissons l'Italie ! Pourquoi n'envoyons-nous pas demander aux Ardéates notre général ? ou plutôt, pourquoi ne pas prendre les armes, et aller nous-mêmes nous joindre à lui ? Camille n'est plus un banni, et nous ne sommes plus des citoyens, puisqu'il n'y a plus de patrie, et que Rome est au pouvoir des ennemis ". Ils s'arrêtèrent à cette pensée, et ils députèrent vers Camille, pour le prier de prendre le commandement. Camille répondit qu'il n'accepterait qu'autant que leur choix serait ratifié, conformément aux lois, par les citoyens renfermés dans le Capitole : que, tant qu'ils y existeraient, il verrait en eux la patrie : qu'il était tout disposé à exécuter leurs ordres, mais qu'il n'agirait point contre leur volonté. On admira la modestie et la loyauté de Camille : mais l'embarras était de trouver quelqu'un qui portât cette nouvelle au Capitole : il semblait même impossible, tant que les ennemis seraient maîtres de la ville, qu'un messager pût pénétrer dans la citadelle."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXV : "Il y avait, parmi les jeunes Romains, un certain Pontius Cominius, citoyen de condition médiocre, mais passionné pour la gloire : il s'offrit pour cette mission périlleuse. Il ne se chargea point de lettres pour ceux qui étaient dans le Capitole, craignant, s'il était pris, que les ennemis ne découvrissent les desseins de Camille. Il part, vêtu d'une méchante robe, sous laquelle il cachait des écorces de liège ; et, pendant tout le jour, il voyage sans encombre. Arrivé près de Rome à l'entrée de la nuit, et ne pouvant passer le pont du Tibre, qui était gardé par les barbares, il entortille autour de sa tête son vêtement, qui n'était ni fort embarrassant ni fort lourd, et il se met à la nage, soutenu par le liège dont il s'était muni. Il traversa ainsi le Tibre, jusqu'au pied des murailles ; et, évitant toujours les endroits où les feux et le bruit l'avertissaient qu'on faisait bonne garde, il gagna la porte Carmentale, où régnait un profond silence. À cet endroit, la colline du Capitole s'élève presque à pic, et elle présente à l'oeil un roc immense et d'un difficile accès : il le gravit sans être aperçu, et il arrive, par cette montée abrupte, à grand'peine et avec bien des efforts, jusqu'aux premières gardes. Il les salue, et il se nomme. On le fait avancer ; on le conduit aux magistrats. Les sénateurs s'assemblent sur-le-champ. Pontius leur annonce la victoire de Camille, qu'ils ignoraient, et il leur apprend le choix qu'ont fait les soldats. Il les exhorte à confirmer l'élection de Camille, puisque Camille est le seul à qui les Romains du dehors veulent obéir. Le sénat, après en avoir délibéré, nomme Camille dictateur ; et on renvoie Pontius par le même chemin. Pontius ne fut pas moins heureux à son retour qu'à son premier voyage : il trompe encore la vigilance des ennemis, et il rapporte aux Romains du dehors le décret du sénat. Camille vint prendre le commandement, à la satisfaction universelle. Il y avait déjà vingt mille hommes en armes : il rassemble, en outre, un plus grand nombre d'alliés, et il se dispose à marcher contre les barbares. Voilà comment Camille fut élu dictateur pour la seconde fois, comment il se rendit à Véies, s'y mit à la tête des soldats romains, renforcés du corps plus nombreux des alliés, et s'apprêta à attaquer les ennemis."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVI : "Cependant, à Rome, quelques-uns des barbares, ayant passé par hasard près du chemin que Pontius avait pris pour monter au Capitole, remarquèrent, en plusieurs endroits, des traces de pieds et de mains : car Pontius, en grimpant, s'était accroché à tout ce qu'il avait pu saisir : les broussailles étaient froissées le long des rochers, et des mottes de terre avaient roulé jusqu'au bas. Ils informèrent le roi de ce qu'ils avaient vu : et le roi se transporta sur les lieux, et en fit une exacte reconnaissance. Il ne dit rien pour le moment : mais, le soir, il assembla ceux d'entre les Celtes qui étaient les plus agiles, et qui savaient le mieux gravir les montagnes : " Les ennemis, leur dit-il, nous montrent eux-mêmes le chemin qui mène jusqu'à eux, et qui nous était inconnu : ils nous font voir qu'il n'est ni impraticable ni inaccessible. Quelle honte pour nous, quand nous tenons le commencement, si nous faiblissions avant d'atteindre la fin ! si nous abandonnions la place comme imprenable, tandis que les ennemis nous enseignent par où l'on peut la prendre ! Là où un homme seul a passé facilement, ce n'est pas chose malaisée d'y monter plusieurs l'un après l'autre, attendu qu'on s'aidera, qu'on se soutiendra mutuellement. Au reste, des dons et des honneurs récompenseront chacun de vous, en proportion de son courage "."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVII : "Animés par le discours du roi, les Gaulois promirent de monter hardiment. Vers le milieu de la nuit, ils se mettent à grimper en silence, plusieurs à la file, en s'accrochant aux rochers. La montée était difficile à gravir : mais pourtant ils la trouvèrent plus douce et plus accessible qu'ils ne l'avaient imaginé. Les premiers avaient déjà gagné le sommet de la montagne : et déjà ils étaient tout préparés pour se rendre maîtres des retranchements et surprendre les gardes endormis, car aucun homme ni aucun chien ne les avait entendus. Mais il y avait des oies sacrées, que l'on nourrissait autour du temple de Junon : elles recevaient, en temps ordinaire, une nourriture abondante ; mais, depuis qu'on avait à peine assez de vivres pour les hommes, on les avait négligées, et elles souffraient de la faim. Cet animal a l'ouïe très-fine, et il s'effraye au moindre bruit. Celles-ci, que la faim tenait éveillées et rendait plus susceptibles d'effroi, sentirent bientôt l'approche des Gaulois ; et, courant de ce côté avec de grands cris, elles réveillèrent tous les Romains. Alors les barbares, se voyant découverts, ne craignirent plus de faire du bruit, et ils chargèrent sans ménagement. Les assiégés saisissent à la hâte les premières armes qu'ils trouvent sous la main, et ils se portent au-devant de l'ennemi. Le premier qui fit tête aux assaillants fut Manlius, homme consulaire, d'une grande force de corps et d'un courage plus grand encore. Il eut affaire à deux ennemis à la fois : l'un levait déjà la hache pour le frapper, mais Manlius le prévient, et lui abat la main d'un coup d'épée ; en même temps il heurte l'autre si rudement au visage, avec son bouclier, qu'il le renverse dans le précipice. Puis, se présentant sur la muraille, lui et ceux qui étaient accourus, il repousse les autres barbares, qui n'étaient pas en grand nombre, et dont les actions ne répondirent point à l'audace de leur entreprise. Le lendemain, à la pointe du jour, les Romains, échappés ainsi au péril, jetèrent aux ennemis, du haut du rocher, le capitaine qui avait commandé la garde de nuit, et ils décernèrent à Manlius, pour prix de sa victoire, une récompense plus grande pour l'honneur que pour le profit : ils lui donnèrent chacun ce qu'ils recevaient de vivres pour un jour, à savoir, une demi-livre de froment indigène, comme on l'appelle, et le quart d'une cotyle grecque de vin."

Plutarque, Vies parallèles des hommes illustres : Vie de Camille, XXVIII : "Cet échec découragea les Celtes. D'ailleurs ils commençaient à manquer de vivres ; et la peur qu'ils avaient de Camille les empêchait d'aller fourrager. La maladie s'était mise parmi eux, campés qu'ils étaient au milieu des monceaux de morts, et sur les ruines de maisons brûlées. Les amas de cendres, échauffés par le soleil et remués par les vents, laissaient échapper au loin des vapeurs dont la sécheresse et l'âcreté corrompaient l'air, et qui remplissaient les poumons de poisons mortels. Ce qui augmenta encore la contagion, ce fut le changement daris leur manière de vivre. Accoutumée à des pays couverts et ombragés, où ils trouvaient partout des retraites agréables contre les ardeurs de l'été, ils étaient venus dans des lieux bas et malsains, surtout en automne. Ajoutez à toutes ces causes la longueur du siège, qui, depuis plus de six mois, les tenait presque immobiles au pied du Capitole. Aussi le camp fut-il en proie à une si violente épidémie, que le grand nombre des morts ne permettait plus de les enterrer. Pourtant la situation des assiégés n'en était pas moins critique. La famine les pressait de plus en plus ; et l'ignorance où ils étaient des mouvements de Camille les jetait dans le découragement. Personne ne pouvait leur apporter des nouvelles de Camille et des siens, parce que les barbares gardaient trop étroitement la ville. Dans un état de choses également fâcheux pour les deux partis, il se fit d'abord quelques propositions d'accommodement, par le moyen des gardes avancées, qui conféraient ensemble. Ensuite, sur une décision des principaux citoyens, Sulpicius, l'un des tribuns militaires de Rome, alla parlementer avec Brennus. Il fut convenu que les Romains payeraient mille livres pesant d'or, et que les ennemis, dès qu'ils les auraient reçues, sortiraient de la ville et du territoire. Les conditions étaient acceptées de part et d'antre, les serments prononcés, l'or apporté ; mais les Celles trompèrent à la pesée ; d'abord secrètement, en se servant de faux poids ; ensuite ouvertement, en faisant pencher un des bassins de la balance. Les Romains ne purent alors retenir leur indignation. Mais Brennus, comme pour ajouter à cette infidélité l'insulte et la raillerie, détache son épée, et il la met par-dessus les poids avec le baudrier. " Que signifie cela ? demanda Sulpicius. — Eh I répondit Brennus, quelle autre chose, sinon ; Malheur aux vaincus ! ". Ce mot a passé depuis en proverbe. Il y avait des Romains qui voulaient, dans leur indignation, qu'on reprît l'or, et qu'on retournât au Capitole, pour y soutenir encore le siège ; mais les autres conseillaient de laisser passer une injure en soi peu grave : " La honte, disaient-ils, consiste non point à donner plus qu'on n'a promis, mais à être forcé de donner ; et c'est une nécessité humiliante, dont les circonstances nous font une loi "."

Polybe, Histoire générale, II, 18 : "Dès les premiers temps, ils ne se bornèrent pas à établir leur domination sur le pays qu'ils habitaient, mais ils soumirent également beaucoup de leurs voisins, terrorisés par leur humeur belliqueuse. Puis ils vainquirent les Romains et leurs alliés en bataille rangée, les mirent en déroute et les pourchassèrent pendant trois jours jusqu'à Rome, dont ils s'emparèrent à l'exception du Capitole. Mais une diversion - l'invasion de leur territoire par les Vénètes - les obligea à traiter avec les Romains : ils leur rendirent leur ville et retournèrent chez eux."

Pseudo-Aurelius Victor, Des hommes illustres de la ville de Rome, XXIV : "Manlius, surnommé Capitolinus à cause de sa défense du Capitole, s'offrit, à seize ans, comme soldat volontaire. Honoré par ses chefs de trente-sept récompenses militaires, il avait sur la poitrine vingt-trois cicatrices. Après la prise de Rome, il conseilla de se réfugier au Capitole. Une nuit, réveillé par le cri d'une oie, il renversa les Gaulois du haut de la citadelle. Ses concitoyens lui donnèrent le titre de patron et une prévision de blé. Il obtint même, aux frais de la république, une maison sur le Capitole. Enorgueilli de tant d'honneurs, il accusa le sénat d'avoir détourne à son profit les trésors destinés aux Gaulois, et comme, avec ses propres ressources, il rendait libres les débiteurs condamnée à devenir esclaves de leurs créanciers, on le soupçonna d'aspirer au trône, et il fut jeté en prison ; le voeu du peuple brisa ses fers. Il persévéra dans la même faute, et plus gravement encore : on l'accusa donc de nouveau ; mais la vue du Capitole fit renvoyer l'affaire à plus ample informé. Condamné enfin dans autre lieu que le Capitole, il fut précipité de la roche Tarpéienne. On détruisit sa maison, et l'on confisqua ses biens. Sa famille abjura le surnom de Manlius."

Strabon, Géographie, V, 2, 3 : "A ce que nous venons de dire touchant l'illustration de la nation Tyrrhénienne en général, ajoutons quelques détails sur l'histoire particulière des Caerétans. Rappelons notamment qu'ils osèrent à eux seuls attaquer les Gaulois, comme ceux-ci, après la prise de Rome se retiraient par la Sabine, et que, les ayant vaincus, ils les forcèrent à rendre ces riches dépouilles que Rome avait consenti à leur céder. Ils avaient en outre sauvé la vie à une foule de Romains qui leur étaient venus demander asile et avaient conservé le feu éternel en même temps que protégé les vestales. Les Romains cependant (et cela par la faute des mauvais magistrats qu'ils avaient alors à leur tête) ne reconnurent point ces services comme ils auraient dû le faire : ils conférèrent aux Caerétans le droit de cité, mais sans les inscrire au nombre des citoyens proprement dits ; même ils firent de leurs noms une liste, une table à part, dite Tabulae Caeritum, où furent relégués désormais tous ceux qu'ils excluaient de l'isonomie."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 39 : "Les Gaulois, de leur côté, étaient comme stupéfaits d'une victoire si prodigieuse et si soudaine ; eux-mêmes ils restèrent d'abord immobiles de peur, sachant à peine ce qui venait d'arriver ; puis ils craignirent qu'il n'y eût là quelque piège ; enfin ils se mirent à dépouiller les morts, et, suivant leur coutume, entassèrent les armes en monceaux. Après quoi, n'apercevant nulle part rien d'hostile, ils se mettent en marche et arrivent à Rome un peu avant le coucher du soleil. La cavalerie qui marchait en avant leur apprit que les portes n'étaient point fermées ; qu'il n'y avait point de postes pour les couvrir, point de soldats sur les murailles : ce nouveau prodige, si semblable au premier, les arrêta encore ; la crainte de la nuit et l'ignorance des lieux les décidèrent à camper entre la ville et l'Anio, après avoir envoyé autour des remparts et vers les autres portes des éclaireurs qui devaient tâcher de découvrir quelle était dans cette situation désespérée l'intention des ennemis. La plus grande partie de l'armée romaine avait gagné Véies, mais à Rome on ne croyait échappés de la bataille que ceux qui étaient venus se réfugier dans la ville, et les citoyens désolés, pleurant les vivants aussi bien que les morts, remplirent presque toute la ville de cris lamentables. Les douleurs privées se turent devant la terreur générale, quand on annonça l'arrivée de l'ennemi ; et bientôt l'on entendit les hurlements, les chants discordants des Barbares qui erraient par troupes autour des remparts. Pendant tout le temps qui s'écoula depuis lors, les esprits demeurèrent en suspens ; d'abord, à leur arrivée, on craignit de les voir d'un moment à l'autre se précipiter sur la ville, car si tel n'eût pas été leur dessein, ils se seraient arrêtés sur les bords de l'Allia ; puis, au coucher du soleil, comme il ne restait que peu de jour, on pensa que l'attaque aurait lieu avant la nuit ; et ensuite, que le projet était remis à la nuit même pour répandre plus de terreur. Enfin, à l'approche du jour, tous les coeurs étaient glacés d'effroi ; et cette crainte sans intervalle fut suivie de l'affreuse réalité, quand les enseignes menaçantes des Barbares se présentèrent aux portes. Cependant il s'en fallut de beaucoup que cette nuit et le jour suivant Rome se montrât la même que sur l'Allia où ses troupes avaient fui si lâchement. En effet, comme on ne pouvait pas se flatter avec un si petit nombre de soldats de défendre la ville, on prit le parti de faire monter dans la citadelle et au Capitole, outre les femmes et les enfants, la jeunesse en état de porter les armes et l'élite du sénat ; et, après y avoir réuni tout ce qu'on pourrait amasser d'armes et de vivres, de défendre, de ce poste fortifié, les dieux, les hommes et le nom romain. Le flamine et les prêtresses de Vesta emportèrent loin du meurtre, loin de l'incendie, les objets du culte public, qu'on ne devait point abandonner tant qu'il resterait un Romain pour en accomplir les rites. Si la citadelle, si le Capitole, séjour des dieux, si le sénat, cette tête des conseils de la république, si la jeunesse en état de porter les armes venaient à échapper à cette catastrophe imminente, on pourrait se consoler de la perte des vieillards qu'on laissait dans la ville abandonnés à la mort. Et pour que la multitude se soumît avec moins de regret, les vieux triomphateurs, les vieux consulaires déclarèrent leur intention de mourir avec les autres, ne voulant point que leurs corps, incapables de porter les armes et de servir la patrie, aggravassent le dénuement de ses défenseurs."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 40 : "Ainsi se consolaient entre eux les vieillards destinés à la mort. Ensuite ils adressent des encouragements à la jeunesse, qu'ils accompagnent jusqu'au Capitole et à la citadelle, en recommandant à son courage et à sa vigueur la fortune, quelle qu'elle dût être, d'une cité victorieuse pendant trois cent soixante ans dans toutes ses guerres. Mais au moment où ces jeunes gens, qui emportaient avec eux tout l'espoir et toutes les ressources de Rome, se séparèrent de ceux qui avaient résolu de ne point survivre à sa ruine, la douleur de cette séparation, déjà par elle-même si triste, fut encore accrue par les pleurs et l'anxiété des femmes, qui, courant incertaines tantôt vers les uns, tantôt vers les autres, demandaient à leurs maris et à leurs fils à quel destin ils les abandonnaient : ce fut le dernier trait à ce tableau des misères humaines. Cependant une grande partie d'entre elles suivirent dans la Citadelle ceux qui leur étaient chers, sans que personne les empêchât ou les rappelât ; car cette précaution qui aurait eu pour les assiégés l'avantage de diminuer le nombre des bouches inutiles, semblait trop inhumaine. Le reste de la multitude, composé surtout de plébéiens qu'une colline si étroite ne pouvait contenir et qu'il était impossible de nourrir avec d'aussi faibles provisions, sortant en masse de la ville, gagna le Janicule ; de là, les uns se répandirent dans les campagnes, les autres se sauvèrent vers les villes voisines, sans chef, sans accord, ne suivant chacun que son espérance et sa pensée personnelle, alors qu'il n'y avait plus ni pensée, ni espérance commune. Cependant le flamine de Quirinus et les vierges de Vesta, oubliant tout intérêt privé, ne pouvant emporter tous les objets du culte public, examinaient ceux qu'elles emporteraient, ceux qu'elles laisseraient, et à quel endroit elles en confieraient le dépôt : le mieux leur paraît de les enfermer dans de petits tonneaux qu'elles enfouissent dans une chapelle voisine de la demeure du flamine de Quirinus, lieu où même aujourd'hui on ne peut cracher sans profanation : pour le reste, elles se partagent le fardeau, et prennent la route qui, par le pont de bois, conduit au Janicule. Comme elles en gravissaient la pente, elles furent aperçues par Lucius Albinius, plébéien, qui sortait de Rome avec la foule des bouches inutiles, conduisant sur un chariot sa femme et ses enfants. Cet homme, faisant même alors la différence des choses divines et des choses humaines, trouva irréligieux que les pontifes de Rome portassent à pied les objets du culte public, tandis qu'on le voyait lui et les siens dans un chariot. Il fit descendre sa femme et ses enfants, monter à leur place les vierges et les choses saintes, et les conduisit jusqu'à Caeré, où elles avaient dessein de se rendre."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 41 : "Cependant à Rome, toutes les précautions une fois prises, autant que possible, pour la défense de la citadelle, les vieillards, rentrés dans leurs maisons, attendaient, résignés à la mort, l'arrivée de l'ennemi ; et ceux qui avaient rempli des magistratures curules, voulant mourir dans les insignes de leur fortune passée, de leurs honneurs et de leur courage, revêtirent la robe solennelle que portaient les chefs des cérémonies religieuses ou les triomphateurs, et se placèrent au milieu de leurs maisons, sur leurs sièges d'ivoire. Quelques-uns même rapportent que, par une formule que leur dicta le grand pontife Marcus Folius, ils se dévouèrent pour la patrie et pour les citoyens de Rome. Pour les Gaulois, comme l'intervalle d'une nuit avait calmé chez eux l'irritation du combat, que nulle part on ne leur avait disputé la victoire, et qu'alors ils ne prenaient point Rome d'assaut et par force, ils y entrèrent le lendemain sans colère, sans emportement, par la porte Colline, laissée ouverte, et arrivèrent au forum, promenant leurs regards sur les temples des dieux et la citadelle qui, seule, présentait quelque appareil de guerre. Puis, ayant laissé près de la forteresse un détachement peu nombreux pour veiller à ce qu'on ne fît point de sortie pendant leur dispersion, ils se répandent pour piller dans les rues où ils ne rencontrent personne : les uns se précipitent en foule dans les premières maisons, les autres courent vers les plus éloignées, les croyant encore intactes et remplies de butin. Mais bientôt, effrayés de cette solitude, craignant que l'ennemi ne leur tendît quelque piège pendant qu'ils erraient çà et là, ils revenaient par troupes au forum et dans les lieux environnants. Là, trouvant les maisons des plébéiens fermées avec soin, et les cours intérieures des maisons patriciennes tout ouvertes, ils hésitaient encore plus à mettre le pied dans celles-ci qu'à entrer de force dans les autres. Ils éprouvaient une sorte de respect religieux à l'aspect de ces nobles vieillards qui, assis sous le vestibule de leur maison, semblaient à leur costume et à leur attitude, où il y avait je ne sais quoi d'auguste qu'on ne trouve point chez des hommes, ainsi que par la gravité empreinte sur leur front et dans tous leurs traits, représenter la majesté des dieux. Les Barbares demeuraient debout à les contempler comme des statues ; mais l'un d'eux s'étant, dit-on, avisé de passer doucement la main sur la barbe de Marcus Papirius, qui, suivant l'usage du temps, la portait fort longue, celui-ci frappa de son bâton d'ivoire la tête du Gaulois, dont il excita le courroux : ce fut par lui que commença le carnage, et presque aussitôt tous les autres furent égorgés sur leurs chaises curules. Les sénateurs massacrés, on n'épargna plus rien de ce qui respirait ; on pilla les maisons, et, après les avoir dévastées, on les incendia."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 42 : "Au reste, soit que tous n'eussent point le désir de détruire la ville, soit que les chefs gaulois n'eussent voulu incendier quelques maisons que pour effrayer les esprits, dans l'espoir que l'attachement des assiégés pour leurs demeures les amènerait à se rendre, soit enfin qu'en ne brûlant pas la ville entière ils voulussent se faire, de ce qu'ils auraient laissé debout, un moyen de fléchir l'ennemi, le feu ne marcha le premier jour ni sur une aussi grande étendue, ni avec autant de rapidité qu'il est d'usage dans une ville conquise. Pour les Romains, voyant de la citadelle l'ennemi remplir la ville, et courir çà et là par toutes les rues ; témoins à chaque instant, d'un côté ou d'un autre, d'un nouveau désastre, ils ne pouvaient plus ni maîtriser leurs âmes ni suffire aux diverses impressions que la vue et l'ouïe leur apportaient. Partout où les cris de l'ennemi, les lamentations des femmes et des enfants, le bruit de la flamme et le fracas des toits croulants, appelaient leur attention, effrayés de toutes ces scènes de deuil, ils tournaient de ce côté leur esprit, leur visage et leurs yeux, comme si la fortune les eût placés là pour assister au spectacle de la chute de leur patrie, en ne leur laissant rien que leur corps à défendre ; d'autant plus à plaindre que ne le furent jamais d'autres assiégés, que bien qu'investis hors de leur ville, ils voyaient tout ce qu'ils possédaient au pouvoir de l'ennemi. La nuit ne fut pas plus calme que l'affreuse journée qu'elle suivait ; ensuite le jour succéda à cette nuit agitée, et il ne se passa pas un moment où ils n'eussent à contempler quelque nouveau désastre. Cependant, malgré les maux dont ils étaient accablés et écrasés, leurs âmes ne plièrent point ; et quand la flamme eut tout détruit, tout nivelé, ils songèrent encore à défendre bravement cette pauvre et faible colline qu'ils occupaient, dernier rempart de leur liberté ; puis, s'habituant à des maux qui renaissaient chaque jour, ils finirent par en perdre le sentiment, et par concentrer leurs regards sur ces armes, leur dernière espérance, sur ce fer qu'ils avaient dans leurs mains."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 43 : "Les Gaulois, après avoir, pendant plusieurs jours, fait une folle guerre contre les maisons de la ville, voyant debout encore, au milieu de l'incendie et des ruines de la cité conquise, des ennemis en armes que tant de désastres n'avalent pas effrayés, et qu'on ne pourrait réduire que par la force, résolurent de tenter une dernière épreuve, et d'attaquer la citadelle. Au lever du jour, à un signal donné, toute cette multitude se rassemble au forum, où elle se range en bataille ; puis, poussant un cri et formant la tortue, ils montent vers la citadelle. Les Romains se préparent avec ordre et prudence à les recevoir ; ils placent des renforts à tous les points accessibles, opposent leur plus vaillante jeunesse partout où les enseignes s'avancent, et laissent monter l'ennemi, persuadés que plus il aura gravi de ces roches ardues, plus il sera facile de l'en faire descendre. Ils s'arrêtent vers le milieu de la colline, et, de cette hauteur, dont la pente les portait d'elle-même sur l'ennemi, s'élançant avec impétuosité, ils tuent et renversent les Gaulois, de telle sorte que jamais depuis, ni ensemble, ni séparément, ils ne tentèrent une attaque de ce genre. Renonçant donc à tout espoir d'emporter la place par la force des armes, ils se disposent à en faire le siège : mais, dans leur imprévoyance, ils venaient de brûler avec la ville tout le blé qui se trouvait à Rome, et pendant ce temps, tous les grains des campagnes avaient été recueillis et transportés à Véies. En conséquence, l'armée se partage ; une partie s'éloigne et va butiner chez les nations voisines ; l'autre demeure pour assiéger la citadelle, et les fourrageurs de la campagne sont tenus de fournir à sa subsistance. La fortune elle-même conduisit à Ardée, pour leur faire éprouver la valeur romaine, ceux des Gaulois qui partirent de Rome ; Ardée était le lieu d'exil de Camille. Tandis que plus affligé des maux de sa patrie que de son propre sort, il usait là ses jours à accuser les dieux et les hommes, s'indignant et s'étonnant de ne plus retrouver ces soldats intrépides qui, avec lui, avaient pris Véies et Faléries, et qui, toujours, dans les autres guerres, s'étaient fait distinguer encore plus par leur courage que par leur bonheur, tout à coup il apprend qu'une armée gauloise s'avance, et qu'effrayés de son approche, les Ardéates tiennent conseil. Comme entraîné par une inspiration divine, lui, qui jusqu'alors s'était abstenu de paraître dans toutes les réunions de ce genre, il accourut au milieu de leur assemblé."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 46 : "Cependant, à Rome, le siège continuait mollement, et des deux côtés on s'observait sans agir, les Gaulois se contentant de surveiller l'espace qui séparait les postes, et d'empêcher par ce moyen qu'aucun des ennemis ne pût s'échapper ; quand tout à coup un jeune Romain vint appeler sur lui l'admiration de ses compatriotes et celle de l'ennemi. Un sacrifice annuel avait été institué par la famille Fabia sur le mont Quirinal. Voulant faire ce sacrifice, Gaius Fabius Dorso, la toge ceinte à la manière des Gabiens, et tenant ses dieux à la main, descend du Capitole, sort et traverse les postes ennemis, et sans s'émouvoir de leurs cris, de leurs menaces, arrive au mont Quirinal ; puis, l'acte solennel entièrement accompli, il retourne par le même chemin, le regard et la démarche également assurés, s'en remettant à la protection des dieux dont il avait gardé le culte au mépris de la mort même ; il rentre au Capitole auprès des siens, à la vue des Gaulois étonnés d'une si merveilleuse audace, ou peut-être pénétrés d'un de ces sentiments de religion auxquels ce peuple est loin d'être indifférent. À Véies, cependant, le courage et même les forces augmentaient de jour en jour : à chaque instant y arrivaient non seulement des Romains accourus des campagnes où ils erraient dispersés depuis la défaite d'Allia et la prise de Rome, mais encore des volontaires accourus en foule du Latium, afin d'avoir leur part du butin. L'heure semblait enfin venue de reconquérir la patrie et de l'arracher aux mains de l'ennemi ; nais à ce corps vigoureux une tête manquait. Le lieu même leur rappelait Camille ; là se trouvaient la plupart des soldats qui sous ses ordres et sous ses auspices avaient obtenu tant de succès ; et Caedicius déclarait qu'il n'avait pas besoin que quelqu'un des dieux ou des hommes lui retirât le commandement, qu'il n'avait pas oublié ce qu'il était, et qu'il réclamait un chef. On résolut d'une commune voix de rappeler Camille d'Ardée, après avoir consulté au préalable le sénat qui était à Rome ; tant on conservait, dans une situation presque désespérée, de respect pour la distinction des pouvoirs. Mais ce n'était qu'avec de grands dangers qu'on pouvait passer à travers les postes ennemis. Pontius Cominus, jeune homme entreprenant, s'étant fait donner cette commission, se plaça sur des écorces que le courant du Tibre porta jusqu'à la ville ; là, gravissant le rocher le plus rapproché de la rive, et que, par cette raison même, l'ennemi avait négligé de garder, il pénètre au Capitole, et, conduit vers les magistrats, il leur expose le message de l'armée. Ensuite, chargé d'un décret du sénat, par lequel il était ordonné aux comices assemblés par curies de rappeler de l'exil et d'élire sur-le-champ, au nom du peuple, Camille dictateur, afin que les soldats eussent le général de leur choix, Pontius, reprenant le chemin par où il était venu, retourna à Véies. Des députés qu'on avait envoyés à Camille le ramenèrent d'Ardée à Véies ; ou plutôt (car il est plus probable qu'il ne quitta point Ardée avant d'être assuré que la loi était rendue, puisqu'il ne pouvait rentrer sur le territoire romain sans l'ordre du peuple, ni prendre les auspices à l'armée qu'il ne fût dictateur) la loi fut portée par les curies, et Camille élu dictateur en son absence."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 47 : "Tandis que ces choses se passaient à Véies, à Rome la citadelle et le Capitole furent en grand danger. En effet, les Gaulois, soit qu'ils eussent remarqué des traces d'homme à l'endroit où avait passé le messager de Véies, soit qu'ils eussent découvert d'eux-mêmes que près du temple de Carmentis la roche était d'accès facile, profilant d'une nuit assez claire, et se faisant précéder d'un homme non armé pour reconnaître le chemin, ils s'avancèrent en lui tendant leurs armes dans les endroits difficiles ; et s'appuyant, se soulevant, se tirant l'un l'autre, suivant que les lieux l'exigeaient, ils parvinrent jusqu'au sommet. Ils gardaient d'ailleurs un si profond silence, qu'ils trompèrent non seulement les sentinelles, mais même les chiens, animal qu'éveille le moindre bruit nocturne. Mais ils ne purent échapper aux oies sacrées de Junon, que, malgré la plus cruelle disette, on avait épargnées ; ce qui sauva Rome. Car, éveillé par leurs cris et par le battement de leurs ailes, Marcus Manlius, qui trois ans auparavant avait été consul, et qui s'était fort distingué dans la guerre, s'arme aussitôt, et s'élance en appelant aux armes ses compagnons : et, tandis qu'ils s'empressent au hasard, lui, du choc de son bouclier, renverse un Gaulois qui déjà était parvenu tout en haut. La chute de celui-ci entraîne ceux qui le suivaient de plus près ; et pendant que les autres, troublés, et jetant leurs armes, se cramponnent avec les mains aux rochers contre lesquels ils s'appuient, Manlius les égorge. Bientôt, les Romains réunis accablent l'ennemi de traits et de pierres qui écrasent et précipitent jusqu'en bas le détachement tout entier. Le tumulte apaisé, le reste de la nuit fut donné au repos ; autant du moins que le permettait l'agitation des esprits, que le péril, bien que passé, ne laissait pas d'émouvoir. Au point du jour, les soldats furent appelés et réunis pat le clairon autour des tribuns militaires ; et comme on devait à chacun le prix de sa conduite, bonne ou mauvaise, Manlius le premier reçut les éloges et les récompenses que méritait sa valeur ; et cela non seulement des tribuns, mais de tous les soldats ensemble qui lui donnèrent chacun une demi-livre de farine et une petite mesure de vin qu'ils portèrent dans sa maison située près du Capitole. Ce présent paraît bien chétif, mais dans la détresse où l'on se trouvait, c'était une très grande preuve d'attachement, chacun retranchant sur sa nourriture et refusant à son corps une subsistance nécessaire, afin de rendre honneur à un homme. Ensuite on cita les sentinelles peu vigilantes qui avaient laissé monter l'ennemi. Quintus Sulpicius, tribun des soldats, avait annoncé qu'il les punirait tous suivant la coutume militaire ; mais, sur les réclamations unanimes des soldats, qui s'accordaient à rejeter la faute sur un seul, il fit grâce aux autres : le vrai coupable fut, avec l'approbation générale, précipité de la roche Tarpéienne. Dès ce moment, les deux partis redoublèrent de vigilance ; les Gaulois, parce qu'ils connaissaient maintenant le secret des communications entre Véies et Rome ; les Romains, par le souvenir du danger de cette surprise nocturne."

Tite-Live, Histoire romaine, V, 48 : "Mais parmi tous les maux divers qui sont inséparables de la guerre et d'un long siège, c'est la famine qui faisait le plus souffrir les deux armées : les Gaulois étaient, de plus, en proie aux maladies pestilentielles. Campés dans un fond entouré d'éminences, sur un terrain brûlant que tant d'incendies avaient rempli d'exhalaisons enflammées, et où le moindre souffle du vent soulevait non pas de la poussière, mais de la cendre, l'excès de cette chaleur suffocante, insupportable pour une nation accoutumée à un climat froid et humide, les décimait comme ces épidémies qui ravagent les troupeaux. Ce fut au point que, fatigués d'ensevelir les morts l'un après l'autre, ils prirent le parti de les brûler pêle-mêle ; et c'est de là que ce quartier a pris le nom de " Quartier des Gaulois ". Ils firent ensuite avec les Romains une trêve pendant laquelle les généraux permirent les pourparlers entre les deux partis : et comme les Gaulois insistaient souvent sur la disette, qui, disaient-ils, devait forcer les Romains à se rendre, on prétend que pour leur ôter cette pensée, du pain fut jeté de plusieurs endroits du Capitole dans leurs postes. Mais bientôt il devint impossible de dissimuler et de supporter plus longtemps la famine. Aussi tandis que le dictateur fait en personne des levées dans Ardée, qu'il ordonne à Lucius Valérius, maître de la cavalerie, de partir de Véies avec l'armée, et qu'il prend les mesures et fait les préparatifs nécessaires pour attaquer l'ennemi sans désavantage, la garnison du Capitole, qui, épuisée de gardes et de veilles, avait triomphé de tous les maux de l'humanité, mais à qui la nature ne permettait pas de vaincre la faim, regardait chaque jour au loin s'il n'arrivait pas quelque secours amené par le dictateur. Enfin, manquant d'espoir aussi bien que de vivres, les Romains, dont le corps exténué fléchissait presque, quand ils se rendaient à leurs postes, sous le poids de leurs armes, décidèrent qu'il fallait, à quelque condition que ce fût, se rendre ou se racheter ; et d'ailleurs les Gaulois faisaient entendre assez clairement qu'il ne faudrait pas une somme bien considérable pour les engager à lever le siège. Alors le sénat s'assembla, et chargea les tribuns militaires de traiter. Une entrevue eut lieu entre le tribun Quintus Sulpicius et Brennus, chef des Gaulois ; ils convinrent des conditions, et mille livres d'or furent la rançon de ce peuple qui devait bientôt commander au monde. À cette transaction déjà si honteuse, s'ajouta une nouvelle humiliation : les Gaulois ayant apporté de faux poids que le tribun refusait, le Gaulois insolent mit encore son épée dans la balance, et fit entendre cette parole si dure pour des Romains : " Malheur aux vaincus ! "."

Valère Maxime, Faits et dits mémorables, V, 6, 8 : "On n'ignorait pas qu'après la prise de Véies, lorsqu'il fallut envoyer à Delphes un présent en or, équivalant au dixième du butin, promesse que Camille avait faite à Apollon par un voeu solennel, Rome se trouva dans l'impossibilité de suffire à cette dépense, et que les femmes apportèrent leurs bijoux dans le trésor public ; on savait aussi que les mille livres d'or promises aux Gaulois pour la délivrance du Capitole, ne furent complétées qu'avec les ornements de leur parure : ainsi, autant par inclination que d'après l'exemple des âges précédents, on jugea qu'on ne devait se dispenser d'aucun sacrifice envers la patrie."

Virgile, Énéide, VIII, v.652-662 : "En haut du bouclier, Manlius, gardien de la citadelle tarpéienne,
se dressait devant le temple, occupant le sommet du Capitole,
et la nouvelle maison royale se couvrait du chaume de Romulus.
Ici, volant de tous côtés parmi les portiques dorés,
une oie d'argent annonçait la présence des Gaulois aux portes ;
les Gaulois étaient là, dans les broussailles et, à la faveur des ténèbres,
protégés par une nuit profonde, ils étaient maîtres de la citadelle.
Leurs cheveux ont la couleur de l'or et aussi leurs vêtements ;
dans leurs sayons rayés, ils resplendissent, avec leurs nuques
blanches comme lait entourées d'un cercle d'or ; tous brandissent
deux javelots alpins, et se protègent derrière de longs boucliers."


Sources:
  • B. Poulle, (2014) - "Le mystérieux doublement de la rançon gauloise et le procès de Manlius Capitolinus", Dialogues d'histoire ancienne, vol.40, n°2, pp.179-191
  • Julien Quiret pour l'Arbre Celtique

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